Epic fail [Alexandre, Valery & Klemens]

C'est un jour comme un autre.
Enfin, pas tout à fait : c'est un dimanche. Le jour où beaucoup trop de personnes sont en congés, et décident, comme d'un commun accord, d'aller faire du shopping, boire un café, ou faire ses courses, dans ce merveilleux pays où tout reste ouvert le jour du Seigneur. L'un dans l'autre, ça donne un résultat constant : les rues sont bondées et exceptionnellement bruyantes.
Et ce, quelle que soit la ville.
Londres est la pire de toutes.
C'est la seule pensée encore claire dans l'esprit d'Alexandre alors que, dans un pop retentissant, il se matérialise dans un endroit isolé du port de Stornoway, tout droit revenu de la capitale anglaise. Il époussette sa chemise en toile grossière par habitude, sort son plaid de son sporran sans fond – c'est qu'on est au nord et qu'on atteint difficilement les dix degrés en mai – et l'enroule autour de ses épaules avant de reprendre sa route le long des quais. Il passe devant celui où une navette partira pour son archipel dans quelques heures sans y jeter un seul regard ; il ne cherche pas à rejoindre les siens, pas encore.
Il doit voir une vieille connaissance de l'île, un cracmol issu du clan venu se mêler aux moldus de l'île de Lewis. Un nid de dragons est présent sur l'île, et il vient s'assurer régulièrement que les protections anti-moldues sont toujours d'actualité, qu'il n'y a pas plus de braconnage ici que du côté sorcier... Bref, des affaires habituelles dans la vie très remplie d'Alexandre.
Une vie remplie qui ne s'attendait pas à un tournant des plus... Eh bien, inattendu.
Il passe la barrière ouvrant la voie à la seule rue sorcière de la ville, où l'activité est autrement plus réduite que dans les grandes métropoles d'Angleterre. Certains vous diront que l'ambiance est plus glauque, l'Écossais vous répondra qu'elle est plus reposante. Les maisons colorées, typiques des îles gaéliques, le vent qui souffle sans discontinuer, l'odeur prégnante d'iode, voici de quoi contrebalancer une animation plus modeste.
Le pas vif, il s'avance sans trace d'hésitation. Il sait où il va, il sait ce qu'il doit faire, c'est une journée parfaitement ordonnée, comme de coutume.
Et dès qu'il en aura fini, il pourra rentrer chez lui, passer un peu de temps avec son petit bonhomme. L'enfant sera ravi de passer du temps avec son père, et lui sera plus que ravi d'oublier ses soucis dans le sourire du petit garçon.
Vivement qu'il en ait fini.

Bam!
Un pas en arrière pour garder l'équilibre, les sourcils qui se froncent. Alexandre grogne de mécontentement, baisse les yeux vers celui qui l'a percuté sans regarder où il allait, à peine contrarié.
Si le percuteur remarque le kilt écarlate, la chemise brute, le sporran, le plaid en laine, bref l'accoutrement du chef de clan, ce dernier pose bien vite ses yeux bleus sur la marchandise qui s'étale à ses pieds.
Un poing se serre, les mâchoires suivent.
Il ne lui a fallu qu'une seconde pour reconnaître la contrefaçon.
Et sur son territoire en plus.
Pas content.
Droit comme un pilier, immobile comme une statue, il observe l'homme se dépêcher de ranger ses affaires, et jette un regard derrière ce dernier en voyant une silhouette s'approcher. Une silhouette soufflant comme un bœuf et lançant des interjections tout à fait disgracieuses.
« Non.¹ »
Le ton est sec et tranchant, mais, étonnamment, il ne regarde pas son interlocuteur. Il n'a pas attendu pour sortir sa baguette d'un pan de son kilt, sourcils froncés, le corps tendu.
Totalement alerte, prêt à attaquer.
Et certainement pas à laisser le petit truand à s'échapper.
Le fait que la brute qui arrive vers eux ait appelé des copains ne fait que confirmer ses soupçons.
Bon.
Décision.
Il pointe sa baguette sur le carton, lequel prend feu instantanément dans des flammes trop vives pour être naturelles. Du cuir véritable de dragon ne craindrait rien, de la contrefaçon... De la contrefaçon n'aimerait probablement pas. À moins que ça en soit de la très bonne.
Toujours sans bouger du passage, Alexandre écarte les épaules, se redresse, serre ses doigts sur sa baguette. Il n'a pas franchement peur des personnes qui arrivent, ni du petit trafiquant qui, quoi qu'il arrive, devra lui répondre de ses actions.
S'il faut se battre, ainsi soit-il. Il fait face à des bestiaux d'une dizaine de tonnes tous les jours, ce n'est pas un sorcier incapable de courir dix mètres sans être essoufflé qui va lui poser problème.
Qu'il soit seul ou avec quelques copains.

