6 avril 2008, chez Juliana McNeil

Les mauvaises journées s’enchaînaient, implacablement, minant peu à peu le moral du trafiquant. Les prises de tête avec ses amis, l’interrogatoire au bureau des Aurors la veille, les continuels bras de fer avec gens de son métier, tout cela commençait à lui monter à la tête et la faire dangereusement chauffer. Il avait monstrueusement envie d’une soirée sans complications, et la solution, en quittant la Voie des Miracles, lui apparut assez vite. Il n’avait pas vu Juliana de toute la semaine, la présence de la jeune femme commençait à lui manquer. Oublier ses soucis dans les bras de celle qui était devenue sa petite amie lui semblait un programme honorable.

C’était étrange pour lui, d’employer ce terme de petite amie, par ailleurs. Être lié à quelqu’un par ce genre d’expression très officielle l’avait toujours rebuté. Pourtant, Roy s’était trouvé forcé de constater que leur relation s’était définie d’elle-même assez naturellement après qu’ils aient décidé de se revoir, et, plus étonnant encore, qu’il n’avait rien à y redire. La dernière fois qu’il avait vécu un semblant de relation de couple remontait à loin. Le plus souvent, Roy se lassait, ou son sale caractère se chargeait de faire fuir ses conquêtes. Tant de choses lui étaient reprochables, à commencer par son incapacité à reconnaître ces reproches, sur laquelle elles finissaient toutes par se heurter, un jour ou l’autre. Suivaient pêle-mêle sa fâcheuse tendance à aller voir ailleurs un jour sur trois, ses activités illégales qu’il ne pouvait pas éternellement cacher, et la liste encore non finie à ce jour de ses défauts. Mais voilà, Juliana n’avait pas fui -il fallait dire, Juliana n’était pas au courant de tout- et en cela, elle devenait spéciale à ses yeux. Il attendait de voir, encore, pas certain de vouloir s’aventurer sur un terrain trop niais pour lui et commencer à déclamer des déclarations d’amour. Il s’attachait juste doucement, mais sûrement, à la jeune serveuse. Il commençait même presque –presque étant un mot relatif- à se tenir à carreau.

Sachant qu’à cette heure tardive, il ne trouverait pas Juliana au restaurant, Roy transplana directement chez elle, non sans espérer que Joel serait absent. Oh, il avait déjà eu la discussion avec elle, plusieurs fois, même, mais, relation prétendument platonique ou pas, c’était à ses yeux normal de se montrer méfiant à l’égard d’un homme qui passait deux fois plus de temps qu’il n’en passait lui-même avec sa petite amie. Le plus agaçant était qu’il n’avait de façon objective rien à reprocher à cet homme, puisqu’il paraissait parfaitement réglo. Manque de chance, Roy était plus possessif qu'objectif, voir Joel à cet instant n’aurait fait qu’augmenter sa mauvaise humeur.

Le destin lui concéda enfin quelque chose de positif, puisque Juliana semblait seule chez elle, installée sur le canapé, lorsqu’il arriva, un peu précipitamment, il fallait le reconnaître, ne s’annonçant que d’un « Hey » accompagné d’un sourire. Passer par la porte d’entrée eût été plus poli, mais l’image du salon de l’appartement lui était naturellement venue au moment de transplaner, poussé par son envie de retrouver Juliana. Son arrivée ne pouvait être qu’une bonne surprise de toute manière, n’est-ce-pas ? Pris d’un élan de tendresse en croisant le regard de la jeune femme, il se pencha pour l’embrasser… Mais fut à la place surpris de la sentir se reculer. Roy resta un moment interdit, se redressa, sourcils froncés, sans bien comprendre la situation.

« Il y a un problème ? »

Tiens, il n’y avait pas été attentif, mais le regard que posait Juliana sur lui était tout sauf avenant. Doux euphémisme. Roy pouvait presque sentir la foudre de son regard réduire doucement en cendres ses espoirs d’une soirée sans prise de bec...

Installée dans son canapé, ses jambes repliées contre son corps, Juliana tentait tant bien que mal de se plonger dans la lecture d'un magasine de Quidditch. En réalité, son regard survolait sans les voir les joueurs de Flaquemare qui prenaient une humiliante raclée face aux Canons de Chudley après le départ mystérieux de leur poursuiveuse vedette. La jeune femme semblait anormalement calme. Si son colocataire et ami avait été présent, il aurait su détecter les signes indicateurs de la tempête. Ses sourcils légèrement froncés, son front plissé et ses lèvres pincées en disaient long sur la colère qui l'habitait, et qui avait failli la pousser à partir à la recherche de son petit-ami en pleine journée. En réalité, Juliana aurait été bien en peine de trouver Roy si elle l'avait voulu, puisqu'elle ne connaissait pas son lieu de travail. A en croire Hayden, c'était sur la Voie des Miracles qu'elle aurait eu le plus de chances de le croiser...

