La brise dans les feuilles

Nate se promenait dans le parc, il avait ressenti le besoin de s'aérer l'esprit entre deux cours au lieu de se rendre à la bibliothèque. Et puis, c'était sans doute une des dernières journées de beau temps, il serait bête de ne pas en profiter, il risquerait de le regretter lorsque l'hiver serait bien installé. Nate aimait bien le Parc de Poudlard, il aimait la nature, de loin certes mais il l'aimait quand même. Cela l'apaisait de voir les végétaux onduler au gré du vent, d'humer les odeurs champêtres et de laisser le vent balayer ses angoisses. Il marchait donc d'un pas tranquille en contemplant les arbres qui rougissaient en cette époque de l'année.

Sans trop savoir pourquoi, il se mit à songer à la décision qu'il avait prise avec Noah de s'inscrire au club d'échec. Ils n'avaient pas encore franchi le pas mais ça semblait bien parti pour. Nate était fier de lui, cela faisait un moment qu'il pensait s'inscrire dans un club mais il n'avait pas eu le courage de le faire et il savait que sans Noah, il ne se serait pas inscrit cette année non plus. Mais peut-être plaçait-il trop d'espoir dans cette simple structure, après tout, ce n'était pas un club qui allait le changer et il risquait de se retrouver encore une fois à échanger deux-trois banalités en bégayant... Enfin, il fallait qu'il tente et puis, c'était une victoire sur lui-même.

Il en était là dans ses pensées lorsqu'il s'aperçut qu'il s'était arrêté en plein milieu d'une pelouse. Décidément, il était distrait aujourd'hui ! Devant lui se dressait un grand saule et à ses côtés, une élève était installée sur un drap bleu. Il allait se détourner lorsque son profil l'intrigua : il l'avait déjà vu. Et en effet, en étant plus attentif, il reconnu une élève de sa maison, il ne connaissait pas son nom mais il lui semblait qu'elle était à peine plus âgée que lui, quatrième ou peut-être cinquième année, pas plus. Ses yeux furent alors attirés par le papier blanc qui s'étendait devant elle : elle peignait ! Et plutôt bien d'ailleurs, inconsciemment, Nate avança de quelques pas et observa plus attentivement sa nature morte. C'était beau, Nate n'y connaissait pas grand chose en art mais ça lui paraissait magnifique : la transparence des couleurs, les ombres... Tellement de techniques qu'il ne connaissait pas et dont il n'avait même pas conscience. Mais bientôt elle rangea ses affaires, un peu honteux de s'être laisser aller à observer la jeune fille sans se manifester mais trop pleutre pour lui adresser la parole, Nate commença à rebrousser chemin cependant, comme dans un mauvais film, son pied se posa sur une branche sèche qui protesta en craquant sèchement. Il était repéré, c'était certain. Alors, rougissant, il se tourna vers la Serdaigle.

Sous les yeux incrédules de Nate, la jeune fille fut prise d'un fou rire qui semblait bien incontrôlable. Pourquoi riait-elle ? Voilà la grande question que se posait Nate. Se moquait-elle de lui ? Sûrement puisqu'elle lorsqu'elle le regardait ses rires redoublaient. Encore plus mal-à-l'aise, Nate rougit furieusement, encore plus que précédemment, et il commença à se dandiner sur ses pieds, ne sachant quelle position adoptée. Il se mit à fixer ses pieds, incapable de bouger sous les rires de la jeune Serdaigle. Il savait bien qu'il n'aurait pas dû l'approcher, c'était bien plus sûr de rester seul, pas de moqueries comme ça. Et le fou rire qui ne s'arrêtait pas ! Nate sentait ses yeux commencer à piquer, à sa plus grande honte, il fallait qu'il fasse quelque chose ! Merlin, personne ne pouvait l'aider, lui dire quoi faire ? Et à cet instant, l'absence de Jude lui vrilla les tripes et il constata d'ailleurs un peu surpris qu'il n'avait pas ressenti cette désagréable sensation depuis la rentrée alors qu'il la ressentait encore quotidiennement - ou presque - l'année passée. Toujours immobile et tremblant, il finit par se forcer à relever le regard et ce qu'il vit détourna bien vite ses pensées de son jumeau absent.

