Totally Spies [Sofya & Matthew]

Le claquement des talons hauts de Sofya se faisait entendre dans toute la rue, plutôt inhabituel sur la Voie des Miracles. Ici, l'on trouvait toutes sortes d'hommes, des gros et des petits, des distingués et des mal élevés, des riches et des miséreux - mais très peu de femmes. Pourtant, Sofya n'attirait plus vraiment les regards, lorsqu'elle traversait la rue principale, une jolie cape de chez T&T rabattue sur ses boucles d'or. L'espionne passait ici à visage découvert depuis trop longtemps pour que l'on s'étonne encore de sa présence, et on ne venait que rarement lui chercher noises, surtout depuis que le nom de son boss, Roy Calder, signifiait langues arrachées et cadavres cloués... Sofya se fichait qu'on la reconnaisse, puisqu'elle gardait rarement son véritable visage lorsqu'elle partait en mission, et que les autres mafieux la prenaient pour une Veilleuse lambda, ignorant ses talents d'espionne. Pour l'heure, elle venait sur la Voie, comme bien souvent, pour faire son shopping...

Etre un espion présentait le désagréable inconvénient de devoir utiliser des baguettes qui n'étaient pas la sienne. Il était bien trop facile de remonter au propriétaire d'une baguette magique ou d'étudier l'historique des sorts lancés par l'un de ces fabuleux instruments, c'était tout simplement l'empreinte d'un sorcier. Aussi, Sofya répugnait-elle à utiliser sa propre baguette - la même depuis qu'elle l'avait obtenu, avant son entrée à Durmstrang - pour faire quelque chose d'illégal, car c'était le meilleur moyen de se retrouver à Azkaban. Combien de procès avaient-ils été perdus par le propriétaire d'une baguette qui, retombée entre les mains du département de la justice, avait révélé ses plus noirs secrets ? Une baguette d'emprunt ou de substitution n'était jamais aussi efficace que sa propre baguette, mais un sorcier qui savait s'adapter pouvait en retirer de très bons sortilèges.

Sa main se glissa machinalement dans sa poche et elle caressa le bois de sa baguette du bout des doigts, la sentant s'échauffer doucement son sa peau. 27,3 centimètres, plume de phénix, bois de sycomore, une baguette aventureuse et parfois un peu capricieuse, qui répugnait à effectuer les sorts ménagers mais qui était sa meilleure alliée lorsqu'il s'agissait de lancer des maléfices de déguisement. Hélas, Roy comptait lui confier certaines missions qui pouvaient l'amener à se retrouver dans des situations délicates. En cas de duel ou de fuite, si elle perdait sa baguette, elle ne voulait pas que ce soit la sienne, non seulement parce qu'elle y était attachée mais aussi et surtout pour ne pas se faire repérer. Son chef l'avait donc mise en relation avec un nouveau fabriquant clandestin de baguettes, localisé sur la Voie, avec qui elle avait justement rendez-vous.

Arrivée devant le petit local, elle prit le temps d'observer les lieux avec soin avant de frapper. Déformation professionnelle d'espionne, elle ne pouvait entrer dans un endroit nouveau sans avoir repéré les principales caractéristiques et les possibilités de sortie du lieu... Ce petit rituel fait, Sofya frappa quelques coups et se prépara à se retrouver nez-à-nez avec un petit vieux courbé à la Ollivander, ou bien à un mec louche comme on en trouvait tant sur la Voie. Elle s'attendait à tout sauf à...

"Matt ?! Mais qu'est-ce que tu fous là ?", s'exclama-t-elle sans grande élégance, à l'exact moment où il lui demandait la même chose.

La surprise de Matthew se reflétait sur le visage de Sofya, qui se recomposa néanmoins bien vite une expression de froide neutralité. Son esprit n'avait pas été long à additionner deux plus deux. Pourquoi aurait-elle été étonnée que Matthew se retrouve à traîner sur la Voie, à peine sa libération conditionnelle obtenue ? C'était bien son genre. Mais cela signifiait que... Roy avait fait affaire avec lui. Une sourde colère l'envahit à cette pensée et elle adressa mille malédictions à son boss par pensée. Celui-là, il n'avait pas fini de l'entendre, elle allait vite lui remettre les idées en place ! Quant à Matthew, il ne perdait vraiment rien pour attendre. Tirer profit de son travail pour se faire des relations avec les Veilleurs et se lancer dans le commerce illicite... C'était bas, mais elle n'aurait pas dû être surprise. L'homme était peut-être un muffle mais il n'était pas stupide, et il avait dû flairer qu'il avait tout intérêt à se rapprocher de Roy. Oui, mais voilà, Sofya n'était pas du tout d'accord.