Heureusement pour Juliana, qui mourrait d'envie d'extérioriser sa fureur, Roy décida de lui faire une petite surprise en transplanant de façon fort cavalière dans son salon. Cela ne fit qu'accentuer le courroux de la jeune femme, qui nota intérieurement de replacer les sortilèges de sécurité à l'occasion. Juliana vrilla sur Roy un regard charbonneux et dissuasif, mais il ne sembla pas le remarquer de premier abord puisqu'il se pencha pour l'embrasser. Julia eut un mouvement de recul instinctif, qui la surprit presque. Roy n'était pas le premier homme à lui mentir, après tout, mais c'était la première fois que cela déclenchait une telle colère en elle. Peut-être parce qu'elle avait voulu croire à ce début d'histoire, qui était son rempart contre... Contre quoi ? Contre des questions qu'elle n'avait pas envie de se poser, des sentiments qu'elle n'avait pas envie d'explorer. Sa relation avec Roy était simple et agréable, du moins c'était ce qu'elle avait cru jusqu'alors.

"Est-ce qu'il y a un problème ?", répéta-t-elle, sarcastique. "Je ne sais pas, à toi de me le dire... Tu ne devineras jamais avec qui j'ai mangé à midi."

Juliana laissa traîner un silence, jaugeant Roy du regard, avant de lâcher :

"Mon frère Hayden. Alors comme ça vous vous connaissez déjà, quelle bonne nouvelle ! Tu voudrais pas me ré-expliquer à quoi tu occupes tes journées, au juste ?"

Le repas avec Hayden avait été une grosse désillusion pour Juliana, qui avait commencé à parler pour la première fois à un membre de sa famille de cet homme qu'elle fréquentait depuis quelques temps. Hayden s'était prêté au jeu du grand frère protecteur en posant les questions d'usage, et son attitude avait radicalement changé lorsqu'elle avait évoqué le nom de cet homme. Roy ? Roy comment ? Calder, un commerçant ? Quelle belle façon de présenter la chose... Non, ce n'était pas un homme bien pour la cadette des McNeil, et Hayden s'était employé à le lui expliquer, plusieurs arguments à l'appui. Elle ne savait pas lequel des deux le dérangeaient le plus, ni même pourquoi elle était tant en colère. Roy s'avérait aussi décevant que ses anciennes relations, aussi menteur et beau parleur, mais elle aurait pu le voir venir. Juliana avait choisit de lui accorder sa confiance et elle s'était attachée à lui, au moins un peu, ayant passé les deux dernières semaines à se convaincre qu'elle ne pourrait pas être plus heureuse qu'à ses bras. Oh, elle ne s'était pas imaginée avoir rencontré le prince charmant, elle n'était pas si crédule et Roy n'avait pas vraiment le profil. Mais elle avait pensé qu'il la respecterait un peu plus que cela...

L’attitude défensive et furieuse de Juliana à son encontre déconcerta le trafiquant, qui se mit à fouiller dans sa mémoire ce qu’il avait fait de si répréhensible. Enfin… De répréhensible et dont Juliana était au courant, ce qui changeait tout de même bien la donne. Il ne répondit pas à sa question laissée en suspens, certain que de toute manière, elle allait se charger de le dire à sa place. Prudence était mère de sûreté, surtout face à une femme en colère, il l’avait bien appris, même s’il n’appliquait pas toujours le conseil.

Dès lors qu’elle prononça le nom d’Hayden, Roy comprit aussitôt à quel genre de remontrances il allait avoir affaire. Il devait s’y attendre, c’était même étonnant que sa couverture n’ait pas été grillée plus tôt. Dès qu’il avait su que Juliana se nommait McNeil, il avait fait le lien avec l’Auror dont il servait quelques affaires. Roy ne pouvait pas prendre le risque de croire à une coïncidence, il s’était débrouillé pour obtenir des renseignements, et en effet, Juliana et Hayden étaient bel et bien frères et sœurs. Il le savait, depuis un bon moment, Julia ne lui apprenait rien. Il le savait et… il avait hésité. Une part de lui, la moins scrupuleuse, lui soufflait que d’ici qu’elle découvre son lien avec Hayden, il ne serait peut-être plus avec elle, il aurait eu le temps de profiter. Une autre part, plus dérangeante pour Roy, l’empêchait de prendre la décision plus simple de rompre, avec les mêmes arguments que ceux qui l’avait poussé à donner suite à sa première nuit avec Juliana, et qu’il n’avait pas spécialement envie d’analyser, parce que cela ressemblait un peu trop à une recherche d’affection à son goût. Roy n’aimait pas dépendre d’une relation, pas plus qu’il n’aimait fonder des espoirs en quelqu’un, c’était pourtant exactement ce qu’il était en train de faire avec Juliana. Et il était trop tard pour reculer, il n'avait plus envie de le faire.

En résumé, il s’était mis tout seul dans cette situation, le plus ironique étant qu’il n’avait pas préparé son discours pour le jour où il devrait y faire face. Roy ne répondit pas immédiatement, jaugeant lui aussi la jeune femme du regard. A quoi bon continuer de mentir ? Hayden McNeil s’était très certainement fait un plaisir de démonter sa couverture de gentil grossiste pour des apothicaires. A la réflexion, ce n’était pas si loin que ça de son véritable travail.

