Charles était parti depuis un moment déjà, les boutiques de l’Allée des Douze Chênes se vidaient et les bars se remplissaient. Alexandra sortit la grosse clé en fer forgé de sa poche et la glissa dans la serrure, elle murmura les quelques enchantements de protection habituels, une nouvelle journée se terminait. Alex rêvait de s’écrouler dans son petit salon rouge avec un bon bouquin et éventuellement un bière fraîche à la main. Quoique ce soir, il faudrait plutôt qu’elle prépare la prochaine réunion de l’OFFRE.

Alors qu’elle avançait d’un pas pressé, une silhouette attira son regard. En parlant de l’OFFRE, en voilà une de ses représentantes : Elena. Une jeune fille sympathisante de la première heure, une de celles qui ne rataient jamais une réunion et qui était toujours très vindicative. Alex savait qu’elle la suivrait si jamais une action plus violente voyait le jour. Malheureusement, Alex n’était pas sûre de pouvoir compter sur elle.

Idéologiquement, elles étaient sur la même longueur d’onde mais Alex avait rapidement compris qu’Elena n’avait pas toujours l’esprit très clair. Elle la soupçonnait depuis longtemps de consommer de la racine de Mandragore ou autres substances assimilées. Elle avait essayé de lui en parler un soir après une réunion où la jeune fille n’avait vraiment pas semblé être en pleine possession de ses moyens et depuis ce jour, Alex gardait gravé dans sa mémoire le regard perdu et désespéré d’Elena alors qu’elle lui soutenait que tout allait bien. Alex avait le bien-être de ses camarades de lutte très à cœur —après tout, sans elles, l’OFFRE ne serait rien— et s’était promis de faire tout ce qu’elle pouvait pour l’aider. Le jour semblait venu.

Alex avait déjà commencé à la suivre alors qu’Elena semblait tout faire pour disparaître dans l’ombre qu’offrait la nuit tombante. Les deux femmes s’éloignaient de plus en plus des zones passantes des Douze Chênes pour entrer dans les recoins plus malfamés. Elena entra dans une vieille librairie qui tombait en ruines, la façade était fissurée et les vitres brisées mais mystérieusement, l’intérieur restait d’un noir impénétrable. Alex soupira, elle attendit quelques secondes puis pénétra dans l’établissement.

Les bibliothèques étaient écroulées, des livres jonchaient le sol, la poussière couvrait les lieux, un incendie avait détruit une partie du comptoir. Elle s’avança vers une des bibliothèques écroulées, ses pas ne faisaient aucun bruit et un sortilège maintenait la poussière au sol, jamais personne ne se serait douté qu’elle venait de traverser la pièce. Elle se pencha, glissa son doigt le long d’une étagère jusqu’à sentir sous la pulpe de son index le V et le M entrelacés. Elle murmura le sortilège habituel et elle disparut.

La désagréable sensation de tiraillement au nombril l’énerva, vraiment, elle n’aimait pas se rendre dans la Voie des Miracles. Elle se souvenait encore de la première fois où elle y était allée, accompagnée de son mentor chez les Mardoliens. Elle avait été impressionnée par le soin porté à dissimuler le lieu mais avait mieux comprit ce besoin lorsqu’elle avait vu quel genre d’individus le fréquentaient. Au fil de ses années chez les Mardoliens, elle s’était peu à peu habituée à s’y promener mais y entrer était toujours source de crispation. Toutefois, elle n’était pas là pour cela aujourd’hui.

A l’inverse de ce qui se passait sur l’Allée des Douze Chênes, la Voie des Miracles s’éveillait. Des individus aux allures louches se promenaient, certains cachés dans de grandes capes, d’autres le visage à découvert comme défiant quiconque de divulguer leur identité en dehors de ce lieu atemporel. Alex se fit aussi discrète que possible, instinctivement, elle laissa la gentille apothicaire au placard pour redevenir une mardolienne jouant à cache-cache.

Elena semblait approcher du but, ses coups d’œil se faisaient plus nerveux et elle avait inconsciemment pressé le pas. Elle bifurqua rapidement dans une ruelle sombre, Alex faillit la perdre de vue mais elle vit son mouvement au dernier moment. Elle rejoignit la ruelle et s’y glissa discrètement. Elle détacha ses cheveux pour se cacher derrière ses mèches blondes et resserra sa cape d’été. Le visage ferme et impassible, elle s’approcha.