Balayant Matthew d'un regard mi-indifférent, mi-dédaigneux, elle lâcha un claquement de langue agacé avant de répliquer :

"Hé bien, si, je te dis que c'est avec moi que t'as rendez-vous, ça va, tu vas t'en remettre ? Alors, ces baguettes ?"

Sofya s'efforça de laisser à la porte ses sentiments négatifs à l'égard de Matthew. Depuis leur dernière petite altercation, elle avait agis selon ses souhaits et s'était employée à l'ignorer superbement lorsque leurs chemins se croisaient, sur les planches des Folies. Elle avait aussi fermé ses pensées à son ancien ami. Amis, ils ne l'avaient jamais été à ses dires, très bien : Sofya préférait encore se remémorer les bons moments qu'elle avait passé avec feu Krystal qu'avec son mari. Sofya en avait cotoyé, des hommes louches, ces dernières années, mais personne ne lui faisait tout à fait le même effet que Matthew, ce frisson dans le dos quand elle croisait son regard de glace. La plupart des gens tuaient et magouillaient par intérêt personnel, pour obtenir quelque chose. De l'argent, du pouvoir... Mais Matthew ? Elle n'arrivait pas à le comprendre. Tuer Krystal, perdre sa fille au passage, se couper de son ancienne vie, tout cela pour quoi ? Tant de froideur et d'indifférence, ce n'était pas normal.

Alors, s'il fallait qu'ils se cotoient pour le business, très bien. Enfin, très bien... Roy allait l'entendre en rentrant, mais comme il était Roy, elle se doutait que ses chances de le faire changer d'avis quant à cette nouvelle relation étaient proches de zéro. Quoi qu'il en soit, cela en resterait là, du professionnel et rien d'autre. Elle allait prendre ses baguettes et se tirer. Sofya entra dans le petit local et examina l'atelier avec curiosité. De la lumière naturelle sur la Voie, voilà qui n'était pas commun...

Elle se dirigea vers l'établi et se pencha vers les deux baguettes qui y tronaient. La première que Matthew lui présenta lui attira un hochement de tête approbateur, avant que sa boutade ne la conduise à le darder d'un regard brûlant. Aux yeux de Sofya, Matthew avait perdu tout droit de plaisanter avec elle avec sa petite sortie de la dernière fois. Et s'il s'agissait plutôt d'un avertissement, alors c'était elle qui tenait à le prévenir : elle n'avait pas peur. Du moins, pas officiellement. La réalité, c'était que cet homme la déconcertait et l'inquiétait justement parce qu'elle ne savait pas ce dont il était exactement capable, et parce qu'elle avait cru le connaître. Mais Sofya connaissait trop bien ce milieu pour montrer la moindre once d'anxiété ou de faiblesse. C'était un coup à se faire manger tout cru, surtout lorsque l'on était une femme. Il fallait être une grande gueule, jusqu'au bout, même et surtout lorsqu'on était dans la pire situation possible. Ne jamais sous-estimer l'art du bluff ! Enfin, ils n'en étaient pas à se confronter, puisqu'ils étaient censés collaborer, grâce à cette subtile idée du boss...

Ne lui faisant pas le plaisir de répondre, Sofya reporta son attention sur la première baguette, celle en cèdre, et la saisit dans sa main gauche. Une douce sensation de chaleur se répandit aussitôt dans sa paume et elle agita lentement le poignet, provoquant une gerbe d'étincelles brunes et or qui s'évaporèrent dans l'atmosphère. Cette baguette était un peu plus courte que celle dont elle avait l'habitude mais elle avait un bon feeling avec elle. Il y avait quelque chose de réconfortant et d'habituel dans son contact, sans doute provoqué par l'alliance de la plume de phénix, élément que Sofya connaissait bien, et par le cèdre, bois loyal et fiable.

"Très bien", commenta-t-elle avant de reposer la baguette sur l'étui.

La seconde baguette, en revanche, lui sembla beaucoup plus caractérielle. Des fourmillements se répandirent le long de ses doigts à son contact, et elle sentit qu'une puissance ronflante et difficile à maîtriser l'accompagnait. Les baguettes composées de cheveux de Vélane étaient souvent aussi délicates à manier, lunatiques et vaniteuses que ces créatures, et Sofya avait rarement eu l'occasion de s'y frotter. Elle observa la baguette avec une certaine fascination, approuvant les paroles de Matthew en son for intérieur. Avec celle-ci, il lui faudrait s'entraîner...

