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A la guerre comme à la guerre [OS]

Roy Calder
Roy CalderPropriétaire d'un haras
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A la guerre comme à la guerre [OS] Icon_minitimeMer 25 Nov 2015 - 1:52
22 juin 2009, au soir
Au QG des Veilleurs


« Elle est connue comme serveuse et propriétaire du Triton Ardent, le restaurant qui a été saccagé en septembre avec la guerre des gangs. De ce qu’on sait, elle n’a pas de famille sur Bristol. Quant à l’autre, c’est un pêcheur miteux qui avait des liens avec les sharacks, apparemment, il… »

Mais Roy n’écoutait déjà plus. Son expression indéchiffrable, il contemplait Solal de ses yeux noirs sans vraiment le voir, pendant qu’il lui faisait un rapport sur leur situation. Assis sur le fauteuil qu’il avait l’habitude d’occuper pendant leurs réunions, avec ses trois lieutenants face à lui, et Jayce à ses côtés -qu’il n’avait même pas besoin de regarder pour sentir les réguliers coups d’oeil- l’atmosphère était celle des conseils de guerre. Ce n’était pas le premier qu’ils tenaient, ils avaient même vécu plus tendu que cette situation. Et pourtant, Roy ne s’était jamais senti aussi liquéfié intérieurement qu’à cet instant-là. Son regard suivit avec lenteur le dernier geste que fit Solal pour pointer l’une des deux photos posées sur la table, tandis qu’il concluait la mine sombre :

« Mais c’est elle qui a tué Marcus, Ted est formel. Juliana McNeil. »

Le regard du chef de gang resta fixé sur le visage mouvant de leur cible, comme s’il la découvrait, alors qu’il en connaissait déjà par coeur tous les détails. Alors que, quelques jours plus tôt, il caressait ce visage, il embrassait ces lèvres, il touchait ces cheveux… Merlin. Son coeur cognait furieusement dans sa poitrine, il n’arrivait même plus à réfléchir alors que c’était ce qu’il devait faire à tout prix, de façon urgente. Il devait trouver un plan, quelque chose, n’importe quoi pour devancer ce qui allait se produire, mais il n’arrivait pas à calmer son tumulte intérieur. Tout en lui bouillonnait, les images d’elle défilaient dans sa tête, et son imagination en fabriquaient de nouvelles : elle, pointant sa baguette vers Marcus Lynch, pour prononcer avec rage le sortilège de la mort, sans aucun scrupule. Elle, balançant des cargaisons, ses cargaisons, dans l’eau du port. Elle, signant son méfait d’un K noir, luisant, brûlant de révolte.

Il n’y avait pas assez de jurons pour exprimer le désarroi de Roy. Si sa figure restait sombre et donnait l’impression qu’il réfléchissait, il n’en était rien. Il était en train de paniquer, littéralement. Le Kraken, par Merlin. Elle était membre du Kraken. Ce groupe aux actions-coups de poing, déterminé, signalé comme la nouvelle cible prioritaire de la Milice dans cette ville. Et elle venait de devenir, elle personnellement, celle des Veilleurs. Derrière la porte confidentielle de leur QG, il y avait ses hommes qui ruminaient, il y avait Ted dévasté par la mort de son meilleur ami et prêt à tout pour obtenir vengeance. Dans cette pièce, il y avait Solal qui posait son regard froid de mercenaire sur lui, comme s’il attendait simplement l’ordre de ses chefs pour se lever et trancher la tête que l’on réclamait. Il y avait Fergus qui fixait les photos d’un regard sinistre. Il y avait Toni dont la mâchoire restait crispée depuis plusieurs minutes, comme s’il se contenait de hurler quelque chose. Un pillage de leurs cargaisons et un mort, ce n’était pas à prendre à la légère, c’était même la première fois -guerre avec les sharacks omise- que l’on osait s’en prendre aussi frontalement au gang des Veilleurs, sur leur propre territoire. On avait attaqué leur commerce et leur intégrité, à la fois. La réponse serait violente. Il le serait, forcément.