« Vous avez ce qu’il me faut ? »

Les soupçons d’Alex furent confirmés lorsque l’homme sortit de sa poche un petit paquet de poudre. Le sang d’Alex ne fit qu’un tour, révoltée face à ce qu’elle voyait : Elena détruisait sa vie et cet homme infâme la poussait allégrement à sa perte. Elle n’avait jamais compris ce qui pouvait pousser les gens à se droguer ; lorsqu’elle avait été au plus mal après sa rupture, elle avait pensé un moment à oublier dans l’alcool et autres substances néfastes mais elle avait résisté et avait transformé son désespoir en rage, elle voulait prendre sa revanche sur la vie et ne pas se laisser bouffer par elle comme le faisait actuellement Elena. Alors aujourd’hui, elle voulait aidé Elena pour qu’elle aussi ait la chance de trouver un moteur la poussant à s’en sortir.

Avant d’agir, elle observa son adversaire. Physiquement, elle ne serait pas trop désavantagée, c’était un homme, certes, mais de taille plutôt moyenne pour ne pas dire petite, il devait être à peine plus grand qu’Alex, ce qui n’était pas peu dire. Si la situation dégénérait, elle aurait surement l’avantage de la surprise et après avoir tâter l’une des poches intérieures de sa cape, elle fut rassurée de constater que ses potions étaient bien là.

Pendant qu’Alex scrutait le visage de l’homme typé latino, Elena sortait de sa poche quelques pièces. Il fallait agir : maintenant ! Alex s’approcha encore un peu et s’exclama d’une voix coupante :

« Range ça tout de suite Elena ! Tu n’as pas besoin de toutes ces fientes de hiboux, tu vaux mieux que ça ! Je peux t’aider si tu veux, je sais que des fois la vie n’est pas facile, que tout te semble trop dur mais on peut s’en sortir, d’accord ? »

Elle s’était peu à peu approchée de la jeune fille comme on s’approche d’un animal blessé, sans oublier de lancer à intervalle régulier des petits coups d’œil en direction de l’homme pour vérifier ses faits et gestes. Elle posa doucement sa main sur l’épaule d’Elena et lui adressa un sourire réconfortant, puis elle redressa la tête et darda un regard noir sur la crapule :

« Vous ! Vous n’avez pas honte de profitez ainsi de la faiblesse d’une gamine ! Vous n’avez pas mieux à faire de votre vie que de détruire celle des autres ? Vous et les hommes de votre espèce, vous me répugnez ! »

Elle cracha les derniers mots en espérant ainsi faire réagir l’homme, c’était sans doute vain d’essayer de le changer mais c’était plus fort qu’elle, en bonne ancienne Gryffondor, elle voulait défendre la veuve et l’orphelin.

La nuit tombait sur la Voie des Miracles, qui fonctionnait selon sa routine habituelle. Roy se fraya un passage parmi les sombres ruelles, capuche sur la tête, sans que personne ne cherche à voir son visage. La règle était tacite dans ce lieu hors du temps : l’identité de chacun devait être préservée, pour le bien commun de leur communauté de malfrats. Fermer les yeux sur les affaires des autres était encore la meilleure façon d’éviter les fuites et les malheureuses dénonciations. Bien sûr, la seconde règle était qu’une fois hors des murs de la Voie, aucun d’eux ne se connaissaient.

Roy marchait donc sans grande crainte, toutefois mécontent de la tournure des évènements. Il n’aurait pas dû être là, à marcher avec de la mandragore dans les poches, ce n’était plus son boulot. Mais déléguer à certains incapables l’y forçait parfois, il faudrait qu’il fasse un sérieux ménage dans ses collaborateurs. Une énième jeune cliente, comme il en avait des dizaines, se présenta enfin à lui, au détour d’une ruelle. Elle devait sans doute participer elle aussi à quelques affaires frauduleuse, pour connaître l'entrée de la Voie, ce n'était pas une simple cliente. Rien qu’à sa tenue, Roy comprit qu’elle était l’un de ces stéréotypes navrants de jeune femme perdue, qui se cherchait une identité dans la provocation. Il ne savait quel drame lui était arrivé pour qu’elle en arrive à se droguer, il n’en avait cure, en vérité. Tant qu’elle lui achetait des produits, il ne cherchait pas à en savoir plus.

Leur transaction n’aurait pas dû durer plus de quelques secondes, Roy n’aimant pas perdre de temps dans ces cas-là. Mais au moment où sa cliente s’apprêtait à le payer, un éclat de voix les interrompit, et il remit le sachet dans sa poche, par réflexe. Une femme, qui lui parut avoir son âge, s’élançait vers eux, en clamant des choses que le trafiquant ne comprit pas tout de suite. D’où sortait-elle ? Dans quel genre de mauvais polar se croyait-elle pour bondir d’un coin et venir jouer les justicières de cette façon ?

