Dans l'antichambre de l'oubli [Meredith & Matthew]

Samedi 15 Avril 2009

Cela faisait deux mois et demi que Matt avait été libéré du centre de réinsertion de Skye. Jour pour jour.  Il était revenu à plusieurs reprises, toutes les semaines pour son suivi psychologique, mais à chaque fois qu’il se présentait devant les grilles du phare de Neist-Point il ressentait le même sentiment d’appréhension : Entre ces murs, il se sentait vulnérable, bien plus qu’à Azkaban. Là-bas il n’était qu’un prisonnier lambda mais ici il était réduit au statut de cobaye humain entièrement soumis à ses médicomages.

Matt avait  adhéré de son plein gré à ce principe en s’engageant dans ce programme et en signant la clause de confidentialité mais il devait avouer qu’il n’était pas particulièrement à l’aise avec tout ceci. Dissimuler sa double vie restait un exercice difficile et il devait faire des efforts de concentration extrême pour ne pas éveiller les soupçons du D. Kane. Si elle nourrissait le moindre doute, elle avait le pouvoir d’engager une procédure de légilimancie à son encontre et Matt souhaitait à tout prix l’éviter. Meredith Kane avait déjà accès à ses émotions les plus enfouies grâce au bracelet de dissuasion et c’était largement suffisant. Heureusement, les rapports de son employeuse Mildred Magpie et de son contrôleur judiciaire Mordred Lannister étaient globalement satisfaisants. Ces avis positifs le préservaient d’examens plus lourds mais le moindre écart de conduite risquait de lui couter très cher et plus personne ne pourrait lui venir en aide… Il en était persuadé.

De son point de vue,  Skye semblait être une entité totalement indépendante, avec ses propres lois, ses règles et son fonctionnement. Il y avait bien sûr le discours de façade qui vantait la qualité de ce centre de réinsertion d’un genre nouveau mais personne ne semblait être véritablement au courant de ce qui se déroulait ici -Ou personne ne voulait savoir, théorie nettement plus plausible- alors Matt comptait bien tout mettre en œuvre pour ne pas avoir à s’aventurer dans les niveaux inférieurs du phare. Il avait subi une fois l’assaut mental des oubliators et des médicomages et il était peu enclin à renouveler l’expérience.

A Skye, une chose était certaine, plus on descendait les étages plus on se rapprochait de l’enfer sur terre…

« Matthew MacFarlane. Programme de réinsertion avec protocole de guérison. J’ai rendez-vous avec le D. Kane. » Expliqua-t-il en tendant la convocation à l’un des agents en faction devant l’entrée du centre. Alors que le responsable s’en allait vérifier le document, deux autres gardes s’assurèrent qu’il ne portait ni baguette ni arme pour rencontrer sa psychologue.  Les mains plaquées contre le mur d’enceinte, Matthew attendit qu’ils aient fini leur contrôle pour se retourner vers le milicien qui était déjà revenu :

« Le professeur Kane vous attend dans son bureau. »

La lourde porte en bronze du phare s’entrouvrit lentement dans un grincement et Matt pénétra dans la zone d’accueil. La secrétaire qui l’avait pris en charge le jour de sa libération était toujours là, la tête rivée dans sa pile de parchemins mais Matthew savait dorénavant qu’elle n’était pas chargé de le faire transiter jusqu’au niveau inférieur. C’était le travail de l’homme vêtu d’une longue cape sombre ornée d’un blason représentant une araignée qui l’accompagnerait jusqu’au bureau de sa psychomage. Dans un cliquetis métallique, il ouvrit d’ailleurs la grille qui protégeait les escaliers puis il l’invita à le suivre jusqu’à l’étage inférieur. Tendant l’oreille, Matthew hasarda un regard au dessus de la rambarde pour observer les marches qui s’enfonçaient dans les profondeurs de l’Ile. Durant ses deux mois de pension à Skye, il avait entendu à plusieurs reprises des hurlements déchirants émaner des étages inférieurs mais aujourd’hui tout n’était que silence. Il fallait croire que la Milice avait enfin opté pour des sortilèges d’insonorisation efficaces… songea-t-il avec une pointe de dégout.

Matthew s’efforça toutefois de faire disparaitre tout signe de contrariété de son visage quand il se retrouva devant la porte de "L'antichambre de l'Oubli".

« Bonjour docteur. » souffla-t-il en pénétrant dans le bureau de la médicomage après avoir frappé trois coups.

