Klemens avait de la chance d’arriver un soir où Roy avait décidé de rester chez lui, les probabilités auraient voulu qu’il trouve un appartement vide. Désormais, rares étaient les soirées qu’il ne passait pas aux Folies Sorcières, autour d’une table de poker ou dans les bras d’une belle jeune femme. Tout était si facile, si tentant, maintenant. Il avait tant de choses à portée de main, et il commençait tout juste à en profiter !

Cette nouvelle vie lui prenait énormément de temps, et inconsciemment, il s’éloignait de celle qu’il menait avant, celle qui incluait Klemens notamment. Oh, il n’avait rien à lui reprocher, ils n’étaient pas fâchés, Roy le considérait toujours comme son meilleur ami, il n’y avait rien de tout cela à remettre en question, bien sûr. Mais il avait tendance à s’éloigner de lui, parce qu’il ne pouvait plus inclure Klemens dans tout ce qu’il faisait, comme avant. Oui, il avait changé. Et il n’avait pas forcément envie que son meilleur ami perçoive à quel point.

Aussi, quand il frappa sans prévenir à sa porte, Roy ressentit un bref sentiment de contrariété, qu’il chassa aussitôt. Il n’avait aucune raison d’être contrarié. Il aimait toujours passer des soirées rigolade et alcool avec Klemens, n’est-ce-pas ? La façon dont il présenta les choses lui arracha un rire, tandis qu’il lui ouvrait sa porte, le sourire faussement enjôleur :

« Tu sais me parler, toi, petit coquin. »

Il laissa Klemens entrer dans son appartement, saisissant la bouteille qu’il avait ramenée.

« J’aurais pu être en charmante compagnie, d’ailleurs, t’as de la chance. » ricana t-il.

Roy éclata franchement de rire à la réplique de Klemens. Il le reconnaissait bien là. Toujours à guetter la moindre occasion de faire des commentaires salaces. Comme lui, finalement, ils n’étaient pas meilleurs amis pour rien.

Il versa un verre de whisky pour lui, avant de remplir le sien. Il se laissa le temps d’avaler quelques gorgées, avant de répondre avec une certaine désinvolture :

« Ca marche bien. Les Folies tournent du tonnerre -Klemens faisait partie des quelques personnes qui étaient au courant du rôle que tenait Roy dans le cabaret, il ne se voyait pas le lui cacher- ça fait rentrer pas mal d’argent. Mais du coup, entre ça et mes trafics, je t’avoue que j’ai moins le temps qu’avant… »

Cela avait tout l’air d’une justification, et c’en était une, en vérité. Cela l’arrangeait bien, au fond, de pouvoir se cacher derrière ses nouvelles responsabilités pour expliquer son éloignement. C’était toujours plus facile que d’avouer la vérité moins reluisante : il craignait que Klemens ne découvre tout ce qu’il avait fait ces derniers mois et que son regard change en conséquence, car Roy devait bien reconnaître qu’il aurait toutes les raisons de le faire.

Quand dans d’autres circonstances, la boutade sur Jason aurait fait rire Roy, cette fois, elle le crispa plus qu’autre chose. Cela se sentit dans la façon légèrement grinçante qu’il eut de répondre :

« Ca, y a pas de risque… »

Klemens n’y était pour rien, mais ces derniers jours, ses rapports avec sa famille avaient été très houleux. Même Adrian lui en voulait. Roy leur fermait totalement les portes, n'acceptant pas qu'ils se préoccupent de ce qu'il faisait... Et il agissait de la même façon avec Klemens, ces derniers jours. Ce fut ce qui le fit répondre avec prudence, lorsque son ami lui posa sa question :

« Hum, ils ne sont pas arrivés, ils y étaient déjà. Ils prennent juste plus d’importance. Enfin, rien de particulier, c’est comme ça que ça bouge… Pourquoi ? Tu te préoccupes pas tellement de la Voie, d’habitude. »

C’était vrai, même en ayant bossé pour lui, Klemens lui avait rarement posé de questions, et dès que l’occasion d’avoir un travail légal s’était présentée à lui, il l’avait vite saisie. Tout le monde n’était pas prêt à prendre le risque de vivre dans l’illégalité, Roy comprenait que son meilleur ami ait cherché à se protéger en s’impliquant le moins possible dans ces affaires de trafic, auxquelles il n’avait participé qu’occasionnellement, très en surface. Parler de son travail n’était pas si courant que cela entre eux deux, ce fut ce qui fit froncer les sourcils à Roy, circonspect.

