Roy déposait son stock de Whisky pur Feu sur sa table lorsque la sonnette de sa porte retentit. N’ayant aucun doute sur la personne qui venait lui rendre visite, puisqu’il l’avait invité et qu’il était à l’heure -pour une fois- Roy s’écria que c’était ouvert. Il ramena deux verres, un bol de cacahuètes pour parfaire leur petit apéro improvisé avant de lever un visage joyeux vers son meilleur ami :

« Hey le ramoneur ! le salua t-il en lui frappant dans la main avec un grand sourire complice. Comment ça va, mec ? »

Il ne l’invitait plus à s’asseoir, Klemens faisait comme chez lui, à présent, même si ce n’était plus chez lui. Quelques jours plus tôt, il lui avait annoncé qu’il avait trouvé du boulot aux Transports Magiques. Réseau de Cheminettes, Magicobus ou Portoloins, peu importait où Klemens avait été affecté, le constat était le même : enfin un travail honnête ! Roy l’avait bien entendu félicité, mais les lettres et les Patronus avaient leurs limites. Il lui avait proposé de venir chez lui après sa première journée de travail, pour qu’il lui en dise des nouvelles, et pour le féliciter plus chaleureusement, chose qu’il fit très vite d’ailleurs :

« Encore bravo pour ton boulot, mon pote ! s’exclama t-il, avec un léger coup amical à l’épaule. Ca y est, une piaule propre, une paye honnête… T’es rangé maintenant, ricana t-il. Alors, ça s’est bien passé ? »

« Bien, bien, répondit machinalement Roy, évasif sur les détails de sa vie qui comprenaient entre autres quelques conflits sanglants dans la Voie, ces derniers temps. Klemens n’avait pas besoin de savoir ça. Honnêtement ? Tu me manques pas autant que moi j’te manque. Avoue que c’est le foutoir chez toi, sans moi. »

Sans être maniaque, Roy aimait quand les choses étaient à leur place, concept que le loup n’avait jamais intégré, mais bon, leur colocation était terminée, et cela avait l’avantage que chacun retrouve ses vieilles habitudes. Il versait un verre de whisky pour Klemens quand ce dernier apporta la nuance sur le fait qu'il n'était pas complètement casé. Il lui lança un coup d'oeil, fut rassuré de voir que le regard entendu ne cachait pas de malaise. Sur Valery, par exemple.

« Ouais, aux célibataires, on est bien mieux comme ça » trinqua t-il.

Et ce n’était même pas par aigreur qu’il disait ça, il était sincère. Sa dernière mise en couple en date s’était cassée la figure au bout de deux mois, il n’avait pas la moindre envie de réessayer, il était bien mieux dans son train de vie sans attaches. Roy finissait son verre lorsque Klemens lança une phrase qui faillit le faire avaler de travers.

« Jason ? C’était bête, mais… il avait oublié ce détail, tiens. Son petit frère travaillait en effet au RPC. Ah ouais… Et alors ? Il est toujours aussi chiant ? »

S’il avait cru que ce serait un jour par Klemens qu’il aurait des nouvelles de son frère…

Roy n’avait jamais vraiment parlé de Jason avec Klemens, se rendit-il compte. Ils avaient évoqué le sujet, un jour, il s’en souvenait, mais il ne lui avait pas raconté grand-chose. Il ne disait que peu de choses à propos de sa famille, c’était un sujet qu’il valait mieux ne pas aborder quand on voulait garder un Roy de bonne humeur. Lorsque Klemens expliqua qu’ils n’avaient parlé que boulot, un léger sourire narquois se dessina sur ses lèvres.

« C’est ce que je dis, il est chiant. »

Entendre Klemens le démentir fit hausser les épaules à Roy. A ce moment-là, après quelques secondes de réflexion, le trafiquant voulut bien reconnaitre :

« J’imagine qu’au boulot, personne ne lui reproche rien, il est du genre à faire les choses proprement. Un conseil, ne lui dis pas que tu me connais, si tu veux rester dans ses bonnes grâces, ricana t-il, un peu jaune toutefois, parler de ses relations tendues avec Jason était toujours délicat. M’enfin. T’as raison. Clairement, il est pas aussi psychopathe que ton frangin. »

Ce fut sur une grimace que Roy conclut. Il se souvenait encore -avec une certaine délectation- des coups qu’il avait donnés à ce Jacek, l’unique jour où il l’avait vu. C’était quelques jours seulement après sa rupture avec Juliana, à un moment où il ne fallait pas le chercher. Jacek avait été tellement odieux avec Klemens, sous ses yeux, que Roy n’avait pas pu se retenir de lui casser la gueule.