Matt savait qu’il ne devait pas se fier à l’aspect chaleureux des lieux. Les tentures de velours, les fauteuils confortables, la lumière tamisée…  Ce n’était qu’un décor, de la poudre aux yeux. Meredith Kane cherchait à le mettre en confiance pour le faire trébucher et ainsi justifier ses expérimentations.  Rien de plus.

Hors Matthew n’était pas disposé à lui faire ce plaisir…

Une multitude de sentiments entremêlés assaillirent brusquement la conscience professionnelle de la psychomage, alors qu'elle relevait enfin les yeux du dossier de réinsertion du détenu en conditionnelle. Chaque ligne de ce rapport l'arrachait du terrain médical pour l'entrainer vers des pensées sombres qui risquaient d'anéantir ses efforts pour demeurer aussi juste qu’impartiale dans ses décisions. Malgré sa grande expérience, et le fait qu'elle œuvrait jour et nuit de manière à ce que des projets de ce type finissent par aboutir, il lui était presque impossible de mettre la distance salvatrice. Sa capacité d'analyse et d'examen se voyait fauchée par des émotions de l'ordre de l'affectif quand il s'agissait de traiter la cas du prisonnier MacFarlane. Elle savait que dans la difficile tâche qui était la sienne, rien ne devait venir parasiter l'objectivité de son jugement. Malheureusement, malgré ce constat lucide et éclairé par la raison : Comment pouvait-elle rester de marbre face à l'homme qui n'était autre que le père biologique de celle qui était devenue par la force des choses comme son enfant? Si un père restait un père; Devait-elle pour autant apporter son soutien à ce géniteur qui n'avait pas reculé devant l'acte odieux de tuer une mère devant les yeux de sa propre fille? Un cas de conscience qui déchirait littéralement la psychomage, alors qu'elle devait décider du sort de cet individu. Matthew MacFarlane n'était rien d'autre qu'une ombre planant au-dessus de la tête d'Eva, et qui menaçait à tout moment de s'abattre sur son bonheur retrouvé...

Meredith Kane poussa un long soupir, tandis qu'elle découvrait les louanges qui émanaient du rapport de l'employeuse du détenu en conditionnelle. Apparemment Matthew MacFarlane avait fait forte impression auprès de la gérante du Cabaret des Folies Sorcière; Mildred Magpie le décrivant comme un "employé modèle et volontaire". La Psychomage pensait que cette vieille fouine détestable, dont elle avait croisé la route à Poudlard, aurait détecté un comportement de suspect ou quelque chose susceptible de lui être reproché. Mais non... L'étrangleur de Bristol revenait blanc comme neige, à la limite d'être décoré du titre d'employé du mois. L'Auror Mordred Lannister confirmait également que l'ancien détenu de Skye s'était acquitté de tous ses contrôles judiciaires. Tout semblait si parfait. Trop parfait pour être totalement honnête. Meredith ne savait trop quoi penser, tant elle ne devait pas laisser son ressenti venir troubler l'exercice de sa profession. Malgré l'aversion qu'elle éprouvait à l'égard du meurtrier, il fallait qu'elle conserve son sang-froid et sa faculté de raisonnement. Etait-il vraiment sur la voie du repentir? Ne se laissait-elle pas aveuglée par la peur de le voir resurgir dans la vie d'Eva? Autant de questions encore sans réponses, tant Matthew MacFarlane restait encore un mystère. Par sécurité, elle avait rangée la photo de famille qui ornait son bureau, et dans laquelle Eva brillait par son beau et sincère sourire. Un rituel devenu machinal à chaque visite du père meurtrier; Rien ne devant le ramener au souvenir et sur les traces de sa fille...

A la recherche d'autres indices pouvant trahir l'existence d'Eva; Le regard de Meredith Kane voyagea dans l'espace de son bureau. Il s'agissait du seul endroit de la Prison de Skye offrant quelque peu de chaleur humaine et de réconfort dans la noirceur du quotidien des prisonniers. Un choix parfaitement assumé par la Psychomage qui se voyait comme une figure maternelle pouvant les guider sur le long et pénible chemin de la réinsertion. Côtoyer l'horreur n'était pas donné à tout le monde, surtout pour une femme aussi honorable que l'était la Londonienne. Sa capacité d'adaptation ne fut pas aussi systémique que le fut celle de la Milicienne qui l'escortait dans sa mission de réhabilitation. Habituée à l'horreur, Danielle Coleman ne semblait même plus entendre les hurlements affreux émanant des profondeurs de l'Île de Skye. Ne voulant point se ridiculiser et apparaître pour plus fragile qu'elle ne l'était en réalité : Meredith Kane s'immunisa contre toute sensiblerie mal venue. En tant que Directrice de cette prison d'un genre nouveau, elle devait assumer son rôle et ses fonctions. Il ne s'agissait là que d'un mal nécessaire pour le bien du plus grand monde. Une logique de pensée qui répondait à son besoin de s'investir et d'assurer la sécurité des générations futures. Car il ne fallait pas se voiler la face et croire en des discours utopiques : On ne s'attaque pas aux racines du mal, avec des méthodes pacifistes...