« A vendre des potions, comme je t’ai dit. C’est juste qu’elles ne sont pas… toutes très légales. »

Ce n’est pas le moment de faire le malin, Roy Calder.  

« Ok, écoute, je voulais pas te mentir, oh que si, c’était même parfaitement calculé de sa part, mais je prends des risques à parler de mon vrai boulot. Je pouvais pas te le dire comme ça, même si je comptais le faire, à… terme. J’attendais juste le bon moment. Et puis, reconnais qu’il y avait mieux comme approche que de te dire que je suis dealer, non ? Le but n’était pas de te faire fuir en courant. »

Ce n’est pas non plus le moment de plaisanter, Roy Calder, efface donc ce sourire. Ce n’était pas drôle du tout, en plus, il compensait juste son appréhension de ce qui allait suivre. Ce serait bien trop beau que Juliana lui réponde avec un grand sourire que, puisqu’il ne voulait pas lui mentir, tout rentrait dans l’ordre. Ce serait bien trop beau aussi qu’Hayden n’en ait pas profité pour lui offrir le détail de son casier judiciaire, histoire de bien faire comprendre à sa sœur qu’il n’était pas un homme bien pour elle. Il demanda d’ailleurs, curieux de savoir un peu mieux à quel point il était dans la bouse de dragon :

« Et donc… Ton frère t’a dit quoi, exactement ? »

"Des potions pas très légales. Ouais, on voit ce que ça donne, les potions pas très légales au marché noir. Ça donne des gamines qui meurent à la pleine lune", répliqua-t-elle en éclaircissant les yeux. Juliana se tenait toujours informée de l'actualité et lisait la Gazette chaque matin entre deux cafés, par intérêt personnel et parce que c'était toujours bon de pouvoir tenir la conversation avec les clients en mal de compagnie. Elle avait lu des dizaines d'articles sur la crise des potions et ses terribles conséquences, l'affaire Nimbus et l'affaire Chaudrillon qui avaient successivement éclaté pour plonger le pays dans un terrible scandale. Roy n'était bien sûr qu'en bas de l'échelle mais il se trouvait peut-être mêlé à tout cela, en nourrissant le commerce noir qui pourrissait une partie de cette si jolie ville. Juliana ne savait pas qu'elle faisait référence à Klemens, sinon elle se serait peut-être abstenue, toujours est-il que le métier de Roy lui semblait d'autant plus abject au regard des récents évènements. C'était à cause de personnes comme lui que le scandale sanitaire, au lieu d'être rapidement étouffé, s'était amplifié lorsque les potions avaient filé au marché noir... Et ce n'était qu'un exemple parmi tant d'autres. Juliana était une femme de principe, c'était aussi une habitante de Bristol férue de cette ville et qui désespérait de la voir à moitié envahie par la pègre.

La colère de Juliana s'accentua face à la suite des paroles de Roy. Il avait ce petit ton insolent qui lui donnait envie de lui jeter un sort pour le couvrir de pustules, et elle se leva d'un bond pour faire les cent pas dans la pièce, furibonde. 

"Pourquoi tu me demandes ça, parce qu'Hayden ne connait que le sommet de l'iceberg ? Tu veux pas te trahir encore plus, c'est ça ? Il m'a dit ce que j'avais besoin de savoir, que t'avais un casier et que tu t'en sortais uniquement par manque de preuves, que c'était toi qu'il fallait voir quand il y avait des trafics pas nets. Que tu m'as menti, en gros. Et que t'aimes bien draguer les petites blondes, et laisser traîner tes yeux du côté de leur décolleté, mais je ne vois pas pourquoi je suis surprise !"

Elle croisa les bras sur sa poitrine et tourna un regard flamboyant sur le trafiquant, à moitié prête à exploser.

"Je ne te demandais pas de me dire la vérité dès notre première nuit ensemble, ça va, j'suis pas stupide ! Mais t'aurais pu le faire plus tard, si je comptais un tant soit peu pour toi. Par respect. Et puis quoi, la fidélité, tu connais pas ?! Je ne crois pas avoir été une copine particulièrement harassante pourtant, j'étais pas toujours sur ton dos, t'aurais pu me faire confiance !"

Juliana était aussi énervée contre elle que contre lui, consciente qu'elle s'était mis des oeillères car elle avait voulu croire à cette histoire qui semblait pourtant bien mal partie, car Roy avait su la charmer et endormir sa méfiance. Elle se sentait humiliée et stupide, aussi, pour avoir dû attendre que son grand frère auror lui ouvre les yeux. Alicia l'avait prévenue, pourtant, elle l'avait bien senti, elle... Se détournant de lui, elle lâcha d'un ton désabusé :

"J'sais pas pourquoi je suis surprise, pourquoi j'ai tant voulu croire que t'étais un type bien. J'aurais du écouter Alicia dès le début..."