Face à lui, la jeune fille était écarlate, les joues gonflées d'air : mais que faisait-elle !? Nate savait bien que Serdaigle regroupait bon nombre d'excentrique mais tout de même ! Il était complètement perdu face aux réactions de la jeune fille. Il s'était attendu à ce qu'elle lui demande ce qu'il faisait là, voire même à ce qu'elle le réprimande pour l'avoir espionné mais à la place, elle riait à ne plus pouvoir s'arrêter. Finalement, elle baissa la tête, l'air un petit peu gêné : ah, elle avait enfin une réaction que Nate pouvait comprendre. Quand elle releva le visage, il commencèrent à se fixer, gênés... La silence s'étira et Nate ne pu empêcher un rire nerveux de franchir ses lèvres, rire qu'il réprima immédiatement. Et de nouveau le silence... Nate ne se sentait pas le courage d'entamer la conversation, ce n'était tellement pas lui de faire cela d'autant plus après avoir eu la désagréable sensation de s'être fait moqué. Mais il finit tout de même par prendre son courage à deux mains, on lui avait toujours appris à être poli et puis, au départ, c'était lui qui était en faute pour avoir observer à son insu la jeune Serdaigle :

"Heu... Ex... Excuse-moi p...pour le dérangement, je... je vais m'en aller maintenant."

Il avait fini sa phrase précipitamment mais n'avait pas tourné les talons directement, il attendait la réponse de le jeune fille.

Iliana répondit avec application à ses questions et Nate l'écouta tout aussi sérieusement, ce qu'elle disait l'intéressait réellement, il avait toujours été attiré par les arts mais toujours avec une espèce d'admiration incrédule, peinant à croire que ce qu'il avait sous les yeux avait été fait par un humain. Il fut aussi rassuré de constater qu'il avait bonne mémoire, la jeune fille appartenait bien à la même maison que lui. Et tout à coup, à la surprise de Nate (encore une fois), elle changea de ton, l'enthousiasme prenant le dessus et elle lui fit une proposition à laquelle Nate ne s'attendait pas du tout. Son empressement (elle sautillait même sur place !) et son ton presque suppliant à la fin calmèrent ses dernières craintes, Iliana ne semblait vraiment pas lui tenir rigueur de son intrusion et il avait apparemment eu raison de s'attarder un peu à ses côtés, il venait peut-être de se faire une nouvelle amie, lui qui en avait si peu... Il lui rendit donc son sourire, et lui répondit en bafouillant toujours mais plus par gêne et plaisir que par honte cette fois :

"Je... Je... C'est gentil mais... Tu sais, je ne suis pas très intéressant à peindre, je suis très commun... Tu trouveras sûrement des gens plus beaux qui serait ravi de te servir de modèle..."

Il s'interrompit juste un moment avant de reprendre de façon précipitée, de peur d'avoir été mal compris :

"Non pas que je ne suis pas ravi, au contraire, c'est très gentil de ta part, je suis juste surpris... Je ne m'attendais pas à cela... Et... Et puis, tu n'as pas de raison de t'excuser, au contraire, c'est moi qui t'ai... espionnée... Je... Je suis désolé..."

Il préféra s'interrompre là pour éviter de s'enfoncer encore plus. Il secoua légèrement la tête et regarda ses pieds, le rouge, comme toujours, lui montant aux joues. Il sentit soudainement une présence intruse à leurs côtés, ce qui eut pour conséquence de lui faire lever subitement la tête, un peu trop brusquement s'il en croyait le craquement que sa nuque venait de faire. Face à eux se tenait leur étrange professeur de DCFM, professeur comme toujours vêtu entièrement de noir, professeur qui lui jeta un regard qui le fit reprendre les couleurs qui venait à peine de quitter ses joues. Il ne comprenait pas comment un simple regard pouvait mettre aussi mal-à-l'aise, donnant instantanément l'impression, à celui qui était scruté, de n'être rien d'autre qu'une misérable bouse de dragon.