Alors que ses pensées allaient à ses enfants, et au fait de savoir si Eva s'adaptait convenablement aux méthodes quelques peu drastiques de la nouvelle nourrice de famille, Hildegarde Vigildur; Meredith fut troublée dans ses pensées par la voix d'un homme émanant du Portevoix apposé au mur à droite de la porte de son bureau.

- "Docteur Kane? Désolé de vous déranger... Mais le détenu Matthew MacFarlane vient d'arriver pour son rendez-vous. " -  

Meredith se redressa, entrecroisant ses jambes dans une attitude noble, avant s'adresser à son tour aux portevoix en forme de corne d'auroch doré. Elle reconnaissait cette voix familière, comme étant celle d'un Milicien venu la consulter quelques semaines auparavant.

"Je vous remercie, Duncan. Dites-lui simplement de se donner la peine d'entrer. Je l'attendais. Mais sinon... Est-ce que les choses se sont arrangées avec votre femme? Avez-vous suivis mes conseils? "

Même s'il n'était pas présent physiquement dans la pièce, Meredith pouvait presque le voir trépigner sur place quand il lui parla avec emphase.

"Oh oui, mille fois merci, madame Kane! Vous avez sauvé mon mariage! Elle veut bien me reparler à nouveau, et m'accorder une nouvelle chance! C'est miraculeux! "

Alors qu'elle disposait devant elle les différents dossiers en lien avec le cas MacFarlane; Meredith émit un léger sourire satisfait.

"Vous m'en voyez ravie, Duncan. Comme je vous l'avais dit, le cœur d'une femme se doit d'être rassuré parfois. Je vous souhaite autant de bonheur que possible! Mais si vous pouviez maintenant faire venir monsieur MacFarlane, je vous en serai reconnaissante! "

- " Vos désirs sont des ordres, madame la Directrice! "

La psychomage prit une longue inspiration, alors qu'elle pouvait percevoir des bruits de pas s'approchant de la porte de son bureau. Celui qui avait manqué foudroyer l'existence d'Eva allait bientôt pénétrer dans son espace. Elle allait devoir la jouer finement et tout faire pour qu'il ne représente plus l'ombre d'une menace. L'amour et l'équilibre d'Eva était en jeu! Trois coups résonnèrent, et sans même un regard en direction du seuil; Meredith invita le détenu en conditionnelle à pénétrer dans son bureau. Sa voix était parfaitement maitrisée, aussi douce que professionnelle.

"Bonjour, monsieur MacFarlane. Je vous en prie, veuillez-vous installer, je suis à vous dans quelques petites secondes... "

A l'aide d'une plume d'oie à la blancheur immaculée, Meredith commençait à rédiger le préambule de son rapport. Bien que calme et sereine, elle ne redressa pas immédiatement les yeux en direction de son visiteur, préférant griffonner sur son parchemin qui allait lui servir de compte rendu. Avec élégance, elle ponctua son écriture d'un geste théâtrale, avant de tourner son attention sur l'homme qui cherchait soi-disant l'absolution. Un sourire éclatant naquit sur les lèvres de la Psychomage, alors qu'elle découvrait son sujet d'étude.

"Avant de pouvoir évaluer votre conditionnelle, sachez que je me réjouit de vous voir en si bonne forme, monsieur MacFarlane. La liberté semble parfaitement vous réussir! Contrairement à d'autres détenus atteints d'agoraphobie, vous ne souffrez d'aucune gêne post-carcérale. C'est une très bonne chose! Je suis très soucieuse à l'égard de votre santé. "

Après ce rapide examen médical qui ne servait que de prélude à la séance de contrôle, Meredith voulut lui faire part de sa satisfaction dans la bonne marche de son procédé expérimental. Elle tapota de ses ongles vernis sur le dossier du détenu en quête de rédemption.

" De plus, je me dois de vous féliciter pour votre excellente tenue, et le respect des règles de réinsertion que nous avions instauré. D'un point de vue judiciaire, vous avez parfaitement respecté notre accord; et je ne parle pas du rapport de votre employeuse qui ne tarit pas d'éloge au sujet de votre collaboration. Mais en ce qui me concerne, j'aimerai que vous me donniez votre point de vue... "

Le sourire de la psychomage s'estompa lentement, tandis qu'elle découvrait les similitudes physiques que partageait le prisonnier avec Eva. Même regard, même expression... Cela en était presque dérangeant. Mais ne faisant rien paraître de ses émotions, elle reprit sur un ton toujours aussi calme.