La remarque sur les potions eut le don de faire disparaître son sourire un peu trop insolent. Même si Klemens était revenu depuis deux bonnes semaines, le sujet était encore sensible pour Roy. Il s’était assez torturé sur la question de sa culpabilité ou non dans l’histoire, que Juliana en ajoute une couche n’était pas nécessaire. Elle ne pouvait pas savoir, c’était vrai. Roy ne le lui avait pas dit. Roy omettait souvent ce genre de sujets importants dans ses discussions avec Juliana.

« J’ai dit que je les vendais, pas que je les fabriquais, mais ça t’empêchera pas de me faire la leçon, hein ? rétorqua t-il, la voix plus sèche qu’il ne l’aurait voulu. Surtout que… Rien, laisse tomber. »

Il rattrapa son sang-froid à temps. Il n’allait pas trahir le plus lourd secret de son ami, parce que la colère l’aurait trop fait parler, ça non. Si Roy n’était pas ce qu’il y avait de plus fidèle en matière de relations amoureuses, il était bien moins joueur en amitié. Même s’il avait bien envie de rétorquer qu’il ne s’amusait pas à refourguer des potions malheureusement défectueuses pour que son meilleur ami puisse attaquer deux fillettes de l’âge de son petit frère, Roy s’obstina à tenir sa langue. Il n’avait pas de toute manière pas la moindre envie de se lancer dans un débat politique ce soir avec sa petite amie.

Il n’avait pas non plus envie de se lancer dans une dispute, mais il ne s’y trompait pas, ils y fonçaient tout droit, il le sentit au ton de Juliana qui augmenta d’un cran. La situation prenait un tournant délicat. Si Roy savait ce que disait son casier judiciaire, il avait moins prévu la partie contrariante sur ses incartades avec des blondes. Meyer était trop bavarde avec ses collègues, ou McNeil espionnait derrière les portes, difficile de le dire, dans tous les cas, il était grillé. Pas pour le plus grave toutefois, il pouvait relativiser. L’interrogatoire de la veille avec Meyer n’était qu’une partie de séduction très gentillette et sans aucune illusion sur le fait qu’il n’y aurait pas de suite. Cela n’avait été rien d’autre qu’un jeu pour ajouter un peu de piment à quelque chose qui aurait mortellement ennuyeux autrement. Roy n’avait même pas espéré plus que se divertir un peu. Cela n’avait rien de comparable avec des choses que Juliana ignorait, comme une partie de jambes en l’air avec une certaine Kelsey ou… Il y en avait sans doute eu d’autres. Relativement peu. Une ou deux ? Oui c’était peu, disaient les comptes de Roy. Dire non à une femme ? Impossible, c’était plus fort que lui.

Pourtant, Juliana ne l’étouffait pas, c’était vrai. C’était bien pour cela qu’il appréciait sa relation avec la jeune femme et qu’il n’envisageait pas de rompre comme il aurait pu le faire, parce qu’elle lui paraissait simple et qu’il en tirait tous les avantages... jusqu’à aujourd’hui. Mais comment lui dire tout cela sans passer pour un mufle ? « Oui, je t’ai trompée une ou deux fois, Julia, mais attends, ça aurait pu être pire, et en plus, je ne t’ai pas larguée, c’est déjà bien ! ». Cela ne passait définitivement pas. Allait-il donc simplement se taire ? Non, Roy ne savait pas se taire, comme cela avait souvent été dit.

Il n’était pour autant pas suicidaire et il avait l’intuition qu’il était plus salutaire pour lui de s’écraser un peu. Tendant la main pour attraper celle de Juliana qui s’agitait trop à son goût, il planta son regard dans le sien, tandis que sa voix bien moins froide que plus tôt s’engageait dans un joli mensonge, après tout, il avait toujours été bon menteur :

« J’ai pas été infidèle, Julia, je te le jure. Ok, je suis pas un saint, ça m’arrive de regarder d’autres femmes, mais ça va pas plus loin. Et pour mon métier, c’était juste pas facile de trouver le moment et l’occasion de te le dire. J’avoue, j’ai pas été super courageux pour le coup, j’aurais du te le dire plus tôt… Mais tu comptes pour moi, Julia, sinon je serais pas resté en sachant que ton frère pouvait me griller. »

Mais elle se détourna malgré sa tentative qu’à moitié sincère pour l’amadouer. Sa bonne volonté ne dura que peu de temps. La phrase qui s’échappa des lèvres de la jeune femme, loin de l’enchanter, lui fit lâcher sa main. Roy croisa les bras sur son torse, avec une moue dubitative et… quelque peu vexée. Se faire insulter de sale type n’était jamais plaisant, mais il commençait à en avoir l’habitude, après avoir encaissé la remarque de la part de la moitié de ses connaisances. Que Juliana évoque Alicia à cet instant était bien plus agaçant, sans qu’il ne parvienne à mettre une réelle justification sur ce fait. Alicia, encore Alicia ? Pourquoi diable finissaient-ils toujours par parler d’Alicia ? Roy voulait bien qu’elles soient amies, mais mince, lui ne parlait pas de Klemens, de Valery, ou de Jayce à chaque fois qu’il voyait sa petite amie. Certes, Juliana était une femme. Il croyait savoir que les femmes se montraient en général plus démonstratives en matière d’amitié. Mais tout de même, quelque chose le dérangeait profondément, et Roy ne parvenait pas à se convaincre qu’il s’agissait de jalousie. C’était tout à fait irrationnel. Juliana n’était aucunement attirée par les femmes, il l’aurait su, autrement, n’est-ce-pas ? Il était pourtant bel et bien jaloux de cette médicomage qui rendait Juliana un peu trop bavarde à son sujet, un peu trop heureuse à chaque fois qu’elle allait la voir, et le ton qu’il prit n’y laissa aucun doute :

