La pie qui chante [Mildred/Alex]

Un peu plus tôt dans la journée, à l'Hôpital de Saint-Mangouste...

Une simple réponse affirmative, un simple "oui", et voilà qu'en un rien de temps : Une vie pouvait s'achever avant même sa venue au monde. Mildred Magpie pouvait ressentir le poids de cette décision sur sa conscience, mais elle avait donné son accord, et un rendez-vous était déjà fixé pour la journée du lendemain. Tout cela était si simple, si bureaucratique, dépourvu de la moindre once d'humanité. Le regard dans le vide, la scandaleuse Mildred Magpie demeurait prostrée sur une chaise de l'allée des Maternités de Saint-Mangouste. Incapable de comprendre ce qu'elle était en train d'accomplir, ni de savoir si c'était la meilleure solution, pour elle et cette petite graine qui germait dans son ventre. Dernier et cruel souvenir laissé par son amant Adonis Greengrass, Mildred regrettait amèrement d'avoir privilégié la boisson à la contraception. Une vieille idiote se comportant comme une adolescente délurée : Voilà tout ce qu'elle était! Cette funeste journée de la Saint-Valentin, et la grossesse de six semaines qui en découla, marquaient la fin de ses espoirs, et du conte de fée tant espéré...

Mildred se tordait les mains avec anxiété, ne prêtant même plus attention aux nombreux passages et aux couples qui clamaient leur bonheur; Eux, ils donnaient la vie, quand elle délivrait la mort. Un choix que la co-gérante des Folies Sorcières n'aurait jamais imaginé aussi difficile. Elle n'aimait pas les enfants, les trouvant aussi moches qu’ingrats, et pourtant, en ce moment même... Elle avait l'impression que l'on lui arrachait une part d'elle-même. Les vils reproches que lui avait assénés la bibliothécaire de Poudlard lui revinrent en mémoire, tandis qu'elle imaginait ce que serait le restant de vie : Un monde froid et égoïste, sans personne pour pleurer son départ. Jamais la rédactrice de Multiplettes ne s'était sentie aussi seule que depuis qu'elle faisait deux avec cette petite vie qui sommeillait dans son ventre.

Que faire? A qui parler? Sa seule famille était son demi-frère Jacob, mais celui-ci était en vadrouille aux quatre coins du Monde Magique pour en assurer la sécurité. Et depuis la mort de Swann, il n'était plus que l'ombre de lui-même. Trop accaparé par l'idée d'éradiquer la vermine que de conseiller sa demi-sœur sur le choix de conserver ou non un futur rejeton. Elle ne l'embêterait pas avec son tourment. Le regard triste de Mildred se posa alors sur son petit ventre arrondi, qui n'était donc en rien lié à sa consommation excessive de choux à la crème. Jusqu’aux premières nausées matinales, Mildred ne s'était doutée de rien. Elle s'était adonnée à tant de parties de jambes en l'air débridées, sans se soucier de se protéger, qu'elle ne pensait plus être en mesure d'accueillir une vie. Une erreur tragique qui allait radicalement changer son mode de vie jusqu'à sa future mais proche ménopause.

Mildred finit par se lever difficilement de sa chaise, tant ses jambes lui paraissaient lourdes. Son regard posé sur la ligne blanche qui conduisait en dehors de Saint-Mangouste, elle voulait fuir, loin et au plus vite! S'occuper la tête avec une multitude de scoops, ou dans l'organisation d'évènements titanesques sur la scène de son Cabaret. Elle voulait oublier cette cloque qui lui pourrissait la vie! Oublier les hommes, trop lâches pour assumer leurs actes, et qui finissaient toujours par la quitter, et la laisser seule! Mildred en voulait à la terre entière! Elle voulait hurler! Des larmes commençaient déjà à perler au coin de ses yeux clairs, quand elle franchit à toute volée la porte de l'Hôpital Saint-Mangouste. Personne ne devait la voir ainsi. Pour sa carrière, ses affaires, son avenir : Elle devait donner l'illusion d'une femme forte. Enième mensonge au service d'une vie factice...

Un peu plus tard, dans la soirée, au siège de l'OFFRE...

Malgré tous ses efforts, Mildred Magpie n'arrivait pas à chasser son appréhension liée à sa décision du lendemain. Elle devait se confier à quelqu'un, se sentir soutenue dans cette cruelle épreuve, mais le réseau d'amis de la co-gérante des Folies Sorcières s'avérait plus que restreint. Bien entendu, elle pouvait monnayer une amitié qui resterait à ses côtés toute la nuit, à écouter ses lamentations et qui finirait par lui réciter ce qu'elle voulait entendre. Mais ce n'est pas ce que voulait entendre la sorcière fortunée, en manque de sincérité. Elle enviait réellement ces groupes d'amis où chacun pouvaient compter les uns sur les autres, sans que cela soit intéressé ou calculé. Pour se sentir aimée, comprise et acceptée, Mildred se devait d'allonger les Galions. Cet art de vivre mercantile et dénué de sincérité n'avait d'ailleurs point posé de problème jusqu'à aujourd'hui...

