Un immense brouhaha s'échappait de la Grande Salle de Poudlard en ce début soirée, à peine interrompu par les quelques éclairs qui venaient sporadiquement illuminer les tables du dîner. Assise à celle de Serpentard, Reine écoutait Pansy Parkinson jacasser sur l'avancement de son histoire avec Drago Malefoy, qui prenait visiblement un tour intéressant pour la citer. Un coup d’œil en coin à son cousin éloigné suffit à convaincre la jeune femme que ce dernier avait des préoccupations bien plus importantes que Pansy. Il paraissait préoccupé depuis qu'ils étaient revenus à Poudlard même si elle n'avait jamais cherché à en savoir plus auprès de lui, ce qui lui disait Romulus lui suffisait. Le Seigneur des Ténèbres aurait confié une grande mission à Drago, une mission primordiale. Évidemment, toutes les familles de Mangemorts voyaient là une punition envers les Malefoy, dont les échecs en Juin dernier étaient connus de tous. Reine ne s'en mêlait pas tellement, contrairement à son frère jumeau, elle avait d'autres préoccupations pour sa dernière année à Poudlard. Elles étaient sûrement plus superficielles que l'avenir du monde magique mais il y avait suffisamment de personnes dans sa famille qui portaient la marque pour qu'elle n'ait pas à s'en soucier actuellement. Romulus la voulait, songea-t-elle en tournant ses yeux bleus vers son frère qui mangeait voracement son poulet. Il n'avait de cesse de répéter que dès ses ASPICS terminés, il rejoindrait Rabastan, Bellatrix, Rodolphus, Rasaben, bref, tous les Lestrange qui avaient prêté allégeance au Seigneur des Ténèbres.

Elle-même ne savait pas vraiment que penser de tout cela. Oh, sur les idées, le problème n'était pas là. Il était largement temps que le monde magique soit débarrassé de toute cette vermine qui pouvait l'empoisonner, de ces moldus qui venaient voler leur magie et leurs secrets. Son attention s'égara du côté de la table de Gryffondor, sur les cheveux noirs de Potter. Pansy remarqua son mouvement et se retourna brusquement, levant les yeux au ciel en apercevant l'objet de son attention.

- Tu sais qu'elle est dans le club de Slug ? cracha-t-elle avec dédain.
- Qui ? demanda Reine distraitement, baissant les yeux sur ses petits pois qu'elle tria du bout de sa fourchette.
- Granger ! J'aurai pensé mieux de Slughorn, franchement...

Un sourire s'épanouit sur les lèvres de Reine devant la colère de sa cadette. Tout le monde savait que Pansy était juste dégoûtée de ne pas être elle-même dans le club de leur cher directeur de maison. Reine, elle, avait été invitée. Il n'aurait pas pu en être autrement, non ?  Brillante élève en Arithmancie, le professeur Vector n'avait de cesse de lui assurer qu'elle avait un grand avenir dans le domaine. Le Professeur Slughorn semblait ravi de cela : il avait toujours aimé collectionner les petits prodiges. Laissant les sixième année s'en prendre à Granger - même si Bulstrode pouvait parler, songea-t-elle avec le mépris de ces filles qui se sentaient supérieures aux autres - elle se leva, rejetant ses cheveux blonds en arrière. Elle posa brièvement une main sur l'épaule de son frère qui lui adressa un signe de la tête, passa derrière Blaise Zabini - sourit en le sentant se retourner sur elle - et remonta la Grande Salle jusqu'aux portes du hall.

Elle s'apprêtait à reprendre le chemin des cachots lorsqu'elle entendit une volée de pas derrière elle, se retournant pour faire face à Roy Calder. Elle l'évalua quelques instants du regard, croisant ses bras sur sa poitrine, son sac toujours calé sur son épaule. Depuis l'année dernière, son camarade de classe semblait s'entêter à venir lui parler de temps à autres. Enfin, parler... Autant qu'un Gryffondor puisse le faire. Elle fréquentait peu les autres maisons, évoluant dans un petit cercle restreint de Serpentard de bonnes familles. Son frère adoré, évidemment, Pansy Parkinson, Daphné Greengrass, Susan Keller... Parler aux Gryffondor, la maison rivale, ne faisait pas partie de ses plans et surtout pas à des personnes comme Roy Calder. Insolent, arrogant, un égo de petit coq, toujours fourré avec des gens comme Jayce Bowers ou cette Krystal, qu'elle détestait depuis qu'elle avait vu les yeux de son frère s'égarer de son côté. La seule Gryffondor sur qui elle réservait éventuellement son jugement était Sofya Belinski, au vue des activités de son père. Abandonnant son regard glacial, elle finit par prendre la parole, un petit sourire suffisant aux lèvres.

- Tu voulais quelque chose, peut-être ?

Roy était un garçon qui avait besoin de défis pour pimenter sa vie. Tout petit déjà, il s’amusait à se lancer des objectifs plus ou moins mesquins, pour le simple plaisir de se prouver qu’il pouvait tout accomplir. Faire accuser Jason à sa place pour une bêtise, faire sortir sa cousine Maria de ses gonds, s'attirer les faveurs des adultes, et il en passait. Tous les défis étaient bons à prendre, et plus il grandissait, plus ces derniers devenaient… coriaces. Plus il grandissait, et plus un sujet devenait omniprésent dans le cerveau de Roy, par ailleurs. Car la légende d’un futur coureur de jupons professionnel devait commencer dès les bancs de sa jeunesse. Cela faisait environ deux ans que le jeune Gryffondor avait placé les filles parmi ses préoccupations premières, et par Godric, il ne s’en sortait pas trop mal le mini Don Juan. Puisqu’il se savait beau garçon, et surtout beau parleur, Roy en profitait -sans honte aucune- pour aborder toutes les filles qui lui plaisaient -parfois même celles qui ne lui plaisaient pas, toujours dans cette logique de se prouver des choses à lui-même, n’est-ce-pas - et il se coltinait désormais largement cette réputation de séducteur de ces demoiselles.

Le problème avec les collectionneurs était que venait un moment où l’amas perdait de sa saveur, et où il fallait trouver une nouveauté pour relancer l’enthousiasme. Une pièce spéciale, une pièce inédite. Cette année, Roy s’était fixé un objectif clair et simple : mettre le grappin sur une proie intouchable. Les filles de Serpentard, résolument fâchées contre les Gryffondor -pour une raison millénaire qu’il ne s’expliquait pas, franchement, pourquoi se fermer un tel éventail de possibilités- il avait déjà tenté, avec un succès relatif. Les filles de familles Sang-Pur, il avait tenté aussi, avec nettement moins de succès, des os durs, celles-là. Quoi de mieux pour couronner sa toute dernière année dans cet endroit fantastique qu’était Poudlard que d’ajouter dans son tableau de chasse le nom d’une Serpentard de haute famille ?

Son choix n’avait pas été très difficile. Pour être tout à fait honnête, Reine Lestrange était déjà complètement son type. Roy était loin d’être le seul charmé par les boucles blondes et le regard hautain de la jolie Serpentard. Vous savez, ces classements des plus belles filles de l’école qui devaient forcément tomber sur le tapis de sujets récurrents, dans tout établissement qui se respecte ? Reine était facilement dans le haut du panier. Le genre de beauté qui faisait l’unanimité chez les adolescents qu’ils étaient. Et pourtant, peu osaient l’approcher. Déjà parce qu’elle ne se laissait pas facilement aborder : les trois quarts de Poudlard devaient trouver la grâce d’un cafard à ses yeux, et elle savait fort bien le retransmettre dans son regard. Ensuite, parce qu’elle avait un colosse de jumeau qui lui servait de garde du corps, comment dire… clairement dissuasif.

Mais Roy Calder était un garçon qui n’avait malheureusement pas assez peur du danger. L’instinct de conservation ? Pourquoi faire, il était jeune, beau et doué, tout allait parfaitement bien dans sa vie, et il s’en sortait toujours. Reine finirait par lui succomber, il n'en doutait pas une minute. Il devait simplement se la jouer fine…

« Tu devrais arrêter de reluquer Lestrange comme ça, Roy. Romulus doit faire vingt centimètres de plus que toi. »

…Et premier obstacle à éviter : le jumeau maléfique. La voix égale de Jayce, concentré dans son plat -c’était à se demander comment il avait remarqué que son ami dévisageait effectivement Reine depuis quelques minutes- fit tourner la tête de Roy.