« Qu’est-ce qu’on sait d’autre sur elle ? »

La question que posa Jayce sortit Roy du gouffre de ses pensées. Etrange et ironique… Car Roy n’était pas le seul à en savoir plus sur Juliana que ce que Solal venait d’exposer. Il ne regarda pas son binôme, préférant faire comme si de rien n’était, mais sans trop savoir que penser de cette tactique de langue de bois qu’il venait d’adopter.

« Seulement ça, pour l’instant. Travis est sur le coup, on saura bientôt tout le reste, où elle habite, qui elle fréquente exactement… Même si elle a dû se planquer ailleurs, depuis, si elle a un minimum de jugeotte. »

Que des informations qu’il disposait déjà, ne put s’empêcher de penser le chef de gang. Informations que Jayce connaissait aussi plus ou moins… Si personne -Merlin merci- ne savait ce que Juliana représentait pour Roy à l’heure actuelle, Jayce restait le seul dans cette pièce à savoir ce qu’elle avait été un jour. Heureusement qu’il n’avait pas eu l’occasion de présenter sa petite amie à Fergus et Toni en plus, il y a un an, il aurait été dans de beaux draps aujourd’hui… Bon sang, se morigéna t-il intérieurement, pour se réveiller. Il ne pouvait pas laisser Jayce se douter de quoi que ce soit concernant leur relation, il ne pouvait pas prendre ce risque. Ni lui, ni personne chez les Veilleurs ne devait soupçonner la moindre faiblesse chez leur chef au sujet de cette obscure résistante qui venait de tuer l’un des leurs. Il n’avait pas quinze choix devant lui. Un seul, en vérité… Celui de prendre les devants.

Ce qui sortit de sa bouche, Roy le formula sans réussir à enterrer son amertume au plus profond de lui. L’amertume de devoir en arriver à une telle solution, mais aussi… celle de voir que l’élue de son coeur n’avait pas hésité à s’attaquer à lui, pour sa cause. Certes, ce n’était pas sur lui qu’elle avait pointé sa baguette. Mais c’était l’un de ses hommes, quoi qu’elle puisse en dire, en s’attaquant à son gang, c’était aussi à lui qu’elle s’attaquait. Il ne le prendrait pas autrement. Au fond, Juliana l’avait déjà averti de sa détermination, elle appliquait ce que lui refusait encore d’accepter : à la guerre comme à la guerre… et elle avait attaqué la première. Alors il aurait été un mensonge que de dire qu’il n’y avait pas un peu de ce sentiment de révolte, de cette sombre envie de contre-attaquer, quelque part enfouie en Roy parmi la multitude de ses sentiments contradictoires, lorsqu’il déclara :

« Laisse les gars attaquer son restaurant, alors. »

Solal ne parut pas ni surpris, ni réfractaire à la proposition, bien au contraire. Il objecta toutefois, un sourcil levé :

« Je voulais le proposer, mais… Ca risque de nous retomber dessus, non ? Comme avec le bar de Byrd. »

Quelle belle ironie du sort, voilà qu’il se tenait prêt à infliger à sa petite amie le même sort qu’il avait réservé à son ex folle furieuse… S’efforçant de repousser le dégoût que lui inspirait cette pensée et de s’accrocher à la stratégie qu’il était en train de mettre en place, Roy opposa :

« Ce n’est pas la même situation. Il y avait des conflits d’intérêt problématiques avec Byrd. Elle… Et son regard se posa sur la photo de Juliana McNeil, sans qu’il ne dise son nom. Elle est la pire ennemie de ceux qui nous soutiennent. »

Cet argument jeta un bref silence sur leur petite assemblée, comme si chacun réfléchissait, songeant tous au "K" qui avait marqué l'attaque. Roy aurait voulu jeter un regard à Jayce, mais il s’abstint sciemment, de crainte qu’il ne laisse transparaître quelque chose face à son ami de toujours qui le connaissait par coeur. Il préféra concentrer son attention sur ses lieutenants, ajoutant une dernière phrase d’un ton bien plus sombre, pour achever son numéro :  

« Je ne laisserai pas passer ça, peu importe ce qu’il en coûte. Personne ne s’en prend à nous impunément. Si quelqu’un dans cette ville en doute encore, alors c’est qu’il faut réimprimer le message. »

Au regard flamboyant et Toni et Solal  -s’il y avait un seul sujet sur lequel ils tombaient d’accord tous les deux, ce devait être celui-ci- Roy sut qu’il avait touché juste. Il restait une dernière chose à préciser.

