Les caprices [Chloé et Maeva]

Dimanche 28 octobre 2007

Il y avait des moments où être mère était difficile, et Chloé traversait l'un deux. Il fallait absolument qu'elle parle à sa fille - la plus grande. Lou était encore trop petite pour faire ce genre de bêtises, et Chloé priait pour qu'elle ne marche pas sur les traces de son aînée. Elle avait confié la petite à Peter, afin d'avoir l'appartement pour elle seule avec Maeva. C'était d'ailleurs une illustration parfaite de pourquoi-ne-pas-habiter-dans-la-même-maison-que-lui. Parfois, elle avait besoin d'espace et d'intimité pour régler ses problèmes avec Maeva, et Peter ne pouvait être mêlé à ses histoires car il n'était pas son père. La jeune fille devait déjà supporter Eden en permanence chez son père, elle ne pouvait lui imposer un beau-parent de plus tout le temps! Totalement inconsciente de sa mauvaise foi, Chloé s'activait inutilement autour de son bureau, corrigeant les copies à un rythme beaucoup trop lent. Elle n'arrivait pas à se concentrer sur ce que ses élèves avaient écrit, et finalement abandonna et se dirigea vers la chambre de sa fille. La porte était fermée. Elle frappa doucement avant d'ouvrir.

Tout avait commencé une semaine auparavant, lorsqu'elle avait ramené diverses affaires qui traînaient dans le salon dans l'antre de l'adolescente. La chambre était un bazar sans nom. Des vêtements traînaient sur le sol au milieu des livres, du maquillage et des magasines titrant sur le chanteur trop sexy de Voldy. Chloé avait sorti sa baguette pour remettre un peu d'ordre, et dans l'opération, un petit carnet manuscrit était tombé à ses pieds. Elle avait tout de suite compris qu'il s'agissait du journal intime de sa fille, et l'avait ramassé sans l'intention de le lire. Ses yeux étaient cependant tombés sur une ligne, une ligne qu'elle ne pouvait ignorer, une ligne qui avait retenu son attention et qu'elle avait lu et relu, incrédule. Incapable de résister, elle avait parcouru quelques pages et constaté avec horreur que ce n'était pas une pensée isolée. Merlin, comment sa fille pouvait-elle lui faire cela?

Aurait-elle découvert un tout autre secret que Chloé se serait tue, aurait fait mine de ne pas savoir, et aurait rit doucement devant les tentatives maladroites de Maeva de dissimuler la vérité. Mais il y avait certaines choses avec lesquelles elle ne pouvait pas plaisanter, et Maeva avait mis le doigt sur l'une d'elles. Comment pouvait-elle encore être en contact avec lui, alors qu'il n'était plus à Poudlard? Non, il fallait qu'elle arrête cela. Chloé ne pouvait pas laisser sa fille dans cette histoire, elle devait lui ouvrir les yeux. Alors, elle prenait tout son courage de Gryffondor pour faire face à la situation.

"Ma chérie, je voulais te demander quelque chose" dit-elle d'une voix un peu nerveuse, s'efforçant de conserver un masque souriant. Elle s'assit sur le lit. "Est-ce que tu es en contact avec Darren O'Connor?"

On était dimanche, Maeva avait un tas de devoirs à faire pour le lendemain, et restait pourtant allongée paresseusement dans son lit, les yeux fermés. Par Merlin, elle aurait pu passer la journée ainsi, rêvassant tranquillement, sans personne pour venir la déranger. Mais les week-ends étaient bien trop courts pour qu’elle se permette de ne rien faire aujourd’hui, sachant qu’elle n’avait pas été plus productive samedi. Elle n’était qu’en quatrième année, pourquoi est-ce que ses professeurs se sentaient obligés de leur donner des tonnes de devoirs ? Ils avaient une vie, tout de même ! Et puis, elle ne pouvait même pas se plaindre, puisque Chloé et Peter étaient enseignants, et qu’elle avait même cours avec son beau-père. Elle s’accordait juste le droit de médire sur les sortilèges et sur Edmund Harris, mais c’était de bonne guerre puisqu’en plus d’être exigeant, il détestait cordialement les Gryffondor. Et dire qu’il était devenu le directeur temporaire des Poufsouffle… Les pauvres. Cela dit, ce n’était pas en râlant sur sa quantité de devoirs qu’ils allaient se faire d’eux-mêmes, et Maeva avait tout intérêt à s’y mettre rapidement. Elle commencerait par les Runes, tiens, comme ça elle pourrait toujours demander de l’aide à Peter si elle ne comprenait pas – on trouvait toujours des avantages à toutes situations, après tout.