_________________
¹Ye canna.

"England. Typical. Even drug dealers don't work weekends."
Layer cake

Dimanche, le seul jour où Valery bosse moins qu'ordinairement. Bien qu'il ai réduit drastiquement ses heures supplémentaires depuis qu'il est malade, il travaille néanmoins toujours beaucoup trop, rentrant tard et se levant tôt, motivé par la passion et la peur de devenir tout à fait inutile au sein de l'univers s'il ne serait-ce que ralentit son train d'existence effréné. C'en est presque devenu un mécanisme de survie. Aujourd'hui néanmoins est un jour de repos - qu'il passait avant, à danser, maintenant à se reposer en essayant de faire croire à tout le monde, l'homme qui partage son lit en premier, qu'il n'est pas épuisé et qu'il lézarde juste parce que. Néanmoins, Klemens semble ne pas l'entendre de cette oreille, et se prépare manifestement pour aller quelque part. Cela agace un peu Valery, qui voulait passer la journée avec lui, et il vient se coller contre lui pour lui demander où il va, avec sa voix la plus insupportablement mielleuse. Au nord de l'Ecosse, manifestement. Au nord de l'Ecosse ? Valery veut venir. Justement, il a rencontré extrêmement brièvement quelqu'un -plutôt aperçu rapidement, vaguement, à l'autre bout de son département - quelqu'un en kilt rouge vif avant-hier et il a décidé que c'était son nouveau fétish, et que Klemens serait très bien avec un Kilt. Il n'avait pas encore eu le temps de réfléchir à la logistique de ce que cela peut impliquer -ça se trouve où, les kilts ? sur internet ?- que Klemens lui offre sur un plateau. Il passe donc une bonne partie de la journée à tenter de persuader Klemens de le laisser venir avec lui, sans jamais lui dire pourquoi diable il a absolument besoin d'aller au nord de l'écosse dans un village dont il n'arrive même pas à prononcer le nom. Il finit par le convaincre avec beaucoup d'amour et une promesse de ne pas rester dans ses pattes - comme si Valery Aster était un boulet, quoi. - Ainsi, il part deux bonnes heures avant Klemens, pour avoir le temps "de faire ses trucs", comme il lui explique très clairement. Il tient à garder la surprise.

Le voila donc quelque part tranquillement en train de faire du lèche-vitrine, parfaitement bienheureux, quelques articles qui n'ont rien à voir comme des objets de cuir très jolis et parfaitement inutiles, et un peu de nourriture dont il n'arrive pas à prononcer le nom sous le bras. Il arrive enfin au niveau de la rue magique de l'ile, admire. Et recommence docilement à aller de boutique en boutique en espérant trouver ce qu'il cherche : des kilts. Sur le chemin il rencontre un pub. Jugeant que c'est un aussi bon endroit qu'un autre pour se renseigner sur les articles vestimentaires locaux, il y entre. Ce n'est qu'une bonne heure plus tard qu'il sort de sa dégustation bienheureuse de la bière locale qu'il entend vaguement quelque chose ressemblant à des exclamations. Il a réduit ses paquets et les a collé dans sa poche avant d'arriver sur l'ile, et n'est ainsi pas gêné dans sa progression hors du pub, cherchant l'origine du bruit. Il tombe ainsi sur Klemens et un autre gars, une pile de cartons brulés et un taureau humain qui leur fonce dessus. L'alcool aidant, il ne trouve qu'une seule chose à dire :

- HEY Klem c'est lui le gars en kilt dont je te parlais hier ! Comment tu l'as retrouvé ?

