Je krake, tu krakes, elles krakent [Juliana & Lilly]

Tout s'était déroulé si vite. A un moment, Lilly parlait avec Jensen, pour la première fois depuis des mots, et un instant plus tard, elle se retrouvait devant le restaurant, face à un homme mort, la baguette pointée vers lui. Et, lorsqu'elle s'était retrouvée chez Juliana, la jeune femme avait mis quelques secondes pour recomposer ce qu'elle venait de vivre. Elle avait été témoin d'un meurtre. Elle avait été complice d'un meurtre, à vrai dire. C'était elle qui avait attaqué l'homme la première, c'était par sa faute qu'il s'était retrouvé à terre, sans défense. Mort, il était mort.

Lorsque Lilly revint à elle, elle glissa un regard vers Juliana, sans savoir quoi dire. C'était fou, c'était complètement fou. Quelqu'un était mort : elles avaient tué ! Cette idée était aberrante, et pourtant, Lilly ne pouvait s'empêcher d'être rassurer. De ce qu'elle avait pu comprendre, c'était soit elles, soit lui. Égoïstement, elle était ravie d'être encore vivante.

"Tu as ta baguette avec toi ?" s'enquit Lilly d'une voix un peu rauque, avant de se racler la gorge. "Ce serait dommage de l'avoir laissé sur les lieux et qu'un Auror lance un Priori incantatum avec..." commenta-t-elle, incapable de dire autre chose.

Tout lui semblait irréel.

Les paroles de Lilly mirent quelques instants à pénétrer l'esprit de Juliana, qui finit par hocher la tête avant de tendre le bras. Sa main était serrée si fort sur sa baguette que ses jointures étaient blanchies et que ses ongles rentraient dans sa paume. Heureusement, Lilly avait l'esprit pratique et Juliana déduisit de ses paroles qu'elle n'avait pas l'intention de la dénoncer aux aurors. Elle se sentit aussitôt coupable de ressentir un tel soulagement à cette pensée. Quelle personne monstrueuse était-elle pour s'inquiéter de son propre sort, alors qu'elle avait commis un meurtre ? A vrai dire, maintenant qu'elle était en sécurité, elle pensait surtout à retourner au Triton pour s'assurer que les Hudson allaient bien, mais autant se jeter dans la gueule du loup.

Le visage grotesque de Gros Joe lorsque son sort mortel l'avait touché ne cessait de s'afficher devant ses yeux. Elle tourna un visage perdu vers sa compagne d'infortune.

"Qu'est-ce que je dois faire Lilly ? Bon sang, qu'est-ce que j'ai fait ?!"

Soudain, ses jambes ne la portèrent plus et elle se laissa tomber dans un fauteuil, prenant sa tête entre ses mains. Elle avait tué quelqu'un. Elle avait ôté sa vie, elle l'avait envoyé six pieds sous terre, jamais plus cet homme ne respirerait le même air qu'elle, jamais plus il ne l'appellerait jolies gambettes.

En était-elle désolée ? Pas vraiment. Désolée pour elle, désolée pour Lilly. Mais pas désolée pour lui...

Lilly sentit un immense soulagement s'emparer d'elle lorsque Juliana lui désigna sa baguette. Soulagement qui fut accompagnée d'une angoisse monstre qui lui coupa le souffle. Elle se laissa tomber face à Juliana, incapable de trouver une réponse à sa question. Qu'avaient-elles fait, Merlin, mais qu'avaient-elles fait ? Un homme était mort, mort !. Juliana l'avait tué, et elle était sa complice. C'était elle qui avait mit Gros Joe à terre, elle qui l'avait empêché de se défendre. Mais c'était lui, ou elles, songea-t-elle, alors qu'un long frisson lui parcourait l'échine.

"Tu... Je... On a tué cet homme." murmura Lilly en prenant sa tête entre ses mains.

Merlin, Morgane, Godric ! Elle souffla longuement, essayant de reprendre son souffle. Qu'est-ce que Charlotte ferait ? songea-t-elle. Charlotte ne se retrouverait sûrement jamais dans une telle situation, déjà. Oui, mais sinon ? Elle aurait gardé l'esprit clair, pour ne pas se faire repérer, pour masquer les traces.

