[JR] Coming in [Dimitri & Solal]

Solal jeta un coup d'oeil à la pièce bondée à la recherche d'une table ou d'un visage connu. Du moins, un visage sympathique. Parce qu'il connaissait quasiment tous les visages présents en dehors de clients non réguliers. Et il n'avait pas forcément envie de passer la soirée en présence de Sofya et Toni. Et encore moins avec Evan. Même si ce dernier s'obstinait à rechercher sa présence. Ce n'était pas en le collant qu'il accepterait de lui reparler. Certaines choses étaient beaucoup mieux cachées. Et savoir qu'une personne connaissait votre plus grand secret était une chose des plus effrayantes.

Même s'il avait tout nié avec virulence. Même s'il faisait tout pour ne rien laisser paraître, un doute subsistait. Que Evan se décide un jour à parler de ce qu'il pensait savoir. Il n'y aurait pire chose dans la vie du mafieux que la rupture du silence. Il se méfiait donc particulièrement de son ancien ami. De ce qu'il pourrait dire, des questions qu'il posait. De sa façon de fouiner dans la vie des gens. Il en était venu à haïr l'homme de toutes ses forces. Ne supportant plus sa présence constante et le regard qu'il posait en permanence sur lui. A croire qu'il attendait un faux pas de sa part.

Il détourna le regard rapidement pour continuer sa recherche d'une table vide. En vain. Toutes semblaient pleines. Lorsqu'il aperçut une table occupée par une seule personne. Un visage connu qui ne lui était pas antipathique. Il esquissa un demi-sourire avant de s'approcher lentement et de poser une main sur le dossier de la chaise face à l'homme.

"Bonsoir Dimitri ! Je peux m'installer ? Sauf si tu attends quelqu'un évidemment."

Une légère nervosité l'envahissait peu à peu dans l'attente d'une réponse. Son sourire se crispant légèrement. Un mélange étrange de sentiments lui serrant la gorge. Entre appréhension du refus et désir de voir sa demande refusée pour avoir une raison de s'éloigner le plus loin de cet homme qui lui faisait accélérer le pouls et rougir les joues sans même en avoir conscience. Un malaise étrange. Désagréable et grisant en même temps.

Il n'y avait pas de meilleur moment pour laisser traîner ses yeux et ses oreilles que le soir, au beau milieu des Folies. Attablé seul avec un Mojitroll, le visage fermé et ses yeux de glace dans le vague, Dimitri pouvait avoir l'air bien solitaire et surtout bien ennuyé. Mais en réalité, il n'en était rien. A la table d'à-côté se tenait un groupe de quatre hommes plongés dans une conversation des plus intéressantes. Il y avait là deux mafieux, un policier magique et un employé de la justice magique, qui échangeaient à mi-voix leurs opinions sur la dernière loi anti-gangs que concoctait actuellement le Ministère, et sur comment y échapper. Tout en faisant mine de savourer son cocktail, Dimitri ne perdait pas une miette de l'échange qui, à n'en pas douter, intéresserait le grand patron.

Leopold ne l'avait pas chargé à proprement parler d'espionner la moindre des conversations louches qui se tenaient aux Folies, et heureusement d'ailleurs ! Ce n'était pas le travail d'un seul homme... Mais le ministre tenait surtout à s'assurer de la loyauté des deux chefs des Veilleurs à l'égard du régime et, plus globalement, du fait que le gang se maintenait dans les limites qui lui avaient été assignées. Globalement, hormis quelques boutiques brûlées sur l'Avenue des Douze Chênes, Marchebank n'avait pas eu à se plaindre pour l'instant de son accord officieux avec les Veilleurs. Pour autant, il avait maintenu Dimitri au sein du gang, persuadé que l'information, c'était le pouvoir...

Et Dimitri en grappillait, des informations, à force de participer aux missions et de nouer les relations qui comptent. A vrai dire, il se sentait maintenant si bien intégré et satisfait de sa vie de trafiquant qu'il en oubliait presque parfois sa mission. En parlant de relations, Dimitri fut bientôt interrompu dans son écoute par l'arrivée d'une personnalité de choix, à savoir Solal Elman. Parmi tous les Veilleurs, Solal faisait partie de ceux qu'il estimait le plus et avec qui il aimait bien passer un peu de temps lorsque l'occasion se présentait. Contrairement à bon nombre de mafieux, il était doté d'un cerveau en état de marche et d'un humour qui n'impliquait pas nécessairement des blagues grasses, aussi il n'était pas mécontent de son arrivée. Dimitri avait assez travaillé pour la journée, et sympathiser avec Solal faisait aussi partie de sa mission, puisque cela pouvait ouvrir des portes... Et puis, c'était assez plaisant, il fallait le reconnaître.

