Black Swan [OS]

« Mais… On a le droit de faire ça ? » interrogea Annie Brown, une jeune femme qu’elle avait nommé récemment lieutenant.

Pour toute réponse, Danielle lui adressa un regard éloquent. La question ne se posait même pas, à vrai dire. Evidemment qu’ils avaient le droit – que n’avaient-ils pas le droit de faire, en réalité ? Ils représentaient le gouvernement, ils avaient le ministère de leur côté. Oui, les arrestations étaient peut-être un peu trop nombreuses – surtout ces temps-ci -, oui, les procès étaient souvent expéditifs, voire inexistants. Mais après tout, ce qui se passait restait à Skye, et ils agissaient pour le bien de la population, pour le bien de la société sorcière, pour le bien du gouvernement.

« Je veux que ces mesures soient appliquées dès la fin de cette réunion. » reprit Danielle en se levant. « Aujourd’hui, Brown, tu seras avec Young, vous prenez vos équipes et vous faîtes un tour à Londres. Johar et Newton, vous serez sur Cosmos. Robinson, tu viens avec moi, on va à Bristol. »

Elle sortit de la salle sans plus attendre, suivie des lieutenants qu’elle avait convoqué pour l’occasion. Un léger sourire éclaira son visage lorsqu’elle contempla les membres de la milice, prêts à partir sur le terrain. Il avait été difficile de remettre les choses en route, après la disparition soudaine de Dalhiatus, mais Danielle s’était appliquée pour garder la milice aussi active qu’auparavant. Cependant, elle avait également veillé à prendre des mesures radicales. On supposait que des résistants étaient derrière tout ça. Or, en s’en prenant à Jacob Dalhiatus, le bras droit du ministre, les résistants avaient frappé fort. Aussi, la répression n’en était que plus violente. Les mesures qu’elle avait exposé quelques minutes plus tôt étaient faîtes pour éradiquer complètement la moindre once de rébellion. Ne pas hésiter à embarquer, à envoyer directement les criminels sur l’île de Skye, au lieu d’attendre pendant des mois qu’ils soient jugés – ou bien à Azkaban, pour les plus sympathiques d’entres-eux. Il fallait tuer cette résistance avant qu’elle ne prenne trop d’importance.



L’arrestation avait été imprévue. Imprévue, mais efficace. En même temps, il y avait plus discret qu’attaquer ouvertement deux miliciens, dont la chef de ladite milice. L’homme – parfaitement stupide – à l’origine de cet acte avait agi seul, et il n’avait fallu que quelques instants à Danielle et Robinson pour le maîtriser. Il avait hurlé que le gouvernement était corrompu, que la société devait se rebeller, que jamais il ne se laisserait faire, et que son nom serait inscrit dans les mémoires. Malheureusement pour lui, Danielle l’avait empêché de parler à l’aide d’un sortilège avant qu’il puisse le dire, son nom. Sans attendre, Danielle était partie avec le délinquant. Elle avait laissé Robinson et les autres miliciens sur place, prenant seulement avec elle un certain Charles Wayne – ancien auror émérite qui s’était engagé dans la Milice dès le début. Ensemble, ils s’étaient rendus sur l’île de Skye immédiatement, sans même prendre le temps de repasser au ministère.

« Comment t’appelles-tu ? » demanda Danielle en prenant place face à celui qu’elle avait arrêté, l’air calme et détendu. Elle reçut en retour un regard noir.

« Eric Taylor. » répondit-il toutefois en redressant les épaules, une lueur de défi dans les yeux. « Où est-ce qu’on est ? »

Danielle ignora la question. « Bien, Eric. Vous voulez m’expliquer pourquoi vous avez cru qu’il serait judicieux d’attaquer deux membres de la milice ? »

« Parce qu’il est hors de question que j’me laisse faire. Vous pouvez tous les tromper, avec vos beaux discours à la con ! Mais pas moi. Moi vous m’aurez pas avec votre publicité à deux noises et vos grandes résolutions, ça  non ! Il est grand temps que tout l’monde sache ce que vous faîtes ! »

Danielle balaya ses paroles d’un revers de main.

« Ce que nous faisons ? »

« Ne jouez pas les innocentes ! Les meurtres, les disparitions, c’est vous qui en êtes à l’origine ! Vous et votre organisation censée protéger la population. »

« De regrettables accidents, sans aucun doute. » souffla Danielle d’un ton doucereux, en se penchant vers Eric.

« J’vais pas gober vos conneries, vous savez. Et je suis pas le seul à ne pas y croire. » lança-t-il, avant de cracher par terre. « Vous pouvez m’envoyer à Azkaban si ça vous chante, au moins, ils verront que la justice n’existe plus, que les procès sont complètement passés à la trappe, que… »

« Oh, mais vous n’irez pas à Azkaban, Eric. »

« Comment ça ? » fit-il, et, pour la première fois, il paru sincèrement déconcerté.