"Je vous en prie, je ne cherche point à vous piéger. Dites-moi simplement comment vous vivez cette expérience? Le bracelet magique est-il vécu comme une gêne, ou le voyez-vous plutôt comme le gage rassurant d'une sécurité retrouvée? Je veux connaître vos impressions... "

Le regard de la psychomage se voulait sincère et compatissant; Mais était-ce réellement le cas?

Les mains entrecroisées devant son menton, Matthew patientait dans un silence religieux. Il avait pris place dans le large fauteuil capitonné disposé face au bureau de sa psychomage.  Cette dernière ne s'était pas donné la peine de lever le nez de sa paperasserie pour l'accueillir et il attendait donc qu'elle veuille bien lui accorder un peu d'attention. Lorsque ce fut le cas, il répondit à son sourire éclatant par un bref hochement de tête, pressé d'en finir. Il n'était pas là pour s'entendre passer la brosse à reluire et les entretiens avec le docteur Kane le rendait toujours un peu nerveux.

Skye le rendait nerveux.

Meredith Kane avait beau vanté ses qualités d'adaptation, il n'en tirait aucune fierté. Il faisait le nécessaire pour arriver à ses fins et cela passait par un comportement  exemplaire dans la vie civile. Du moins en apparence. Aux yeux de sa psychomage, il devait être ce patient lambda qu'elle oublierait dès leur entretien terminé: Celui qui ne fait pas de vagues et qui met tout en œuvre pour se réinsérer. S'il arrivait à tenir son personnage, son suivi psychologique  serait allégé et il aurait l'opportunité d'espacer ses rendez-vous.

"La foule ne me pose pas de problème, confirma-t-il,  La seule chose qui m'indispose encore depuis ma sortie de prison sont les odeurs entêtantes et fruitées. " expliqua-t-il afin de donner matière à travailler à sa thérapeute, "Le fumet de certaines potions, les parfums fleuris,... Il  plissa le nez en se remémora l'odeur de jasmin d'Ana Sorden, J'ai du mal à supporter les essences trop marquées. Comme si j'avais perdu l'habitude."

Pendant cinq ans il avait baigné dans l'odeur d'iode de la mer du nord et celle des pierres humides de sa cellule d'Azkaban. Depuis son odorat semblait s'être adapté à cette palette restreinte de parfums...
Quoiqu'il en soit, il préférait aborder ces troubles mineurs plutôt que d'évoquer des sujets plus sensibles même s'il savait que ce n'était qu'une question de temps:  Cette  entrée en matière bienveillante concernant sa santé ne visait qu'à le mettre en confiance avant d'attaquer au  vif du sujet. D'ailleurs, le docteur Kane ne tarda pas à évoquer son bracelet de dissuasion en lui demandant son ressenti véritable.

Instinctivement, Mat ressentit un fourmillement autour de sa cheville gauche qu'il tenta d'ignorer afin de répondre à la question de sa psychomage:

"C'est très étrange vous savez... J'ai parfois l'impression d'être dépossédé par le bracelet de mes émotions les plus vives. J'ai l'impression qu'une partie de ma personnalité est anesthésiée."

Anesthésiée ce n'était clairement pas le bon mot mais Matthew ne pouvait pas se permettre de révéler la vérité au D. Kane.  Brimé, torturé, violenté... Voilà ce qu'il ressentait réellement chaque fois que le bracelet opérait. La décharge insidieuse qui irradiait son corps n'endormait pas sa colère, elle la contraignait, la matait en la transformant en douleur encore plus vive que son ressentiment.
Parfois il avait envie d'arracher cet instrument de torture tant il ne se reconnaissait plus... Certes il ne s'énervait plus comme du temps de Krystal mais ce bracelet nourrissait un sentiment de frustration qui devenait presque aussi dangereux que ses accès de colère.

"Non seulement le monde a évolué en cinq ans mais moi-même j'ai changé. Cela fait beaucoup de nouveauté, souffla-t-il en passant une main sur son menton, mais je pense que je suis sur la bonne voie. Je sais que le bracelet m'aide à m'adapter. Grace à lui je sais que je peux apprivoiser mon agressivité."

Il marqua quelques secondes de silence et planta ses yeux claires dans ceux de la psychomage.