« Eh bien Romulus va devoir se faire à l’idée que sa soeur chérie ne peut pas rester pure toute sa vie. Il faut bien que quelqu’un lui fasse découvrir les attraits masculins, elle manque quelque chose.
- Tu es tellement généreux de te dévouer à cette tâche.
- J’te parle sérieusement.
- Mais je sais, ça fait longtemps que j’ai arrêté de croire que tu pensais avec ton cerveau, de toute façon. Sinon t’aurais vite vu que c’était une mauvaise idée.
- Roh allez, t’es pas drôle, mec. J’suis sûr que tu la trouves canon toi aussi. »

Jayce haussa les épaules de son habituel air nonchalant, replongeant dans son dîner sans plus de cérémonie. Roy se pencha vers lui, un large sourire aux lèvres, décidé à l’embêter un peu :

« Non, c’est vrai, toi, tu n’as d’yeux que pour Tara, ta jolie Serdaigle.
- T’es lourd.
- Alleeez, Jaychou, va falloir que tu lui dises un jour. Sinon, c’est moi qui vais lui parler pour toi.
- T’es lourd. Attends, pourquoi j’ai l’impression de toujours tourner en boucle, avec toi ? »

Ricanant de bon coeur, Roy attrapa toutefois du coin de l’oeil la jolie blonde des Serpentard se lever de sa table, et il sut que c’était son signal. Abandonnant là Jayce avec une brève tape à l’épaule, il se leva à son tour pour suivre Reine à une distance respectable d’abord, histoire de ne pas se faire griller tout de suite par son frère jumeau. C’était bien pour ça qu’il ne pouvait l’aborder que lorsqu’elle était seule. Là tout de suite, il ne savait pas exactement ce qu’il allait lui dire, mais qu’à cela tienne, il avait envie de lui parler et il allait improviser. Il dût trouver quelque chose rapidement, toutefois, car Reine se retourna plus vite que prévu, consciente de sa présence. Son sourire habituel s’étira sur ses lèvres, et il enfonça ses mains dans ses poches en s’arrêtant à sa hauteur, avant de répondre :

« Attends, laisse-moi réfléchir. On a des cours en commun dont je peux me servir comme excuse ? C’est l’arithmancie toi ton truc, c’est ça ? Jamais touché à cette matière. Je pense qu’on pourrait faire un bon binôme en Potions, par contre, mais je sais pas, je crains de me faire recaler. »

Message plus subliminal, on ne pouvait pas.

Devant le sourire de Calder que toute personne un peu censée aurait qualifié d'insolent, Reine resta de marbre, ses yeux clairs fixés sur son condisciple. La mention de leurs cours commun lui tira un rire mais qui n'avait rien d'amusé : il était plutôt moqueur, quelque chose dans le genre de « Tu vas en cours, toi ? ». Il n'avait pas tort néanmoins, ils avaient bien une leçon en commun : potions avec le Professeur Slughorn. Si ce dernier se laissait avoir par le bagou du jeune Gryffondor, Reine, elle, levait les yeux au ciel devant tant de détachement. Sans pousser le vice jusqu'à être une Marietta Edgecombe en herbe - son amour de l'autorité l'année dernière lui avait valu un magnifique Cafard sur le visage que même le plus efficace des fonds de teint ne pouvait effacer - elle n'aimait pas la manière dont il arrivait toujours à retomber sur ses pieds. Un devoir pas fait ou un retard ? Calder trouvait toujours un moyen de se mettre Slug dans la poche et Gryffondor ne recevait pas de sanction, ce qui exaspérait les Serpentard.

Elle ne répondit pas à sa question sur l'Arithmancie, qu'elle savait plus rhétorique qu'autre chose.  Elle n'était pas idiote, elle savait bien que son camarade de classe ne la suivait pas dans les couloirs pour parler chiffre. Tout le monde connaissait Roy Calder et lorsque ce n'était pas le cas, sa réputation se chargeait pour lui de faire son image. Elle avait entendu plusieurs fois les filles de son année parler de lui, le suivre du regard lorsqu'il parlait avec ses amis de Gryffondor. Mais Reine, elle, elle n'était pas de ces filles-là et c'était d'ailleurs quelque chose dont elle était très fière. Elle valait mieux, comme elle aimait à le dire. Elle n'était pas si facile. Se pâmer devant les bellâtres adolescents, très peu pour elle, c'est ce qu'elle répétait à Pansy en l'entendant soupirer après Drago. Pourtant, Reine n'était pas si indifférente que cela et contrairement à ce qu'elle affichait d'un air agacé auprès de Romulus, travailler avec Cormac McLaggen en Sortilèges n'était pas si désagréable que cela. Mais elle n'en disait rien, se complaisant dans cette distance, presque cette intimidation qu'elle effectuait sur les autres, entre regards glacés et présence presque continuelle de son frère à ses côtés.

- Tu crains de te faire recaler ?

Elle laissa planer un léger silence, ses prunelles bleues dans celles de Roy, un léger sourire moqueur sur les lèvres.

- Je croyais que les Gryffondor n'avaient peur de rien ? C'est triste.

L'expression de son visage n'était néanmoins pas en accord avec un quelconque chagrin, bien au contraire.

- Néanmoins, tu crains bien, pour le coup. Je ne fais pas vraiment dans le bénévolat. Désolée, conclut-elle avec une moue tout sauf désolée.

Le moins qu’on puisse dire des Serpentardes, c’est qu’elles n’avaient pas leur langue de vipère dans leur poche. Celle-là plus particulièrement avait un sens de la répartie bien acéré, ce qui était loin de déplaire à Roy. Il adorait gagner, évidemment. Mais il aimait surtout qu’on lui entrave la victoire. Si Reine avait gloussé à sa petite tentative d’approche et papillonné des yeux, alors elle n’aurait pas eu cette distinction si spéciale que Roy se plaisait à voir en elle, et qui faisait qu’il avait choisi de se consacrer à la séduire, cette année.

Il s’était déjà préparé à encaisser ce genre de recalage, à vrai dire, ce n’était pas la première fois qu’il adressait la parole à la jeune fille, pas la première qu’elle l’envoyait plus ou moins paître, mais Roy revenait patiemment à la charge de temps à autres, plus souriant encore. Il se cognerait autant de fois qu’il le faudrait pour arriver à ses fins, et au fond, il était même plutôt optimiste. Sans doute en grande partie parce qu’il avait énormément -beaucoup trop- confiance en lui, mais aussi en partie parce qu’il cernait un peu la psychologie de Reine à force de se frotter à elle. Il n’avait même pas besoin de la connaître en profondeur pour comprendre qu’elle était une fille extrêmement fière, cela se voyait rien qu’à sa façon de se déplacer, de parler et de regarder les autres. Qu’elle se laisse conquérir par le premier beau parleur venu ? Roy savait que la partie serait bien plus complexe que cela, mais qu’à cela tienne, c’était exactement ce qu’il cherchait. En soit, connaissant le personnage, qu’elle daigne lui répondre était déjà presque engageant pour lui.

Loin de se démonter, donc, il répliqua, sans perdre de son sourire :

« Le bénévolat, carrément ? Est-ce que ça veut dire que tu me vois comme une espèce d’assisté, ou qu’il faut te payer pour obtenir quelque chose de toi ? Je sais pas, on dit que les Serpentard ont tendance à être à la fois hautains et radins. »

Une lueur volontairement provocatrice dans le regard, Roy n’attendit pas vraiment qu’elle réponde avant d’enchaîner :

« Mais c’est triste de s’arrêter sur des clichés, tu ne crois pas ? »

Si elle devait concéder quelque chose à Calder, c'était bien son entêtement. Cela lui avait pris à la fin de la sixième année, sans qu'elle ne comprenne vraiment d'où venait ce brusque intérêt pour sa personne - compréhensible, certes, mais tout de même - et elle avait beau l'envoyer sur les Filets du Diable, il revenait toujours à la charge, pas vexé le moins du monde par ses rebuffades. Elle aurait pourtant cru que quelqu'un à l'égo aussi développé que son camarade de classe (ils ne se connaissaient pas mais là encore, tout le monde le savait) n'aurait pas supporté qu'on se permette de le prendre de haut. Elle n'avait pas beau ne pas être à Gryffondor et rester au sein des élèves de sa maison, les rumeurs étaient universelles au collège Poudlard et elle avait entendu l'année dernière quelques histoires assez amusantes sur Tobias Gruffyd, de leur année, sa petite sœur et Roy Calder. Selon Katie Bell - qu'elle avait entendu en cours d'Histoire de la Magie, ce dernier n'avait pas supporté que la plus jeune lui tienne tête, surtout que son frère en avait rajouté une couche en frappant son camarade. Tout un programme.