Elle fit un effort – surhumain, assurément – pour se redresser, et s’assit en tailleur dans son lit, avisant ses affaires de cours et sentant déjà la motivation la quitter. Non ! Non, il fallait qu’elle travaille ! Elle fronça les sourcils, esquissa un mouvement pour se mettre debout et… s’arrêta brusquement lorsqu’elle entendit frapper à la porte de sa chambre. Intriguée, elle se laissa retomber lourdement sur son lit et tourna la tête vers celle qui venait d’entrer, découvrant – sans trop de surprise – sa mère. Qu’elle vienne la voir n’était pas si surprenant, mais la raison lui échappait totalement. Et puis, pourquoi semblait-elle si nerveuse ? Maeva se décala pour faire de la place à sa mère sur son lit et la dévisagea avec curiosité. Que voulait-elle lui demander, par Merlin ?

La question qui arriva la prit de court, et elle fut trop surprise pour répondre instantanément. Comment ça, est-ce qu’elle était en contact avec Darren ? Elle dû se faire violence pour ne pas rougir et ne pas jeter un regard vers la boîte où elle avait rangé les quelques missives qu’ils s’étaient échangés. Oui, elle continuait à lui parler, de temps en temps, pour lui demander de ses nouvelles, mais sa mère n’était pas censée être au courant ! Et si elle avait connaissance de ça, elle ne tarderait pas à apprendre ce qu’elle essayait de lui cacher depuis des semaines : son attirance pour l’ancien capitaine des Serpentard. Cela avait commencé à la fin de l’année dernière, lorsqu’elle avait compris que Darren quitterait Poudlard définitivement. Elle l’aimait bien, après tout, elle le trouvait gentil, avec elle. Et il était beau en plus de ça. Alors, au fur et à mesure, elle avait développé un béguin pour lui. Rien de bien méchant, elle sentait juste ses joues chauffer lorsqu’il s’adressait à elle. Pendant l’été, elle lui avait envoyé une lettre qui ne faisait que lui demander s’il avait été pris dans une équipe de Quidditch, avant de lui souhaiter bonne chance pour les années à venir. Alors, ils avaient échangé quelques missives. Oh, pas beaucoup ! Mais cela avait suffit à raviver le béguin de l’adolescente.

Elle était peut-être amoureuse, elle ne savait pas vraiment. Mais elle avait fini par tout écrire dans un carnet, qui était devenu son journal intime, pour mettre ses pensées par écrit. C’était devenu une habitude, et elle faisait toujours attention à le cacher – sous son lit, ou sous son matelas – afin que personne ne mette la main dessus.

« Je… Quoi ? » s’étonna-t-elle, pour gagner un peu de temps. « Mais non ! Il a quitté Poudlard, comment je pourrais être en contact avec lui ? » mentit-elle avec aplomb.

Cela aurait été un tout autre secret, elle aurait dit la vérité à sa mère. Maeva n’était pas une menteuse, et ne se sentait pas très à l’aise à dissimuler quelque chose. Mais là, c’était sa vie privée, et ça ne regardait qu’elle.

« Pourquoi tu me demandes ça ? » questionna la jeune fille, en priant intérieurement pour que sa mère soit satisfaite  de sa réponse.