« Alicia hein ? C’est qui Alicia, au juste, pour que son nom finisse toujours par atterrir dans nos conversations ? »

Il avait dit pas de dispute, pas ce soir. Roy ne trouva malheureusement pas la patience de s’arrêter là, et décréter simplement qu’il s’excusait, que le sujet était clos. Il avait encaissé bien trop de reproches depuis le début du mois pour ne pas sauter sur l’occasion d’en faire lui aussi, peu amène à reconnaître qu’en l’occurrence, il avait bien plus de torts.

« Dès le début, tu dis ? Super, c’est cool, railla t-il. Ta chère Alicia te fait des commentaires sur moi dans mon dos sans même me connaître, et en plus de ça, tu l’écoutes bien docilement ! Il y a autre chose que je devrais savoir sur ce que dit ou fait Alicia Jones ? Je t’écoute, son avis a l’air d’être tellement plus important que le mien. »

Si Roy avait gagné des points en affirmant qu'il ne l'avait jamais trompée et qu'elle comptait pour lui, il en avait aussitôt perdu en s'en prenant à Alicia. Les sourcils de Juliana se froncèrent quand Roy s'emporta à son tour, visiblement agacé par la mention d'Alicia. Allons bon, songea-t-elle tandis que son rythme cardiaque augmentait légèrement, de quoi l'accusait-elle au juste ? Juliana se sentait déjà assez coupable de ce baiser échangé avec Alicia, et voilà que Roy enfonçait le clou... Mais c'était lui qu'elle avait choisi, par Merlin ! Elle avait eu si mal au coeur en repoussant Alicia, cela allait peut-être bien lui coûter son amitié, et voilà que ce n'était pas suffisant pour monsieur Calder. Lui pouvait se permettre n'importe quel comportement mais Juliana, elle, se devait d'être irréprochable - une sainte. Mais Juliana McNeil n'était pas quelqu'un de docile, songea-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine. Elle ne l'avait jamais été et elle ne le serait jamais, que ce soit envers Roy ou Alicia.

"Alicia est mon amie, voilà qui elle est, et elle veut ce qui est le mieux pour moi. Un concept qui a l'air de t'échapper !", lâcha-t-elle d'un ton énervé, avant d'ajouter sur un coup de sang : "Je ne l'écoute pas docilement, je suis assez grande pour me faire ma propre opinion, merci bien ! Je lui plaisais, à Alicia, figure-toi. Elle m'a embrassée. Mais c'est avec toi que je voulais être et elle l'a accepté. Alors t'en prend pas à elle !"

Drôle de façon de se défendre que celle de Juliana, dont les joues avaient rougis au fur et à mesure qu'elle parlait, mais la déception qu'elle éprouvait à l'égard de Roy déliait sa langue. Aussi impulsive que franche, Juliana n'aurait de toute façon pas pu garder quelque chose pour elle bien longtemps. Si son couple avec Roy devait survivre, il fallait que ça soit sur de bonnes bases. Mais pouvait-elle réellement rester avec quelqu'un en qui elle faisait si peu confiance ? Un trafiquant...il avait forcément dû faire des choses pas très jolies et sa façon de les minimiser, tout comme il minimisait son comportement envers les autres femmes, ne l'incitait pas à la clémence. Juliana sentait bien que l'énervement la prenait un peu trop vite, un peu trop fort, à l'encontre de Roy, mais ne parvenait pas à réfléchir de façon plus posée et objective. A vrai dire, elle n'avait même pas envie de chercher à apaiser les choses avec lui, et ce fut donc sur un ton toujours aussi mordant qu'elle lâcha :

"Je ne demande pas mieux que d'accorder de l'importance à ton avis, mais tu m'expliques comment je suis censée te faire confiance quand j'apprends auprès de mon frère quel type de personne tu es vraiment ? Quelqu'un qui se raconte qu'il y a une différence entre fabriquer et vendre pour mieux dormir la nuit ! Ben voyons ! Quelqu'un qui me sort du "j'suis pas un saint !". Moi non plus j'suis pas une sainte, Roy, mais au moins je suis franche ! J'arrange pas la vérité comme toi !"