"Bonsoir Solal, non je t'en prie assied-toi !", répondit-il en glissant un regard pénétrant sur son interlocuteur. "Je suis seul au monde, comme tu peux le voir... Comment vas-tu ?"

Il se sentit rougir davantage sous le regard de son interlocuteur et baissa le regard sur la table alors qu'il tirait sur la chaise pour prendre place. Lui donnant un prétexte pour mettre fin à la pression visuelle. Il se surprenait à agir comme un adolescent aux hormones en pleines ébullitions. Il allait falloir qu'il se reprenne et vite avant que Dimitri ne s'aperçoive de son trouble intérieur. Il fallait bien reconnaître que le veilleur avait un regard des plus envoûtant et plus d'une femme se mettait à glousser sous ses yeux de glaces. Il haussa un sourcil faussement amusé à sa remarque. Comme si un homme comme lui pouvait rester seul au monde.

"Et bien, je vais mettre fin à ta solitude. Même si je crois que tu l'exagères un peu. J'ai cru voir que plusieurs jolies demoiselles louchaient dans ta direction."

Un léger sourire dénué de joie s'étira sur ses lèvres. Marque qu'il le taquinait mais qu'il n'en pensait pas moins. S'il l'avait souhaité, il aurait très bien pu aborder l'une de ses pintades en robe moulante et décolleté plongeant. C'était simplement qu'il ne le souhaitait pas.

"Je vais bien, merci. Et toi ?"

Il n'allait pas approfondir le sujet de la solitude. S'il souhaitait être seul pour réfléchir c'était son droit. Ce qui était étonnant néanmoins, c'était qu'il l'eut accepté lui à sa table s'il ne désirait aucune compagnie. Et une chaleur se répandit en lui à cette pensée. Un trouble qui lui fit rapidement détourner le regard de Dimitri pour interpeller un serveur et commander une boisson.

"Tu veux quelque chose ? C'est moi qui invite !"

Fait suffisamment rare pour être souligné. Et cette fois-ci, il réussit à fixer l'homme face à lui. Reprenant peu à peu une contenance plus digne d'un homme tel que lui.  

Surpris par la réponse de Solal, Dimitri jeta un coup d'oeil autour d'eux pour tenter d'identifier les jolies demoiselles en question. A vrai dire, il avait été si occupé à espionner qu'il n'avait pas fait attention aux charmantes conquêtes qu'il pourrait faire en ces lieux. Les jeunes gens célibataires en quête d'une histoire pullulaient généralement en ce haut lieu de la fête et il lui arrivait à lui aussi de venir rechercher la compagnie d'autrui, mais pas ce soir. Celle de Solal lui convenait tout à fait...

Dimitri n'avait rien d'un séducteur en série, puisque dans sa profession il était bien plus pratique de ne pas se faire remarquer. Pour autant, il aimait bien flirter à l'occasion, comme tout un chacun, même s'il n'avait jamais eu l'envie ni l'occasion de se mettre en ménage.

Le temps qu'il reporte son attention sur Solal, ce dernier c'était installé et lui demandait comment il allait.

"Bien aussi...", répondit-il en observant l'homme des yeux. Solal avait beau lui dire que tout allait bien, il ne semblait pas vraiment dans son assiette, comme si quelque chose le dérangeait. Y aurait-il une histoire intéressante sous ce trouble ? Quelque chose qui se serait déroulé dans les hautes sphères des Veilleurs, auxquelles Dimitri n'avait pas accès ? Voilà qui valait le coup d'être creusé.

"Merci, je t'offrirai le prochain, dans ce cas", répondit-il avec un sourire de remerciement. "Je prendrai un whisky pur feu."

Il attendit que Solal commande, puis posa ses coudes sur la table et se pencha légèrement pour que ses propos n'atteignent que l'oreille de son interlocuteur. C'était un endroit peuplé et Solal n'aurait peut-être pas envie de se confier, mais la curiosité de Dimitri avait été aiguisée et cela valait la peine de demander :

"Quelque chose a l'air de te préoccuper, je me trompe ?"

Solal hocha légèrement la tête en signe d'accord suite à la proposition de Dimitri. Cela lui convenait parfaitement. Cela signifiait dans un sens qu'il n'était pas contre un deuxième verre en sa compagnie. Chose plutôt réconfortante. Néanmoins, il n'y avait pas là de quoi se faire des films. Ce n'était pas la première fois qu'ils partageaient un verre ensemble. En tête à tête peut-être. Habituellement, il y avait toujours un autre Veilleurs en leur compagnie. Mais la question de son camarade le redescendit rapidement sur terre.

