Polichinelle dans le tiroir [Rachelle & Gwen]

L'infirmerie n'avait jamais été aussi propre. Pourtant Rachelle trouvait toujours quelque chose à astiquer ou à désinfecter, encore et encore. Généralement c'était le signe qu'elle n'allait pas bien. D'ordinaire elle aimait déjà que les choses soient en ordre mais dès que quelque chose ne tournait pas rond dans sa vie personnelle, elle avait d'autant plus besoin que tout soit propre, bien rangé, parfaitement à sa place. Cela lui occupait un peu l'esprit, et lui apportait la satisfaction d'avoir mis de l'ordre quelque part, à défaut de pouvoir le faire dans sa vie. Il ne se passait pas une seule minute sans qu'elle regrette d'avoir quitté William. Elle essayait de se convaincre qu'elle avait fait le bon choix pourtant. Elle avait une liste d'arguments longue comme le bras qui auraient du la conforter, mais rien n'y faisait. Elle était tellement mal qu'elle n'arrivait pas à penser qu'elle avait agit comme il fallait.

Jamais elle ne s'était sentie aussi seule. Ou peut-être que si, huit ans plus tôt. Elle avait l'impression de connaitre le deuil une seconde fois, mais de façon différente. Elle n'avait personne à pleurer cette fois-ci, parce qu'elle était persuadée que William serait heureux et aurait la vie qu'il méritait, mais elle devait renoncer à l'avenir dont elle avait toujours rêvé, et elle n'y parvenait pas. C'était pourtant clair, elle n'aurait pas d'enfants. Jamais. Elle s'était répété cela des dizaines de fois, mais elle ne s'y faisait pas. Parfois elle se surprenait encore à esperer, à envier Chloé quand elle la voyait avec Lou, à penser au jour où ce serait son tour. Et chaque fois elle devait se rappeler que sont tour ne viendrait jamais, et chaque fois c'était aussi douloureux. Elle se demandait combien de temps il lui faudrait pour accepter la réalité. Elle finirait bien par se résigner, un jour.

Plongée dans ses sombres pensées, Rachelle était occupée à refaire un lit qu'elle avait déjà fait deux fois depuis ce matin quand elle entendit la porte s'ouvrir. La jeune femme eut à peine le temps se de retourner qu'une élève de Gryffondor s'avançait vers elle, visiblement de méchante humeur et pas vraiment dans son assiette -ce qui était plutôt normal pour quelqu'un qui se rendait à l'infirmerie.  Sans plus de cérémonie, la jeune fille lui demanda si elle pouvait lui donner quelque chose contre la nausée. Surprise de l'entendre dire qu'elle en "avait marre" d'être dans cet état -comme si cela durait depuis longtemps- Rachelle abandonna l'idée de lui rappeler que les élèves étaient censés frapper et lui fit signe de s'asseoir sur le lit le plus proche.

"Tu es juste nauséeuse ou il y a autre chose ? l'interrogea-t-elle tout en passant une main sur son front pour vérifier qu'elle n'ait pas de fièvre. Mal à la tête ? Des vertiges ? Ça dure depuis longtemps ? Seulement le matin ou toute la journée ? Tu as tes règles en ce moment ?"

C'était la raison qui poussait la majorité des adolescentes à venir lui demander une potion contre le mal de ventre, de façon plus ou moins régulière. Rachelle s'attendait donc à ce que ce soit également le cas aujourd'hui et était bien loin de se douter que la raison du mal de la jeune fille était toute autre. Elle lui adressa donc un léger sourire qui se voulait encourageant, consciente qu'elle n'avait peut-être aucune envie de parler de ça avec elle.