Maeva nia fermement toute relation épistolaire en Darren et elle, et Chloé n'en fut pas surprise. A 14 ans, on aimait rarement dévoiler son intimité à ses parents, surtout lorsqu'on avait une mère qui envahissait même votre espace scolaire. Chloé détailla rapidement sa fille du regard. Elle était en retard, par rapport aux filles de son âge, n'étant pas encore bien formée, mais on devinait déjà les courbes d'une future femme sous ses traits enfantins. Dans quelques mois, elle n'aurait plus rien de la petite fille qu'elle avait été. Il faudrait peut-être que Chloé s'occupe de la fameuse conversation mère-fille qui entourait cette période de la vie, d'ailleurs. Mais immédiatement, il y avait un sujet bien plus important. Car, si dans certaines familles huppées on trouvait que fréquenter un né-moldu (ou un manufacteur), était la honte suprême, dans la famille Hellsoft, c'était apprécier un O'Connor qui était strictement interdit.

"Ecoute, ma chérie... Je sais que tu as eu des nouvelles", souffla Chloé, cherchant un moyen diplomatique d'expliquer la situation à sa fille. Elle ne voulait pas pour autant jouer son jeu et prétendre que, ça alors, il n'était plus à Poudlard, la communication n'était plus possible. Maeva avait sa propre chouette.

Même en faisant abstraction de tout le passé que Chloé pouvait avoir avec son père, Devlin, Darren restait un rustre machiste, au caractère épouvantable, avec des idées réactionnaires, racistes et dépassées. La rumeur voulait qu'il ait giflé sa petite-amie en public (on n'avait pas idée, d'être la petite-amie d'un tel homme), et elle avait eu le bon sens de le quitter. Chloé ne croyait pas que le meurtre de sa famille ait adoucit le jeune homme, pas plus que sa participation au tournoi de rugby, ce sport moldu, ne prouve son évolution de pensée. Et quand bien même, personne ne changeait fondamentalement, et Darren avait bien trop de défauts pour devenir un jour quelqu'un de bien. Chloé refusait que sa fille subisse l'influence d'une personne aussi idiote que malfaisante. Maeva était la chair de sa chair, elle devait la protéger des influences néfastes. Rien que la voir discuter avec Kelsey Lorgan dans la Grande Salle lui donnait des sueurs froides, alors s'il fallait en plus qu'elle multiplie les relations dangereuses, Chloé aurait une attaque cardiaque avant la fin de l'année.

"Je te demande ça parce que je sais que tu l'apprécies, mais le problème, c'est que O'... Darren, n'est pas un garçon fréquentable."

Même si Devlin était mort, Darren haïssait Chloé, et Chloé détestait Darren, son admiration pour son père, sa morgue. Ses blessures de guerre étaient encore bien présentes et ne s'effaceraient sans doute jamais. Les seuls au courant de cet épisode étaient ses parents, et peut-être son frère Matt avait-il deviné, mais elle ne lui en avait jamais parlé directement. James ne s'était jamais aperçu de rien - quelle surprise - et c'était là un autre secret qu'elle gardait de Peter. Elle ne pouvait pas non plus l'expliquer à sa fille. Elle ne voulait pas qu'elle la voit hantée par ces souvenirs, ni qu'elle réalise l'horreur de la situation. De plus, objectivement, les faits de Devlin ne pouvaient être imputés à son fils et Maeva ne comprendrait pas la peur de sa mère. Ce n'était pas parce que Peter avait tué un moldu que Lou ferait sienne l'apologie de la pureté du Sang, ni parce que James était un crétin fini que Maeva possédait le même cerveau, Merlin merci. En y réfléchissant, songea furtivement Chloé, elle choisissait bien mal les hommes qui partageaient sa vie.

"Tu sais qu'il a participé à l'agression de Sean Fitcher, n'est-ce pas?"

Autant s'appuyer sur le milliard de raisons objectives qui faisaient d'O'Connor junior un paria.