"Non, rien de particulier. Rien de plus que d'habitude disons. Le Kraken fait toujours des dégâts dans nos rangs. Rien de réellement alarmant mais cela commence à être agaçant à la longue. Les hommes s'agitent..."

Il vrilla son regard sur Dimitri avant de détourner le regard à l'arrivé du serveur. En réalité, il y avait d’innombrables choses qui ne tournaient pas rond. La volonté farouche de Calder à ne rien faire de marquant contre les attaques répétées dudit Kraken et le pire, la demande d'aide qu'il lui avait faite. Ou plutôt l'ordre d'aller libérer l'un de ses amis terroriste de Skye avec Sofya. Il n'avait pas tout compris à la situation. Persuadé que leur rôle était plutôt d'aider la Milice à Bristol et donc par extension, le gouvernement. Alors pourquoi aller attaquer une prison gouvernementale ? Tant de questions sans réponses.

L'attention de Dimitri augmenta d'un cran quand son interlocuteur mentionna le Kraken. Le groupe rebelle semblait s'être fait une mission de s'en prendre aux Veilleurs autant qu'ils s'en prenaient à la milice et aux intérêts du gouvernement, ce qui laissait sous-entendre qu'ils avaient eu vent des accords qui liaient le gang au régime... Toutes informations à cet égard pouvaient donc se révéler précieuses pour son patron.

"Je peux comprendre ça", répondit-il avec une grimace peu amène à l'égard du Kraken. "Depuis ce qui s'est passé avec Marcus et Ted, je crois qu'on a tous envie de les voir crever comme des rats..."

Leur métier avait beau ne pas être le plus sécurisant du monde, les Veilleurs ne perdaient pas l'un des leurs toutes les deux minutes et, quand ça arrivait, ils savaient généralement pourquoi : une sombre affaire de règlement de compte, un client mécontent ou un concurrent floué... Mais personne ne s'était attendu à ce que l'un des leurs ne soit assassiné par des résistants, lors d'une mission de routine sans dangers particuliers, alors qu'il aurait pu être simplement neutralisé... Cela avait été vécu par une déclaration de guerre par les Veilleurs, et les semaines qui avaient suivi n'avaient pas démenti cette interprétation.

"Ils nous ont par la surprise pour l'instant mais on va bien finir par choper plus d'infos à leur sujet et par pouvoir répliquer", répondit-il sombrement. "Les boss doivent bien avoir quelques pistes, j'imagine, un plan d'attaque."

Et si Solal pouvait lui dire lequel, alors là, il lui payait un troisième verre !

"En effet, ce serait le minimum que de leur rendre la pareille..."

Le fait que rien d'autre qu'un petit saccage de restaurant ait eu lieu, le tout sans trouver de coupable ou sans aucune victime était difficile à avaler. Il se disait parfois que tout avait été fait pour les occupants des lieux déguerpissent avant qu'ils n'arrivent. Mais après tout, il n'avait que des soupçons et rien de concret. Tout comme le fait que Dabroski, le meilleur ami de Calder se trouve être en réalité un membre du Kraken était une coïncidence de trop. Et il était loin d'être idiot. Surtout lorsqu'on lui demandait d'aller délivrer un homme dans le plus grand des secrets.

Toutefois, il n'enquilla pas sur la perche que lui tendit Dimitri. Il avait juré de ne rien dire et il n'était pas une balance. Néanmoins, il ne se ferait pas prier pour casser du sucre sur le dos de Roy. Il attendrait son heure et le moment venu, il montrerait à tous son incapacité à diriger un gang. Car c'était ce dont il était question ici, ni plus ni moins de savoir qui mettre à la place de Calder. Quelqu'un de beaucoup plus compétent et de plus enclin à faire le travail correctement.

"Si tu veux mon avis, il faut pas attendre grand chose des boss. Ce n'est pas leur préoccupation principale que de venger nos frères d'armes. Ils préfèrent se la couler douce au casino."

Il esquissa un léger coup d’œil en direction de Jayce, Roy, Tony et d'autres en train de jouer aux cartes dans un coin de la salle, une moue désapprobatrice sur le visage.

Les critiques de Solal à l'égard de ses supérieurs ne tombèrent pas dans l'oreille d'un sourd. Dimitri suivit son regard et considéra un instant les deux chefs de gang qui, effectivement, paraissaient plutôt détendus à leur table de cartes... Depuis le temps qu'il était présent à observer les Veilleurs, à participer à leurs activités et à protéger leurs intérêts, Dimitri en était venu lui aussi à avoir à coeur le devenir du gang et il aurait certainement des reproches à faire à Jayce et Roy. Il était vrai que ce dernier semblait partagé entre bien des centres d'intérêt, entre le gang, le casino et son partenariat avec Marchebank... Mais il n'aurait pas été aussi sévère que Solal quant à leur bilan, s'il s'était exprimé en toute honnêteté. Le gang avait grandi de façon exponentielle au cours de l'année écoulée et il était naturel qu'il se soit attiré des ennemis. Il n'en restait pas moins que le bilan était impressionnant. Cela dit, peut-être que des sujets d'inquiétude commençaient à se profiler pour les deux parrains. Sinon, l'un de leurs lieutenants ne s'exprimerait pas en ces termes...