"Je ne veux plus être un danger pour la société, ni pour les gens que j 'aime. Le bracelet pose les limites que je n'avais pas. J'en ai parfaitement conscience. "

Meredith ne perdait pas des yeux son sujet d'étude, alors que celui-ci s'apprêtait à exprimer son ressenti personnel vis à vis du bracelet de sécurité qui lui encerclait la cheville. Derrière son visage paisible et son fin sourire, la psychomage dissimulait toute l'attention qu'elle nourrissait à l'égard du témoignage du prisonnier en conditionnel. Le Docteur David Mercer et son équipe de chercheurs s'étaient investis corps et âmes pour concevoir ce prototype de défense magique, si bien que les conclusions apportées par ce test grandeur nature revêtaient une importance capitale. En femme soucieuse d'accorder un vrai nouveau départ aux pensionnaires de Skye, le Docteur Kane était plutôt partisane d'un travail sur la base même de la mémoire, plutôt que de voir la sécurité de la société ne reposer que sur la présence d'un gadget magique. Longtemps elle en avait débattue avec ses confrères médicomages, insistant sur l'aspect inachevé et inadapté de ce genre d'expérimentation. Piégé dans un réflexe de Pavlov où chaque mauvaise action engendrait une sanction, les actions du prisonnier ne reflétaient en rien sa pensée propre, mais se retreignaient aux limites imposées par le bracelet magique. Que se passerait-il si celui-ci venait à cesser de fonctionner? Ou subissait une défaillance technique? En matière d'intégration sur le long terme, Meredith ne voyait rien de très concluant dans ce procédé. Matthew MacFarlane n'était rien d'autre qu'un chien dangereux à qui l'on administrait une muselière afin de l'empêcher de mordre à nouveau. Simplement contenue, la violence qui subsistait encore en Matthew MacFarlane n'était nullement éradiquée, mais seulement endormie...

D'un point de vue psychiatrique, en devenant le cobaye humain de genre d'expérience, le père biologique d'Eva avait opté pour la pire des solutions. En effet, il s'imposait toute la souffrance relative à son ancienne vie, tout en n'ayant aucun moyen d'évacuer ce trop plein d'émotion. Alors qu'il devait vouloir hurler toute l'étendue de son amertume, on lui imposait le chuchotement comme seul et unique moyen d'expression. Une torture psychologique que ne cautionnait nullement Meredith Kane, qui préférait travailler sur le reformatage mémoriel afin de donner à ses sujets une vraie seconde chance. Si Matthew MacFarlane ne l'avait point devancer dans son désir d'expérimenter le bracelet de sécurité, la psychomage lui aurait offert cette opportunité de tout recommencer. Oublier le passé et ses souvenirs trop douloureux, effacer les émotions trop vives; En cela résidait la seule chance de voir Matthew MacFarlane redevenir un citoyen modèle. Mais pour cela, il devait encore l'accepter et tirer un trait définitif sur ses erreurs du passé. Bien qu'elle éprouvait certaines craintes à son égard, une part de Meredith voulait réellement aider cet homme, à qui elle devait l'un des plus grands bonheurs de sa vie. Si Matthew n'avait pas l'étoffe d'être un bon père pour sa précieuse Eva, il demeurait son géniteur. Rien qu'en cela, elle se devait de l'aider à se reconstruire.

Regard impassible, Meredith ne laissa transparaitre aucune émotion quant au ressenti du prisonnier sur son bracelet de sécurité. Connaissant la violence dont était capable l'homme, l'anesthésie partielle de sa personnalité n'était pas en soi une mauvaise nouvelle.

"Monsieur MacFarlane, voyez en cela, une formidable opportunité de vous reconstruire sur des bases plus saines. Car la vérité est que vous n'êtes privé que de la plus mauvaise partie de votre personnalité. Votre colère et vos émotions vives ne vous ont causé que du tourment, et de gré ou de force, vous devez apprendre à les dompter. "

Après avoir exprimé son ressenti, Matthew MacFarlane eut la clairvoyance calculée ou non de signifier à la psychomage son désir de réintégration. Comme si les frustrations engendrées par le bracelet de sécurité, devenaient tout à coup une formidable opportunité de devenir un homme meilleur. Ce brusque revirement n'était pas anodin, tout comme cette volonté de vouloir déclamer "avoir changé". Le prisonnier en conditionnel ne faisait que lui servir le refrain que la psychomage voulait entendre. Mais cette dernière, même si elle ne laissa rien transparaitre, n'était point dupe de ce petit manège tant usité. Elle n'offrit qu'un sourire discret, avant de prendre la parole.