A l’entente de la phrase de sa mère, Maeva redressa vivement la tête, et vrilla son regard dans le sien. Comment ça elle savait qu’elle était en contact avec Darren ? Elle avait toujours fais attention lorsqu’elle recevait des lettres du Serpentard, et prenait soin de les lire lorsqu’elle était seule. Et, comme elle ne voulait pas non plus que ses camarades de dortoir tombent sur ces fameuses lettres, elle les avait mises dans une boîte qui était dans la chambre qu’elle occupait dans l’appartement de sa mère. De plus, elle n’en avait parlé à personne. Vraiment personne. Si sa mère était au courant, c’était que soit Darren l’avait mise au courant – ce qui était hautement improbable – soit qu’elle avait lu les missives, soit qu’elle… Soit qu’elle avait lu la seule chose dans laquelle elle avait pu évoquer – très brièvement, assurément – ce qu’elle éprouvait pour le jeune homme, à savoir son journal intime. Mais ces trois solutions n’étaient pas possibles, n’est-ce pas ? Sa mère respectait quand même assez son intimité pour ne pas lui faire ça, après tout. Mais plus la conversation avançait, plus elle craignait le contraire.

Incrédule, Maeva observa l’enseignante lui démontrer que Darren n’était pas quelqu’un de bien, s’appuyant même sur l’exemple de l’agression de Sean Fitcher. Evidemment, qu’elle savait que le Serpentard était impliqué, tout comme une de ses amie, une certaine Harmonie Fernoys, qui avait été internée, après ça. Mais l’adolescente avait décidé de ne pas juger Darren sur cet événement, qui avait eu lieu presque deux ans auparavant ! Les gens pouvait parfaitement changer, en deux ans, du moins, c’était ce qu’elle se plaisait à croire. Cependant, sa mère semblait d’un tout autre avis, et elle lui jeta un regard à fois curieux et furieux. Elle lui en voulait, assurément, d’avoir fouillé dans ses affaires. Elle ne s’introduisait jamais dans la chambre ou dans le bureau de sa mère, elle ! D’un autre côté, elle était assez curieuse de savoir pourquoi l’enseignante désapprouvait à ce point la relation – purement amicale, en plus ! – qu’elle entretenait avec Darren.

« Darren est fréquentable ! » objecta-t-elle en fronçant les sourcils. « Et puis, nous sommes juste amis, il n’y a pas de mal à ça. »

Ils étaient juste amis, certes, mais Maeva avait développé pour Darren un léger béguin au cours de ces derniers mois. En même temps, il y avait de quoi, car le Serpentard n’était pas exactement désagréable à regarder. Mais ça ne concernait personne en dehors qu’elle – et surtout pas sa mère ! Elle n’avait pas à se mêler de sa vie personnelle, de toute façon. De toute façon, il n’y avait aucune façon qu’elle soit au courant de ça. Encore une fois, à moins d’avoir lu son journal, mais c’était peu probable, parce qu’elle faisait toujours attention de le cacher soigneusement lorsqu’elle quittait sa chambre.

« Et puis, il a peut-être participé à l’agression de Sean Fitcher, mais il a eu le temps de changer ! On peut très bien changer, en deux ans. » enchaîna-t-elle, déterminée à faire entendre raison à sa mère.

Elle n’allait pas arrêter sa correspondance avec Darren juste parce que Chloé ne l’appréciait pas !

« De toute façon, j’ai le droit d’être amie avec qui je veux. Et puis d’ailleurs, comment tu sais ça ? Tu as lu les lettres qu’il m’a envoyées ? » demanda-t-elle un peu brusquement, suspicieuse.

Evidemment, Maeva n'acceptait pas ses arguments. Ce n'était jamais facile de faire comprendre à un enfant qu'il avait tort, qu'il ne savait pas tout, surtout lorsqu'il atteignait l'adolescence et la période de rébellion. Maeva n'était pas une enfant difficile, pourtant, mais elle avait deux parents butés et leur ressemblait, hélas, beaucoup. Elle demanda à sa mère ce qu'elle avait contre Darren, lui soutenant qu'il pouvait changer, et surtout, comment elle savait qu'elle était en contact avec l'ancien Serpentard. Chloé hésita un moment. Lui dire qu'elle avait lu son journal intime était-il pire que de prétendre être tombée sur les lettres?