Mais finalement, en y repensant bien, c'était même presque logique que Calder insiste ainsi : il ne l'avait pas fait pour les Gruffyd, mais c'était sûrement pour se tenir loin de Tobias (pas aussi courageux qu'il ne laissait l'entendre ?) mais dans le fond, il n'était pas du genre à supporter qu'on lui résiste. Il faisait partie de cette catégorie de gens qui voulaient plaire à tout le monde, ceux qui déployaient constamment des numéros de charme pour le simple plaisir de les voir fonctionner. La moitié de l'école était dingue de Calder, l'autre le trouvait exaspérant (certains s'en fichaient sûrement mais ils étaient sûrement moins amusants) et il devait sûrement avoir envie de faire basculer les scores pour sa dernière année. Quoi de mieux pour ça que de commencer par la partie la plus difficile, c'est-à-dire les Serpentard, ou plus particulièrement, elle ?

Elle ne dit rien lorsqu'il prononça le mot "assisté" et pourtant, à cet instant précis, son regard parlait sûrement pour elle. Il n'était pourtant pas mauvais en potions de ce qu'elle avait compris, Slug rendant les notes à voix haute, mais ce n'était pas pour autant qu'elle l'évoquerait, ce serait assurément un trop grand plaisir pour lui de savoir qu'elle avait pu remarquer quelque chose à son sujet. Sa petite pique sur les Serpentard "hautains et radins" lui tira une expression dédaigneuse tandis qu'un sourire narquois s'épanouissait sur ses lèvres.

- Sauf quand les clichés s'avèrent vrais... rétorqua-t-elle laconiquement. Après tout... Tu n'es pas un stéréotype de Gryffondor, toi ?

Elle leva la main pour énumérer sur ses doigts fins.

- Vantard, suicidaire, insupportable ?

Petit doute sur le suicidaire, néanmoins : il n'avait après tout pas tenu tête à Tobias bien longtemps.

- Mais pour ta gouverne, je ne suis pas radine. On dit économe.

On aurait presque pu voir un peu de malice derrière ses mots, bien abritée derrière son sourire narquois.

Roy ne put retenir un léger rire à la dernière réplique de la Serpentard, grandiose en terme de mauvaise foi, il ne pouvait que saluer. Econome, bah voyons. Il la ressortirait un jour celle-là, tiens. En soi, il validait même le principe -n’étant pas très généreux non plus, sans vouloir passer pour un radin- mais dans ce contexte précis, il sentait bien qu’il ne s’agissait que d’une pirouette.

« Ce n’est pas la bonne foi qui vous étouffe dans votre maison, par contre, répliqua t-il, un sourire tranquille aux lèvres. "Insupportable" ? Si je l’étais tant que ça, tu ne daignerais même pas m’adresser la parole, je me trompe ? »

Et il défiait volontiers Reine Lestrange de lui dire le contraire, semblait dire son regard. Il l’avait assez observée -et même sans ça, sa réputation la précédait déjà de loin- pour savoir qu’elle n’était absolument pas le genre à s’embarrasser de politesses. Face à une personne indésirable, elle ne se fatiguait même pas à répliquer, considérant sûrement qu’elle avait affaire à un cafard indigne de son attention. En terme d’orgueil, Roy avait face à lui une personne qui le valait bien largement…

« Vantard, je veux bien te l’accorder. Suicidaire, hum… J’ai quand même attendu que tu sois seule pour venir te parler. »

Pour être honnête, il ne se sentait pas trop de se frotter tout de suite à Romulus, bien sanguin pour un Serpentard, d’ailleurs. Puisqu’ils parlaient de maisons, Roy l’aurait plutôt mis à Gryffondor, mais il n’allait pas se plaindre : il se coltinait déjà la tête d’oeuf de McLaggen dans son dortoir, si en plus il avait dû composé avec une brute sanguinaire de type Lestrange, la tour des rouge et or aurait fini en cendres fumantes depuis bien longtemps. Roy avait décidé de se la jouer stratège, Reine pouvait bien s’imaginer ce qu’elle voulait à son sujet, il ne fonçait pas complètement tête baissée. Il avait passé beaucoup trop de temps en retenues mortelles, et rafistolages approximatifs à l’infirmerie ces six dernières années, cette fois, il avait décidé que ce serait le temps du sans-faute. Conquérir Reine proprement, tel était son objectif, même si cela devait prendre des mois : à la fin, c’était elle qui lui tomberait dans les bras. Reportant son attention sur la demoiselle il vrilla son regard dans le sien, sans ciller.

« Mais si tu veux vraiment tout savoir sur moi, en vrai, je suis capable de faire preuve d’autant de patience qu’un Poufsouffle, d’inventivité qu’un Serdaigle et de roublardise qu’un Serpentard pour arriver à mes fins. » termina t-il en croisant les bras, de son ton assuré, presque doucereux.

Reine haussa les épaules avec une insupportable petite moue innocente lorsque Roy lui affirma que ce n'était pas la bonne foi qui étouffait les Serpentard. Face aux Gryffondor, sûrement pas et face à Roy Calder, encore moins. Elle aimait le contredire, ne serait-ce que pour le plaisir de lui tenir tête, elle ne l'aurait pas admis mais elle trouvait tout cela amusant. La première fois, l'année dernière, elle l'avait sincèrement envoyé voir ailleurs si elle y était. Puis il était revenu. Une fois. Deux fois. Presque inlassablement, peu importe les petites piques qu'elle pouvait lui lancer, il répondait toujours avec ce même petit sourire tranquille. C'était un jeu, tout cela et même si elle prétendait le contraire, parce qu'elle aimait à penser qu'elle avait mieux à faire de son temps, Reine s'amusait bien. C'est pourquoi lorsqu'il pointa du doigt le fait qu'elle lui adresse la parole malgré le fait qu'elle l'affirme insupportable, elle se contenta de sourire, de cet air de petite fille modèle qu'elle arborait face à ses parents et en bonne société.

- Oh, tu n'es pas au courant ? J'ai toujours eu un faible pour les causes humanitaires.

Les Lestrange ne s'illustraient pas vraiment pour leurs actes de charité - quoique, débarrasser le monde des nés-moldus en était un - mais Reine était avant tout une jeune fille du monde bien éduquée et on donnait toujours aux plus nécessiteux que soi, n'est-ce pas ? C'est du moins ce que semblait dire son expression faussement compatissante, démentie peu à peu par la moquerie.

La mention de sa solitude - c'est-à-dire sans Romulus - la fit lever les yeux au ciel. Il n'était pas si terrible que cela. Sûrement un peu trop emporté, un peu trop protecteur, un peu trop prompt à saisir à la gorge les gens qu'il n'appréciait pas - ou qu'elle n'appréciait pas - mais aux yeux de Reine, il était loin de la brute sanguinaire qu'on pouvait imaginer. Romulus et elle avaient toujours été inséparables, de l'enfance à leur adolescence. Ils ne passaient pourtant pas leur temps à jacasser comme les jumeaux Weasley mais étaient toujours près l'un de l'autre, présence silencieuse mais ô combien primordiale. Assurément, Romulus n'apprécierait pas qu'elle discute avec Roy Calder - pas assez pur et surtout, précédé par sa réputation - mais il se contenterait d'un regard assassin. Pour le moment.

- On aurait peur de ses petits camarades de classe, Calder ?

Elle soutint le regard de Roy lorsqu'il vrilla ses yeux dans les siens sans ciller, affirmant avec insolence qu'il était capable de réunir les meilleurs qualités de chaque maison pour arriver à ses fins. L'assertion lui tira un sourire en coin et elle haussa un sourcil, croisant elle aussi ses bras sur sa poitrine. Tant de suffisance... Car si Reine s'amusait bien, c'était bien parce que c'était un jeu et elle n'était décidément pas du genre à perdre. Croyait-il vraiment qu'il pourrait gagner tout simplement parce qu'il l'aurait décidé ? C'était bien la sous-estimer et surestimer en revanche l'intérêt qu'elle pouvait avoir pour leurs petits échanges. Ce n'était que simple distraction. Pourtant, alors qu'elle aurait pu tourner les talons sans un mot après un regard aussi dédaigneux qu'entendu, elle se contenta de jouer les innocentes.

- Et quels sont tes fameux desseins, au juste ?