« Nous n’allons pas vous envoyer à Azkaban, rassurez-vous. » commença la jeune femme, avant d’échanger un regard entendu avec Wayne. « Vous nous êtes bien trop précieux. »

Wayne laissa échapper un ricanement, et s’adossa à un mur, les bras croisés sur le torse. Danielle se redressa, et, devant la perplexité apparente d’Eric, elle poursuivit :

« Bien, Eric j’imagine que vous n’allez me dévoiler de vous-même qui sont ces individus qui partagent les mêmes opinions que vous, et qui risquent à leur tour d’attaquer des membres de mon unité ? »

« Vous imaginez bien. » fit-il en haussant un sourcil.

« C’est bien ce que je pensais. » répondit-elle en se levant. « Wayne ? Tu l’escortes dans une salle ? »

Charles se décolla lentement du mur, et hocha la tête. Le détenu écarquilla les yeux, et se redressa.

« Qu’est-ce que vous allez faire ? Où est-ce qu’on est, bordel ? »

« Loin de Londres. » lança-t-elle simplement

« Vous allez me tuer ? » Sa voix semblait étrangement calme, alors que ses yeux hurlaient sa panique.

« On t’en pose, des questions ? » grogna Wayne. « Tu viens avec moi, c’est tout. »

« Vous allez faire quoi, bordel ? » questionna une nouvelle fois Eric. Cette fois, on pouvait sentir la peur dans sa voix. Danielle en tira une certaine satisfaction.

« Nous évitons de tuer les détenus. Ca arrive parfois – ce sont de regrettables accidents, évidemment. Nous préférons utiliser des méthodes moins… radicales. » déclara-t-elle d’un ton doucereux. « Vous savez, c’est incroyable, ce qu’on peut faire avec le cerveau humain. La mémoire, la personnalité, les convictions, les opinions… Quand on maîtrise le sujet, on peut faire changer tout ça. Or, vous l’avez peut-être deviné, je maîtrise le sujet. Je le maîtrise très bien, même. »

Le regard d’Eric semblait vide – déjà, s’amusa Danielle.

« Je ne dis pas que c’est vraiment agréable. C’est même très douloureux, et vous me voyez absolument désolée de vous faire subir ça. Mais c’est pour votre bien, pour le bien de notre gouvernement, de notre société. Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser des individus comme vous diffuser leurs idées impunément. »

L’homme essaya de parler, mais aucun son ne sortit de sa bouche. C’était pire que ce qu’il avait imaginé. Pire que d’être enfermé dans un lieu lugubre. Il allait être privé de sa personnalité, de ce qu’il faisait qu’il se réveillait en étant lui-même. Il allait être privé de son autonomie, de ce qu’il faisait de lui un homme à part entière. Il eut envie d’hurler, mais se sentait trop atterré pour produire le moindre son. Ses bras retombèrent lourdement le long de son corps, tandis que des points noirs dansaient devant ses yeux.

Danielle porta la main à sa baguette, et la pointa sur l’homme en face d’elle, avec la plus grande satisfaction. Elle murmura un Oubliette et Eric oublia instantanément  ce qu’elle venait de lui confier. Elle quitta la salle, et le retrouva quelques minutes plus tard dans une pièce un peu isolée des autres. C’était mieux, s’il criait – au moins, il ne dérangerait pas les geôliers.



« Et il est mort ? »

« Oui, avant que je finisse de modifier complètement sa personnalité. C’est dommage, c’était un travail très intéressant à faire – il avait une personnalité très complexe. »

« Ca arrive souvent ? » demanda Wayne. Ils parlaient d’un ton si détaché qu’on aurait cru qu’ils évoquaient le dernier exemplaire de Multiplette.

« De temps en temps. C’est assez aléatoire, ça dépend surtout de la personnalité de base. » Danielle haussa les épaules et se mit en marche. « Avant qu’il meurt, j’ai quand même eu l’occasion de fouiller sa mémoire. Il n’avait pas de famille – sa femme a été tuée lors de l’attaque des gangs. Et visiblement, il agissait seul. Il faisait un bon candidat pour ces premières expérimentations. » Elle se sentait un peu frustrée par la mort subite de son prisonnier. « Le prochain sera – j’espère – plus résistant. »

Wayne approuva ses paroles d’un hochement de tête, et continua de marcher, pensif. Danielle arrangea rapidement ses cheveux, et consulta sa montre. Les journées comme celles-ci la survoltaient en même temps qu’elles l’apaisaient.

Elle se sentait, en effet, étrangement calme. C’était son quotidien, après tout.