Une chose était certaine, ce n'était pas une Auror, autrement, elle aurait dégainé sa baguette au lieu de clamer des leçons de morale. Ses paroles laissaient deviner qu'elle était simplement amie avec sa cliente, et qu'elle souhaitait l'aider. Roy pouvait se détendre, même s'il était agacé d'être dérangé de cette façon. La situation avait quelque chose de drôle; toutefois. La naïveté flagrante dans les paroles de la blonde –mais oui, la vie n’était pas facile, première nouvelle !- et sa stupide accusation réussirent à tirer un sourire moqueur à Roy, qui avisa la corpulence de son interlocutrice. Non seulement elle était une femme, mais en plus, elle était toute menue. Elle devait être sacrément téméraire ou stupide pour se jeter ainsi dans la gueule du loup, en lui lançant un regard effronté, en plus. Si Roy n’était pas homme à aimer le culot, sans doute l’aurait-il remise à sa place sans craindre d’user de violence. Pour le moment, l’aplomb et la conviction de cette jeune femme l’amusait plus qu’autre chose, et il n’avait qu’une envie, c’était de la tourner en dérision. Il s’appliqua même à mettre un peu de drame dans son ton :

« Détruire la vie des autres, rien que ça ? Oh mais tu vas finir par me faire pleurer, je ne me rendais pas compte que j’étais si cruel. Heureusement que tu es là pour remettre les méchants bonhommes dans le droit chemin avec le pouvoir de l’espoir ! Désolé mais tu t’es trompée d’endroit, le monde des licornes enchantées, c’est pas par ici. »

La mine tranquillement railleuse du trafiquant avait de quoi faire sortir de ses gonds une femme de ce tempérament, mais Roy s’en moquait bien. Il n’avait rien à craindre de ce genre de moustique qui venait le… gronder ? comme s’il avait encore quatre ans. Il poursuivit sur sa lancée, un peu moins rieur cette fois, la plaisanterait durait bien assez après deux minutes :

« Il me semble que ta copine est grande et parfaitement responsable de ses actes. Tu peux penser ce que tu veux, je m’en fiche, mais t’es gentille, tu ne viens pas déranger des affaires qui ne te regardent pas. »

Et il agita la main, l’air de dire, « va donc te trouver un autre terrain de jeu ».

Alex ne supportait pas le regard que l'homme lui lançait, clairement moqueur comme si sa présence n'était qu'une distraction de plus dans sa petite journée de magouilles. Elle préféra toutefois se concentrer sur Elena dans un premier temps, lui servant quelques belles phrases dans l'espoir de la faire réfléchir. Elle voulait vraiment l'aider et lorsqu'elle disait que la vie n'était pas toujours facile, ce n'était pas qu'une phrase vide de sens, Alex avait souffert ces dernières années. Bien sûr, pour beaucoup, une "simple histoire de coeur" n'était pas une épreuve assez grave pour justifier l'état dans lequel elle avait été mais c’était ainsi qu'Alex l'avait vécu. Pour la jeune femme, ça avait tout détruit, ça avait détruit sa vision du monde, son futur, le monde dans lequel elle pensait vivre et surtout ça l'avait détruit elle, piétinant son caractère pour la laisser désemparée. Elle s'en était remise… Plus ou moins… Encore aujourd'hui elle luttait pour garder la tête haute mais elle n'avait pas oublié, certainement pas, au contraire, ses actions politiques étaient en grande partie dues à cet épisode. Alors lorsque l'inconnu ouvrit la bouche, Alex crut qu’elle allait l’étriper.

Son ton… Tellement condescendant, tellement moqueur, comme si elle n’était qu’une petite fille insignifiante pleine de rêves qui ne connaissait rien à la vie. Elle aurait voulu lui mettre son poing sur le visage pour le faire taire ou lui lancer une potion de son cru, une potion bien vicieuse dont il aurait longtemps gardé des séquelles. Cependant, il fallait qu’elle se contienne, elle était consciente que si le combat s’engageait, l’homme aurait certainement le dessus et ce n’est pas en se faisant ridiculiser par le dealer qu’elle allait aider Elena. Elle se contenta donc de vriller sur lui son regard le plus noir en attendant qu’il finisse son petit discours et manqua de s’étouffer de rage lors de ses dernières paroles :

« Ah bon ? La Voie des Miracles n’est pas le refuge des jolies licornes roses qui font caca des arcs-en-ciel ? Quelle surprise ! Moi qui pensais pouvoir en saluer une… A la place je rencontre un abruti qui se croit meilleur que tout le monde. Mais je vais t’apprendre mon p’tit gars ce n’est pas parce que tu vends de la racine de Mandragore à une jeune fille perdue que t’es un gros dur, ça fait juste de quoi un minable qui profite de la détresse des autres pour s’enrichir… Pas très glorieux… »

Alex aurait bien continué à incendier l’homme encore quelques minutes mais elle préféra se contenir dans un sursaut de son instinct de survie. Quoiqu’elle en dise, l’homme fréquentait la Voie des Miracles, ce n’était certainement pas un enfant de cœur et elle tenait un minimum à la vie. L’homme semblait d’ailleurs vouloir conclure cette affaire au plus vite puisqu’il chercha à la faire partir. Malheureusement pour lui, son ton moralisateur donnait envie à Alex de rester encore longtemps, rien que pour l’embêter et lui faire ravaler sa morgue, et lorsqu’il agita la main comme on repousse un nuisible elle ne put retenir un sourire railleur. Ah oui, il le prenait comme ça ?