Mystère. Peut-être serait-il temps de faire quelque chose contre les grosses brutes. Le gars croisé dans son département semble savoir quoi faire, néanmoins, et puis avec l'alcool et sa maladie, il a peur de changer Klemens en bestiole bizarre. Il s'écarte donc diplomatiquement.

Un regard sur la côté est tout ce qui accueille Valery. Alexandre ne prend même pas la peine de reconnaître sa présence ou de faire savoir qu'il l'a vu ; du coup, il ne le remet pas vraiment, bien que la remarque sur son kilt lui fasse savoir qu'ils se sont déjà croisés. Il faut dire, aussi, que l'urgence lui fait procéder par priorité : d'abord les mecs qui leur arrivent dessus, ensuite le contrefacteur, puis enfin l'homme qui ne tient pas les spécialités locales.
L'alliance qui se fait est improbable : un chef de clan, un loup-garou, et un clampin qui ne sert à rien. Le premier sort est lancé, en met deux sur la touche – pour le moment du moins, se dit l'Écossais, préférant ne pas tirer de conclusion hâtive.
Ce dernier attend alors encore une seconde, que les assaillants soient à peine plus près, et donne un rapide coup de baguette, fendant l'air.

Lancé de Dés:

Les flammes s'élèvent hors de la baguette de l'Écossais, menaçantes, promettant un sorcier en contrôle de ses enchantements. Un mouvement de recul parcourt les trois adversaires qui comprennent sans doute qu'obtenir ce qu'ils cherchent ne sera pas aussi simple qu'ils l'espéraient. C'est sans doute ce qui expliquent leur division : l'un d'eux s'engage dans un duel avec Klemens, alors que les deux autres, sans peur, viennent jouer avec un chef de clan qui leur semble plus dangereux.
Lui qui pensait n'avoir plus qu'une vague discussion avant de pouvoir rentrer chez lui...
Un pas en arrière, il s'écarte du couple pour avoir plus de marge de manœuvre et se concentre pour faire face à ses deux assaillants. Jamais n'a-t-il sans doute autant été content de travailler avec des dragons et de devoir développer de bons réflexes, à défaut d'être un bon duelliste.
Un sort est contré ici.
Un autre est dévié là.
Il réussit à mettre le feu à la cape d'un de ses adversaires, évite de justesse un maléfice plus mauvais qu'un simple stupéfix, n'est pas dérangé une seule seconde par le plaid en tartan qui lui enserre les épaules. Il est plus agile à se défendre qu'à attaquer, et bientôt, les deux hommes se moquent de certains de ses sorts qui semblent complètement inutiles, mal orchestrés et ne parvenant pas à les toucher.
Et puis un sourire déchire les traits de l'homme.
L'un des deux hommes se prend les pieds dans les plantes qui ont poussé sur le sol, le second le suit bientôt en essayant de lui venir en aide.
On est Serdaigle ou on ne l'est pas ; Alexandre a opté pour la stratégie plutôt que pour la bête offensive.
Et puis, d'un coup agile de sa baguette de cèdre, il met le feu aux lianes dans lesquelles les deux méchants se sont empêtrés.
Et les cris suivent l'action ; puis un pop, et un second, alors que les pauvres bonshommes transplanent, vaincus. L'Écossais secoue la tête, agacé, et se tourne vers les deux autres pour voir où ils en sont.
Quoi qu'il en soit, les deux mis à terre par Klemens ont eu le temps de se ressaisir et de déguerpir.
Maintenant, soit il allait aider les deux autres s'ils en avaient besoin, soit il allait toucher deux mots à l'oiseau de mauvaise augure sur la contrefaçon.
Surtout ici.