« Faites ça proprement. Inutile de provoquer la panique sur l’Avenue des Douze Chênes. »

Signe qu’il avait compris, Solal hocha la tête :

« On attendra le milieu de la nuit.
-Si vous la trouvez là-bas, par contre, amenez-la vivante. On a besoin de la faire parler sur son groupe. »

Une attaque silencieuse, et surtout, où Juliana ne risquait pas de se trouver, songea Roy. Il se demandait intérieurement s’il ne valait pas mieux lui envoyer un Patronus pour ne prendre aucun risque, quand Jayce reprit la parole, sur un sujet annexe :

« Toni, les stocks sont en danger ou on a de la marge ?
-Jé n’irai pas jusqu’à dire qu’on est en danger, commença l’italien après quelques secondes de réflexion, il reste dé la came aux entrepôts mais… On a facilement perdu de quoi payer les gars sur un mois.
-On a de quoi renflouer, c’est pas le plus problématique. Si on n’a plus de quoi satisfaire nos clients, là par contre, ça pose problème. Et ça prend du temps, le voyage depuis le Mexique.
-On peut toujours racheter à nos alliés, au pire, non ? proposa Fergus. J’suis sûr qu’Alvaro serait ravi de nous vendre son rab.
-Ramenez-moi d’abord un inventaire précis de ce qui nous reste, ensuite on avisera. »

La réunion ne s’éternisa pas plus, chacun sortit avec un objectif précis ancré dans sa tête. Seul Jayce resta, ce que constata Roy qui aurait préféré être tout seul. Mais il connaissait cet air sur le visage de son ami, et ce silence préparatoire : il n’allait pas tarder à relancer la discussion. Très certainement, avec une question piège.

« Tu es sûr de ce que tu fais ? »

Que disait t-il ? Roy vrilla ses yeux dans ceux de son acolyte, sans répondre immédiatement. Ah, s’il devait être honnête, il aurait évidemment dit non. Il n’était sûr en rien de cette solution qu’il venait de bricoler pour sauver les meubles. Il lui était simplement paru évident qu’il ne pourrait pas éviter les dommages. Ce qu’il aurait voulu, sincèrement ? Ordonner à ses hommes de ne rien faire du tout, de laisser couler, d’oublier le nom même de Juliana McNeil. Mais il ne pouvait pas dire cela à des hommes comme Ted ou Glenn qui avaient perdu leur meilleur ami, leur troisième mousquetaire, et derrière ça, s’affirmer comme un chef digne de ce nom. Il estimait que ses hommes devaient être prêts à tout pour le défendre, lui et ses intérêts. En retour, il était sensé les protéger, les mener vers la réussite, et s’assurer que justice soit faite lorsqu’il le fallait. Ainsi les choses fonctionnaient dans leur monde. Il aurait pu jouer les chefs capricieux, aussi, il aurait pu donner les ordres qui l’arrangeaient sans s’expliquer, ses hommes n’auraient eu d’autre choix que de le suivre : mais pour combien de temps ? Roy était certain que cette stratégie n’aurait rien eu de durable, qu’il s’agisse de garder sa position, ou de conserver le secret de sa relation avec Juliana…

Et le premier à duper était celui qui lui posait cette question, pour le tester, c’était évident. Posant les bras sur les accoudoirs de son fauteuil, Roy préféra y répondre par une autre, histoire de tâter le terrain :

« Pourquoi tu me demandes ça ? Tu penses que j’ai eu tort ? »

Question qu’il lui posait sincèrement, d’ailleurs, tout jeu de dupes mis à part. Jayce avait toujours été de bon conseil, il avait cet instinct et cette capacité à juger qui faisaient sa réputation d’homme raisonnable. Après un petit temps de silence, où Roy ne sut pas très bien s’il réfléchissait ou s’il le jaugeait simplement du regard dans l’attente qu’il dise autre chose, Jayce finit par donner sa réponse :

« Non, c’était la seule chose à faire. Mais ça m’étonne que tu l’aies fait. »