« Tu sais quoi ? Je suis très bien ici, je ne vois pas pourquoi je bougerais, après tout, je suis en si bonne compagnie. »

Son visage redevint sérieux et elle lança tout en regardant à intervalles réguliers Elena qu’elle avait un peu délaissée :

« Elena est mon amie et je pense au contraire que j’ai tout à fait ma place à ses côtés. Et je crois qu’il suffit de lui jeter un coup d’œil pour comprendre que non, elle n’est pas responsable de ses actes. Elle est complétement sous l’emprise de ce que tu lui vends allégrement mais c’est bête pour toi, je suis là, et tu ne lui vendras rien du tout. Alors, je te conseille de remballer ta marchandise et de disparaître au plus vite. »

Au fil de ses paroles, son ton c’était durci jusqu’à devenir clairement menaçant… Peut-être pas une bonne idée ça…

Les Bristoliennes étaient connues pour ne pas garder leur langue dans leur poche. C’était comme ça, il y avait des villes sorcières en Angleterre avec une réputation de gueulardes, comme la cité Nimbus. Roy devait reconnaître que le spécimen qu’il avait en face de lui était particulièrement culotté. Cela tombait bien pour elle, il appréciait le culot. Il fallait être inconsciente pour venir chercher des noises à un trafiquant, sur son terrain-même. Roy n’était en effet pas un enfant de chœur, mais il voulait bien continuer à jouer un peu avec elle, ne serait-ce que pour voir si une once de prudence la retiendrait, ou si elle était définitivement stupide. Nullement impressionné, ni même vexé par les reproches qu’elle lui adressait, il ne fit que la provoquer un peu plus, sans se départir de son sourire condescendant :

« Et donc, qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Ton avis, je m’en carre. J’attends pas l’approbation de ta sainteté pour vendre ma mandragore, tu peux garder tes leçons de morale à deux Noises. Surtout que tu dois pas être super clean non plus pour connaître l’entrée de cette Voie… Remarque, tu m’as plutôt l’air de t’être perdue. Tu peux retrouver le chemin du retour toute seule ou tu préfères que je te tienne par la main ? »

C’était la version gentillette pour la faire déguerpir –en la rabaissant au passage, tant qu’il y était-, il fut plus ferme ensuite en voyant qu’elle s’obstinait à ne pas bouger. Ce ne fut pas très efficace, non seulement elle déclara qu’elle ne comptait pas partir, mais elle eut en plus l’audace qu’elle allait l’empêcher de faire son affaire. Elle commençait à devenir franchement agaçante. Par Merlin, que lui voulaient les blondes en ce moment, à lui mettre des bâtons dans les roues ? Au moins, Roy avait sa réponse à présent : cette fille était définitivement idiote. Une petite mise au clair ne lui ferait pas de mal.

Il fit quelques pas vers elle, donnant sans doute l’impression par son regard menaçant qu’il allait lever la main ou la baguette sur elle, mais il n’en fit rien. Il ne comptait pas la brutaliser. Non pas qu’elle ne méritait pas une claque ou deux, mais Roy n’avait pas envie de dépenser de l’énergie pour si peu. L’effrayer un coup devrait suffire, songeait-il. Ses mots furent parfaitement froids et  articulés, désireux de bien laisser leur marque :

« Laisse-moi t’expliquer les règles, chérie, t’as pas l’air de bien les connaître. Y a deux types de personnes qui ne sont pas les bienvenus ici, les cafteurs et les moustiques insupportables dans ton genre qui se mêlent des affaires des autres. En général, on les fait rentrer chez eux avec une petite correction pour leur faire passer l’envie de revenir, mais je vais être gentil avec toi, je te ferai pas de mal si tu déguerpis rapidement. Crois-moi, c’est tout dans ton intérêt, ma belle, c’est pas un endroit pour les petites poupées comme toi. »

Puis il se tourna vers Elena, restée bien silencieuse tout ce temps, sans doute trop mortifiée pour parler. Pas facile de se faire prendre la main dans le sac, et la petite scène que se payaient son amie et son dealer l’avait certainement laissée muette de surprise. C'était bien dommage, car en vérité, le pouvoir de décision lui revenait à elle seule.  