Qu'en disent les dés:

Valery est un duelliste très compétant. Lorsqu'il n'est pas malade au point de faire exploser les fenêtres qu'il essaie d'agrandir. Il pourrait compter sur le chaos et l'entropie de sa propre production de sorts, mais il a vraiment trop peur de toucher Klemens. Alors il reste bras ballants dans un coin, certain que Klemens est capable de se défendre. Se mettre dans leurs pattes ne faciliterait en rien l'issue du combat. Il admire les grandes flammes qui sortent de la baguette de l'inconnu. La frustration le gagne. Il n'a pas envie que Klemens pense qu'il ne se mettrait pas en danger pour l'aider. Mais il a l'impression qu'intervenir présenterait un bien autre danger que ces petites frappes. Ainsi il ne fait rien. Il s'éloigne, même, histoire de ne pas être dans les pattes de ceux qui sont capable de mener un duel (une truelle ?) de sorciers. Il trouve même un petit muret, qui fume un peu car précédemment touché par un sort qui lui a creusé un petit cratère, et s'y installe. Se rappelant par la même qu'il a en sa possession plein de nourriture et que cela semble l'endroit parfait pour éponger l'alcool qu'il a imbibé avec un peu de spécialités locales autres que buvables.

C'est donc un tableau fabuleux d'hommes de mains en déroute, d'un carton qui brule, d'un loup-garou et d'un écossais en kilt qui lancent des sorts avec des airs très énervés, bien que clairement pas pour la même chose (enfin, si, la marchandise qui brule) qu'admire notre cher danseur un peu pompette en cassant la graine. Il n'est d'ailleurs pas le seul, deux ou trois sorciers de la rue sont sur leur pallier, n'osant intervenir. Valery serait presque tenté de leur proposer un bout de pain et du fromage histoire de transformer cette occurrence en moment familial et bon enfant. Il espère quand même que personne va se faire mal du côté des gentils, quoi.

A tout bien réfléchir, est-ce que quiconque ici est du côté des gentils ?

P'tet le gars en kilt; à la réflexion. Il faut avoir une grande confiance en la rareté de ses ennemis pour se promener en jupe ouverte aux quatre vents sans sous-vêtements protecteurs (parce qu'il est certain qu'il porte ce costume dans la plus pure tradition.) Il s'attarde sur cette réflexion un peu plus longtemps qu'il ne le devrait et avec probablement un sourire vaguement stupide. Il aimerait bien que le combat se finisse vite, histoire de ramener Klemens chez eux. Il a froid, et il se met à pleuvoir. Sa petite sortie ne l'amuse plus beaucoup. Il veut un chocolat chaud un câlin et des sushis.

Spoiler:

Ça non, Alexandre n'avait nullement l'intention de partir. Le dos droit, le regard franc, il est plus dans l'optique de passer à l'offensive que de plier l'échine devant un petit contrebandier de seconde zone.
« En effet.¹ »
Les yeux s'affrontent, mais l'Écossais ne fléchit pas. Il est ici chez lui – enfin presque – et n'a pas la plus petite intention de céder aux caprices de celui aux côtés de qui il se battait, à peine plus tôt. Pour preuve, voyez la baguette de cèdre, encore dans sa main calleuse. Le nerf de Noir des Hébrides à l'intérieur se retient encore de jeter des étincelles d'une fureur contenue, mais son propriétaire ne montre pas sa colère pour autant. Il se contente de s'avancer vers son interlocuteur, les épaules légèrement écartées.
Il faisait face à des dragons toute la journée, ce n'était pas une petite frappe de la contrefaçon qui allait faire sa loi face à lui.
« Ce n'est rien, » rétorque-t-il en premier lieu. « Mais non.² »
L'accent écossais claque dans l'air épais et chargé de bruine. La pluie ne saurait tarder à ruisseler sur le sol, laissant des âmes dégoulinantes derrière elle. Alexandre n'en a rien à faire : ce n'est pas lui qui sentira le chien mouillé – haha, haha – et la pluie est comme une deuxième peau pour un enfant du pays comme lui.
« Avez-vous ne serait-ce que la plus petite idée de l'endroit où vous êtes ? »
L'homme, d'un ton impérieux, ne lâche pas sa baguette, prêt à en venir aux mains si le besoin s'en faisait sentir. La tension dans sa voix et la facilité avec laquelle il est entré dans un duel – plus que la façon dont il l'a mené – sont autant de preuves de sa volonté à régler tout cela à sa façon.
Et pour cela, il se montrera inflexible.
« Vous êtes sur mes terres, à contrefaire des produits sur lesquels les miens vivent. Je ne dépenserai pas une noise pour ça.³ »
Avec mépris, il désigne d'un court signe de tête la marchandise qu'il a réduite en cendres.
Pas de chance, mon petit. De tous les Écossais sur lesquels tu aurais pu tomber, il a fallu que tu croises la route non seulement d'un MacFusty, mais de leur chef de surcroît.
Un chef pas content.
« Vous avez suffisamment de chance que je ne vous dénonce pas, vous et votre ami... » Un long regard se pose sur Valery. Il ne l'a pas reconnu de premier abord. Mais la remarque faite tantôt par ce dernier a eu tôt fait de le remettre en place dans l'esprit bien ordonné du gael. « … au ministère. ⁴»
La menace tonne.
Il ne le fera pas, et ce pour plusieurs raisons.
Déjà, parce qu'il estime qu'il s'agit là de son problème et pas de celui d'un ministère dont il ne dépend pas. Ensuite, parce qu'il compte bien régler le problème lui-même. Enfin, parce qu'il n'a pas besoin de montagnes de papiers administratifs supplémentaires dans son bureau.
Une excellente raison, si vous lui demandez son avis.
_______________________
¹We do.
²Ye are welcome,bu' I wilna.
³Do ye ha' the slightest idea o' where ye are, Sir ? Ye are on my land, counterfeiting a product my people are livin' on. I wilna spend single knut on that.
⁴Ye are lucky enough that I am nae reportin' ye and yer friend tae the ministry. 

Oh mais c'est que Monsieur est un petit plaisantin.
Alexandre n'est pas ému une seule seconde. À peine un sourcil se hausse-t-il sur son visage anguleux buriné par le soleil. L'argumentaire ne le convainc pas ; la tentative de négociation, pas beaucoup plus.
Ne tuez pas le messager.
Il a pourtant envie de céder à l'impulsivité, d'attraper ce petit rigolo par le col, et de transplaner dans les hauteurs de ses terres. Et de le laisser là, en le piégeant avec des enchantements contre le transplanage. De préférence là où les dragons, encore en pleine période de rut et de chaleurs, ont tendance à se rendre.
S'il réussissait à sortir de là en vie...
Par chance pour Klemens, l'Écossais n'est pas du genre à céder aveuglement à la colère ou à l'indignation. Il est plus réfléchi que cela, et comprend bien vite ses intérêts dans cette histoire. Il ne recule pas, ne se détend pas pour autant.
« Je vous laisse le choix, alors.¹ »
La large patte calleuse, la gauche, attrape vivement le poignet de l'homme. La baguette de cèdre ne bouge pas d'un pouce, aux aguets des fois que le loup ait la mauvaise idée de tenter de s'échapper de la poigne solide du soigneur de dragons. Le moindre mouvement fait serrer l'étau de ses doigts, et nul doute que le chef de clan serait prêt à forcer son interlocuteur s'il l'estime nécessaire.
Il ne préfère pas.
« Je ne vous veux pas de mal, si et seulement si vous me menez à votre... partenaire. Soit vous me menez à lui maintenant, soit je vous amène jusqu'à un endroit que vous ne serez pas prêt d'oublier.² »
Le ton n'est pas spécialement menaçant. Il est dur, et dans son calme, on imagine largement que cet endroit n'est pas souhaitable.
Pourtant, l'ombre d'un sourire agite le coin des lèvres de l'homme à la chevelure auburn. Il commence à cerner celui dont il tente de tirer des informations. Commence à entrevoir les cordes à tirer pour agiter le pantin à son gré.
« Je peux même me montrer... Plutôt généreux, si vous voyez ce que je veux dire.³ »
Aucun scrupule. Et Alexandre est un homme d'honneur : il saura récompenser Klemens pour son aide... Même s'il négociera un accord à plus long terme. La contrebande de cuir de dragon tue son commerce, et il compte bien remonter le filon.
Ou le faire remonter par les autorités britanniques. Après tout, c'est leur territoire, leur boulot.