Les mots de Reine n’étaient pas tendres. Certains se seraient peut-être vexés. Mais quelqu’un qui avait le goût de la provocation comme Roy savait distinguer la méchanceté pure de ce qui était une simple façon de titiller son adversaire. La nuance était subtile, et ne tenait qu’à des attitudes. Leurs échanges prenaient de plus en plus la forme de joutes verbales, et il voyait dans le ton et l’expression de Reine qu’elle n’en était nullement agacée, mais peut-être bien le contraire : pour le moment, elle avait l’air de bien s’amuser à jouer les ingénues. Et c’était bon signe, du moins Roy voulait le croire. Tant qu’elle répondait avec cette ironie mêlée de fausse innocence, c’est qu’elle se plaisait à lui tenir tête.

« Peur n’est pas tout à fait le bon terme. Disons que c’est du pur bon sens. »

Autant se jeter directement dans la gueule ouverte du loup, sinon. Romulus lui mettrait forcément des bâtons dans les roues, il savait ce que c’était l’instinct protecteur fraternel bien lourdingue, il s’était heurté à un Gruffydd l’an passé, et s’il devait être tout à fait honnête avec lui-même… Il était sûrement de leur trempe, lui aussi, à surprotéger ses cousines du même âge. Il pouvait comprendre ce comportement, en toute modestie. Cependant, dans l’histoire, c’était lui le gêneur à éradiquer, et il ne comptait pas se placer si facilement dans le viseur.

Qu’elle lui offre l’occasion d’expliciter sa pensée ne fit qu’agrandir le sourire de Roy. Il ne répondit pas immédiatement toutefois, savourant d’abord la situation. Si Reine lui posait cette question -alors qu’elle avait sûrement très bien deviné toute seule ce qu’il avait derrière la tête, elle n’était pas cruche non plus- n’était-ce pas qu’elle était prête à rentrer au moins un peu dans son jeu ? Toujours dans cette logique du moindre mal avec cette fille sans pitié, si elle ne l’envoyait pas balader à stade de la conversation, c’était qu’il avait un peu réussi à attirer son attention, supposait le Gryffondor. Décroisant les bras pour remettre ses mains dans ses poches, il haussa les épaules, volontairement nonchalant.

« Les Serpentards ne sont pas sensés devancer tout le monde ? Tu n’as qu’à ouvrir l’oeil, miss maligne. Un indice : le chat, la souris. On peut commencer à compter les points quand tu veux. »

Sur cette déclaration et un dernier large sourire, Roy tourna les talons, plutôt satisfait de sa petite approche de lancement des hostilités. Les dés étaient désormais lancés.

Reine connaissait déjà la réponse à sa question mais elle était curieuse d'entendre ce que Calder aurait à lui dire. Serait-il franc et honnête ? Répondrait-il avec un culot tout Gryffondor ou préférait-il continuer dans les sous-entendus comme il avait tendance à le faire depuis le début ? Devant son grand sourire, elle maintient une expression distante, allant même jusqu'à croiser ses bras sur sa poitrine, presque dans un geste de défi. Défi de quoi ? Elle ne savait même pas elle-même. De la provoquer ? D'oser lui répondre ce qu'il avait vraiment en tête ?

Néanmoins, son regard froid ne fut suffisamment pas assez efficace pour dissuader Calder d'utiliser tout son culot pour lui répondre. Elle avait eu tort, il n'avait pas choisi l'une de ses propositions : il avait fait un mélange du tout. Elle fut presque soufflée par l'impertinence avec elle laquelle il lui répondit, les mains dans les poches, nonchalant avant de se détourner sans qu'elle n'ait le temps de dire quoi que ce soit. Le chat et la souris ? Comme si elle était la souris et qu'il la traquait ? Dans ses rêves, songea-t-elle en le regardant s'éloigner. Ils n'avaient pas besoin de compter les points, la partie n'était même pas équitable. Il perdrait. Il perdrait parce qu'à cet instant précis, Reine ne décidait pas seulement de gagner, non. Elle décidait de l'écraser. Elle n'était pas la proie, elle valait beaucoup mieux que cela et avait bien plus de fierté. Roy Calder se mordrait les doigts d'avoir joué avec elle : elle le laisserait approcher si cela pouvait lui faire croire qu'il gagnait... Avant qu'elle ne mette le coup d'arrêt final à la partie. Néanmoins, il avait gagné un point, ce soir, songea-t-elle tandis qu'elle tournait les talons pour rejoindre sa Salle Commune. Pour la toute première fois, Reine Lestrange était intéressée.


20 Octobre 1996

L'automne s'était définitivement installé sur le domaine du collège Poudlard et des courants d'airs glacés dissuadaient les élèves les plus courageux d'y traîner, beaucoup se réfugiant dans leurs Salles Communes ou la bibliothèque, bien plus chauffée. Reine ne faisait pas exception à la règle et pourtant, elle aimait le froid. Elle aimait se blottir dans des pulls tout doux ou enfouir le bout de son nez dans d'épaisses écharpes en laine, bien au chaud sous une cape épaisse mais l'automne n'offrait pas tellement ce genre de plaisirs. C'était un froid venteux, humide, un froid à rester enfermée auprès du feu. Elle attendrait la neige pour occuper de nouveau les extérieurs. En attendant, à l'image de ses camarades, elle allait à la bibliothèque.

Elle préparait ses ASPICS avec application bien que travailler ne la rejouisse pas plus que cela ; elle aurait préféré occuper son temps à autre chose. Son seul plaisir restait l'arithmancie, sur laquelle elle passait des heures et des heures, démêlant calculs après calculs sans jamais se lasser. Elle s'était installée sur une table un peu à l'écart, sa préférée, sous une fenêtre entre deux rayonnages. La pluie battait contre le carreau tandis qu'elle griffonnait sur son parchemin, ses boucles blondes maintenues dans une ébauche de chignon qui laissait échapper quelques mèches, qu'elle repoussait avec agacement de temps à autres. Elle avait installé ses affaires sur la totalité de la table - son sac, ses livres, une épaisse écharpe verte, sa trousse et quelques rouleaux de parchemin - signe évident qu'elle ne voulait pas être dérangée. Pourtant, ce fut une ombre sur ses écrits qui lui fit relever la tête, ses yeux bleus se posant sur Roy Calder. Ils ne s'étaient pas reparlés depuis leur échange deux semaines auparavant mais sa dernière petite réplique lui était restée en tête, ruminant ce qu'elle aurait dû répondre si elle n'avait pas été soufflée par tant d'arrogance. Déposant sa plume, elle redressa le dos, s'appuyant sur le dossier de sa chaise, bras croisés.

- Tu t'es perdu ?

Qu’on se le dise, les quelques fois où Roy avait posé les pieds dans la bibliothèque dans toute sa scolarité pouvaient se compter sur une palme de Strangulot. Principalement parce qu’il n’aimait pas l’idée de ne pas pouvoir parler comme il voulait -il y avait toujours une cruche pour siffler « Y a des gens qui travaillent ici ! »- bref, un endroit mortellement ennuyeux, déjà qu’étudier l’était, pourquoi s’infliger en plus encore un lieu du même acabit ? Il préférait faire ses devoirs sur le pouce, dans la salle commune, entre deux distractions, la pilule passait mieux. Par conséquent, si Roy se trouvait dans la bibliothèque, les choix n’étaient pas nombreux : soit il avait un travail de groupe qui l’obligeait à venir ici, soit… La deuxième option ne s’était jamais présentée avant aujourd’hui, pour être honnête. Il lui avait simplement semblé en se levant ce matin que Reine Lestrange était une bonne raison de déplacement.

Il ne lui avait pas reparlé depuis cette fois dans le hall après le dîner, mais comme il le disait souvent, il gérait. Roy avait plus ou moins monté un plan dans sa tête, avec plusieurs scénarios dont les évolutions dépendraient de la façon dont réagirait Reine. Mais le début de sa stratégie était plutôt claire et sans équivoque. Ce qu’il avait à faire pour le moment était d’attirer son attention, suffisamment pour qu’elle en vienne à s’intéresser à sa personne. Car Roy ne se faisait pas d’illusion, s’il arrêtait de l’aborder maintenant, elle ne ferait pas le moindre pas vers lui, il n’en était pas encore là. Face à ce constat, il devait toutefois doser subtilement, car il savait qu’attirer l’attention ne signifiait pas imposer sa présence de façon continue -et donc bien lourde- mais savoir viser précisément et calculer ses coups. Nul besoin d’aborder Reine trente-six fois dans le mois, quelques entrevues percutantes auraient un bien meilleur effet. Et il savait que la dernière en date l’avait été. Il avait vu l’expression de Reine, il l’avait vue ne pas répliquer, sans doute trop soufflée sur le coup pour dire quoique ce soit. Et Roy était plutôt fier d’avoir réussi à la outrer de la sorte : il était persuadé que c’était ce qui marchait, avec une fille comme elle.