« Ecoute, j’ai pas envie de perdre mon temps. Soit tu prends, soit tu dégages, mais par pitié, embarque ta chieuse de pote avec toi. »  

Cette conversation n’avait ni queue ni tête… Alex commençait à se demander ce qu’elle faisait là. Depuis quelques temps, elle avait l’impression d’avoir perdu un peu de son caractère Gryffondor à profit de traits plus Serpentard afin de survivre en tant que Mardolienne mais cet épisode démontrait bien que l’esprit rouge et or était toujours en elle. Un instant elle pensa qu’elle n’aurait pas dû se mêler des affaires d’Elena, après tout, comme le disait avec tellement de sympathie le dealer, elle était grande. Oui mais voilà, Elena était son amie —ou en tout cas quelqu’un de proche— et elle ne pouvait pas la laisser se détruire sans rien faire. Défendre la veuve et l’orphelin... Noble mais dangereux. Alex sentait qu’elle s’enfonçait et la prudence aurait voulu qu’elle se taise, embarque Elena et discute avec elle dans un lieu un peu mieux fréquenté. Cependant, sa fierté l’empêchait de ne serait-ce que penser à cette solution. Il la cherchait, voulait la provoquer et voir jusqu’où elle pouvait aller et bien il allait être servi !

L’homme reprit son discours qu’Alex pouvait résumer de la façon suivante : « Ton avis, je m’en fiche, je fais ce que je veux », le tout agrémenté d’un petit sourire qu’elle avait envie de lui faire bouffer. Il tenta vaguement de l’attaquer sur sa présence ici mais elle ne laissa rien paraître et il continua sur un ton beaucoup plus ironique, la prenant pour une idiote, une petite fille perdue qui aurait besoin d’aide. Bien, bien… Parfait…

« C’est vrai ? Tu ferais ça ? Tu aiderais une jeune femme perdue ? Tellement chevaleresque, c’est beau… C’est si rare de nos jours de voir ce type d’hommes. Franchement, tu m’épates, je ne m’attendais pas à rencontrer quelqu’un d’aussi charmant aujourd’hui. On n’a qu’à faire ça, tiens, tu me raccompagnes en me tenant la main et en me contant fleurette, dans dix ans, on sera mariés, on aura deux enfants et une jolie maison avec un beau jardin. Quoi que non… Ce n’est pas tellement ton genre, ça, je me trompe ? Tu es plutôt du style à flirter allégrement tout en trompant ta petite amie du moment, tellement plus classe, tellement plus moderne… »

Alex s’interrompit un instant, réalisant qu’elle était sans doute partie un peu loin. Mais c’était de sa faute à lui aussi, il la mettait hors d’elle et elle n’avait qu’une envie, lui faire ravaler son sourire condescendant et le faire taire une bonne fois pour toute. A moins qu’elle ne cherche plutôt à le provoquer ? Oui, c’était sans doute cela, elle voulait le pousser à bout et ce n’était sans doute pas une bonne idée mais c’était trop tard pour faire marche arrière, elle s’était lancée là-dedans, elle n’allait pas reculer maintenant.

Comme on aurait pu s’en douter, le ton se durcit et l’homme devint clairement menaçant. Alex retint une grimace au « chérie » et lui lança un regard noir à la place. Elle s’empêcha de reculer alors que l’homme s’approchait et soutint son regard, elle n’allait pas se laisser intimider, enfin, elle n’allait pas le montrer en tout cas. Son petit discours lui fit serrer les dents, elle allait le dégommer s’il ne se taisait pas. « Moustiques insupportables de ton genre », « ma belle », « petite poupée comme toi », autant de mots qui augmentaient sa colère.

« Déjà, je ne suis ni ta « belle », ni ta « chérie » ou quoi que ce soit de ce genre. Je suis peut-être une emmerdeuse mais je ne suis certainement pas ta chose ! Et partant de ça, je ne vois pas pourquoi je voudrais t’obéir. Tu n’as aucun ordre à me donner ! Je suis ici si je le veux, que ça te plaise ou non. Je t’ai déjà expliqué mes motivations, apparemment tu ne saisis pas le concept de l’amitié, de l’entraide, c’est bête pour moi mais c’est comme ça que ça fonctionne chez moi. Et puis, comme tu l’as si justement fait remarqué tout à l’heure, je connais l’entrée de la Voie des Miracles et crois-moi, si je suis là, ce n’est pas parce que je suis une jolie petite poupée… »

L’homme changea son angle d’attaque et s’adressa directement à Elena qui paraissait un peu perdue. Elle les regardait alternativement, comme un spectateur devant un match de tennis. Elle se redressa vivement alors que le dealer lui adressait la parole et elle le regarda d’un regard vide avant de se tourner de nouveau vers Alex.