_________________________
¹I leave ye the choice, then.
²I dinna want ye nay harm, if and only if ye get me tae yer... Partner. Either we get tae him rrright now, either I get ye tae a place ye arena likely tae forget.
³I can even be... Fairly generrrous, if ye ken wha' I mean.

« Je ne vous pense pas en position de négocier.¹ »
La voix de l'Écossais claque sèchement, tonne presque comme un coup de tonnerre. Sa poigne se resserre sur le poignet, et il jette vaguement un regard au deuxième sassenach qui n'a pas l'air de vouloir prendre part à la discussion.
« Lui peut partir. Je m'en fous.² »
Certes, sa position au sein du département des mystères aurait pu suscité l'intérêt du chef de clan. Mais face à la tournure des choses, il préfère s'en débarrasser plutôt que de s'en préoccuper.
Il a d'autres loups-garou à fouetter.
Et plutôt que d'attendre que Valery fiche le camp, il prend les devants. Ses doigts se serrent une fois de plus, une dernière fois sans doute.
Puis l'homme transplane.

Pop.
Dans un bruit de bouteille qu'on débouche, les deux hommes apparaissent au milieu de nul part. Ou du moins est-ce l'impression que l'on peut avoir à la place de Klemens.
D'un côté, la falaise brute d'un ravin. De l'autre, le vide, sur plusieurs dizaines de mètres, menant droit à une petite forêt chatoyante, au sol probablement infesté de bruyère. Ils ne sont retenus que par une corniche minuscule ne laissant la possibilité de se battre ni à la baguette, ni aux poings.
Alexandre a toutefois la sienne dans la main dès l'instant où il a lâché son captif.
Il ne prend pas la peine de mettre des sorts anti-transplanage, finalement, tenant l'homme en joue. Il a foi en deux choses : la première, ses réflexes ; la seconde, le fait que le contrebandier n'a aucune idée d'où il est.
Sans connaissance de la localisation, transplaner devient plus compliqué, sinon dangereux. Difficile de percevoir son trajet, de cette façon. Oh, il pourrait, bien sûr, utiliser sa magie pour redescendre dans la bruyère, à même le sol.
À ses risques et périls. Merlin seul savait quelles créatures pouvaient bien sévir dans les environs.
L'une d'elle, d'ailleurs, laisse un long rugissement surgir de la brume, sans daigner montrer sa silhouette pour autant.
« Je ne parlais pas d'argent. Je parlais d'une offre d'emploi.³ »
L'annonce ne résulte en aucune détente de l'attitude d'Alexandre, calme et tendue à la fois. Il continue de le darder d'un air froid, presque neutre, mais sa présence et sa façon de se tenir trahissent largement la menace qu'il peut représenter.
« Vous venez avec moi. Ce n'est pas une option. On peut s'arranger sur un... Certain dégré de protection, cela dit. En outre, si votre employeur est mis hors d'état de nuire, vous seriez relativement en sécurité.⁴ »
Qu'on ne prenne pas ça pour de la naïveté. Alexandre n'est pas idiot et sait qu'impliquer la Brigade d'Intervention serait beaucoup plus sage que de mener sa petite vendetta personnelle avec monsieur le contrefacteur.
Peut-être le teste-t-il tout bêtement.