Le voilà donc à tenter un deuxième coup, deux semaines plus tard, pour prendre la température. Avait t-elle décidé de lui faire payer son insolence ? Allaient t-ils repartir de plus belle sur le petit jeu de répliques qui s’était installé entre eux ? Ou avait t-elle au contraire décidé de le reléguer aux tréfonds de la basse classe des gens auxquels elle n’adressait pas la parole ? Roy allait vite être fixé, décida t-il, une fois qu’il l’eût repérée près d’une fenêtre. Il arrivait par sa droite, quand elle nota sa présence et leva la tête pour lui demander s’il s’était perdu, ce qui aurait pu être aussi un aimable « Qu’est-ce que tu fous là ? ». Il s’appuya contre le mur, les mains dans les poches de son pantalon, comme pour prendre ses aises.

« Non… répondit t-il, presque mielleux. Tu ne me trouves pas à ma place ? Peut-être que j’aurais du venir avec mon devoir de potions pour prétexter de te demander de l’aide juste pour te parler, effectivement. »

Il n’avait même pas eu la décence de prendre son sac avec lui, pour ainsi dire, Roy avait l’air d’être parti en simple promenade dans ce formidable intérieur qu’était une bibliothèque. Ses yeux descendirent jusqu’au parchemin qu’elle griffonnait avec application avant qu’il n’arrive -il avait pris le temps de la regarder un peu avant d’approcher, elle était mignonne quand elle travaillait- et il supposa :

« Arithmancie ? »

Prenant tout son temps pour lui répondre, Roy s'appuya contre le mur d'un air négligent avec tout sauf la dégaine de l'élève studieux qui venait s'instruire à la bibliothèque. Même pas un sac de cours ou une plume : ce garçon était un véritable touriste dans l'école mais cela n'avait pas l'air de le gêner, bien au contraire. Alors lorsqu'il lui demanda si elle ne le trouvait pas à sa place, elle leva les yeux au ciel, ne prenant même pas la peine de répondre à cette provocation-là. La suite de sa phrase la fit néanmoins redescendre et elle haussa un sourcil, calant son menton dans la paume de sa main.

- Et qui te dit que j'aurai accepté de t'aider ? Je t'ai dis que je faisais dans la charité, pas les causes perdues.

Elle aurait dû l'ignorer, elle le savait pourtant. Replonger dans son travail et faire comme s'il n'était pas là, ne pas répondre à ses petites provocations et en temps normal, elle l'aurait fait. Reine n'était pas le genre de personne à s'époumoner dans le vide et assurément, elle ne mentait pas lorsqu'elle parlait : Roy Calder était bien une cause perdue. Mais la dernière fois dans le hall, elle n'avait pas supporté sa suffisance, son arrogance qui allait au delà de la démesure. Il était tellement persuadé qu'il pourrait l'avoir, comme si elle était une de ces autres filles, celles qu'il passait son temps à draguer dans les couloirs, qu'elle n'avait qu'une seule envie : le démentir. Son silence glacial aurait pu le faire pour elle mais ce n'était pas assez flamboyant et écrasant et si Reine n'était pas du genre à s'époumoner, elle n'était pas non plus du genre à se laisser marcher sur les pieds. C'était bien plus amusant de le voir perdre par K.O plutôt que par forfait...

- Arithmancie, confirma-t-elle. Tu ne pourras pas comprendre, ajouta-t-elle avec une moue faussement désolée.

Et puis il n'était décidément pas le genre d'élève à prendre cette matière en option : ils étaient peu dans le cours du Professeur Vector, surtout en niveau ASPIC. C'était une matière exigeante et compliquée mais que Reine aimait bien. Elle aimait démêler les problèmes, les chiffres, imaginer des solutions, comprendre. Le Choixpeau avait songé un temps à la mettre à Serdaigle mais elle avait prié très fort pour être avec son frère, qui venait d'être réparti à Serpentard. Romulus et elle n'avaient jamais été séparés.

- J'ai bien peur que nous n'ayons pas donc de sujet de conversation... Tellement dommage, persifla-t-elle avec un sourire moqueur.

Le sourire insolent, Roy croisa les bras face à la hautaine Serpentarde, qui semblait prête à lui parler, ce qui était déjà une chose de gagnée : il avait encore son attention.

« Justement, tu m’avais qualifié de cause humanitaire la dernière fois, pas perdue. » fit t-il remarquer, le ton narquois.

Lui était avis personnellement qu’il était plutôt une cause perdue, mais il allait quand même se débrouiller pour gratter quelques ASPICS en fin d’année. Cependant, c’était une question qu’il verrait plus tard, il avait largement le temps de voir venir le paquebot. Il était encore sur le quai, lui, il n’avait pas encore embarqué. Bien là où il était, en vacances dans sa tête. Roy ne répondit pas tout de suite à la réplique suivante de la jeune fille, prit d’abord le temps de s’asseoir sur la chaise qui lui faisait face, en posant ses coudes sur la table là où il pouvait, parmi le fatras de ses affaires. Là, ils étaient mieux pour papoter. Appuyant son menton sur la paume de sa main, il vrilla son regard dans le sien, rétorquant de son ton traînant :

« Ca ne t’a jamais empêchée de converser avec moi, ça. Moi je peux parler même quand il n’y a rien à dire, c’est ce qu’on appelle l’inventivité. Je te l’ai dit la dernière fois, non ? »

Roy ne lançait pas le sujet innocemment, il comptait bien guetter sa réaction sur le sujet de cette fameuse dernière fois, et même la titiller un peu s’il le fallait…

- J'ai changé d'avis, répliqua Reine du tac-au-tac lorsque Roy souligna son changement de vocabulaire, sans se préoccuper un seul instant de paraître de mauvaise foi. Il m'a suffit de te recroiser pour faire évoluer mon jugement.

Elle faisait mine de le revoir véritablement ce jour-là depuis le début du mois, comme s'ils ne s'étaient pas croisés dans les couloirs ou en cours. Ils ne s'étaient pas parlé de toute manière et Reine avait mis un point d'honneur à ne pas lui concéder un seul regard, occultant volontairement l'existence de leur petite conversation première. Elle l'observa s'assoir en face d'elle avec circonspection, l'expression de son visage montrant bien ce qu'elle pensait de ce genre de manières. Elle ne fit rien pour écarter la moindre de ses affaires mais se redressa légèrement, saisissant sa plume d'un bleu éclatant entre ses doigts pour la faire tourner. Lorsqu'il reprit la parole pour mentionner leur dernière rencontre et sa réplique finale, elle cilla légèrement. L'arrogance de Calder l'avait laissée sur le carreau la dernière fois et s'ils devaient vraiment compter les points, alors il en avait un... Pour le moment.

- C'est toi qui t'entête à venir me parler, fit-elle remarquer avec une moue narquoise. Je te réponds seulement, je suis quelqu'un de très poli, vois-tu ? souffla-t-elle avec un léger sourire moqueur.

Elle glissa l'une de ses boucles échappées derrière son oreille avant de caler de nouveau son menton dans la paume de sa main, ses yeux bleus posés sur Roy.

- Tu n'arriveras à rien, tu le sais, ça ?

Sans répéter qu’elle était de mauvaise foi -mais n’en pensant pas moins- Roy la laissa chercher des excuses qui l’amusaient bien au fond : tant qu’elle cherchait à se justifier, c’est qu’elle avait effectivement quelque chose à cacher ou à défendre. S’il y avait une chose que Roy aimait, c’était voir ses hypothèses se vérifier, et il avait comme l’impression que Reine ne le méprisait pas autant qu’elle voulait le faire croire. Il savait bien comment elle traitait ceux qu’elle dédaignait réellement. Pour commencer, elle ne l’aurait même pas laissé s’asseoir à sa table, encore moins pour rentrer dans son jeu et lui répondre. A sa remarque suivante, Roy ne put se retenir, cette fois, un fond d’insolence dans la voix :

« Oh, bah ça, ça dépend avec qui. »

Non, Reine n’était pas polie avec tout le monde, le sentiment le plus positif que la majorité de cette école pouvait récolter de sa part était l’indifférence. Remarquant qu’elle prenait la même position que lui pour le provoquer à nouveau, Roy sourit un peu plus, sans bouger de sa posture.

« Pourtant, j’ai l’impression que j’arrive déjà à quelque chose. Tu es si polie avec moi… »

On ne la lui faisait pas, s’il en était là, c’était que Reine avait bien voulu jouer le jeu avec lui. Provocation ? Volonté d’avoir le dernier mot ? Amusement ? Il allait bien voir. Soutenant son regard bleu, il détacha sa paume de son menton, pour croiser ses mains sur la table d’un air de négociant.