"Intéressant! Vos propos sont révélateurs du chemin qu'il vous reste encore à parcourir dans votre réinsertion. Vous reconnaissez ouvertement que le bracelet ne vous aide point à annihiler votre agressivité, mais seulement à la contenir. Vous affirmez donc que sans celui-ci, vous représenteriez encore un danger pour la société. Suis-je dans l'erreur? "

Meredith décroisa ses jambes avec grâce, avant de poser de nouveau ses yeux sur le dossier du prisonnier MacFarlane.

"Comprenez bien que je ne cherche qu'à vous aider, monsieur MacFarlane. Ma volonté première est de vous réintégrer, mais pour cela je dois m'assurer que vous ne représentez plus aucune forme de menace pour les braves citoyens du Monde magique... " Dans une attitude digne d'un sphinx, elle releva les yeux vers le détenu en semi-liberté. "C'est pourquoi j'aimerai que vous répondiez à certaine de mes questions. Avez-vous revu vos proches ou nouer de nouveaux contacts durant votre semi-liberté? Les échanges se sont-ils révélés compliqués ou concluant? Dites-moi la vérité, car il important pour moi de juger votre comportement au sein de votre sphère relationnelle... "

Tout en l'écoutant d'une oreille, Meredith Kane cocha de la pointe de sa plume, une petite case du dossier du prisonnier; Celle-ci portait l'annotions "Vérifier le caractère violent de l'individu : En particulier envers les femmes et ses proches..."  

Cette île le rendait paranoïaque, il en avait conscience, mais il ne parvenait pas à lutter contre l'idée que les chercheurs  de Skye étaient tous ligués contre lui et qu'ils attendaient le moindre faux pas de sa part pour le renvoyer dans les étages inférieurs du centre. Meredith Kane n'échappait pas à cette règle. Elle avait beau feindre la bienveillance, Matt était persuadé qu'elle essayait de le piéger. Elle déformait ses propos pour lui faire dire ce qu'elle voulait entendre dans le seul et unique but de justifier de nouvelles expériences. Voila qu'elle sous-entendait l'inefficacité du bracelet qu'elle avait elle-même préconisé.

Même s'il supportait mal l'idée d'avoir ce foutu anneau magique autour de la cheville 24h/24, il avait signé pour ce traitement. Il s'était engagé volontairement dans ce processus estimant qu'il s'agissait là d'un mal pour un bien. Accepter d'être conditionné comme un animal en échange d'une liberté retrouvée. Le jeu en valait la chandelle.  Il était venu aujourd'hui dans l'espoir de persuader son docteur de réduire l'intensité des décharges du bracelet mais certainement pas pour mettre en place un nouveau remède.
Ca non, il ne s'engagerait dans aucune autre forme de traitement avec les spécialistes de Skye. Ses semaines passées dans les profondeurs de l'île au moment de la mise en place de son protocole thérapeutique lui laissaient un souvenir tinté d'angoisse. Il ne voulait pas redescendre là-dessous et prendre le risque de ne jamais remonter à la surface...

Meredith Kane souhaitait qu'il ne soit plus une menace pour les braves citoyens du Monde magique et Matt pressentait que les chercheurs ne reculeraient devant rien pour le rendre docile à souhait. Matthew savait de quoi ils étaient capables... Les médicomages avaient déjà fait une incursion dans son esprit pour s'assurer qu'il ne révélerait rien sur ce qui se tramait dans ce centre de recherche alors ils pouvaient très bien pousser leurs investigations dans son cerveau et débrancher quelques connexions pour le discipliner définitivement.  Matt devait convaincre le D. Kane que le bracelet était la bonne solution à son problème:

"Non, je ne dis pas que le bracelet contient mon agressivité mais plutôt qu'il l'ensuque et que, grâce à ça, j'arrive à l'apprivoiser plus facilement. Je développe d'autres comportements que l'énervement vous voyez. Je trouve des parades. C'est valorisant de pouvoir se dire qu'enfin, j'ai la possibilité d'être maître de mes nerfs. Je sais que le bracelet m'aide à faire ce travail sur moi. Vous comprenez ?"

Il lui aurait bien suggérer de baisser les doses progressivement pour lui démontrer que cette technique était efficace mais il ne souhaitait pas froisser le docteur Kane et lui donner l'impression de lui dicter sa conduite. Il se contenta donc d'écouter sa question suivante qui portait sur les relations qu'il entretenait avec ses proches depuis sa sortie de prison.

"J'ai beaucoup de chance car mon père et ma sœur ne m'ont pas tourné le dos après ce que j'ai fait. Ils m'ont aidé pour me remettre sur pied, ils ont été très présents. Je dirais que j'ai toujours la même relation avec mon père, c'est étrange d'ailleurs, un peu comme si nous n'avions pas été séparé pendant cinq ans."