« J’espère qu’il a pas retrouvé sa figure d’ange depuis la dernière fois, tiens, il était plutôt pas mal, son portrait réarrangé. »

Roy grommela quelque chose comme « ‘spèce d’ingrat » à la boutade de Klemens. Pas sûr que Jason aurait médit avec lui, en plus. Cela faisait quelques années qu’il mettait un point d’honneur à éviter de parler de son frère aîné. La proposition que le loup finit par émettre fit hausser les sourcils de Roy, de surprise.

« T’es pas sérieux ? » rit-il.

Et pourtant… Si. C’était bien une lueur de sérieux qui se cachait derrière ce regard moqueur, Klemens ne l’aurait pas. Le rire du trafiquant s’évanouit bien vite.

« C’est… sympa de proposer, mais ça va, t’inquiète. »

Tiens, drôle de constater comme Roy réagissait de façon similaire à Klemens, quand les rôles étaient inversés et que c’était lui qui lui proposait son aide. Roy lâcha un petit soupir. C'était peut-être le moment de lâcher quelques détails.

« On a toujours été comme ça, en fait. On s'entendait pas, même quand on essayait de faire un effort, y avait toujours un truc pour qu'on finisse par se disputer. Forcément, on se sentait tout le temps en concurrence, tu sais ce que c'est. Ca n'a rien arrangé que je commence mes trafics. Ca fait huit ans qu’il sait que je vais pas arrêter, et il l’accepte toujours pas. Une nouvelle fois, il haussa les épaules. Y a encore plus têtu que moi, y a Jason. Cela dit, il a arrêté de me faire la morale depuis un bout de temps, mais du coup, c'est le silence total... Toutes les personnes qui ont essayé de nous arranger ont vite laissé tomber, je te préviens. Un léger sourire vint nuancer son constat. Enfin, sauf mon autre petit frère, mais je crois pas que t’as sa touchante patience. »

« C’est ton frère quand même ». La phrase que Roy avait entendu mille fois à propos de Jason. Et lui, il n’était pas son frère, peut-être ? Pourquoi Adrian, Irina, même ses parents, avaient accepté ce qu’il était, et pas Jason ? La vérité, c’était que Roy ne savait pas comment s’y prendre, avec lui. Ils avaient toujours nourri une relation faite d’incompréhensions, depuis tellement d’années qu’il était devenu compliqué d’en sortir. C’était toujours la faute de l’autre.

« Je baisse trop vite les bras ? Ca fait huit ans, Klem. Non, attends. Vingt-sept, corrigea Roy, railleur, c’était bien l’âge de Jason après tout. Il posa un nouveau verre face à Klemens, un peu trop fortement. Même toi t’es rien comparé à l’espèce de mur qu’il est avec moi, alors ouais, j’ai laissé tomber l’idée de me cogner contre. Et je suis pas le seul à avoir abandonné, lui aussi. Tu sais quoi ? C’est pas plus mal, au moins maintenant, on se fiche la paix tous les deux. »

Et Merlin savait comme il tenait à sa tranquillité. Roy croisa les bras avec défiance, mais sans colère.

« Me dis pas que tu peux pas comprendre. Toi aussi, t’as préféré couper les ponts quand tu es devenu quelqu’un d’autre aux yeux de ta famille. »

Où était la différence quand on savait que Klemens n’avait jamais revu les siens depuis qu’il s’était fait mordre, par honte de ce qu’il avait fait, de ce qu’il était devenu ? Roy ne se considérait pas comme un monstre, toutefois. En fait, il ne vivait pas si mal le fait d’être un hors-la-loi, il n’avait aucun problème de conscience avec… Tant que les regards désapprobateurs de sa famille se tenaient loin de lui.

Roy ne voyait pas en quoi c’était si incomparable, sa famille lui avait tourné le dos également, et il avait préféré s’en éloigner, exactement comme Klemens. Il n’insista pas, pourtant. Klem avait eu cet espèce de tic qu’il était le sien quand il se crispait, Roy préférait ne pas poursuivre dans cette direction. Il ne l’avait pas invité pour qu’ils s’embrouillent, ce n’était pas lui qui avait lancé le sujet, d’ailleurs.

« Si tu le dis, concéda t-il. Je critique pas tes choix, mec, enfin, tu sais déjà ce que j’en pense… Je sais que c’est compliqué, surtout maintenant que je connais ton frère. Mais tu connais pas encore le mien, crois-moi juste quand je te dis que c’est compliqué aussi. »

Il espérait clore la discussion là-dessus et reprendre le cours de sa soirée sans prise de tête qu’il avait prévue. Cela faisait deux bonnes semaines qu’il n’avait pas vu Klem, mais il y avait certains automatismes qui se retrouvaient vite. Siffler une bouteille de whisky pur Feu ensemble, par exemple, mais d’autres choses qui avaient l’habitude de rythmer leurs soirées.