Et lorsqu'il ouvrit la bouche, Nate dut se retenir de le regarder bêtement, la bouche ouverte. Nate était choqué, oui, choqué était le mot juste... Comment un professeur pouvait débarquer ainsi pour poser une telle question à une de ses élèves ? C'était tout simplement inacceptable ! Ils n'étaient pas sensés les soutenir, les aider à s'épanouir ? Là, il venait très certainement de déprimer la jeune fille pour un bon moment ou tout du moins de la vexer profondément... Nate sentait que s'il voulait vraiment  faire d'Iliana une amie, il lui suffisait de jouer les chevalier-servant, c'était cependant au dessus de ses moyens et il préféra plutôt lui lancer lâchement un sourire qui se voulait réconfortant, tout cela dans le dos du professeur Borgia.

Le professeur poursuivit son questionnement en affirmant ne pas connaître Iliana, c'était étrange selon Nate, Iliana devait bien suivre les cours de DCFM puisqu'il s'agissait d'un cours obligatoire, était-elle tellement discrète que les professeurs oubliaient jusqu'à son existence ? Tout en essayant de se faire le plus discret possible dans le but de se faire oublier, Nate écouta attentivement les réponses d'Iliana, la soutenant mentalement mais ne s'aventurant pas à la défendre ouvertement de peur des représailles...

Nate ouvrit de grands yeux effarés face à la répartie de la jeune fille, il venait de la rencontrer et le peu qu'il avait vu d'elle ne le laissait pas espérer une telle réaction. Il faut dire qu'il était plutôt admiratif, ce que le professeur venait de dire était inutilement méchant mais il était certain qu'à sa place, il se serait tu et aurait traîné son chagrin et sa rancoeur pendant un long moment, Iliana, elle, venait d'extérioriser et de lui dire ce qu'elle pensait tout en restant relativement correct même si ses "monsieur" sonnaient plutôt ironiques et impertinents.

Dès que le professeur Borgia leva un sourcil, Nate comprit qu'Iliana était mal partie, très mal partie... Et en effet, comme il fallait s'y attendre, le professeur attaqua avec un ton cinglant, démontant tous ses arguments et rabaissant la jeune fille, se moquant ouvertement d'elle et de son "art". Puis, il lui lança, d'un ton que Nate jugea assez ironique, que sa rousseur lui seyait à ravir, Nate sentit son sang commencer à chauffer, il n'était pas connu pour sa violence mais il commençait à sentir sa langue le démanger, prête à lancer quelques piques bien senties au professeur. Cependant, il devait se rendre à l'évidence et se contrôler, face à un professeur il ne ferait pas le poids et ne ferait que risquer une sanction et puis, il savait pertinemment que s'il ouvrait la bouche, il se mettrait à bafouiller lamentablement. Alors il se contint, aussi injustes et discriminatoires étant ses propos.

Mais alors que Nate pensait qu'il avait terminé, le professeur regardant l'horizon et semblant se désintéresser des deux élèves lançant même quelques sortilèges apparemment sans rapport avec le sujet, il lâcha une phrase qui laissa Nate muet de stupeur :

"L'art n'est pas moldu. Dessiner, c'est bon pour eux. L'art est éminemment sorcier."

Totalement choqué par ces propos racistes que Nate interpréta immédiatement comme néo-mangemort, le garçon faillit manquer la suite, suite qui lui était pourtant destinée. Tout d'abord Nate fut surpris par les mots du professeur, il considéra avec attention ce qu'il prit pour un compliment même si le rappel de sa "normalité", de son "invisibilité" ne lui faisait pas forcément plaisir. Néanmoins, il devait reconnaître que le professeur ne faisait qu'asséner une vérité bien qu'elle ne fasse pas forcément plaisir à entendre... Toutefois, le professeur n'avait pas terminé et ce qu'il ajouta laissa Nate pantois : savoir se taire quand il le faut ! Ce professeur était-il donc un véritable tyran ? Un dictateur qui ne souhaitait qu'avoir une masse disciplinée sous son commandement ? Des Serpentard si possible...