"Il... Il va falloir qu'on y retourne, Julia. Quand les Aurors auront un peu mieux maîtrisé la situation, on y retournera. T'es serveuse au Triton, on m'a vu là-bas... C'est trop louche si on s'enfuit comme ça. En plus je dois retrouver mon ex fiancé, absolument." commença-t-elle d'un ton décidé, en priant de toutes ses forces pour qu'il ne lui soit rien arrivé. Elle saisit ensuite les mains de Juliana, et les serra fort dans les siennes. "Ca va aller, Julia, hein ? On va... On va s'en sortir, ok ? Faut juste... Faut juste qu'on masque les preuves avant." lança-t-elle, la gorge serrée.

Juliana redressa la tête pour plonger son regard dans celui de Lilly, qui lui serrait les mains. Venait-elle réellement de lui proposer de masquer les preuves ? Abasourdie, étreinte par l'émotion, Julia écouta le plan de la jeune femme en secouant la tête en signe de dénégation.

"Non, Lilly, c'est moi qui ai tué cet homme, tu n'as rien fait, tu te défendais juste", souffla-t-elle d'un ton incrédule. "C'est ma faute, entièrement ma faute, ne te sens surtout pas obligée de m'aider, je... C'est trop énorme, j'peux pas te demander ça ! T'as pas à en subir les conséquences avec moi !"

Juliana s'estimerait déjà heureuse que Lilly, employée du Ministère, ne la dénonce pas aux aurors avec qui elle devait fréquemment collaborer... Cette jeune femme était hors du commun. Serrant les mains de Lilly entre les siennes avec reconnaissance, elle ajouta :

"On va y retourner, oui, je suis d'accord, il y a ton ex et... Je dois retourner au restaurant. Mon meilleur ami... Merlin. Il ne peut pas mourir, s'il est mort... Non, il n'est pas mort. J'en suis persuadée."

Son regard flamboya de détermination, toute culpabilité s'envolant à l'idée que les petits camarades de l'homme qu'elle avait tué avaient peut-être fait exactement la même chose à Joel. Elle refusa de laisser cette pensée s'ancrer en elle. Elle devait croire qu'il était vivant, sinon elle ne s'en relèverait pas...

"J'étais là, Julia... J'étais à côté de toi, je lui ai lancé un sort, il était à terre par ma faute... Et j'ai pas essayé de le protéger quand tu as levé ta baguette vers lui, j'ai pas essayé de te dissuader... J'avais pas vraiment envie de te dissuader, à vrai dire." avoua Lilly. "Est-ce que je suis horrible, de penser ça ? C'était un individu épouvantable ! Il a tué des gens, torturé d'autres ! Je ne peux pas m'empêcher de me dire qu'il n'a eu que ce qu'il méritait..."

Elle ne parvenait pas à se sentir désolée pour l'homme. Elle se sentait coupable, oui, mais pas désolée. C'était étonnant, et, elle l'avouait, assez effrayant.

"Je vais pas te laisser seule, Julia... On a fait ça toutes les deux, quoique t'en pense... Et on va s'en sortir toutes les deux !" affirma-t-elle en hochant la tête. "Personne ne nous a suivi, c'est déjà le principal..." souffla la jeune femme en jetant un coup d'oeil par la fenêtre de l'appartement de Juliana.

"Qu'est-ce qu'on va faire ?" l'interrogea-t-elle ensuite, tout en se doutant bien que Juliana devait être aussi perdue qu'elle...

"Moi aussi, je me dis la même chose", répondit Juliana sombrement tandis que l'image de Gros Joe flottait devant ses yeux. "Je sais qu'il ne nous causera plus de mal, maintenant, mais... Je ne sais pas, il faudrait qu'on arrive à savoir ce qui s'est passé exactement, qui est exactement cet homme, et si on risque des représailles. Pour les aurors..."

Une grimace étira ses traits à la pensée des aurors. "Se cacher et fuir" était son premier réflexe, mais elle voulait désespérément croire que cet acte n'aurait pas de conséquences sur sa vie, qu'elle pourrait continuer à vivre comme avant. Se voir comme une fugitive... C'était irréel !

"Mon frère est auror mais je ne me vois vraiment pas lui en parler", répondit-elle d'un ton désolé. "Il va falloir attendre, j'imagine, attendre de savoir si quelqu'un m'a vu. Et si c'est le cas... Alors on avisera."