Nouveau rugissement. Il y reste parfaitement insensible.
Il n'oublie pas non plus la possibilité de précipiter le vermisseau face à lui tout droit dans la gueule d'un dragon, même s'il préférerait ne pas en arriver là.
Question d'intégrité.
____________________
¹I dinna think ye're in a position tae negociate.
²He can leave. I dinna give a damn 'boot him.
³I wasna talkin' 'boot money. I was talkin' 'boot a job offer.
⁴Ye come wi' me. 'Tis no option. We may agree on a... certain degree o' protection, though. In addition, if yer employer is oot o' sight, ye'll be safe enough.

En d'autres circonstances, Alexandre en aurait ri – ou plutôt ricané, car le faire rire franchement reste un défi.
La peur de l'homme a un petit quelque chose de comique quand, comme lui, on a conscience que le rugissement n'est pas si dangereux que cela. Ça l'arrange bien, cela dit. Il sait qu'un novice ne peut pas distinguer les cris des grands reptiles, leur signification, leur niveau de dangerosité.
Le grand malade, désormais sur ses terres, ne bronche pas face à l'autorité dont Klemens tente de faire preuve. Il en serait presque amusé. Il l'observe capituler et se détend imperceptiblement, enfin.
Il est à deux doigts d'obtenir un nom.
Il agite à peine sa baguette, fait apparaître une plume et un morceau de parchemin. La plume parcourt d'elle-même son support, alors que le chef de clan poursuit leur parodie de conversation d'un ton moins tendu.
Moins autoritaire, aussi.
« Bien, » fait-il calmement. « Écrivez juste son nom et où on peut le trouver sur le parchemin. Ne signez pas, je le ferai.¹ »
Les feuillages, en contrebas, s'agitent. La bruyère frémit, l'air se charge d'une légère odeur de soufre. Alexandre se tourne à peine vers le vide, recule d'un pas – à noter qu'il ne peut pas en faire plus – pour se coller à la falaise alors qu'une créature gigantesque surgit, ailes battant, pour rejoindre les airs et planer tranquillement au dessus de l'archipel.
Des ailes d'un noir d'encre.
Une gueule aux dents acérées.
Deux grands yeux jaunes.
Un corps massif, avoisinant les dix mètres et les six tonnes.
Alors que le parchemin et la plume flottent, enfin inactif, devant le contrefacteur, l'Écossais suit des yeux l'envol du dragon.
« Faites le. Je garantirai votre protection, si c'est ce qui vous retient. ²»
Parole de MacFusty.
En outre, il avait parlé d'une offre d'emploi, et il compte s'y tenir. Il attendra d'avoir le parchemin en main pour s'y tenir, cela étant dit.
Pas de nom, pas de location donnée, et il n'aidera Klemens en rien. Alors qu'ils auraient à y gagner tous les deux. Alexandre aurait bien l'utilité d'avoir un homme comme le loup-garou sous la patte, non seulement pour prendre la température des rues britannique mais aussi pour avoir une main dans le milieu de la contrebande et de la contrefaçon.
Quant à Klemens, il aurait un revenu fixe et une protection assurée – aka un asile possible au besoin, en terre étrangère, donc à l'abri de ceux susceptibles de le pourchasser.
Le chef de clan n'attend que de récupérer le parchemin, qu'il signe d'un geste vif et fait disparaître d'un coup de baguette.
« Bien, maintenant... J'attendrai de savoir si votre information est correcte. En attendant, parlons un peu.³ » Plus calme, Alexandre se baisse jusqu'à pouvoir s'asseoir sur le bord de la corniche, les jambes dans le vide.
Pas perturbé, l'animal.
« Je pourrai avoir utilité de quelqu'un comme vous, comme mouchard. » Conscient de la proposition et de la position probable de l'homme, il enchaîne presque immédiatement : « Je vous paierai, cela va sans dire. Et je peux vous fournir un abri où vous trouverez refuge, si vous veniez à en avoir besoin. Et, le cas échéant, un emploi sur le long terme sur place.⁴ »
Du tout gagnant donc.
A voir.
______________
¹Good. Just wrrrite his name and where he's tae be found on the parchment. Dinna sign it, I'll do it meself.
²Do it. I'll guarantee yer protection if that's what ye're afraid of.
³Good, now... I'll be awaitin' tae ken if yer tip is correct. Meanwhile, let's talk.
⁴I could have use o' someone like ye. As a snitch. I'll pay ye, that goes wi'oot sayin. And I can guarantee ye a place where tae seek refuge, in case ye'd need one. Wi' a long-term employment, o' course. 