Plutôt que de pleurer entre ses draps roses, sans trouver une âme à qui parler; Mildred eut tout à coup une idée lumineuse dans sa journée de grisaille. Pourquoi ne pas se rendre au siège de l'Offre? Nul doute que au sein de l'association féministe quelqu'un sera de bon conseil, et se montrera en mesure de la guider dans cette douloureuse et difficile épreuve. En femme carriériste et affirmée, la rédactrice de Multiplettes était une assidue de ses assemblées qui prônait la parité et l'égalité entre les sexes. Même si elle ne la connaissait pas vraiment, elle entretenait des rapports de courtoisie avec la leader de l'association : La charismatique Alexandra Fitz. La journaliste n'avait pas tarit d'éloges à son encontre, vantant souvent les mérites de son association en faveur du droit des femmes. C'est pourquoi elle se dirigea, le cœur plus léger en direction du QG de l'Offre.

Quand Mildred Magpie arriva sur place, elle se heurta à la femme de l'accueil qui lui prétexta que Alexandra Fitz était sur le point de partir, et de renouveler son rendez-vous au lendemain. Mais la co-gérante des Folies Sorcières n'était pas du genre à se voir refuser ses exigences, et disposait de toutes sortes d'armes pouvant nuire à chaque résident de Bristol. La sorcière rousse agrippa la main de la standardiste de l'Offre.

"Janice? C'est bien ça votre petit nom? Vous ne voudriez pas que je révèle vos petits passe-temps interdits au sein de mon établissement, n'est-ce pas? La rumeur de vos petits jeux lubriques pourraient se colporter très rapidement, si vous deviez vous soustraire à ma requête... "

Mildred adressa un sourire menaçant à la secrétaire d'accueil, qui ne tarda pas à se plier à sa demande, avant de l'informer qu'elle pouvait rencontrer la fameuse Alexandra Fitz. Enfin quelqu'un daignait l'écouter, même si pour cela la scandaleuse journaliste avait usé de ses procédés habituels pour y parvenir. Quand elle pénétra dans le bureau, la féministe se montra courtoise, même si une petite pique se fit sentir quant à l'heure tardive de ce rendez-vous.

"Je vous prie de m'excuser, Miss Fitz. Mais n'ayant personne à qui me confier, je crains devoir prendre de votre temps libre. Vous m'en voyez navrée, mais je n'ai guère d'autre choix... "

D'ordinaire si fière et arrogante, Mildred Magpie paraissait quelque peu empruntée, ses mains se tordant avec anxiété sur son ventre légèrement rebondit. N'osant prendre un siège sans y avoir été invité, et plutôt que de tergiverser, elle finit par s'exprimer sur les raisons de sa venue.

"J'aimerai pouvoir vous parler de femme à femme, et avoir votre point de vue sur un mal qui me ronge de l'intérieur... "

Mildred se rendit compte que son amorce était quelque peu maladroite, tandis qu'elle afficha une petite moue désappointée.  

"Vous me connaissez, Miss Fitz. Vous savez quel genre de train de vie, je mène. De nombreuses fois, je me suis exprimée au sein de vos assemblées, en tant que femme carriériste et fière de l'être. Mais aujourd'hui, un évènement vient de bousculer totalement mes certitudes... "

Le visage horrifiée, Mildred prit une longue inspiration, avant de se délivrer du lourd fardeau qui la hantait.

"Je suis enceinte... "

La sorcière rousse baissa alors les yeux au sol, comme un supplicier le ferait au moment d’avouer ses crimes...

La tête désespérément basse, le regard contemplant toujours les lattes de plancher du Bureau de l'Offre; Mildred Magpie n'avait plus rien de cette femme nombriliste et exubérante qui ne cessait de vouloir s'afficher de toute part au sein de Bristol et du Monde Magique. Un sentiment de honte et de culpabilité étreignait son cœur, au point de mettre en danger ses activités et sa motivation. L'indomptable et irrévérencieuse Pie s'était transformée en une autruche déprimée, ne cherchant qu'à dissimuler sa tête sous terre, pour fuir les regards indiscrets. Un comble pour une journaliste à scandale que celui de fuir l'indiscrétion! Mais voilà, la romancière n'avait plus le goût d'afficher son insolente réussite, et d'être en première ligne dans les médias. Elle n'était plus qu'une femme devant se confronter à un dilemme cornélien, sans trop savoir comment s'y prendre. Pour la première fois, depuis bien longtemps, elle n'éprouvait plus qu'un sentiment de honte à l'égard de ses choix, et de l'orientation de sa vie.

