13 février
La Voie des Miracles s’activait en cette matinée, selon son rythme habituel. Les clients quotidiens du Cerbère poussaient la porte du bar, les uns après les autres. Contrebandiers, arnaqueurs, faussaires et autres truands venaient y prendre un petit remontant, avant d’entamer leur dure journée de labeur. Il s’agirait pour les uns de planifier un méfait avec deux ou trois compagnons d’infortune, pour les autres, de réclamer un paiement qui se faisait attendre. Roy termina de faire le tour des visages présents, qu’il connaissait presque par cœur. Assis à une table, accolée à une fenêtre, il reporta son regard sur son partenaire d’affaires face à lui : Jayce, le nez dans la Gazette, et Roy commençait à s’impatienter de son silence.
« Alors, ces nouvelles ? finit-il par demander, histoire de le faire parler.
- Rien d’nouveau, on dirait. L’affaire de la Consumeuse fait encore du bruit, ça devient presque lassant.
- Pourquoi t’as l’air tellement absorbé alors ?
- J’lis les faits divers, là. Ils parlent du témoignage d’une vieille dame qui se serait réveillée avec la tête enflée comme un Souaffle. Sa potion somnifère aurait eu des effets secondaires, apparemment. Plus de peur que de mal, mais y a plein de faits divers de ce genre ces derniers jours, c’est bizarre…
- Les gens se fournissent chez les mauvaises personnes, au lieu de venir nous voir, railla Roy.
- Ris pas ! Moi j’aime pas ça, c’est typiquement le genre d’histoires qui fait baisser la confiance des gens. Qui te dit qu’il y a pas des ingrédients louches qui circulent dans les chaînes de fabrication, en ce moment ? Ca sert pas nos affaires.
- Griggs a beau être une sale ordure, il se fournit pas chez n’importe qui. On n’a jamais eu de problèmes avec ce qu’il nous refile. Ta vieille dame a dû acheter des somnifères à dix Noises chez un apothicaire de bas étage, voilà tout. Arrête de flipper pour ça. »
Jayce, pas franchement convaincu, replongea dans sa lecture silencieuse, tandis que Roy soupirait. Comme s’ils n’avaient pas assez de problèmes comme ça, s’ils se mettaient en plus à douter de leurs fournisseurs, ils n’iraient pas bien loin. Son regard vagabonda derrière la fenêtre à sa gauche, donnant sur la rue. Quelques connaisseurs de la Voie des Miracles passèrent sous ses yeux, trois, quatre, dix peut-être, avant que son regard ne s’accroche sur la silhouette bien bâtie d’un homme qu’il se serait bien passé de connaître. Un homme qui pénétrait justement dans le bar. Que diable faisait-il ici ?
A ce moment-là, Roy hésita à faire mine de n’avoir jamais vu Hayden McNeil pousser la porte du même bar que lui. Cependant, il avait des rapports à lui faire, tel était le prix de sa liberté actuelle, McNeil se chargeait souvent de le lui rappeler quand Roy attendait trop longtemps pour donner des nouvelles. Peut-être qu’il était justement là pour lui en réclamer, songea t-il un instant. Or Roy ne tenait vraiment pas à ce que l’Auror y fasse illusion devant Jayce et le laisse se débrouiller par la suite pour trouver un prétexte à lui fournir. Son partenaire n’était aucunement au courant de ses activités mardoliennes, et c’était pour le moment très bien ainsi.
« Bon, j’te laisse, mec, bonne lecture ! On se retrouve tout à l’heure à l’endroit habituel. »
Sans laisser le temps à Jayce d’objecter, il se leva et marcha d’un pas peu pressé de rencontrer l’Auror. Pourtant, il se trouva trop vite à tirer la chaise en face de lui sans attendre qu’on ne l’y invite, et à demander d’une voix assez basse pour que les oreilles traînant autour n’entendent pas, mais néanmoins assurée :
« Que fait un Auror dans la voie des Miracles ? Un détail retint l’attention de son regard et le fit sourire en coin. Sans tenue de service, en plus ? Vous êtes venu nous espionner ? »
Ce n’était pas une très bonne nouvelle pour Roy d’apprendre qu’il était capable d’entrer dans la voie des Miracles, mais très égoïstement, il se rassura en se disant qu’il n’avait désormais rien à craindre du BDA, tant que son marché avec Hayden restait de vigueur. Et c’était bien là la difficulté de sa situation. Les tâches que lui confiait McNeil étaient loin d’être simples. Roy préféra garder la conversation en main et prévenir les éventuelles remarques, avant que son « associé » ne lui en fasse :
« Pour le boulot que vous m’avez demandé de faire la dernière fois, ça avance. J’vous avais dit que ça prendrait du temps de recueillir les infos et que je vous préviendrai moi-même quand ça serait bouclé. C’était pas la peine de venir. »
Et en disant cela, Roy avait une petite lueur de reproche dans le regard. Il n’aimait pas beaucoup qu’on le colle au derrière, non.