Roy s’était emporté sans vraiment réfléchir. Peu d’arguments raisonnés soutenaient sa thèse, il en était conscient. Seule son intuition lui soufflait que quelque chose était suspect, ou en tout cas pas clair, dans la relation qu’entretenait Juliana avec « son amie ». La réponse de la jeune femme ne parvint malheureusement pas à faire taire cette intuition, bien au contraire. L’aveu qu’elle lui fit lui coupa le souffle, quelques secondes. Alicia l’avait embrassée, vraiment ? Et elle osait affirmer qu’elle n’était rien d’autre que son amie ? L’indignation le prit. Il avait la très désagréable sensation qu’on lui avait volé quelque chose, dans son dos. Juliana était sa petite amie. Savoir que quelqu’un d’autre l’avait embrassée ne faisait que gonfler sa colère et sa possessivité.

« Tu la défends, en plus ? s’énerva t-il. Sois pas si naïve, si elle l’avait accepté, elle ne t’aurait pas embrassée, pour commencer ! C’est pas comme si elle ignorait qu’on était ensemble, hein. Tu m’expliques comment elle s’est crue en droit de faire ça, si elle est tellement irréprochable ? A qui est-ce que je m’en prends, alors ? A toi, peut-être ? »

Sa question s’évanouit dans un ton soudainement accusateur, sans qu’il ne l’ait vraiment prévu. La situation était tellement ironique. La même chose lui était arrivé, pas plus tard qu’une semaine, se souvint-il soudain, tandis que l’image fugace de Valery passait dans son esprit. Où était la différence, après tout ? Valery aussi l’avait embrassé, alors que Roy pensait que seule l’amitié les liait. Il l’avait repoussé, ils avaient décidé d’en rester là. Ni plus ni moins. La différence était que Roy était certain de ne rien éprouver d’autre qu’un sentiment amical pour Valery, tandis que Juliana… Eh bien, peut-être était-ce le cas de Juliana aussi, mais il en était pour le moment peu convaincu. Surtout pas quand elle rougissait à vue d’œil à la simple évocation de ce baiser.

Et la suite le fit voir rouge, lui aussi. Juliana ne savait pas de quoi elle parlait. Qu’est-ce qu’elle croyait, que cette histoire de potions frelatées lui avait fait plaisir ? Qu’il les aurait vendues s’il avait su qu’elles étaient défectueuses ? Son milieu, certes peu scrupuleux, ne l’avait toutefois pas endurci au point de lui faire perdre son bon sens. Vexé que la jeune femme le juge ainsi, il répliqua impitoyablement :

« Parfaitement, il y a une différence. Mais je vois pas pourquoi je me fatiguerais à te l’expliquer, t’as l’air de t’être fait toute seule une idée du type de personne que je suis. » Il ajouta, agacé qu’elle fasse valoir son honnêteté contre la sienne : « Puisque tu es si franche, eh bien, vas y. Regarde-moi dans les yeux, et dis-moi que tu ne ressens rien de particulier pour Alicia. Répète-moi que c’est avec moi que tu veux être. »

Il ne parvenait pas à lâcher le sujet. Roy avait la posture et le regard très durs, exprimant clairement le défi qu’il lançait à Juliana. Mais en y regardant de plus près, en le connaissant un peu, on devinait que la lueur qui brillait dans son regard n’était plus de la colère, mais plutôt une pointe d’appréhension. Il espérait au fond de lui que Juliana réponde ce qu’il voulait entendre. Si elle ne le faisait pas, eh bien, il la perdrait, c’était certain. Il ne faisait jamais rien à moitié, si Juliana devait lui revenir, ce serait totalement ou pas du tout. C’était un ultimatum pour elle comme pour lui.

Juliana secoua la tête d'un air ulcéré face aux paroles de Roy, soutenant avec morgue son regard dur. Aucune affection, aucune compassion dans l'attitude du jeune homme, pas plus que dans celle de Juliana, et il aurait été bien difficile à un inconnu de comprendre qu'il s'agissait là d'un jeune couple. Juliana poussa un soupir excédé. Jamais en sortant de son entrevue avec Hayden elle n'aurait imaginé que Roy parviendrait à prendre le dessus de cette discussion, retournant la faute sur elle. Par Merlin, c'était le monde à l'envers !

Une seule question s'imposait désormais dans son esprit, éclipsant toutes les autres, obsédante. Qu'est-ce que je fais avec quelqu'un comme ça ? Peu importait finalement de savoir ce qu'elle pensait d'Alicia ou des femmes en général, c'était des questions pour plus tard. Tout ce qui comptait pour l'heure était le fait qu'elle ne se retrouvait pas du tout dans cette relation, avec cet homme qu'elle connaissait finalement bien mal et auprès de qui elle se sentait soudain mal à l'aise. Elle ne pouvait pas avoir confiance en lui, en ses activités professionnelles, en sa morale ou en son comportement, et il ne lui donnait pas vraiment confiance en elle non plus. Quelque chose lui murmurait que celle-ci ne serait que la première d'une longue série de disputes qui conduiraient inévitablement à une rupture fracassante et douloureuse... Pourquoi s'infliger cela ? Loin de ces filles qui n'envisageaient pas le célibat et pratiquaient le flirt comme un sport, Juliana avait toujours appliqué consciencieusement le proverbe selon lequel il vaut mieux être seul que mal accompagné.

"Peu importe ce que je ressens pour Alicia", répondit-elle lentement, le ton plus calme. "Tu as raison, ce n'est plus avec toi que je veux être."