Evrett MacFarlane avait toujours été très fier de son fils et, paradoxalement,  son passage  par Azkaban avait renforcé encore davantage cette fierté.

" Robin est très prévenante, elle l'a toujours été mais encore plus qu'avant. On parle beaucoup même si on évoque rarement Krystal. Elles s'entendaient bien toutes les deux alors je sais que pour elle ce n'est pas facile..."

Il passa une main sur son visage tout en essayant de se mettre à la place de sa sœur. Elle était celle qui avait porté la famille à bout de bras pendant le procès. Celle qui s'était occupée d'Eve avant qu'elle ne soit placée. En somme, celle qui avait mi sa vie entre parenthèse à cause des agissements de son frère. Matthew lui était redevable, d'une certaine manière.

"Quant à ma mère, reprit-il, nous étions déjà froid bien avant l'affaire. Nous n'avons pas renoué depuis." expliqua-t-il sur un ton catégorique, " Il ne reste plus que ma fille, Eve, dont je suis sans nouvelle depuis cinq ans maintenant. J'aimerai beaucoup la revoir mais... la Justice en a décidé autrement." finit-il part dire en levant les yeux en direction du docteur Kane.

La chose la plus déstabilisante dans le fait d'avoir le géniteur d'Eva juste en face de soi, était de ressentir l'instinct paternel revenir à la surface pour réaffirmer sa volonté toujours intacte de revoir sa fille. Et ce malgré le poids des années. La psychomage savait que Matthew MacFarlane ne pouvait pas être plus sincère dans ses paroles, tant celles-ci traduisaient un manque cruel : Son âme meurtrie ne trouverait aucune forme de répit tant qu'il n'aurait pas lu le pardon s'inscrire dans les prunelles de la si douce Eva. Aussi poignant soit son combat, le meurtrier en quête de rédemption ne faisait que courir après une triste chimère, qui jamais ne lui rendrait son bonheur perdu, de sa propre faute. Car rien ni personne ne pourrait ramener Krystal à la vie, ni excuser son geste meurtrier. Comment diable Eva pourrait lui pardonner un acte aussi odieux? Aucun miracle ne pouvait justifier le meurtre d'une mère dans l'esprit d'une enfant! S'en rendait-il seulement compte? Matthew était devenu le monstre qui hantait les cauchemars de la petite fille et qui la réveillait en sursaut au milieu de la nuit. Jamais, il ne trouverait de salut auprès de celle qui faisait tant d'effort pour le rayer définitivement de sa mémoire. Eve était morte, et Eva venait de renaitre. Désormais, la petite fille n'aspirait qu'à retrouver une vie normale, un cadre, une identité. La famille Kane lui offrait cette douce combinaison, Meredith jouant à la perfection son rôle de mère de substitution. Pourquoi s'évertuer à la ramener à l'horreur, alors qu'elle venait enfin de trouver le bonheur?

Dans sa quête de pardon, Matthew MacFarlane était devenu un monstre d'égoïsme qui ne percevait que son bien-être intérieur. Sans une once d'empathie pour sa fille, il ne se souciait guère du choc traumatique que pourrait produire une telle rencontre. La psychomage s'était jurée de ne jamais rendre possible une éventualité aussi désastreuse, bâtissant de multiples remparts judiciaire entre lui et Eva. En marge du procès, elle avait établi des rapports sans concession, qui ne visaient qu'à protéger l'enfant de la moindre tentative de rapprochement paternel. Jamais de son vivant, Meredith Kane ne permettrait qu'une telle tragédie ne se produise. Animée des meilleures intentions, elle œuvrait pour le bien de tous. La directrice de Skye se doutait que le détenu devait la haïr secrètement, alors qu'elle ne cessait dans ses rapports de ruiner l'infime espoir qu'il entretenait à l'idée de revoir un jour sa fille. Le père biologique d'Eva était à mille lieux de penser qu'elle faisait cela pour son propre bien. Et pourtant, en plus de protéger celle qui était devenue sa fille; Meredith Kane cherchait également à préserver Matthew d'une terrible désillusion qui ne ferait que le pousser à l'acte suicidaire. C'est pourquoi, elle ne fit rien pour dissimuler son désappointement quand Matthew lui asséna de nouveau son désir de revoir sa fille. Poussant un soupir empreint d'une certaine tristesse, elle lui faucha rapidement toute forme d'espoir illusoire.  