Sofya reposa la seconde baguette et reporta son attention sur Matthew, croisant instinctivement les bras sur sa poitrine. Tandis qu'il lui donnait ses recommandations, elle ne pouvait s'empêcher de penser à leur dernière altercation et aux mots durs qu'il avait eu à son égard, une lueur de contrariété luisant au fond de ses yeux à ce souvenir. Non, travailler avec Matthew n'allait décidément pas de soi pour Sofya, qui aurait largement préféré ne plus jamais avoir à le croiser. Alors quand il affirma qu'il faudrait qu'ils se cotoient plus longuement, elle le fusilla du regard. Il était hors de question qu'elle "soit amenée à bosser souvent" avec Matthew, et puis quoi encore ? Roy allait lui trouver quelqu'un d'autre pour ses baguettes, et puis voilà.

Un léger silence suivit l'explication de Matthew, durant lequel Sofya le toisa, hésitant entre le planter ici et aller tempêter directement auprès de son chef et laisser échapper une floppée de jurons sur Matthew. Qu'est-ce que c'était que cette situation surréaliste, où l'homme qui l'avait littéralement humiliée il y a peu assurait vouloir la connaître dans ses moindres détails pour pouvoir lui faire des baguettes sur mesure ? Elle n'avait aucune intention de lui révéler quoi que ce soit à son sujet, il en savait bien assez !

"Tu crois vraiment que j'ai envie de te laisser me connaître mieux que personne ?", répliqua-t-elle d'un ton froid. Il avait un sacré culot d'exiger cela. Désignant la baguette de cèdre, elle affirma, péremptoire : "Ce genre de baguette me convient très bien. Je ne vois pas bien ce que tu as besoin de connaître sur moi. Après tout, tu sais déjà tout ce qu'il y a à savoir, non ? Je suis une petite comédienne bien rangée."

*Et toi et moi, on ne se connait plus*, conclut la voix de Matthew dans sa tête, et son visage se ferma un peu plus.

Sofya savait où trouver Matt... Pour le moment. Après la scène qu'elle comptait faire à Roy, elle n'était pas certaine qu'il reste bien longtemps ici à préparer tranquillement ses petites baguettes pour le compte des Veilleurs. Aussi, l'espionne comptait bien sur le fait que c'était la dernière fois qu'ils s'adressaient la parole, hormis les histoires de décors aux Folies. Après des années d'absence, Matthew se montrait soudainement bien trop présent dans sa vie professionnelle, lui qui avait tenu à l'éjecter de sa vie personnelle sans la moindre douceur, et Sofya ne comptait pas se laisser envahir de la sorte. Il n'était pas le seul faussaire de baguettes d'Angleterre, et encore moins le seul gorille capable de pousser des éléments de décors.

"En effet", répondit Sofya en glissant un regard indifférent sur son interlocuteur.

*Compte là-dessus.*

Qu'il blablate donc autant qu'il le voulait, elle ne comptait pas revenir le voir, ni lui envoyer de patronus d'ailleurs. Elle l'imaginait déjà esquisser un petit sourire sarcastique devant la forme de son patronus, un paon majestueux qui se pavanait en exhibant ses plumes colorées... Non, il n'y avait pas à dire, quel que soit le moyen de communication, Sofya aurait envie de lui arracher les yeux. A vrai dire, communiquer avec lui était bien la dernière chose dont elle avait envie pour l'instant, aussi la comédienne se montra-t-elle bien moins volubile que d'ordinaire. Elle ne tirait même pas satisfaction du fait qu'elle avait réussi à le surprendre en se révélant être espionne pour les Veilleurs. Cela ne faisait qu'illustrer à quel point Matthew la prenait pour une petite bonne femme insignifiante et inintéressante avant cela, incapable de faire quoi que ce soit d'un peu osé dans sa vie. Eh bien si. D'ailleurs, elle allait oser le planter là et tenter de le faire virer, cela lui apprendrait.

Sans un mot de plus, elle saisit les étuis que lui tendait Matthew et les fit rapidement disparaître dans sa poche. Sofya jeta une bourse pleine de gallions qui tinta en tombant sur l'établi, adressa un dernier regard brûlant de mépris à Matthew, puis se détourna en silence. Ce n'était pas parce que son stupide patron l'avait piégée sans le savoir pour bosser avec lui qu'elle se devait d'être aimable, ni même polie. S'il voulait de la politesse, ce n'était pas sur la Voie des Miracles qu'il l'obtiendrait de toute façon.

*Au plaisir de ne plus jamais te revoir*, songea-t-elle en claquant la porte derrière elle.

RP terminé