petit mot:

Les yeux bleus tombent sur la main tendue. Toute menace a l'air d'avoir disparu du chef de clan. Il semble s'être détendu maintenant que Klemens lui a cédé ce qu'il voulait et qu'il n'est plus ouvertement une source d'inquiétude. Il met une seconde avant d'attraper la main qu'on lui présente et de la serrer d'une poigne franche, ferme.
« MacFusty, » répond-il sobrement, sans se perdre dans les détails. Il est ici chez lui, et il vaut mieux qu'on y connaisse les usages. La pensée semble lui rappeler que son interlocuteur n'aurait du être que de passage et il se reprend. « Chef du clan du même nom,¹ » ajoute-t-il alors.
Histoire, aussi, que l'homme se rende compte de la stabilité de l'offre qu'on lui a proposée. Dans un sens, il est plutôt positif pour le loup-garou de l'avoir déclinée, compte tenu des circonstances.
« Bien sûr, je saurais quoi faire avec ces noms. L'argent n'est pas un problème.² »
Maintenir l'offre non plus.
Il ne le dit pas toutefois. Non pas qu'il ne veuille pas, mais il préfère ne pas l'affirmer.
Après tout, les choses peuvent changer, et il ne veut pas se retrouver acculer par une parole donnée un peu trop hâtivement.
Prudence est, après tout, mère de sureté.

Silencieux, Alexandre ne fait alors plus l'effort de reprendre la parole ou de relancer la conversation. Il abandonne ses pensées au vent du large, au son des rugissements, à la fraîcheur marine, aux senteurs de bruyère. Il est à peine absent, et met un moment à faire un geste sur la corniche, à nouveau. Il sort sa baguette au bout de longues minutes, l'agite, et fait apparaître deux verres, ainsi qu'une bouteille de Whisky Pur Feu, à l'étiquette estampillée du nom de son clan.
La bouteille s'ouvre d'elle-même, le liquide ambré se verse dans les deux contenants. Les verres s'agitent à leur tour et viennent chacun flotter non loin des deux hommes.
La main solide de l'Écossais attrape le sien sans même lui jeter un regard, prend le temps de respirer les effluves.
« Slàinte, » trinque-t-il en le levant en direction de sa nouvelle connaissance. Il en boit une gorgée, comme s'il venait de passer un marché avec quelqu'un, avant de perdre à nouveau son regard vers la flore sauvage qui s'étend à leurs pieds.
Sa façon à lui d'enterrer la hache de guerre.
« Vous devriez être davantage prudent, cela dit. L'homme qui vous a envoyé ici savait très bien ce qu'il faisait. On ne vient pas dans les Hébrides avec un tel chargement sans avoir conscience que nous ne sommes pas loin.³ » Il jette un regard vers Klemens, calme.
Etonnamment calme, en comparaison avec son attitude précédente. « On sait en général très bien qu'on n'est pas au Royaume-Uni, ici. Nous ne répondons pas à la loi anglaise. Et on n'est pas tendres avec les contrefacteurs.⁴ »
On n'aurait pas cru.
Il a juste été à deux doigts de jeter Klemens entre les crocs d'un Noir des Hébrides.
Sinon, Alexandre est un homme adorable.
___________________
¹Head of the clan.
²O' courrrse, I'd ha' use o' those names. Money's nae a prrroblem.
³Ye should be morrre careful, y'ken. The man who made ye come herrre kent perfectly wha' he was doin'. Ye dinna come tae the Hebrides wi' such a thing wi'oot bein' awarrre o' us bein' arrrroond.
⁴People usually ken verra well they're nae in the UK here. We dinna fall under English law. And we're nae kind tae counterfeitin'.