Rachelle nota mentalement les réponses plutôt pauvres en informations de l'adolescente. Elle ne fit pas attention à son agacement et à son insolence, elle préférait mettre ça sur le compte de la douleur et de la fatigue, n'ayant pas la moindre envie de se lancer dans une leçon de politesse. La jeune fille leva les yeux au ciel en lui répondant qu'elle ne serait jamais venue si elle avait simplement eu ses règles et Rachelle haussa les épaules. Plusieurs élèves le faisaient et il n'y avait rien de ridicule là-dedans, il suffisait d'une potion contre le mal de ventre pour aller mieux, c'était même idiot de ne pas la demander.

La Gryffondor perdit toutefois de sa verve et pâlit légèrement. L'infirmière fronça légèrement les sourcils alors que l'adolescente la regardait en se mordillant la lèvre. Oh non. Non, non non. Elle comptait son retard, Rachelle en était certaine. Elle pouvait presque l'entendre faire le calcul dans sa tête. Et à en croire son expression le résultat n'était pas rassurant. L'adolescente ne dit rien, lui demandant simplement une potion ou "un truc" contre les nausées, mais Rachelle n'avait pas oublié l'expression d'inquiétude qu'elle avait vu passer sur son visage un instant plus tôt.

"Est-ce que tu as du retard ?" demanda-t-elle, un peu inquiète à son tour, sans la quitter des yeux.

Des nausées matinales et du retard. Pas besoin d'avoir fait des études de médicomagie pour en tirer des conclusions. Théoriquement, il existait d'autres pathologie qui avaient des symptômes similaires, des maladies plutôt rares, voire exceptionnelles. Mais pour une fois la solution la plus évidente était la plus difficile à admettre. Ce n'était peut-être pas ça. Elle espérait que ce n'était pas ça. Elle avait peut-être interprété les signes trop rapidement. Elle pouvait parfaitement s'être trompé. Elle espérait s'être trompé. Ça ne pouvait pas être ça. Mais pour le savoir elle était bien obligée de vérifier.

"Est-ce que tu as...Est-ce que tu pourrais être enceinte ?" demanda-t-elle calmement, s'efforçant de rester aussi professionnelle que possible.

Peut-être que l'adolescente lui répondrait que non, prendrait un air effarouché et lui dirait qu'elle n'avait jamais connu aucun garçon, ce qui réglerait la question. Mais plus les secondes s'écoulaient, moins Rachelle croyait à cette possibilité.

"Honnêtement" précisa-t-elle.

Si l'hypothèse de l’infirmière était exacte, la jeune fille ne pourrait pas mentir bien longtemps de toute façon...Ca ne pouvait pas être ça, Rachelle refusait encore de l'admettre. L'idée était bien trop dérangeante. C'était une adolescente qu'elle avait en face d'elle, pas une femme prête à avoir un enfant ! Et que pourrait-elle faire si c'était le cas ? Elle n'était pas habituée à gérer ce genre de cas, elle pensait ne jamais avoir à le faire en travaillant à Poudlard, et elle ne pouvait malheureusement pas s'inspirer d’expérience personnelle. Son cœur se serra un peu à la pensée qu'elle ne serait jamais enceinte avec que cette pauvre élève de seize ou dix-sept ans l'était peut-être. Rachelle souffla longuement, rejetant toute ces pensées loin d'elle pour se concentrer sur la réponse de Gwen, priant pour que ce ne soit pas celle qu'elle redoutait.

Deux semaines de retard. Merlin. Morgane. Rowena. Dumbledore et tous les autres vieux sages barbus. Bon, pas panique, pas de conclusions hâtives. Il pouvait toujours y avoir d'autres explications, même si l'hypothèse qu'elle redoutait paraissait de plus en plus évidente. Et l'adolescente commençait à s'inquiéter aussi puisqu'elle lui assura qu'elle prenait une potion de contraception, et qu'elle ne l'avait pas oublié. Rachelle hocha la tête pour lui signifier qu'elle la croyait. Malheureusement les potions de contraception n'étaient pas efficaces à 100%, donc contrairement à ce qu'affirmait la jeune fille, ce n'était pas impossible. L'infirmière sentit son cœur se serrer en voyant des larmes couler le long des joues de la Gryffondor. Elle n'imaginait que trop bien sa peur, son angoisse, mais ne savait pas comment la rassurer. Elle s'assit à côté d'elle sur le lit et attrapa sa main pour la presser dans la sienne.