« Ta chieuse de pote ? Rien que ça ! Nan mais franchement… Tu es pitoyable mon p’tit gars ! T’as pas de temps à perdre et bien vas-y ! Je ne te retiens pas, casses-toi ! »

Pour la discrétion, on repassera. Ca faisait un moment que le ton avait haussé mais la dernière insulte avait fait sortir Alex de ses gonds et le « casses-toi » final était rageur et certainement un peu trop fort pour l’endroit. Mais bon, les disputes n’étaient pas rares dans la Voie des Miracles et normalement, personne ne viendrait voir ce qu’il se passait.

« Si tu veux faire partie du tableau, dis le tout de suite, ça ira plus vite » répondit le trafiquant au tac au tac, avec cette fois-ci, un sourire plus amusé que moqueur.

Il fallait dire, elle était drôle, quelque part, à s’époumoner de la sorte, à déclamer de grandes phrases sans queue ni tête. Elle n’était pas mauvaise non plus au jeu des sarcasmes, Roy voulait bien le reconnaître. Et elle ne cessait d’aller plus en avant dans la provocation, sans crainte des représailles, s’emportant facilement dès que l’on portait atteinte à sa fierté. Ils avaient au moins ça en commun, tous les deux. Roy était toujours sur ses gardes quand il se retrouvait face à quelqu’un qui lui ressemblait, d’expérience, il savait que cela terminait toujours mal. Encore plus si c’était une femme. Roy lui trouvait tout de même un défaut sur lequel il serait ravi d’appuyer : elle laissait bien trop voir sa colère, il pouvait deviner quels mots dans son discours la mettaient hors d’elle, rien qu’à sa façon de tiquer ou de froncer un peu plus les sourcils. Il était à peu près aussi irrité qu’elle, mais il faisait néanmoins l’effort de le masquer derrière une bonne couche de froideur et d’indifférence. Elle, se laissait lire comme un livre ouvert. Bien sûr qu’il allait en profiter. Son sourire s’agrandit en la voyant s’insurger aux petits surnoms, nul doute que ce qu’il allait répliquer allait encore plus la faire sortir de ses gonds; et il en jubilait d'avance. Appuyer là où ça faisait mal, Roy était doué pour ça.

« Oh mais elle va se détendre, la princesse ! T’es frustrée, ou quoi ? C’est fou comme ça s’agite inutilement, une femme qui veut s’affirmer. J’en ai vu des tas, des énervées dans ton genre, et elles laissent toutes avoir dès que tu les dragues trois secondes. Couche un coup, ma belle, ça va passer. »

Avec du recul, la situation était presque… comique. Pourquoi se retrouvait-il à rétorquer de plus belle, à chacune de ses piques, comme s’il n’avait pas mieux à faire que se lancer dans une joute verbale avec une parfaite inconnue ? C’était plus fort que lui, elle ne lui donnait qu’une envie : lui rabattre son caquet. Il le savait, il avait prévenu, se retrouver face à une autre tête brûlée de son genre n’était vraiment pas une bonne idée.

« Ben voyons ! Une fraudeuse qui donne des leçons de morale. Non seulement t’es très crédible, mais en plus, t’es carrément effrayante ! » railla t-il, lorsqu’elle sous-entendit qu’elle était une habituée de la Voie.

Elena lui fut d’une parfaite utilité, puisqu’elle resta muette à nouveau, lorsqu’il se tourna vers elle. Etait-elle encore droguée, pour être aussi peu réactive ? Roy fit une grimace de d’impatience, qui s’accentua au « p’tit gars » lancé par la blonde. Il avait laissé passer une fois. Le surnom devenait franchement irritant pour ses oreilles, comme tout ce qui s’accompagnait du mot petit. Il avait bien envie de lui dire zut, pour rester poli. Et elle s’acharnait à s’imposer et le faire s’en aller, lui ! Il allait finir par s’étouffer d’indignation. Il lui fallut une certaine dose d’efforts pour se contenir et croiser les bras dans une posture menaçante, mais une chose était sûre, il ne se contiendrait pas bien longtemps si cette imprudente continuait de s’obstiner. Tant pis pour sa pseudo chevalerie qui le retenait de brutaliser une femme. Son ton ne se retint pas d’être brutal, lui :

« Exactement, une vraie grosse chieuse comme pas deux. Je te jure que si tu t’en vas pas d’ici cinq secondes, je vais vite te montrer la sortie moi-même. C’est mon dernier avertissement. »

Elle aurait dû se douter que le trafiquant enfoncerait le clou en continuant à l’apostropher avec des petits surnoms débiles. C’était assez prévoyable et plutôt petit, on se serait cru dans une cour de récréation. Mais il ne se contenta pas d’un « princesse », il alla bien plus loin en l’insultant clairement et vulgairement. La main d’Alex faillit partir, vraiment. C’est un sursaut de lucidité qui avorta son geste et la poussa à respirer un peu plus profondément. Son regard était fixé sur l’autre imbécile et un instant, elle hésita avant de décider sur quel ton répondre. Depuis le début, l’ironie leur allait plutôt bien, les énervant mais évitant la violence physique, c’était sans doute ce qu’il y avait de plus sûr comme comportement à adopter, néanmoins, elle ne pouvait plus garder son ton badin. C’est avec le regard froid et la voix coupant qu’elle se lança :