« Alors, tu as réfléchi depuis la dernière fois ? Tu préfères être la souris ou le chat ? »

L'indifférence était quelque chose de poli, aux yeux de Reine. Après tout, la politesse était le respect des règles et de la bienséance et elle disait bonjour lorsqu'on la saluait, remerciait lorsqu'on lui passait le sel et concédait parfois même quelques sourires lorsqu'elle était de bonne humeur. Aussi, lorsque Roy lui fit remarquer qu'elle n'était pas polie avec tout le monde, elle haussa un sourcil, peu impressionnée par sa remarque.

- Me dit le garçon qui ponctue une phrase sur deux par un juron...

Mais elle ne répéterait pas lesquels, comme elle était polie, justement, elle. De toute manière, ce n'était pas le seul point sur lequel ils pouvaient s'opposer. A vrai dire, il était même bien plus simple de leur trouver des différences plutôt que des ressemblances et ce n'était pas vraiment quelque chose qui dérangeait Reine. Après tout, il y avait une certaine catégorie de gens - et qui n'était pas appelée la bonne société pour rien - et il y avait les autres. N'est-ce pas ?

Sa remarque sur le fait qu'il parvienne déjà à quelque chose lui tira un sourire en coin, qu'elle ne chercha même pas à dissimuler. Oui, elle lui parlait, c'était un fait et si elle faisait cela, c'était parce que tout ce petit jeu l'amusait. Elle pouvait même avouer qu'elle s'était demandée à quelques reprises à quel moment il reviendrait lui parler, car elle savait très bien qu'il le ferait. Elle était son nouveau petit défi après tout, ou quelque chose comme cela. Elle aurait dû y mettre fin tout de suite, parce qu'elle était autre chose qu'un nom sur la liste de Roy Calder, mais malgré tout, malgré toute sa politesse, Reine était quelqu'un de joueur et plutôt du genre à ne pas perdre. Alors au lieu de se lever ou de dire à Calder de partir, elle se contenta d'hausser légèrement les épaules.

- Choisis. Cela ne changera pas le perdant, au final...

La réponse de Reine tira un sourire à Roy, satisfait de trouver une fille qui non seulement avait du répondant, mais qui, en plus, avait visiblement envie de jouer elle aussi… Loin de l’envoyer paître, elle préférait le provoquer en réponse à cette question qu’il avait lancée pour la piquer. Ainsi donc, elle ne comptait pas perdre ? Tant mieux, la partie n’en serait que plus amusante.

« Hmm… Pour être honnête avec toi, voilà mon plan. S’accoudant à la table, plus proche de la jeune fille, d’un air de confidence, Roy poursuivit en illustrant ses paroles de gestes de ses mains. Je commence par être le chat… Puis je te passe la main. Et c’est toi qui me court après. »

Parmi ses professeurs, il y avait ceux comme McGonagall -cette femme beaucoup trop forte pour lui, qui aurait presque pu être un modèle pour Roy si elle portait autre chose que des robes du siècle passé- qui ne se laissaient jamais impressionner par le bagou dont il pouvait faire preuve, et répliquaient avec grand stoïcisme. Et il y avait ceux comme Slughorn qui se laissaient largement amadouer par son culot. Car il fallait l’avouer, il n’y avait rien que Roy se retenait de dire, bien au contraire, plus il pouvait provoquer, et plus il s’amusait. Un sourire aux lèvres, il porta son regard sur Reine, demandant comme la théâtrale conclusion de tout son petit cirque :

« Qu’est-ce que tu en dis ? »

Le pire étant sans doute qu'il était complètement sincère, ce n'était même pas pour la faire marcher.

Un instant, Reine crut qu'il plaisantait. Elle avait tout observé, le manège de ses mains, son expression sérieuse sur laquelle plait l'ombre d'un sourire, sa réplique finale et elle crut vraiment qu'il faisait de l'humour, qu'il essayait d'éviter le choix en plaisantant. Puis elle vit que non. Et elle éclata de rire. Un véritable éclat de rire comme on lui en connaissait peu à Poudlard, qu'elle s'empressa de dissimuler derrière ses mains pour ne pas faire réagir Mrs Pince qui ne devait pas être très loin et qui était toujours aux aguets des élèves perturbateurs. Elle baissa ses yeux gris sur son parchemin le temps de retrouver son calme avant de redresser la tête vers Roy Calder, un sourire franchement amusé sur les lèvres.

Il pensait vraiment qu'elle finirait par lui courir après ? Qu'elle finirait par le poursuivre dans l'espoir de sortir avec lui ou d'espérer quelque chose de lui ? Aux dernières nouvelles, c'était lui qui cherchait à lui parler depuis l'année dernière, c'était lui qui revenait vers elle. Elle se contentait de lui répondre lorsqu'il venait parce que cela faisait une distraction intéressante et qu'il fallait bien admettre, elle s'amusait. Mais aucun de leurs mots échangés ne l'avait autant amusée que ce qu'il venait de dire et cela se voyait dans ses yeux pétillants, ses joues rosies et la manière qu'elle avait de se mordre la lèvre pour ne pas rire de nouveau aux éclats.

- Tu es vraiment prétentieux à ce point ? Je pensais que tu faisais semblant, au moins un peu...

Mais non, il croyait vraiment à ce qu'il disait. Sans se départir de son sourire, Reine rassembla ses affaires d'un coup de baguette magique avant de les glisser dans son sac, casant ce dernier sur son épaule. Elle retira l'élastique qui retenait son chignon, laissant ses boucles blondes cavaler sur ses épaules avant de contourner la table pour lui faire face, l'espace d'un instant.

- Bonne chance alors, Roy.

Et de s'éloigner sans un mot supplémentaire, incapable de se débarrasser de ce sourire.

S’il y avait une chose que Roy aimait constater en se levant le matin, c’était que sa bonne étoile s’était levé avec lui. Pourtant, ce jour-là ce n’était pas gagné, il avait pour ainsi dire complètement zappé qu’il avait un cours de potions à la première heure -quelle idée de leur faire un emploi du temps où il fallait se lever franchement, prendre moins de matières était sensé le faire plus dormir le matin, non ?- avant que Jayce, lève-tôt quoi qu’il arrive dans sa vie, ne le lui rappelle en remontant de la Grande Salle dans leur dortoir. Roy avait fait ce qu’il avait pu en traînant un peu du pied pour se préparer, mais il avait bien vingt bonnes minutes de retard lorsqu’il se présenta enfin aux cachots, son sac sous le bras. S’il s’était permis de traîner du pied, c’était bien parce que Slughorn n’était pas McGonagall et qu’il avait même réussi à s’attirer sa sympathie -contrairement à sa frigide directrice de maison, et pourtant, Roy l’aimait bien, vraiment ! Son professeur de potions ne lui en tint pas vraiment rigueur, il semblait plus embêté par la configuration de sa classe à modifier, par paires de deux pour ce cours, visiblement. Son regard s’égara toutefois du côté des verts et argent -car évidemment, la distinction était toujours très nette dans ce cours, entre Gryffondor et Serpentard- et son regard s’illumina.

« Oh mais c’est vrai que votre camarade est absente aujourd’hui, miss Lestrange ! Je vous ai trouvé une binôme pour cet exercice, monsieur Calder, installez-vous rapidement. »

Ce fut donc à ce moment précis que Roy se rassura : sa bonne étoile était carrément de son côté aujourd’hui. Feignant l’indifférence, du moins jusqu’au moment où il fut vraiment à côté de Reine, Roy déposa ses livres sur la table puis se pencha légèrement vers elle, cette fois avec un sourire aux lèvres :

« Tu m’as souhaité bonne chance la dernière fois, non ? Eh bien, tu vois, Reine, dit-il, en reprenant volontairement ses intonations, je suis quelqu’un de naturellement chanceux, on dirait. »

Il y avait sept filles dans le dortoir des Serpentard de septième année et si Reine s'entendait bien avec toutes - puisqu'elles devaient vivre ensemble, autant bien s'entendre et vivre en bonne intelligence - elle était particulièrement proche de trois d'entre elles, Mabel, Miranda et Kennocha et elles partageaient encore pas mal de cours en commun, notamment potions. Miranda et Kennocha étaient souvent installées à la même table, tandis que Mabel et Reine se mettaient juste devant, échangeant parfois quelques rires lorsque le Professeur Slughorn était occupé avec un autre groupe. Mais cette fois-ci, Reine était toute seule à son bureau à écouter les consignes du Professeur Slughorn sans vraiment être très concentrée, son menton collé dans la paume de sa main, légèrement ensommeillée. Il était encore tôt, le soleil n'était pas levé (même si ce n'était pas dans les cachots qu'ils allaient prendre la lumière) et elle serait bien restée au lit, à l'image de Mabel, justement. Cette dernière avait toussé toute la nuit et s'était réveillée complètement fiévreuse. Un peu de Pimentine ramenée de l'infirmerie par Kennocha et sa binôme était restée à se reposer.