"Écoute...Je ne sais pas si c'est ce que tu crois, mais même si c'est le cas, ça va aller."

Elle se doutait bien que c'était difficile à croire, quand on avait dis-sept ans et qu'on pensait être enceinte, mais ce n'était pas la fin du monde. Elle avait toujours un choix, elle n'était pas obligée de garder le bébé. Aux yeux de Rachelle qui aurait fait n'importe quoi pour avoir un enfant, c'était un choix incompréhensible, mais c'était son devoir de mettre la jeune femme au courant de cette possibilité. Elle ignorait si l'adolescente était d'origine moldue ou sorcière, donc si elle était un peu renseignée sur le sujet ou non. Il n'était pas rare que des sorciers crient au scandale en découvrant l'existence, parfaitement légale, de l'avortement dans le monde moldu. Rachelle comprenait ce qui pouvait les choquer, mais à ses yeux c'était une solution qui permettait à des femmes et à des adolescentes de ne pas voir leur vie ruinée par la naissance d'un enfant qu'elle n'avait pas voulu et qu'elle n'aurait pas su élevé.

"Si jamais tu es enceinte, reprit-elle en essayant d'adopter un ton rassurant. Ce sera à toi de décider si tu veux garder l'enfant ou non. Tu pourras choisir de te faire avorter dans un hôpital moldu si tu le veux, tu sais en quoi ça consiste ? Si la jeune fille venait d'une famille sorcière depuis plusieurs générations elle n'avait probablement rien compris à ce qu'elle venait de dire. Je peux t'accompagner et t'aider dans les démarches, seulement si tu le souhaites."

Elle avait dû être odieuse avec Merlin dans une autre vie, elle ne voyait que ça. Elle venait d'apprendre qu'elle ne pourrait jamais avoir d'enfants et elle se retrouvait à parler d'avortement avec une adolescente de dix-sept ans. Elle aurait pu en rire, et en pleurer. Mais ce n'était pas d'elle dont il était question, elle ne pouvait pas se permettre de laisser sa vie personnelle influencer ses choix. Elle se devait de conseiller au mieux la jeune fille, qui devait se sentir complètement perdue.

"Quoiqu'il arrive, ce sera à toi de décider, d'accord ?"

A cet âge il était trop facile de se laisser influencer par des parents -pour peu qu'ils soient des sorciers un peu traditionnels ils seraient certainement opposés à l'avortement- par des camarades véhiculant des idées reçues, par la peur d'être jugée. Mais il était important qu'elle fasse son choix toute seule, parce que c'était de sa vie dont il était question.

"Il va me falloir un de tes cheveux maintenant."

Rachelle ouvrit la main, attendant que la jeune fille y dépose un de ses cheveux bruns, puis elle quitta le lit sur lequel elle s'était assise un peu plus tôt pour se diriger vers son bureau. Elle en ouvrit le premier tiroir et en sortit une fiole remplie d'un liquide transparent. Elle en gardait plusieurs dans son bureau, de l'époque où elle pensait les utiliser elle-même. Mais ce genre de potion ne lui serait plus jamais utile désormais. L'infirmière fit léviter jusqu'à elle une petite coupelle en verre dans laquelle elle versa le contenu de la fiole et retourna près de l'adolescente.

"C'est un test de grossesse, lui expliqua-t-elle en déposant le cheveu brun à la surface du liquide. Si la potion devient bleue, cela veut dire que tu n'es pas enceinte. Si elle devient rose..."

Rachelle n'eut pas le temps de terminer sa phrase que déjà le liquide prenait une teinte violette, puis fuchsia, et enfin rose. Assez rose pour qu'il n'y ait pas le moindre doute possible.