« T’es plutôt sûr de toi mon pote ! Mais je peux t’assurer que moi, tu ne m’auras pas. D’ailleurs, j’ai un peu de mal à imaginer comment tu peux réussir à séduire. Enfin, il y a toujours des idiotes qui se font avoir par le type mauvais garçon… Il faut quand même qu’elles soient vraiment désespérées pour s’enticher de toi… Le physique ne rattrape même pas le caractère, c’est dire… »

Qu’il se taise, mais qu’il se taise avec son ironie à deux noises et qu’il fiche le camp avec sa came ! Alexandra commençait à perdre le peu de patience qu’elle avait réussi à regagner et la façon dont il parla d’elle en s’adressant à Elena eut raison d’elle. Elle explosa. Enfin, pas tout à fait mais elle partit un peu en vrille. Et ça ne rata pas, la dispute perdit l’équilibre précaire sur lequel elle se reposait depuis le début et le dealer lança un ultimatum. Malheureusement pour lui, il était hors de question qu’Alex perde la face de cette façon. Elle allait rester jusqu’à ce que lui décampe. Téméraire ? Complètement stupide, oui.

« Pourquoi avoir forcément recours à la violence ? Ce serait bien plus simple si nos chemins se séparaient pacifiquement. Je te propose un truc, tu disparais et voilà, l’affaire est réglée. »

Tentative sans doute vaine pour pacifier le dialogue. Après tout, elle se doutait bien que l’homme aussi avait sa fierté et qu’il ne la laisserait pas prendre le dessus de cette façon, d’ailleurs, la dispute reprit de plus belle. C’est alors qu’une voix intervint, légèrement planante, sous l’effet de la drogue certainement :

« Hey, oh, du calme ! Pas b’soin d’s’énerver comme ça ! Z’êtes fous ou quoi ? Vous m’donnez mal à la tête… Tiens, le fric, tu m’donnes c’que j’suis venue chercher maint’nant ? Et Alex, pas ici, s’te plaît… C’pas l’moment d’parler là, c’trop tard. »

Manifestement, Elena avait reprit ses esprits et voulait calmer le jeu…

Par tous les caleçons de Merlin, lequel de ces enfoirés de mages protecteurs qu’ils étaient sensés invoquer avait cru bon de lui mettre cette femme sur son chemin ? Comptait-elle un jour arrêter de lui casser les oreilles ? Roy fulminait littéralement. Puisqu’elle s’entêtait, c’était lui qui allait perdre patience, il avait prévenu. Il la saisit par le poignet, serrant volontairement sa prise plus que nécessaire, pour lui faire passer l’envie de le défier.

« Qu’est-ce que tu crois, que j’en ai quelque chose à faire ton avis ? Que tes petits commentaires vont me blesser ? Tu crois que je vais te laisser me dicter tes ordres ? Ta naïveté me ferait rire si t’étais pas aussi emmerdante. La violence te plaît pas ? Mais t’es venue la chercher toute seule, ma grande, viens pas te plaindre. Tu proposes rien du tout, tu décampes et tu vas déclamer tes beaux discours ailleurs, c’est tout ce que tu vas faire. »

Pour illustrer ses dires, il se servit de la prise sur son poignet pour la pousser et lui faire perdre son équilibre. Ce fut le moment où Elena décida enfin de réagir. Visiblement, la drogue avait anesthésié ses neurones, au point de la rendre réactive à retardement. Pitoyable. Toutes les deux allaient vraiment finir par lui filer la gerbe. Décidé à en finir avec cette histoire, Roy prit l’argent qui lui était dû, et jeta le sachet qu’il avait laissé dans sa poche à sa jeune cliente perdue. Se le prendre en pleine tête allait peut-être la réveiller ?

« C’est ça, allez régler vos histoires plus loin. Je veux plus vous revoir, toutes les deux. Il darda un regard méchant sur Elena, qui ne semblait pas tout comprendre à ce qui lui arrivait. Si tu veux encore de ta came, je t’enverrai quelqu’un te la vendre, à l’extérieur de la Voie, comme c’est sensé se faire. Et si t’es pas contente, tu peux toujours te chercher un autre pigeon, je me passerai très bien de toi. Puis ce fut au tour de la deuxième, la plus pénible. Toi, estime-toi heureuse de bien tirer. T’auras pas autant de chance la prochaine fois, en fait, à ta place, je ferais en sorte d’éviter qu’il y ait une prochaine fois. »

A présent qu’il avait eu ce pour quoi il était là, Roy pouvait s’en aller. Il transplana sans plus tarder, peu désireux de gaspiller davantage de salive. Il en avait eu assez, il savait déjà qu’il allait passer le reste de sa journée à maudire intérieurement cette inconnue impertinente, pas si inconnue que ça. Il avait l’impression énervante de l’avoir déjà vue quelque part sans parvenir à mettre le doigt dessus… Une emmerdeuse dans une vie antérieure, ça ne pouvait être rien d'autre.