"Tu sais bien que je ne me permettrais pas de fouiller ta chambre" commença-t-elle donc pour gagner du temps. "Mais je suis venue poser des affaires à toi l'autre jour et j'ai buté sur un truc qui traînait par terre. Je l'ai ramassé et avant que je ne puisse le poser, j'ai lu le nom de Darren. Je te promets que je n'ai rien fait de plus."

Ces simples mots risquaient de mettre Maeva en colère, aussi Chloé décida-t-elle d'enchaîner rapidement, et pris un ton qu'elle adoptait parfois en classe pour prévenir les protestations d'élèves.

"Tu peux être amie avec qui tu veux..." Rien que dire cela lui coûtait, car elle pensait que sa fille nouait des relations très étranges. Entre O'Connor et Lorgan, elle n'allait pas devenir une jeune fille respectable. "Mais il y a des gens qui sont mauvais, méchants, et Darren fait partie de ceux-là. Même si on peut apprendre de ses erreurs, on ne change jamais complètement. "

Chloé savait qu'elle devait expliquer à sa fille pourquoi elle ne devait pas fréquenter Darren. Maeva n'accepterait jamais un conseil ou un ordre tel que celui-ci sans discuter (et heureusement). Mais Chloé n'arrivait pas à parler de cet épisode de sa vie. Elle avait peu souffert, en comparaison de bien d'autres personnes, mais cela avait suffit. Subir l'endoloris n'avait rien de plaisant, et les heures songées à ce qu'elle aurait pu subir de pire n'avaient rien arrangé à son traumatisme. Elle ne voulait pas raconter cette histoire d'horreur à sa petite fille. Aussi devait-elle s'arranger pour lui expliquer sans pour autant mentir.

"Ecoute, Maeva, je... Je connais bien la famille de Darren. Son père avait à peu près mon âge et m'a toujours détesté. C'était un Mangemort et il a élevé son fils dans cette mentalité. J'ai rencontré Darren en arrivant à l'école et, parce que son père est mort, il voit en lui un héros et il croit dur comme fer à son idéologie. Et quand bien même il s'est calmé ces dernières années, il reste violent. Il traite tout le monde en inférieur, surtout les femmes, et il est égoïste. Même s'il est gentil avec toi pour l'instant, il n'hésitera pas à te faire du mal à la première dispute, et je ne veux pas que cela t'arrive, tu comprends?"

Maeva fronça instantanément les sourcils à la réponse de Chloé.  De son point de vue à elle, ce qu’elle avait fait pouvait être résumé en un seul mot : fouiller. Elle aurait très bien pu ne pas prêter attention au livre sur lequel elle avait buté. D’autant plus qu’elle ne quittait pas sa chambre sans – au minimum – refermer son journal. Il était alors impossible que sa mère tombe sur lui alors qu’il était ouvert. Elle l’avait forcément ouvert d’elle-même, donc. Elle en avait même sûrement lu l’intégralité, songea Maeva en lui jetant un regard noir, réfutant la possibilité d’oubli de sa part. Ça ne pouvait pas être de sa faute, de toute façon, et c’était l’enseignante qui était en tort, voilà tout. Aussi, quand cette dernière poursuivit, Maeva s’enferma dans un silence boudeur  tout en écoutant les arguments que sa mère pouvait bien lui offrir. C’était bien facile de juger les autres ainsi, décida-t-elle en croisant les bras.

« Je peux comprendre que tu sois inquiète pour moi. » concéda finalement Maeva, un peu à contrecœur. « Mais tu ne dois pas t’en faire. Je suis assez grande pour savoir qui je veux fréquenter, et Darren n’est pas méchant. »

Il avait des idées bien à lui, certes, que Maeva ne partageait pas. Mais il n’était pas méchant pour autant. Et ce n’était pas parce que sa mère n’appréciait pas le père du Serpentard qu’elle était à son tour obligée de ne pas aimer le fils ! Darren était sûrement très différent de lui – on ne pouvait pas le juger sur les actes qu’avaient commis son père, de toute façon, c’était injuste, et très bas.