Désireux de s'attirer les faveurs et confidences de son interlocuteur, Dimitri abonda en son sens :

"Effectivement, on ne peut pas dire qu'ils aient l'air bien inquiets...", affirma-t-il au moment où un éclat de rire généralisé retentissait depuis la table en question. Dimitri reporta son attention sur Solal, qui ne faisait rien pour cacher sa désapprobation.

"Entre nous, je me dis parfois qu'ils se reposent un peu trop sur leurs lauriers, ils deviennent paresseux. Ils s'investissement moins, ils font de plus en plus d'erreurs... Sans parler des recettes qui sont surtout réparties dans les poches de quelques uns, au détriment des autres... C'est mauvais dans le business, ils devraient se méfier. Dans ce métier, y'a toujours quelqu'un prêt à prendre ta place si t'es plus là pour l'occuper. C'est le cycle de la vie."

Un froncement de sourcil accompagna l'éclat de rire tonitruant de la table qu'il fixait depuis un moment. Il détourna le regard avec un léger reniflement dédaigneux et porta son verre à ses lèvres avant de fixer son interlocuteur. Bien plus intéressant et plaisant à regarder soit dit en passant. Il dut se reprendre pour ne pas soupirer de lassitude face à ses pensées déplacées. Il allait falloir qu'il se reprenne. d'autant que l'alcool ne l'aiderait pas à garder sa langue totalement liée. Et il n'était pas prêt à dévoiler le moindre secret encore. Même si le regard hypnotique de Dimitri serait capable de le faire parler sans doute un peu plus qu'il ne le désirait.

"Oui sans doute... Tu as eu des échos à ce sujet ?"

Solal le fixa un instant intrigué. Il avait lui même plus ou moins envisagé de prendre la place de Roy et Jayce le moment venu. Mais il était encore trop tôt. Rien ne laissait croire qu'une chute serait envisageable dans l'immédiat. Non, il fallait attendre le moment propice. Encore une erreur de leur part et peut-être qu'à ce moment là... Mais pour l'instant, il était encore bien trop influent.

"Je pense que toute rébellion serait malvenue actuellement. Ce n'est pas le moment. Roy est encore trop charismatique et trop bien vu. Je ne sais pas qui a pour projet une telle bêtise mais qu'il s'arrête maintenant ou il le regrettera... Mais après tout... ça peut également nous permettre de démasquer un traître..."

Il fit songeusement tourner son verre entre ses doigts avant de fixer à nouveau le regard de Dimitri et d'esquisser un léger sourire.

"Mais je crois qu'il est un peu tard pour parler de choses aussi sérieuse. A quoi allais-tu occuper ta soirée avant que je ne vienne t'importuner ?"

"Non, aucun écho, c'était une simple réflexion pessimiste tirée de mon expérience dans le milieu, mais tu as raison, c'est une réflexion prématurée. Espérons que je me trompe", répondit Dimitri tranquillement, sans montrer signe de nervosité.

Pourtant, il ne se sentait pas tout à fait serein à l'heure actuelle. De toute évidence, il avait été un peu trop loin, un peu trop vite dans sa tentative de faire parler le lieutenant des Veilleurs, qui restait prudemment loyal à ses chefs. Dimitri n'était pas inquiet outre mesure, du fait de sa position intermédiaire de chef d'équipe, entre les trafiquants du bas de l'échelle et les véritables têtes pensantes de l'organisation, il était tout à fait possible qu'il ait eu vent de mécontentements que Solal ignorait. Quoi qu'il en soit, il ne tenait pas à perdre la confiance précieuse de Solal, et il ne fut pas mécontent que l'homme écarte le sujet pour revenir à des considérations moins sérieuses.

"Je comptais boire un simple verre avant de rentrer chez moi, mais puisque tu es là, je crois que je vais plutôt profiter de ta compagnie", affirma-t-il, non par pensée stratégique cette fois mais bien par envie de s'attarder en la présence de Solal. "Si tu n'as rien de prévu, bien entendu..."

Ce fut de son habituel air indéchiffrable qu'il ajouta, le regard fixé sur Solal :

"Je suis persuadé que nous pouvons trouver un moyen agréable de nous occuper."