Rachelle continuait de fixer le liquide rose, comme si son regard avait le pouvoir de la faire virer au bleu. Combien de fois avait-elle souhaité l'inverse ? Combien de fois avait-elle fixé cette même potion, après y avoir déposé un de ses propres cheveux, dans l'espoir que sa teinte turquoise disparaisse au profit d'un joli rose. Merlin avait un drôle de sens de l'humour. Elle avait toujours pensé que le jour où cette potion prendrait enfin la couleur rose tant désirée elle serait folle de joie, mais aujourd'hui c'était tout l'inverse. Parce qu'il ne s'agissait pas d'elle mais d'une adolescente de seize ou dix-sept ans, complètement perdue et absolument pas prête à affronter sa situation.

Désemparée face aux larmes de la jeune fille, Rachelle passa un bras autours de ses épaules et lui caressa doucement le dos. Elle aurait voulu pouvoir faire quelque chose pour arranger la situation, malheureusement cela faisait partie des maux qu'elle ne pouvait pas guérir, c'était à la jeune fille de prendre les décisions désormais, Rachelle ne pouvait que l'accompagner au mieux qu'elle pouvait dans ses choix, mais certainement pas décidé à sa place.

Le cœur de l'infirmière se serra quand l'adolescente lui avoua ne pas se sentir capable d'affronter ça avant d'ajouter qu'elle voulait juste jouer au Quidditch. Devenir joueur ou joueuse de Quidditch était un rêve commun à cet âge-là, élever un enfant beaucoup moins. Le contraste entre la situation de la jeune fille et son rêve d'avenir était saisissant, et lourd de sens. Elle n'était pas prête à devenir mère, mais peut-être changerait-elle ? Elle avait plusieurs semaines devant elle pour prendre la décision qui changerait le cours de sa vie, et le cas échéant elle aurait encore quelques mois pour s'y préparait. Ce n'était pas grand-chose, et le temps passait souvent trop vite, mais il se pourrait que cela soit suffisant. C'était à la jeune fille d'en décider. Cette dernière venait de fondre en larmes, se recroquevillant sur elle-même. Rachelle la prit dans ses bras mais la laissa pleurer, cela lui ferait probablement du bien.

L'infirmière laissa passer plusieurs minutes de silence, pensant à toutes ces choses dont elle devait informer la jeune fille. Les contrôles médicaux à faire, les délais pour l'avortement, les procédures, il faudrait également qu'elle prévienne ses parents et le père de l'enfant, si elle le souhaitait. Quelle que soit sa décision, sa vie en serait marquée, et pourrait bien changer de façon radicale. Tout ça arriverait bien assez vite, Rachelle pouvait bien accorder quelques jours de répits à l'adolescente. Elle avait probablement le sentiment qu'elle n'en avait plus, mais elle avait encore un peu de temps devant elle, et elle en aurait besoin pour prendre une décision.

"C'est normal que tu ne te sentes pas capable d'y arriver, mais je suis certaine que tu vas t'en sortir, assura-t-elle finalement d'une voix douce. Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise solution, c'est à toi de faire ce qui te parait être le bon choix. C'était très certainement une des décisions les plus importantes qu'elle aurait à prendre dans sa vie, et quel que soit son choix, il ne serait pas facile à assumer. Prend quelques jours pour y réfléchir, d'accord ? Tu peux en parler avec qui tu veux, je suis là si tu as des questions ou le moindre problème. Ça va aller, promit-elle, autant pour se convaincre elle-même que pour rassurer la jeune fille. Je sais que tu peux y arriver."

De toute façon elle n'avait pas le choix, songea Rachelle avec tristesse. Elle allait devoir grandir très vite, et faire des choix qu'elle aurait sans doute préféré remettre à plus tard. Elle y était obligée par la force des choses, et ce ne serait pas facile, mais elle s'en sortirait.