Bien évidemment, il fallait que Klemens s’inquiète, comme tous les autres. C’était légitime, compte tenu du silence qu’il imposait à son ami, mais Roy ne pouvait pas tout lui expliquer. Il ne voulait pas que son regard sur lui change. Il ne lui avait toujours pas avoué qu’il avait tué un homme, deux, même, désormais. Une voix lui soufflait pourtant que Klemens avait ses démons lui aussi, qu’il était capable de le comprendre. Il avait songé un moment à lui parler de ce qu’il avait fait, cette nuit du vingt et un septembre, mais à chaque fois, il se ravisait. Non, Klemens ne comprendrait pas, ce n’était pas son monde… Il ne comprendrait pas les sombres sacrifices que Roy avait dû faire pour se sortir de là, il lui reprocherait comme tous les autres de ne pas avoir arrêté, car c’était vrai : rien n’empêchait Roy de tout plaquer et de se trouver un travail honnête.


Rien, sauf sa cupidité et son orgueil.

Maintenant qu’il avait des alliés politiques, et un tout nouveau marché à diriger, Roy avait une raison de plus de continuer dans son chemin : s’enrichir.

« Ecoute, ma famille me prend déjà assez la tête à ce niveau-là en ce moment, pas la peine de t’y mettre toi aussi… T’inquiète pas, tout va bien pour moi. »

Son ton était légèrement plus sec qu’il ne l’aurait voulu.

Bien sûr, Klemens prit la mouche. Il devait s’y attendre, venant d’un homme aussi susceptible que lui. Sans cacher son agacement, Roy lâcha un soupir.

« Klem, le prends pas comme ça. »

Rien à y faire, le loup mettait déjà sa veste et entamait un pas vers la sortie. D’un réflexe, Roy sortit sa baguette et verrouilla sa porte, pour l’empêcher de l’ouvrir. Il ne le laisserait pas fuir, c’était trop facile. Lorsqu’il eut l’attention de son ami, il reprit pour tenter d’apaiser les choses :

« Arrête de te faire des idées, je te repousse pas, j’ai juste moins le temps en ce moment… Et je suis pas mal sur les nerfs, avec tout ce qui se passe. C’est juste une période, laisse-moi juste un peu de temps, ok ? Tout redeviendra bientôt comme avant »

Roy ne pouvait pas faire grand-chose de plus que de lui promettre qu’il pouvait gérer et arranger les choses. Mais surtout, ne pas entrer dans les détails.

Roy haussa les sourcils, entre incrédulité et amusement face à la réaction de son meilleur ami. Ils avaient frôlé l’incident diplomatique. Bien sûr, Klemens n’en ratait jamais une pour jouer le chaud lapin, mais ce n’était qu’un détail, et Roy fut plus soulagé qu’autre chose de le voir plaisanter.

« Mouais, parfois, je me demande si tu fais pas exprès de tirer la tronche, juste pour m’entendre dire ce que tu veux. »

Lorsque Klemens revint s’asseoir à son canapé, Roy l’avisa quelques secondes, debout. Ils étaient le huit novembre, le soir-même devait avoir lieu un concert aux Folies Sorcières qui était sensé accueillir pas mal de monde. Tout poussait Roy à s’y rendre, sauf un détail. Il avait jeté un coup d’oeil à la liste des participants, lorsque Mildred la lui avait présentée, c’était ce qui l’avait fait charger Jayce de surveiller le déroulement de la soirée à sa place. Car Roy préférait se tenir loin de tout évènement qui incluait Juliana, désormais.

Pourtant, s’il s’écoutait, au fond de lui, il savait qu’il avait envie d’y aller, de la voir, de l’entendre chanter. Même de loin, même si elle ne le voyait pas - il préférait d’ailleurs qu’elle ne le voie pas... Quelque chose semblait encore le pousser inexorablement vers elle.

Pensif, Roy reporta son attention sur Klemens. S’il y allait avec son meilleur ami, il pourrait profiter de la soirée, sans forcément penser à son ex, n’est-ce-pas ? Klem lui réclamait d’aller découvrir les Folies Sorcières, et après avoir frôlé la dispute, Roy n’avait pas le coeur à le lui refuser.

« On peut y aller tout de suite si tu veux. Le Tremplin vient à peine de commencer, normalement, dit-il en jetant un oeil à l’heure. Irving ne t’a pas mis au courant ? Il joue là-bas ce soir, en musicien amateur. »

Le commentaire de Klemens amusa Roy, c’était bien son genre, ça, de promettre plein de choses à ses amis, et d’en oublier la moitié, parce qu’il avait trop de volontés à satisfaire. Sans compter que l’organisation n’était pas son fort. Combien de fois avait-il posé un lapin à Roy, et prévenu au dernier moment, parce qu’il avait un imprévu de dernière minute ? Roy préférait dire « une conquête de dernière minute » d’ailleurs, il n’était pas dupe. Un sourire étira les lèvres du trafiquant, qui donna un coup à l’épaule de son meilleur ami, pour la forme.

« On pourra même aller leur mettre la pression dans les loges, si tu veux. T’es VIP, maintenant, mec » ricana t-il, en refermant la porte derrière eux.

Oui, cela lui avait manqué de profiter d’une soirée simple, sans prise de tête, sans magouilles avec Klemens.

FIN DU RP