Alexandra Fitz fit preuve d'une certaine empathie à l'égard de la riche co-gérante des Folies Sorcières, cherchant même à créer le contact et une atmosphère propice à la confidence. Sans doute du fait de sa personnalité quelque peu excentrique, Mildred avait toutes les peines du Monde à nouer des liens d'amitiés; C'est pourquoi, elle ne bouda pas le plaisir de se sentir épaulée par une consœur féminine. De son point de vue personnel, seule une femme pouvait l'aider à trouver la solution à ce choix terrifiant qui lui imposait soit de voir sa silhouette se déformer, soit au contraire, d'éradiquer l'oisillon dans l'œuf. La présidente de l'OFFRE cherchait à lui venir en aide, ce en quoi Mildred lui était d'ores et déjà reconnaissante.

"Au contraire, j'exige que vous m'appeliez Mildred... Si je dois me confier à vous, j'aimerai que nous fassions en sorte de devenir de bonnes amies. Je comprends que cela puisse vous paraître quelque peu rapide, mais j'ai besoin de quelqu'un à qui parler, sans me sentir jugée... " Mildred marqua un temps d'hésitation avant d'ajouter : "Je suis anéantie par le poids de la décision que je suis sur le point de prendre... "

Pour la première fois depuis qu'elle s'était tapée l'incruste dans le bureau de la présidente de l'association féministe, Mildred releva les yeux sur son "amie de circonstance". S'il fallait la monnayer pour qu'elle lui prête une oreille attentive, la romancière fortunée n'hésiterait pas une seconde : A quoi servait d'être riche si l'on ne pouvait pas combler les manques affectifs et s'offrir satisfaction? Elle éprouvait une réelle admiration pour le courage dont faisait preuve Alexandra Fitz dans son combat pour la cause des femmes. Mildred Magpie était une femme de pouvoir et appréciait réellement de voir l'une de ses congénères se battre également afin de réduire les inégalités entre sorciers et sorcières dans le Monde Magique. Alexandra Fitz était une femme admirable, mais ce n'est par pour autant qu'elle allait devoir tenir sa langue, et ne point divulguer ce que s'apprêtait à lui révéler la Pie de Bristol.

"Oui... Ma décision est prise. Mais avant même de vous la révéler je veux m'assurer de pouvoir compter sur votre indéfectible discrétion. Votre silence ne sera pas une option, car rien de ce que je vais vous dire ne doit s'ébruiter! Une seule fuite et je vous assure que vous pourriez le regrettiez amèrement. Me suis-je bien faite comprendre? "  

Alors qu'elle venait de son plein gré de perturber l'emploi du temps de la présidente de l'OFFRE, qui n'avait absolument rien demandé, Mildred faisait étalage encore une fois de toute l'étendue de sa mauvaise foi et de son tempérament digne d'une Diva. Pourrie, gâtée jusqu'à la moelle, elle se fichait bien de connaître l'avis de la confidente qu'elle venait littéralement de prendre en otage. Tout ce qui lui importait était de pouvoir s'épancher en toute quiétude, et de disposer d'une amie compatissante et attentive à ses problèmes.

"Vous savez je suis femme médiatique qui doit protéger ses intérêts, et faire en sorte que rien ne puisse nuire ou ternir ma réputation. La simple pensée qu'une grossesse non désirée puisse ébranler ma carrière me donne la nausée. Vous me comprenez? "

Mildred Magpie ne s'était pas ménagée pour se parfaire une réputation de femme honorable, dont la générosité ne semblait souffrir d'aucunes limites. Sa petite comédie et son investissement auprès des orphelins de Bristol, n'avait que pour fonction de renforcer et d'enjoliver son image publique. Toutefois, derrière ses bravades aussi nombrilistes que carriéristes se cachait une vérité inavouable; Lors de sa prise de rendez-vous au pavillon des Interruption volontaire de grossesse magique, Mildred avait ressentit un malaise instinctif, et une angoisse indicible à l'idée de prendre la mauvaise décision. Comme si tout à coup, le fait de se débarrasser du petit Alien qui lui rongeait les entrailles lui était devenu impossible. Mais pouvait-elle réellement se permettre d'abandonner ses nombreux projets de carrière au détriment d'un enfant même pas désiré? Face à cette immense responsabilité de femme, Mildred maudit Adonis de n'être qu'un homme et de n'avoir à assumer ce genre de choix...