Et voilà, c'était dit, quelques mots froids pour mettre fin à une relation naissante. C'était peut-être un peu précipité, peut-être même qu'elle allait regretter et s'en mordre les doigts... Mais elle ne le pensait pas. Quel que soit ce que l'avenir lui réservait, Juliana ne parvenait pas à imaginer Roy dedans. Son intuition lui soufflait que ce n'était pas le genre de personnes avec qui elle avait envie de s'associer sur le long terme. Ce n'était pas quelqu'un qui améliorerait sa vie, qui plairait à ses amis ou à sa famille, qui la rendrait fière de son couple et d'elle-même. Ce n'était pas lui qui l'accompagnerait dans les manifestations et réunions syndicales pour tenter d'influer sur l'avenir du pays, non, lui serait trop occupé à faire elle-ne-savait-quoi du côté de la Voie des miracles. C'était à cause de personnes que lui que sa ville, qu'elle aimait tant, gagnait peu à peu en notoriété pour sa pègre et son marché noir. Ce qui n'était certainement pas bon pour les affaires des honnêtes commerçants... Ils n'appartenaient pas au même monde, tout simplement.

"C'est fini Roy. Je ne veux plus te voir", ajouta-t-elle à mi-voix, avant de détourner le regard.

Oui, elle le sentait bien, qu'il valait mieux rompre avec Roy... Et pourtant, elle ne le faisait pas de gaieté de coeur. La jeune femme sentit la tristesse l'envahir et elle pria pour que Roy ne fasse pas d'histoires et s'en aille tout de suite, pour qu'elle puisse laisser libre court à ses émotions. Prendre la décision de rompre sur un coup de tête avec le seul homme qui lui avait réellement plu depuis des mois n'était pas facile. Car elle avait développé de l'affection pour Roy, en dépit de leurs différences. Ils avaient commencé à flirter dès qu'ils s'étaient rencontrés et il y avait eu une certaine connexion entre eux. Elle ne voulait pas de sa mauvaise influence dans sa vie, mais il allait lui manquer, elle le savait.

Tant pis, songea-t-elle en redressant la tête pour observer Roy. Il l'empêchait de réfléchir, il n'était pas bon pour elle. Alors il devait partir.

S’il y avait une chose que Roy maîtrisait assez bien, après le mensonge, c’était bel et bien l’art de retourner la situation à son avantage. Combien de personnes avait-il rendu folles à force de les cuisiner jusqu’à trouver le moindre détail qu’il pourrait utiliser dans le sens qui lui convenait ? Juliana n’en faisait les frais qu’après maints d’autres. Si cette capacité l’arrangeait en temps normal, cette fois-ci, il comprit qu’il venait de faire une bêtise, en voyant l’air résolument fermé de la serveuse. Il aurait préféré qu’elle réagisse avec aplomb, il aurait préféré subir son courroux. C’était ce à quoi il s’attendait, puisque c’était ce qu’il avait cherché en la bousculant de la sorte. Il ne comptait pas récolter cet air de dépit, comme si Juliana abandonnait, purement et simplement.

Roy pressentit assez bien les mots qu’elle allait lui servir, pour autant, ils ne lui firent pas moins mal. La phrase qui devait clôturer leur relation tomba, pas moins tranchante parce que Juliana la prononçait à mi-voix. Et Roy se trouva face à un dilemme, chose qu’il haïssait plus que tout. Faire quelques pas en arrière dans ses dures paroles pour la faire changer d’avis ? Se rabattre derrière des excuses, chercher des compromis ?  Sans parler du fait qu’il lui faudrait écraser son ego pour cela, Roy n’était même pas sûr d’avoir la sincérité nécessaire pour convaincre Juliana. Sa seconde option était d’accepter cette décision, de tirer une croix sur elle, en somme, d’exécuter les volontés de la jeune femme. Dans les deux cas, sa fierté prenait un sacré coup. Mais lui, que désirait-il ?

Il tenait à Juliana, certes. Il y avait eu une réelle alchimie entre eux, c’était indéniable, Roy s’était rarement attaché si vite à une femme. Et très précisément pour ces raisons, qu’elle lui échappe de cette manière n’en était que d’autant plus frustrant… A cet instant, les mots de Juliana l’avaient tellement froissé qu’il n’était plus très clairvoyant. La réaction intelligente aurait été de choisir l’une des deux options pré-citées. Celle qu’eut Roy était à coup sûr source de regrets pour plus tard, mais il n’y pensait pas. Seule comptait sa colère qui le fit abattre son poing contre le mur dans un bruit sourd et hausser le ton :

« Fini, hein ? Tu crois que tu vas t’en sortir comme ça ?! Mais pour qui tu te prends ? Ca ne va pas se passer comme ça t’arrange si bien, Juliana, non, ça sera fini quand je l’aurai décidé ! »