« Nous échangeons des nouvelles de temps en temps, voilà tout, rien qui ne nécessite qui tu te fasses du soucis ! Dans tous les cas, je suis amie avec qui je veux, et j’ai décidé que j’aimais bien Darren, tu ne pourras rien y faire. » la défia-t-elle. « Et tu n’avais pas à lire mon journal, quand bien même il traînait dans ma chambre ! Et il était forcément fermé, je ne le laisse jamais ouvert. » quelle mauvaise foi.
Maeva se redressa et leva un peu le menton, en observant sa mère.

« Et puis, de toute façon, c’est facile de juger les autres sans les connaître – ce n’est pas comme si tu avais été l’amie proche de Darren à un moment, tu ne le juges que sur ce que tu vois ! » s’exclama-t-elle en haussant un peu le ton. « Tu fais exactement comme papa, tu ne vaux même pas mieux que lui. » maugréa l’adolescente, blessée dans son ego.

Chloé du se retenir de laisser son scepticisme transparaître lorsque, d'un air très sérieux, Maeva lui affirma qu'elle était grande. Depuis quand sa fille était-elle grande? Physiquement, elle tenait du Minimoys, et mentalement, elle était encore capricieuse comme une enfant. Bien sûr, lorsqu'on était enfant, puis adolescent (et même adulte dans certains cas), on pensait toujours être assez grand pour juger ceci ou cela, pour se débrouiller tout seul. Chloé ne pouvait pas contredire sa fille sans lui donner l'impression de la prendre pour un bébé, ce qui passait toujours très mal à quatorze ans. Elle devait aussi se faire une raison: Maeva grandissait, et un jour, elle pourrait fréquenter qui elle voulait sans que sa mère ne puisse faire autre chose de râler entre deux plaintes sur son lumbago et son arthrite. Plus personne ne la prendrait au sérieux et elle passerait pour une mémé râleuse. Heureusement, ce jour n'était pas encore arrivé et Chloé pouvait encore influencer sa fille. Elle n'avait plus le pouvoir d'ordonner, mais encore celui de convaincre – du moins, espérait-elle.

L'enseignante devait également reconnaître que sa fille, derrière ses airs butés, faisait des efforts de diplomatie en acceptant de lui détailler un peu sa relation avec O'Connor. Leur relation n'était pas étroite, ce qui soulagea la mère. Ce n'était d'ailleurs pas si surprenant, étant donné la différence d'âge, mais elle avait laissé l'angoisse prendre le dessus. Hélas, l'instant compromis passa bien vite, puisque Maeva entreprit de lui faire tout un chapitre sur le fait qu'elle avait fouillé son journal.

« Non, Maeva, je n'ai pas ouvert ton journal. Tu sais très bien que je m'efforce de te laisser autant d'espace que possible car je sais que c'est difficile pour toi de m'avoir à proximité en permanence. Tu n'as pas le droit de m'accuser de cela. Range tes affaires et tu n'auras plus à t'inquiéter. »

Elle ne risquait pas de laisser passer une pareille effronterie. Effronterie vite suivie par un plaidoyer pour « le gentil Darren qu'il ne fallait pas juger ». Chloé aurait pu invoquer les heures passées avec lui en retenue, le distance qu'elle s'était efforcée de prendre par rapport au jeune homme, rien n'aurait pu convaincre sa fille. Elle ne pouvait pas raconter son histoire à Maeva, et elle était de toute façon bien trop jeune pour comprendre les enjeux. D'autant que celle-ci n'avait pas tort. Sa mère jugeait rapidement les gens, a fortiori quand elle avait des préjugés négatifs. Et s'il suffisait de lui prouver qu'elle avait tort pour qu'elle change d'avis aussi rapidement qu'elle se l'était fait, elle attendait des preuves solides et substantielles. Que Darren n'avait jamais, au grand jamais, apportées.