Ne pas penser au rétablissement de la peine de mort, s'intima Juliana, dont les mains commençaient à trembler. Ne surtout pas y penser. Comme un automate, elle se dirigea vers la cuisine pour préparer du thé, en une tentative un peu désespérée d'insuffler un peu de chaleur dans son âme. Merlin, ce qu'elle avait froid.

"Ma meilleure amie est Auror, je pourrais toujours essayer d'obtenir des informations..." lança Lilly, peu convaincue. Charlotte ne lui donnerait jamais des informations confidentielles du BDA, à moins qu'elle ne lui explique la situation. Elle pourrait, songea-t-elle en tentant d'imaginer la réaction de la jeune femme.

"Oui, oui, on... On avisera." approuva Lilly.

Elles aviseraient ? Ce plan lui semblait bien bancal, et pourtant elle était incapable d'en trouver un meilleur. Lilly était bien consciente que le massacre de Bristol aurait des répercussions, et, si l'homme qu'elles avaient laissé pour mort était bien le chef d'un gang, elles n'avaient plus qu'à prier pour que personne ne les soupçonne jamais. Avec un peu de chance, c'était ce qui allait arriver, songea Lilly en acceptant la tasse de thé que Juliana lui tendait. Elle entoura la tasse de ses mains pour tenter de les réchauffer. Ce contact la ramena brusquement à la réalité - à la dure réalité.

"On va s'en sortir, Julia." déclara Lilly, avant de se racler la gorge. "Il faut juste essayer... d'agir normalement." lança-t-elle. "Si on y arrive..."

"On va y arriver", souffla Juliana en serrant ses mains sur sa tasse fumante pour se réchauffer. "On n'a pas le choix de toute façon. Ecoute, voilà ce qu'on va faire, on va rester un peu ici le temps de se remettre de nos émotions et le temps que les choses se calment là-bas et puis on transplane à nouveau vers l'Allée, et on essaie de glâner les infos qu'on peut. Si quelqu'un nous interroge, on dira qu'on a eu peur et qu'on s'est enfuies, puis qu'on a voulu revenir pour s'assurer que nos amis allaient bien."

Ce plan lui paraissait un peu bancal mais c'était le seul qu'elle avait à proposer. Si Lilly en avait un meilleur, elle se rangerait à son avis sans problème. En attendant, Juliana avait bien besoin de se poser un peu le temps de réaliser ce qu'il venait de se passer. Son regard troublé se posa sur Lilly, évaluant la jeune Oubliator du regard, puis elle l'interrogea :

"Lilly... Tu crois que tu pourrais le faire, toi ? Tuer quelqu'un ? Si ce genre d'attaque arrivait à nouveau... et vu ce qui se passe en ce moment, ça pourrait."

Juliana avait un mauvais pressentiment. Après le Bloody Sunday en plein coeur de Londres, après cette véritable guerre des gangs au beau milieu de l'une des plus grandes villes magiques du pays, quelle était la prochaine étape ? Et pourquoi, pourquoi par Merlin fallait-il tout le temps qu'elle soit là ? Pure coïncidence, ou bien attirait-elle le chaos ? Juliana se sentait dangereusement prête à pencher pour la seconde solution...

"D'accord." souffla Lilly, dans un état second.

Elle avait encore du mal à réaliser tout ce qu'il venait de se passer, et elle n'opposa aucune résistance au plan de Juliana. De toute façon, elle était trop fatiguée, trop perturbée pour s'opposer à quoique ce soit. Elle hocha donc la tête, et avala une gorgée de son thé. La sensation de chaleur lui fit du bien, et elle reporta son attention sur Juliana qui la questionnait.

"Je ne sais pas... Je pense que oui." avoua-t-elle. "Ce mec était une telle pourriture ! C'était soit lui, soit nous ! Et puis... J'ai l'impression que cette guerre des gangs, ce n'est que le début de tout." affirma Lilly en sentant un frisson lui parcourir l'échine.

Quelque chose lui disait que ce n'était pas l'intervention des Aurors qui mettrait un terme à tout cela - loin de là, même. Cette explosion allait laisser trop de traces pour qu'elle puisse être oubliée. Le monde sorcier n'avait jamais connu autant de crises depuis bien longtemps...

"Tu penses que le Ministère va faire quelque chose ?" interrogea Lilly, d'une voix morne.