« Allez, ça suffit les sujets chiants. Il se leva, se dirigea vers une boîte posée sur l’une de ses étagères, que Klemens connaissait bien, puis se tourna vers lui avec un sourire en coin pour proposer : Poker sorcier ? »

Un sourire railleur étira les lèvres de Roy quand Klemens lui demanda s’il lui restait de la mandragore.

« Hé, tu me prends pour un dealer en carton ? »

Il ne gardait pas ses stocks chez lui, bien sûr, il n’était pas fou, mais il avait toujours quelques sachets dissimulés, à usage personnel. La mandragore passait toujours bien, pour des soirées entre amis, et c’était indispensable autour d’une table de poker. Sur cette question, Klemens et lui étaient parfaitement sur la même longueur d’onde. Il le laissa rouler des joints, pendant que lui-même battait les cartes. Ils ne pariaient pas toujours de l’argent réel quand ils jouaient ensemble, mais ce soir, Roy avait bien envie de tenter le diable, et puis, cela rendait les parties bien plus excitantes.

« J’espère qu’ils te payent bien à ton nouveau taf, parce que je vais te plumer, mec, ricana t-il. Et pose ta baguette sur la table, hein. Je sais très bien que tu peux pas t’empêcher de tricher au bout de deux parties. »

Main peu glorieuse, mais pas perdue non plus, songea Roy en avisant sa Morgane de lune et son six de plume. Si Klemens était le genre à jouer l’impassible, Roy, lui, était plutôt le style à arborer une mine légère et souriante, comme si tout allait bien, même quand ça allait mal. Le geste que fit son ami avec ses cartes le fit hausser un sourcil sceptique.

« Hé ho, ça va, je suis plus discret quand je triche, quand même. » ricana t-il.

Roy reposa ses cartes à côté de sa baguette, misa après Klemens, puis sortit trois cartes qu’il posa sur la table. Sept de plume, six de lune et huit de lune. Un joli début de suite, qui ne pourrait mathématiquement pas se marier avec sa Morgane malheureusement. Mais il détenait une paire de six, dorénavant, c’était déjà ça. Confiant, ou plutôt volontairement démonstratif d’une confiance toute relative, il relança le double de ce que Klemens misa. Une façon comme une autre de lui mettre la pression, avant de dévoiler une quatrième carte.

« Allez, sors tes gallions, Klemichou, comment t’es radin ! »

Sa main était posé sur la mise, pour brûler une carte, avant de dévoiler la suite de leur jeu…

Un Farfadet de plume tomba. Roy ne laissa rien paraître, mais cela ne l’arrangeait pas beaucoup. Il n’avait qu’une paire, ce n’était pas grand-chose. Par chance, ce n’était pas à lui de miser, il attendit donc de voir ce que ferait Klemens avant d’aviser…

Et pour son plus grand bonheur, le loup préféra se coucher. Roy haussa les sourcils d’étonnement, tandis qu’un grand sourire victorieux s’étalait sur ses lèvres.

« Tu te couches ? Sérieusement ? »

Rien de tel pour savourer une victoire que de charrier son adversaire. Roy ne s’en priva pas.

« Ah, Klemens, Klemens… Il prit les jetons de son ami, qui étaient les siens, désormais, d’un geste presque amoureux. Qu’est-ce que j’avais dit ? Ne pas jouer contre le vrai grand méchant loup. Et hop, ta première journée de travail dans ma poche. Pas trop vexé ? »

Roy ponctua la question d’un petit ricanement, puis s’empara de ses deux cartes qu’il avait laissé face cachée, sur la table. Il les agita juste sous le nez de Klemens, satisfait de pouvoir en rajouter une couche.

« Avoue que je suis fort, pour réussir à gagner avec une paire de six toute pourrie. »

« C’est ça, sois pas mauvais perdant, Klemounet ! » ricana Roy.

Il le regarda faire son petit manège avec sa bourse. Il finit par pouffer de rire quand il comprit qu’il ne faisait que quelques calculs mentaux pour voir s’il pouvait se permettre une autre partie de poker ou non. Son air en pleine réflexion profonde était assez drôle à voir, il fallait dire. Il se pencha vers la table et tendit le paquet de cartes à son meilleur ami.

« Bon allez, on en fait encore quelques unes mais sans miser, je veux pas te ruiner non plus. Vas-y, je te le laisse battre les cartes. »

Ils continuèrent ainsi à enchaîner les parties, à surenchérir les revanches selon que l'un ou l'autre gagnait, presque jusqu’au petit matin, entre de grands éclats de rire, des protestations, des insultes bien senties, le tout sous un nuage de fumée odorante de mandragore. Bref, leurs belles habitudes.