La classe retrouva un peu d'animation lorsque le Professeur Slughorn lança la conception de leur philtre régénérateur, chacun se levant pour mettre son chaudron à chauffer. Reine fit de même, observant du coin de l’œil Kennocha et Miranda qui bavardaient à voix basse, visiblement amusées. Soupirant légèrement - c'était moins amusant de travailler seule - elle jeta un coup d’œil à son manuel pour ne pas se tromper de nombre de tours après l'ajout des fèves sauteuses de Birmanie lorsque quelques coups contre la porte lui firent lever la tête, comme au reste de la classe.

Trouver un Roy Calder même pas désolé pour son retard sur le pas de la porte ne fut une surprise pour personne, encore moins lorsque Slug ne retira aucun point à Gryffondor - et dire qu'il était leur directeur de maison ! Au moins Rogue savait y faire de ce côté-là, malgré tout le respect qu'elle avait pour son professeur de potions, qu'elle trouvait très sympathique. Elle n'eut même pas le temps de replonger dans la réalisation de sa potion qu'elle sentit les yeux de l'enseignant se poser sur elle puis sur la chaise à ses cotés, uniquement occupée par son sac et comprit ce qu'il allait faire avant qu'il ne le dise. Deux heures à devoir composer avec Calder au dessus d'un chaudron... Voilà qui était innovant. Contrairement à la dernière fois, leur précédente conversation remontait à moins d'une semaine. A cette occasion, elle s'était contentée de lui souhaiter bonne chance quand il lui avait expliqué qu'il avait l'intention de la séduire assez pour qu'elle finisse par lui courir après et à vrai dire, elle le pensait encore. Il n'y avait rien de vraiment sérieux pour elle dans tout cela, c'était juste amusant et puis voir Calder perdre un peu d'égo serait encore plus drôle. Elle n'était quand même pas le genre de filles avec qui il sortait d'habitude et surtout, il n'était pas le genre de garçon avec qui elle sortait (bien qu'elle ne soit jamais vraiment sortie avec qui que ce soit en réalité, quelques béguins et quelques flirts par-ci et par-là mais qui n'avaient jamais mené à quelque chose de très concret.) Sans laisser mine de rien, elle se contenta de retirer son sac de la chaise pour laisser Roy s'assoir tandis que la classe reprenait le travail dans un certain brouhaha. Sa première phrase lui fit hausser un sourcil tandis qu'elle décalait légèrement son chaudron avec précaution pour qu'il puisse participer au travail.

- Pas naturellement ponctuel en tout cas, répondit-elle en se tournant vers lui. Et puis ce n'est qu'un cours de potions, pas de quoi en faire toute une histoire... Ce n'est pas comme si tu pouvais m'impressionner avec tes performances scolaires !

Ou son sérieux en classe... C'était un livre de métamorphose qu'elle voyait là ?

La réponse de Reine étira le sourire de Roy, qui dut même retenir un rire alors qu’une interprétation fugace lui traversait la tête, avant d’assez vite conclure que ce n’était pas ce que la Serpentard avait voulu dire. Elle n’avait sûrement même pas capté que ses propos pouvaient prêter à confusion. Déposant ses prunelles noires sur elle, il commenta, de son ton traînant :

« Détrompe-toi, je me défends bien en potions. Et je peux même t’impressionner pour d’autres types de… performances. »

Son regard rencontrant volontairement celui de Reine à cette seconde, il observa sa réaction avant de s’accorder à rire -et se préparer à parer du coude au cas où elle voudrait le frapper- puis reprit :

« Ok, elle était facile celle-là, mais c’était trop tentant ! »

Faisant mine de s’intéresser à la potion qu’ils devaient réaliser -il fallait bien qu’il joue un peu le bon élève pour qu’elle le prenne au sérieux - il se leva sur son siège et attrapa le livre de sa binôme, ouvert sur la bonne recette.

« Philtre régénérateur… Bon, Slughorn nous a déjà fait faire plus compliqué. »

Il fallait dire qu’il avait un peu tendance à leur demander la lune, ce monsieur, comme s’ils étaient déjà des potionnistes chevronnés. Mais Roy ne se plaignait pas de ses challenges au fond, il aimait bien cette matière, ce qui lui faisait d’autant plus apprécier d’être avec Reine, pour cet exercice : il avait tout gagné. Vérifiant d’un coup d’oeil où en était la potion et la recette correspondante, Roy commenta :

« Et donc, tu me laisses l’honneur d’émincer le foie de dragon ? Trop aimable. » Il saisit néanmoins le scalpel pour prouver sa bonne volonté et s’acquitter à la tâche, et continuer l’air de rien, de son style toujours si désespérément direct. « On gagne quoi si on fait la meilleure potion de la classe ? Si Slughorn n’a rien proposé, moi je veux bien un bisou de ta part. »

L'espace d'une infime seconde, Reine ne comprit pas l'allusion que lui fit Roy. Mais ce ne fut que l'espace d'une seconde : lorsqu'elle réalisa ce qu'il venait de sous-entendre, elle sentit ses joues se colorer et utilisa le premier truc qui lui tomba sous la main pour remettre en place l'impudent, à savoir le rouleau de parchemin sur lequel elle prenait des notes. Elle lui donna un coup sur le bras tandis qu'il riait, jetant un coup d’œil autour d'eux. Personne n'avait rien remarqué, trop concentrés sur la potion qu'ils devaient réaliser.

- Dans tes rêves, oui ! Ou non d'ailleurs, même pas dans tes rêves : nul part !

Ce n'était pas qu'elle était complètement réactionnaire sur ces questions et c'était un sujet qui était revenu plus d'une fois avec ses copines au cours de leurs dernières années de scolarité mais elle n'y était pas très habituée et surtout pas à en parler aussi franchement et surtout pas de la part d'un garçon. Elle fréquentait un milieu tout de même très à cheval sur ce genre de questions, notamment chez les filles, et avaient grandi avec tout un tas de règles qu'elle n'avait jamais transgressé jusqu'à présent. Préférant se concentrer sur sa potion pour calmer un peu ses joues rouges, elle baissa les yeux sur le livre que Roy avait ramené vers lui, posant ses deux mains à plat sur la table. Il avait beau dire que le philtre n'était pas des plus compliqués, elle avait quand même vu plus simple. Elle n'était pas mauvaise en potions, elle avait obtenu un E aux BUSES mais c'était un coup de chance en réalité, son niveau habituel tournait plus autour du A et elle travaillait beaucoup pour le remonter. Elle ne savait pas où le bât blessait pourtant, elle était très rigoureuse mais avoir parfois tendance à aller un peu trop vite et faisait des erreurs bêtes qu'elle ne pouvait pas rattraper. Elle perdait en concentration aussi souvent, facilement distraite.

- Tu ne crois quand même pas que je vais toucher à ce truc si je peux l'éviter, non ? répliqua-t-elle lorsqu'il lança qu'il n'avait plus qu'à émincer le foie de dragon. Je ne suis pas très acte de barbarie ! Pendant que tu y es, tu pourras aussi couper les racines de Mandragore de l'étape sept, je suis sûre que tu seras très doué à ça !

Elle-même s'occupa de mettre le chaudron à feu doux pendant ce temps-là, pointant sa baguette magique sur le minuteur pour le faire baisser. Elle haussa les épaules lorsqu'il demanda ce qu'ils gagnaient s'ils faisaient la meilleure potion - Mabel et elle n'avaient pas gagné le petit concours de début d'année - et s'apprêtait à répoindre "une bonne note" lorsque Calder balança qu'il voulait quelque chose de bien personnel. Elle se retourna brusquement, faisant alors un faux mouvement avec sa baguette, qui porta alors soudainement leur chaudron à forte ébullition. Prenant tout de même le temps de lancer un regard à son binôme, elle abaissa le feu rapidement, même si leur potion était devenue violet foncé au lieu de lilas. Reposant sa baguette magique avant de faire plus de dégâts, elle se rassit, un air narquois sur le visage.

- Ah oui ? Et cent Gallions et un Fizwizbiz peut-être ?

Elle baissa un peu la voix pour que les tables autour - et surtout pas Miranda et Kennocha - ne les entendent pas mais sans pour autant se départir de son air moqueur.