Juliana plongea ses lèvres dans son thé, le temps de méditer la réponse de Lilly. Oui, cela sonnait bien comme le début de tout... Un frisson lui parcourut l'échine.

"Oui", répondit-elle à la question de Lilly, son regard se durcissant. "Oui, le ministère va faire quelque chose, c'est obligé... Entre ça et le Bloody Sunday... Ce n'est pas comme s'ils avaient le choix. Mais ça ne me dit rien qui vaille. C'est à croire que le pays va sombrer dans la guerre civile !"

Et si c'était le cas, elle ne resterait pas les bras croisés. Si ce qui s'était passé aujourd'hui lui avait appris quelque chose, c'était qu'elle était capable de se battre, de se défendre, et même d'attaquer. Et ce n'était pas la motivation qui manquait. La jeune femme s'efforça néanmoins de garder ses pensées pour elle, par égard pour Lilly qui devait être passablement choquée de ce qu'elle avait vu aujourd'hui. Juliana, elle, se sentait dans un état second, comme si sn corps était saturé d'adrénaline et que son esprit oscillait entre panique, colère et consternation.

Poussant un lourd soupir, Juliana posa une main sur l'avant-bras de Lilly, cherchant à attirer son attention.

"Je suis vraiment désolée de t'avoir attirée dans tout ça, Lilly."

"Le Ministère a pourtant une grande tendance à fermer les yeux sur tout ce qu'il se passe dehors..." lâcha Lilly. Elle n'avait toujours pas digéré le Bloody Sunday. Ni, même, si on remontait plus loin dans le temps, l'année des ténèbres, lorsque le Ministère était tombé aux mains de Voldemort.

Mais il allait bien falloir que quelque chose soit fait ! Les politiciens ne pouvaient pas fermer les yeux sur tout ça ! Ce n'était pas possible ! Ils ne pouvaient pas encore faire taire la population à coup de promesses et de paroles rassurantes ! Cela avait peut-être fonctionné un temps, lors de l'arrivée de Leopold Marchebank au pouvoir, mais ce n'était plus possible, dorénavant. Les sorciers étaient trop en colère - ou trop apeurés - pour laisser passer ça. Et Lilly savait bien que s'il y avait un mouvement de contestation, elle serait sur la ligne de front, amant au pouvoir ou pas.

"Tu n'y es pour rien, Juliana !" lança Lilly en vrillant son regard dans le sien. "Je t'ai suivi dehors, et je ne t'ai pas empêché de le tuer, alors que je savais très bien, au fond de moi, ce que tu allais faire... J'ai cautionné ton acte, et je le cautionne toujours, Julia. Tu n'as pas à t'en faire pour ça, vraiment, c'est... ma décision." affirma Lilly. Oui, c'était sa décision, même si elle lui pesait déjà.

"Je suis d'accord. C'est vraiment n'importe quoi, on va droit au mur. Il faut faire quelque chose", lâcha Juliana dont le regard se durcit.

La jeune femme sentit quelque chose d'étrange se produire quand Lilly lui répondit, en vrillant son regard dans le sien. Comme une sorte de connivence qui se nouait entre elles, une complicité dans les deux sens du terme, qui venait de les unir. Oui, un lien fort existait désormais entre elles, leur assurant d'avoir une partenaire du crime, un soutien dans la transgression des règles, dans la lutte contre les injustices. Juliana n'était pas assez lucide ni clairvoyante, à cet instant, pour comprendre les enjeux de ce qui venait de se tramer dans cette pièce, mais elle y repenserait plus tard comme le moment qui avait vu naître ce que l'on appellerait plus tard le Kraken...

Posant la main sur le bras de Lilly, elle le serra avec reconnaissance et répondit :

"Merci pour cette décision, alors, Lilly. Je crois que nous n'avons pas à la regretter. Ce qui est fait est fait, il faut regarder vers le futur, maintenant. Et le futur ne me dit rien qui vaille... Quelque chose me dit que ce n'est pas la dernière fois que nous aurons à prendre une décision difficile."

Un flash de son enfance lui revint alors en mémoire, assombrissant son visage. Elle revoyait ses parents, sur le quai de Poudlard, la laissant partir pour le château au début de l'année des Ténèbres. Non, ce ne serait pas la dernière décision difficile... Ni la première. C'était leur monde, c'était leur vie, qu'elles le veuillent ou non. Alors autant commencer à l'assumer.