Un frisson secoua Alex lorsque l’homme lui saisit le poignet violemment. Elle le savait, depuis le début elle savait que cette affaire allait mal tourner. Après les mots, les gestes. Ce n’était que le début, elle le savait. D’ailleurs, elle l’avait trouvé plutôt patient jusqu’à présent, si elle avait été en position dominante, elle n’était pas sûre qu’elle aurait résisté aussi longtemps avant de mettre une paire de baffe – ou plutôt un bon coup de poing dans le bide, c’était tellement plus viril – à son adversaire.

Que faire maintenant ? Elle refusait de fuir, elle avait sa fierté et elle n’envisageait pas de quitter ainsi l’affrontement. C’était très certainement suicidaire. Un jour, elle le regretterait… Elle tenta de se dégager, sans succès. Elle se concentra pour rester impassible et pour garder son masque énervée et insolent. Cependant, si elle se maîtrisa plutôt bien en apparence, dans son ventre, la peur s’était installée et le discours de l’homme ne la rassura pas, au contraire, car il ponctuait durement – et sans doute inconsciemment – ses « tu » en serrant plus fort son poignet.

Malheureusement, elle n’avait pas encore tout à fait compris la leçon et l’énervement augmenta encore d’un cran face à un tel traitement. Elle ne put s’en empêcher et lâcha d’un ton étonnamment ferme :

« Lâche-moi, abruti ! »

La réaction fut sans appel, il termina sa tirade et la poussa durement. La ruelle était mal pavé, son équilibre précaire et ses muscles tendus, comme prévu, le geste la fit trébucher et elle se rattrapa juste à temps à l’épaule d’Elena. Une chance qu’elle ait été là sinon elle se serait retrouvée les fesses par terre, rien n’aurait pu être plus humiliant que cela dans une telle situation, sauf peut-être se raccrocher au cou de l’autre trafiquant.

Cette chute manquée eut au moins une conséquence positive, elle réveilla Elena de son état catatonique. Celle-ci prit enfin la parole, intervention extérieure salvatrice. Bien sûr, Alex était énervée – et déçue – par ses paroles, elle avait fait tout cela pour rien semblait-il mais elle eut assez de jugeote pour ne pas relancer le débat. C’était le moment de décamper avant de finir en nourriture pour Boursoufs. Le dealer avait vraisemblablement décidé de mettre en avant toute sa mauvaise éducation puisqu’il balança le sachet de Mandragore sur le visage d’Elena qui le rattrapa juste à temps dans un geste maladroit. Il fallait vraiment qu’elles aient une discussion toutes les deux, elle avait eu raison d’intervenir, Elena semblait totalement sous l’emprise de cette substance même le regard mauvais posé sur elle ne lui fit pas prendre conscience de la gravité de la situation. Elle écouta le dealer avec un regard vide et hocha vaguement la tête en guise de réponse. Il devrait se contenter de ça.

Alex s’apprêtait à tourner les talons en traînant son amie derrière elle lorsqu’un « toi » rageur l’arrêta. Elle fulmina en entendant les paroles de l’autre et lâcha :

« Au moins, on est d’accord sur un point, je ne veux plus jamais revoir ta tête de crapule des bas-fonds. Adieu. »

Elle ne saurait sans doute jamais s’il l’avait entendu ou pas puisqu’il transplana quelques secondes après avoir menacé Alex. Sa disparition subite ne soulagea pas l’apothicaire, elle continua à ronchonner dans son coin en traînant Elena derrière elle. Elle se serait bien passée d’une telle rencontre aujourd’hui, sa journée était totalement gâchée et le pire dans tout ça c’est qu’elle était presque déçue de voir l’affrontement se terminer ainsi. Elle aurait presque aimé savoir comment ça se serait terminé sans l’intervention d’Elena, sans doute mal pour elle… Mais elle avait pris un plaisir malsain à pousser l’homme dans ses retranchements, jouer avec lui pour voir jusqu’où elle pouvait aller, arborer un sourire mauvais lorsqu’elle devinait un de ses points faibles, jouer sur les mots pour trouver la réplique la plus ironique possible. Oui, malgré la dangerosité de la situation, malgré la peur qui l’avait peu à peu saisie, Alexandra s’était presque amusée.