Aussi, Chloé était-elle prête à ne pas contrarier plus son aînée, préférant surveiller discrètement l'évolution de la situation – quitte à fouiller, pour O'connor, pas de quartier. Elle était soulagée que la discussion n'ait pas été houleuse et rassurée par sa fille, elle ne demandait rien de plus. Mais voilà, ladite adolescente alla trop loin. Beaucoup trop loin et beaucoup trop brusquement. Il y avait peu de choses qui faisaient sortir Chloé de ses gonds, mais être comparée à son ex-mari en faisait partie. Surtout lorsque c'était par sa propre fille qui était en conflit notoire avec lui.

« Je ne te permets pas de me parler de cette manière » dit-elle sèchement, toisant sa fille avec colère. « Si c'est vraiment ce que tu penses, je te suggère d'aller passer toutes tes vacances chez James et Eden.»

L'ajout du second nom n'était pas anodin, Chloé sachant très bien tout l'amour que Maeva pouvait porter à sa future belle-mère. Elle savait aussi qu'elle n'aurait pas du s'emporter comme ça, que ce n'était pas une réaction légitime d'adulte censée et réfléchie, mais c'était plus fort qu'elle.

Evidemment, Maeva n’avait pas le droit d’accuser sa mère d’avoir ouvert son journal. Par contre, elle, elle était obligée de répondre aux questions – indiscrètes ! – de l’enseignante, et de la croire sur parole lorsqu’elle disait qu’elle avait trouvé son journal par terre et qu’il était comme par hasard ouvert à la bonne page. Evidemment. Maeva restait tout aussi sceptique, mais concéda à hocher la tête, plus parce qu’elle sentait que cette discussion tournait en rond qu’autre chose. Où était l’intérêt de la poursuivre, de toute façon ? Chloé ne changerait pas d’avis sur Darren, et elle refusait que cette dernière l’empêche de lui parler. Justement – par pur esprit de contradiction – plus elle savait que sa correspondance avec Darren ennuyait sa mère, plus elle avait envie de la continuer. Fille de deux Gryffondor, que voulez-vous. L’adolescente poussa un profond soupir qui témoignait sa lassitude à l’égard de la situation, et elle glissa un regard vers l’enseignante.

Enseignante, qui, visiblement, avait très mal pris sa petite remarque sur James Smith. Oh, Maeva pouvait bien adopter son air coupable, elle savait particulièrement qu’une telle phrase ne passerait pas auprès de sa mère. Elle savait bien – depuis le temps – ce qui l’énervait passablement, et comparer Chloé avec son ex-mari était une bonne façon de la faire sortir de ses gonds, la jeune fille en avait parfaitement connaissance. Oh et puis, tant pis, elle ne faisait que dire la vérité, après tout ! Son père était bien connu pour juger les autres sans prendre le temps de les connaître, et si sa mère commençait à agir de la même façon, Maeva avait  bien le droit de lui faire remarquer – de la manière la plus délicate qui soit – non ? Non. Bon.

En revanche, sa réaction la laissa sans voix et particulièrement outrée. Comment ça, passer toutes ses vacances chez James et Eden ? Non ! Elle jeta à sa mère un regard à la fois noir et suppliant, tandis qu’elle imaginait avec crainte ce qu’il pourrait se passer pendant ces quinze longs jours de vacances. Elle supportait difficilement Eden le temps d’une journée, alors deux semaines… Et dire qu’elle allait se marier avec son père ! Dire qu’elle allait devenir Mrs. James Smith, et, par la même occasion, sa belle-mère… Une moue dépitée vint se peindre sur ses lèvres, avant qu’elle ne relève le menton, défiant sa mère de mettre sa menace à exécution.

« Tu n’oserais pas. Tu m’aimes trop pour me laisser fréquenter Eden-qui-parle-de-son-mariage pendant deux semaines. » elle ne put s’empêcher d’esquisser un sourire amusé en croisant le regard de sa mère, avant d’hausser les épaules. « Je m’excuse pour la remarque sur papa. » lâcha-t-elle finalement.

Ce n’était pas très chaleureux, mais c’était toujours ça. Maeva finit par prétexter un devoir à faire à la bibliothèque pour s’éclipser, bien décidée à attendre des excuses digne de ce nom de la part de sa mère. En attendant, elle pouvait toujours s’installer dans un silence boudeur – elle faisait ça très bien.