"Monsieur MacFarlane... Nous avons abordé ce sujet à maintes reprises, n'est-ce pas? Et je ne peux cesser de vous répéter qu'une telle chose est absolument inenvisageable! Autant d'un point de vue juridique, que d'un plan strictement humain. "

La psychomage fit mine de cocher une case dans le dossier du détenu, avant de reposer avec délicatesse sa plume d'oie à coté de celui-ci.

"Pour votre propre bien, et celui de votre fille, je m'y oppose formellement. Cela ne ferait qu'empirer les choses, et ne vous conduirait que vers une éprouvante désillusion. Je vais être franche et directe avec vous : A l'heure où nous parlons, Eve doit être au bout du Monde, cherchant à se reconstruire une vie auprès d'une famille d'accueil. Elle cherche à aller de l'avant, tout comme vous êtes d'ailleurs en train de le faire. De plus, croyez-moi, au vu de son âge au moment des faits, elle vous a très certainement oublié, ou ne cherche justement qu'à le faire. Aussi terrible cela puisse paraître pour vous de l'entendre, vous ne représentez plus rien dans sa vie; Si ce n'est le fantôme terrifiant d'un meurtrier. Je vous en conjure, pour son bien être et le vôtre, vous devez vous résoudre à l'oublier. Je conçois à quel point ce choix peut paraître déroutant et cruel, mais c'est le seul qui s'impose si vous aspirez à ne plus conjuguer votre vie au passé... "

Meredith Kane aurait aimé lui dire à quel point Eva était heureuse et épanouie au sein de son foyer. Lui faire entendre son rire enchanteur alors qu'elle découvrait, sous son oreiller, un galion ramener par le "petite souris" en échange de sa première dent de lait. Lui révéler que désormais, elle n'hésitait plus à l'appeler "Maman". Mais pourquoi prendre ce risque? La psychomage s'était enlisée dans un mensonge qui se voulait protecteur, et qu'elle protégerait jusqu'à son dernier souffle. Telle une louve protégeant la tanière de ses louveteaux, elle se jurait que jamais Matthew MacFarlane ne reviendrait hanter la vie de sa si douce Eva. Mais depuis qu'il avait opté pour ce programme de réhabilitation et que les murs épais d'Azkaban ou de Skye n'étaient plus là pour le séparer du monde extérieur, Meredith éprouvait une terrible appréhension qui tambourinait dans sa poitrine sous l'impact incessant des multiples interrogations que cette pensée pouvait susciter. Et si Matthew cherchait vraiment à la retrouver? Si dans une pure coïncidence, il venait à la croiser... La reconnaitrait-il? Eva ne chercherait-elle pas un jour à revoir son père biologique? N'était-ce point cruel que de lui cacher la vérité? Allait subir un jour le contrecoup de ses mensonges? Intérieurement, une multitude d'états d'âme se bousculaient et venaient alimenter ses doutes, mais extérieurement, Meredith Kane conservait son calme et un visage aussi froid que impassible. La psychomage détenait pourtant la solution qui pouvait lever toutes ses appréhensions, tout en offrant à Matthew la paix intérieure tant espérée. D'une voix plus grave et radoucit, elle aborda alors un projet maintes fois abordé et auquel elle croyait ardemment.

"Je ne cesse de me répéter, mais n'avez vous jamais envisagé de pouvoir tout oublier? Ne voulez vous donc jamais vous affranchir de vos erreurs du passé? Vous êtes encore jeune, et vous avez encore devant vous de belles choses à construire, comme celle de fonder une nouvelle famille. Vous savez que je peux vous venir en aide et faire en sorte que cela entre dans le champ du possible. Mais, voyez-vous, ce travail de reconstruction impose un choix cornélien qui ne dépend que de vous... "

Meredith plongea son regard d'un froid sibérien dans celui de Matthew.

"Sans l'appui de votre contrôleur judiciaire, et de votre propre chef, je ne peux rien faire pour vous; Mais sachez que tôt ou tard, vous devrez éradiquer vos démons du passé. Votre bonheur en dépend. Alors pourquoi ne point effacer les souvenirs nuisibles, comme celui du meurtre de votre femme, et de tout ce qui peut s'en rapprocher? C'est une nécessité absolue qui n'attend que votre accord. Si vous voulez vraiment vous accorder une seconde chance, il n'y a pas d'autre alternative. Je suis désolée de vous le dire ainsi, mais vous allez devoir prendre la décision ardue de rayer définitivement Eve de votre mémoire. Je peux vous y aider, Monsieur MacFarlane. Je peux faire de vous un homme heureux... "

Comme pour mieux le soutenir dans cette pénible décision, la psychomage lui offrit un regard empreint d'empathie, avant de déposer chaleureusement sa main froide sur celle de Matthew MacFarlane...