Roy serrait son poing, sans se préoccuper de la douleur sourde le long de ses phalanges, uniquement réceptif à sa propre fureur. Juliana le quittait et il en était le principal fautif, c’était de loin le plus énervant. Pour autant, il ne reviendrait pas sur ses pas. L’envie irrationnelle de la blesser dans son amour-propre elle aussi le saisit, tandis qu’un rictus désabusé tordait ses lèvres, et que les mots lui échappaient, dans un élan incontrôlé :

« Vous les femmes, vous êtes toutes pareilles, c’est pas croyable. Tellement naïves, tellement indécises… Je vois pas pourquoi je perds mon temps avec une femme qui préfère se casser à la première difficulté. Mais ça ne me fait rien, Julia, rien du tout, en fait, il n’y a qu’une chose que je regrette : tu aurais du rester un coup d’un soir, comme toutes les autres. Exactement comme toutes ces petites blondes que j’ai draguées sous ton nez. » Lui laissant quelques secondes le temps d’apprécier l’aveu sous-entendu qu’il venait de faire, sans plus aucun état d’âme, Roy acheva : « Là aussi, tu tombes des nues ? Tu me réclamais d’être franc, voilà, c’est fait. Maintenant, c’est fini. »

D’un geste rageur, il récupéra sa veste, prêt à transplaner, et tourner définitivement le dos à Juliana. C’était faux, encore une fois... Il n’avait pas été totalement franc. Son discours s’était laissé parasiter par toute sa mauvaise foi, aveuglé qu’il était par son orgueil.

Le regard de Juliana s'arrondit quand Roy écrasa son poing contre le mur avant de se mettre à crier. La jeune femme eut un mouvement de recul instinctif et porta la main à sa poche pour saisir sa baguette magique. Pourquoi avait-elle décidé que Roy était digne de confiance, quelques mois auparavant, au juste ? Tout cela parce que c'était un copain de Valery ? C'était idiot ! Hayden l'avait mis en garde contre lui et la vérité c'était qu'en dépit de leurs moments partagés, elle n'avait pas la moindre idée de ce dont il était capable. En soit, Juliana n'était pas très inquiète, elle savait se défendre, mais elle se sentait honteuse de s'être mise dans cette situation. Sortir avec un homme qui n'avait rien de recommandable, dont elle ne savait rien, et dont l'égo était tel qu'il n'acceptait pas que l'on rompe avec lui n'était probablement pas un signe de très grande maturité. Juliana rencontrerait-elle un jour quelqu'un de responsable ? Quelqu'un de bien pour elle ? C'était à croire qu'elle était incapable d'apprécier un homme bourré de qualité, ce n'était pourtant pas cela qui manquait dans sa bande de copains... Peut-être que ses choix seraient meilleurs si elle s'intéressait aux femmes, souffla une petite voix dans sa tête qu'elle s'empressa de repousser.

Ecoeurée par la réaction de Roy et par ses révélations mesquines, elle ne put retenir sa main et le giffla en un geste aussi inutile qu'irréfléchi. C'était libérateur, néanmoins, la libérant du plus gros de sa colère et de sa tristesse pour ne laisser qu'amertume et mépris. C'était incroyable comme Roy venait de balayer tous les bons souvenirs qu'elle avait avec lui - car ils étaient bons - en quelques phrases. Comme il venait d'invalider toutes les baisers, tous les moments tendres, toutes les belles paroles qu'ils avaient pu échanger. Mais elle s'en remettrait, au fond, elle savait depuis le début que cette relation ne durerait pas...

"Tu réagis comme un gosse à qui on enlève son jouet, c'est pitoyable. J'suis quand même pas la première femme à rompre avec le grand Roy Calder, dit moi ? Retourne donc draguer tes petites blondes écervelées, c'est bien tout ce que tu mérites."

Juliana attrapa Roy par le bras et entreprit de le tirer vers la porte d'entrée avec toute sa force de serveuse. Elle n'allait pas lui laisser le plaisir de transplaner au beau milieu de son salon à nouveau, on n'était pas à King Cross ici ! Il fallait vraiment qu'elle lance un sort de protection, à ce sujet...

"Au plaisir de ne plus jamais te revoir", crâcha-t-elle avant de lui claquer la porte au nez. Après un instant d'hésitation, elle la ferma à clef et donna un coup de baguette pour empêcher les transplanages, puis vint se blottir sur le canapé. Joel travaillait et elle tenait à être tranquille pour les prochaines heures, elle, une couverture polaire et ses regrets. Oh, elle ne regrettait pas d'avoir rompu, au contraire. La réaction de Roy n'avait fait que la conforter dans sa décision, car elle ne voyait pas comment elle pourrait rester avec quelqu'un d'aussi mesquin et superficiel, d'autant plus si elle ne pouvait pas lui faire confiance. Non, ce qu'elle regrettait, c'était de s'être ouverte à lui au départ, d'avoir été si peu clairvoyante et d'avoir blessé Alicia au passage. Elle se sentait stupide et essayait de ne pas penser aux dernières paroles de Roy, peu sure de vouloir savoir s'il lui avait été infidèle... Juliana ne bougea pas pendant un long moment, le regard dans le vague, à ressasser ses pensées. Bien vite, ce n'était plus du côté de Roy que son esprit papillonnait...