Cette réponse clairvoyante toucha bien plus Roy qu’il ne le laissa paraître. Mis à part un léger froncement de sourcils, son expression n’eut pas l’air plus émue que cela. Et pourtant, Jayce avait terriblement raison. Parfois Roy avait l’impression que cet homme le connaissait mieux que lui-même. Il se souvenait encore de cette précaution que Jayce avait eu à parler de Juliana, de ce qu’il avait vu au restaurant lorsqu’il y était, pendant la guerre des gangs… comme s’il appréhendait que Roy réagisse violemment. Il se souvenait aussi de ce jour à Sainte-Mangouste, jour du Bloody Sunday, lorsque Jayce avait gardé un silence empathique, alors qu’il entendait son binôme lui avouer à demi-mot qu’il venait de voir son ex-petite amie sur un lit d’hôpital, dévastée par la mort de son père. Comme s’il se doutait depuis tout ce temps que Juliana représentait quelque chose de particulier pour lui, mais qu’il s’était contenté de laisser cette hypothèse dans un coin de sa tête.

Il devait donner une pichenette définitive à cette hypothèse, trancha Roy, un peu plus crispé que tout à l’heure. Il ne pouvait pas laisser croire que quelque chose le liait encore à Juliana, ou ils seraient perdus, lui comme elle, au sein de leurs groupes respectifs. Il n’attaquait pas Juliana par gaieté de coeur, mais il était prêt à le faire jusqu’au bout et sans retour, pour le bien de leurs affaires, car il avait tiré une croix sur elle et désormais, son gang était plus important : voilà ce qu’il devait faire croire à Jayce.

« Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Elle a fait un choix, j’ai fait les miens. On n’a plus rien à voir, maintenant. »

Sur cette réponse, tous deux s’affrontèrent du regard. Pour le coup, Roy ne feignait rien dans l’expression à la fois farouche et heurtée qu’il affichait. Tout simplement parce qu’il venait de dire une demi-vérité : Juliana avait effectivement fait ses choix, et lui les siens, et ils ne lui avaient jamais paru plus inconciliables qu’à ce jour. Et cela le déchirait, non pas parce que c’était un obstacle à ce qu’ils se retrouvent : ils s’étaient retrouvés, dans le plus grand secret. Mais c’était précisément ce genre de situation qui allait mettre leur couple à rude épreuve, et très vite déterminer s’il avait une chance de survivre à la bataille ou non. Car bataille il y avait, au sens propre du terme.

Cette authenticité qu’il vit dans le regard de son frère de coeur parut adoucir Jayce en retour, qui baissa complètement sa garde. Il fit quelques pas vers Roy, pour poser brièvement sa main sur ton épaule, cherchant quoi dire, avant de soupirer :

« J’suis désolé pour toi, mec. »

Le trafiquant sentit une dernière pression sur son épaule, avant que Jayce ne quitte la pièce, et le laisse seul avec lui-même. Sitôt que la porte claqua derrière lui, Roy saisit son visage entre ses mains, sans pouvoir retenir plus longtemps son dépit, sa fébrilité, sa profonde contrariété. Quelle terrible situation, et encore, ce n’était que le début ! Dans quelques heures, le restaurant de sa compagne serait en cendres, et il devrait trouver un moyen de la contacter rapidement après cela. Il avait décidé qu’il valait mieux ne pas prévenir Juliana, précisément pour éviter qu’elle n’accourt sauver son restaurant et ne se retrouve prise dans le feu de la bataille. C’était un pari, il en était conscient, rien ne lui garantissait complètement qu’elle ne s’y trouverait pas en plein milieu de la nuit, et qu'elle ne se ferait pas capturer par ses hommes. Mais il refusait d’envisager la possibilité que cela arrive, et préférait réfléchir à ce qui se passerait après. L’inquiétude le rongeait, mais il était aussi en colère contre elle. Il n’avait pas envie de ce combat, bon sang ! Pourquoi l’y forçait t-elle ? D’abord elle l’espionnait, puis elle détruisait ses cargaisons, et non contente de tout cela, elle assassinait de sang-froid l’un de ses hommes ? Et lui, comment était t-il sensé réagir à cela ? Qu’attendait t-elle, par Merlin ! Tant de questions qu’il avait envie d’éclaircir tout de suite, mais qui allaient devoir attendre encore quelques heures…


Roy Calder

Walking on the sunny side

KoalaVolant