- Donne moi une seule raison valable - et toute l'estime que tu as pour toi-même n'en n'est pas une - pour que je te donne un jour un baiser ?

Très amusé par la réaction de Reine, Roy la détailla du regard en train de rougir et s’indigner, une attitude qu’il n’avait jamais vu chez elle, de mémoire. Tout semblait tellement l’indifférer en temps normal, comme si rien ne pouvait l’ébranler. Une simple blague salace pouvait donc faire perdre ses moyens à Reine Lestrange ? Intéressant…

« A tes ordres, princesse ! » répondit t-il alors qu’elle l’enjoignait à couper les racines de mandragore -qu’il préférait fumer, mais bon, il fallait bien jouer le jeu.

Curieux de voir s’il pourrait la déstabiliser encore une fois, Roy sauta sur la première occasion de glisser une autre remarque osée, bien que plus sage que la première. Du coin de l’oeil il remarqua la température du chaudron s’affoler, et un sourire triomphant s’insinua sur ses lèvres. Elle en était mignonne à réagir aussi spontanément, même si elle parut vouloir retrouver de sa superbe, en le toisant de son air narquois. La question qu’elle lui posa lui fit presque plus plaisir que tout le reste : il allait pouvoir enfoncer le clou. Repoussant momentanément les racines qu’il découpait, Roy posa le plat de sa main sur la table, se tourna vers Reine, se penchant un peu pour que son visage souriant soit face au sien.

« Je te l’ai déjà dit, Reine. Parce qu’un jour, c’est toi qui en auras envie. »

En soi, si cela ne tenait qu’à lui, Roy lui aurait déjà donné un baiser lui-même. Mais d’une, dans l’état actuel des choses, il n’était pas assez proche d’elle pour ne pas se prendre de râteau. De deux, c’était quand même plus drôle que ce soit elle qui le fasse… Il se redressa l’air de rien pour reprendre sa tâche, sans toutefois cesser de guetter les réactions de sa binôme alors qu’il ajoutait :

« Tu devrais rougir plus souvent, ça te rend vraiment mignonne. »

Reine soutint le regard de Roy lorsqu'il lui affirma qu'un jour, elle aurait tout simplement envie de l'embrasser. Haussant un sourcil sceptique, elle ne put s'empêcher de laisser un sourire narquois fleurir sur ses lèvres. Il ne doutait vraiment de rien du tout, cela en était presque fascinant. Tout d'abord, elle ne voyait pas du tout comment elle en arriverait au point où elle aurait envie de l'embrasser. Après tout, même si leurs petites discussions l'amusaient beaucoup, cela n'allait pas jusqu'au point où elle envisageait que quoi que ce soit prenne un tour sérieux. Roy Calder restait cet arrogant et vantard Gryffondor qui passait son temps à draguer toutes les filles de l'école et cela la menait à son deuxième point : il était hors de question qu'elle renforce son égo en le laissant gagner. Elle n'était pas de ces filles-là, elle, pas de celles qui se laissaient avoir par quelques compliments bateau comme celui qu'il venait de lui lancer.

- Je sais, rétorqua-t-elle sans une once d'hésitation. Ce que je ne sais pas, en revanche, c'est comment tu as pu séduire des filles avec ce genre de phrases éculées. C'est un grand mystère, ajouta-t-elle avec ironie en se penchant légèrement sur son manuel, quittant Roy du regard.

Elle tourna la page pour atteindre la suite de la recette et prit entre ses doigts un flacon d'essence de Tentacula distillée.

- Tu devrais retourner draguer les cinquième année, je suis sûre qu'elles sont plus sensibles à ça que les filles avec un minimum de jugeote. Quoique... ajouta-t-elle en faisant mine de réfléchir. J'ai entendu dire que même sur Gruffuyd, ça n'avait pas marché... C'est bête.

Se tournant vers lui avec un grand sourire innocent, elle désigna les racines de Mandragore.

- Tu as fini avec ça ? 

Reine l’avait jusque là laissé faire plutôt gentiment, lui renvoyant la balle sans trop de dégâts. C’était la première fois qu’elle répondait par une réelle pique, une susceptible de toucher juste… Maintenant la question, très sérieuse, se posait : était-ce un comportement sociopathe que d’aimer ça ? Car s’il fut piqué de la référence à Shea, Roy n’en fut pas moins charmé par le sens mordant de la répartie de la Serpentard. A part ça, il était un garçon normal.

« J’ai fini, répondit t-il doucereusement, tu peux les ajouter dans la potion, même si je ne suis pas sûr que ça la sauvera de l’ébullition de tout à l’heure. »

Si Slughorn passait près d’eux, il leur ferait sans doute ce petit air contrit avant de se remettre à se promener dans la classe à la recherche de son élève favori du jour, mais Roy s’en fichait bien au fond, de la réussite de cette potion. Il avait bien plus important à réussir, présentement. S’asseyant sur son siège tandis que Reine manipulait la potion et qu’il la regardait faire, Roy précisa, la main sous le menton :

« Ca aurait marché sur Gruffydd si elle n’avait pas un frère, comment dire… Un brin possessif. »

Pensif l’espace d’une seconde, il laissa son regard se promener sur leur classe, entre Serpentards et Gryffondors chacun de leur côté, plus ou moins concentrés sur leur potion. Romulus ne suivait pas ce cours, heureusement pour Roy : qu’aurait t-il fait s’il avait vu qui servait de binôme à sa soeur adorée ? Il était sûrement moins impulsif et crétin que Tobias, mais ne savait t-on jamais. Roy n’avait pas spécialement prévu de se retrouver à l’infirmerie si tôt dans l’année. Se tournant de nouveau vers Reine avec un sourire narquois aux lèvres, il reprit :

« Tu sais que la moitié des garçons de Poudlard t’auraient bien abordée, s’il n’y avait pas ton jumeau pour suivre ton ombre ? »

Sous-entendu : lui, il le faisait quand même. Il était tout de même curieux de savoir ce que Reine pensait de sa situation. Elle n’avait pas l’air de s’en plaindre, bien au contraire. Elle se sentait peut-être privilégiée, et amusée de voir des garçons se casser les dents en tentant de l’approcher.

- On peut encore la rattraper, répliqua Reine avec un peu d'humeur lorsque Roy affirma que leur potion ne serait pas sauvée du coup de chaud de tout à l'heure, causé par une mauvaise manipulation de sa part.

Elle ajouta les racines de Mandragore qui ne tardèrent pas à fondre dans la potion bouillante avant qu'elle ne mélange avec application jusqu'à obtenir un bleu assez foncé au lieu du bleu turquoise demandé. La potion avait donc définitivement un peu brûlé - elle le sentait en grattant le fond de son chaudron du bout de sa cuillère - et cela impacterait leur note, alors qu'elle n'avait pas très envie de mal finir son trimestre. Un peu contrariée, elle haussa les épaules sans se retourner lorsque son binôme affirma que cela aurait marché sur Gruffuyd.

- Katie Bell a aussi raconté qu'elle t'avait giflé, badina-t-elle. Je n'appelle pas ça "marcher", tu vois.

Heureusement que les rumeurs couraient entre les maisons, Reine aurait largement regretté de ne pas connaître ce petit épisode croustillant qui était arrivé l'année dernière chez les Gryffondor. Penchée sur sa potion, elle venait d'ajouter quatre gouttes de jus de Bulbobus lorsqu'une phrase de Roy lui attira de nouveau un haussement de sourcils. Prenant néanmoins la peine de bien compter les gouttes avant de se retourner vers lui - hors de question d'aggraver encore plus l'état de leur potions - elle lui adressa un regard circonspect.

- N'importe quoi.

Romulus n'était pas si terrible et il ne la suivait pas, ils étaient tout le temps ensemble, là était la nuance. Elle non plus n'appréciait pas de le voir s'éloigner, elle en gardait d'ailleurs une rancœur à l'égard de cette Krystal, de Gryffondor, depuis qu'elle avait vu son frère la regarder. Ils avaient toujours eu une relation privilégiée et ni l'un ni l'autre n'avait envie qu'elle se délite, voilà tout.

- Tu sais, la moitié des garçons de Poudlard, comme tu dis, ont autre chose à faire, eux, répliqua-t-elle avec un sourire narquois. Et on aborde une fille parce qu'on l'aime bien, avant tout. Toi...

Elle se pencha de manière imperceptible vers lui, sa voix baissant pour ne pas être entendue par les gens autour.

-  Tu cherches juste à assurer ton égo avec ton petit jeu de chat et de souris. Rien de sincère là-dedans.