Le professeur Borgia n'aurait jamais dû dire cela... Nate n'était pas connu pour sa fierté mais là, il ne pouvait pas faire comme si de rien n'était. Il était discret, timide, renfermé, il le savait, il en avait une conscience aigüe, douloureuse, que quelqu'un le lui fasse remarquer n'était pas bien agréable, un professeur encore moins - ce n'était certainement pas pédagogue - mais qu'il ajoute ensuite qu'il n'était bon qu'à se taire - c'est ainsi que Nate interprétait ses paroles tout du moins - blessait profondément le garçon. Il ne pouvait pas laisser passer cela ! Il ne pouvait pas le laisser allègrement insulter des élèves tout en proférant des propos anti-moldus au passage, il avait une certaine éducation et il ne pouvait pas accepter certaines choses. Lors de la guerre, sa famille s'était cachée, non pas par manque d'idées mais dans un soucis de protéger les leurs, Nate était certain que si la vie de leurs enfants n'avaient pas été en danger, ses parents se seraient battus aux côtés de l'Ordre. Il avait donc grandi dans un certain esprit de justice, de réflexions face aux idées véhiculées, il était encore jeune mais pas idiot et là, il ne pouvait en tolérer plus. Et puis, il voulait depuis un moment déjà s'affirmer, arrêter d'être seul et invisible alors il rassembla tout son courage, réfléchit soigneusement aux mots qu'il allait prononcer, se mettant à la place de son frère Jude pour essayer de savoir ce que lui aurait dit et il se lança, tout en ayant une conscience réaliste du fait qu'il n'avait aucune chance de faire plier son professeur et qu'il allait se ridiculiser face à lui.

"J...Je... Je suis peut... peut-être silencieux mais je ne peux pas accepter sans rien dire qu'un professeur rabaisse ainsi ses élèves et pro...profère des propos raciste en...envers les moldus !"

Rouge de honte et de colère, Nate souhaita instantanément disparaître, ne rien avoir dit, être resté dans son rôle d'élève modèle, de Serdaigle studieux. Mais justement, il était un Serdaigle, il savait réfléchir et il fallait parfois affirmer haut et fort ce que l'on pensait, se lever avant qu'il ne soit trop tard car les petites piques journalières faisaient autant si ce n'est plus de dégâts qu'une lutte sous les projecteurs. Il fallait laisser en second plan ses prétentions personnelles, risquer une sanction qu'elle soit officielle - quoiqu'il n'était pas sûr que les autres professeurs toléreraient le comportement du professeur Borgia - ou officieuse. Alors Nate tâcha de se rassurer en se disant qu'il avait fait le bon choix, même s'il allait sans doute s'en mordre les doigts.

Sylphan en avait assez. Il en avait assez de voir cette petite le défier, de voir ce petit le défier, de voir le monde bouger, et les feuilles voler, et le vent tourner ; il en avait vraiment assez. Mais vraiment.

Alors que croyez-vous que Sylphan ait fait ? Qu'il ait tourné les talons sans un mot, penaud, sans espoir de réconciliation avec le monde ? Evidemment que non. Il n'était pas de cette trempe-là. Alors, à la surprise générale, parce que Sylphan était indigné, il lança :

Il fronça les sourcils et ajouta dans un murmure :

"Peut-être que je suis trop excessif. Oui, reprit-il, oui, non, en vérité... Je vous donne cinq points chacun. Voilà, c'est parfait."

Et sans un regard pour les deux, il s'en retourna au château, sa cape frôlant le sol, un air délirant sur son visage, insoumis aux règles conventionnelles qui régissent la société. Parce qu'un plus un égale et deux, et deux plus deux égale quatre, cela signifiait qu'un plus un égale trois et deux plus deux égale cinq pour ce personnage atypique. Assurément, assurément... Quoi de plus logique que de voguer sur les flots impétueux de l'illogisme ? ... Logique !

C'était ça, Sylphan.

Après sa réplique bégayante, Nate resta un long moment la tête baissée dans l'attente de la sanction, comme le temps s'écoulait et que rien n'arrivait, il finit par relever la tête pour croiser le regard admiratif d'Iliana. Ce regard le fit encore plus rougir et il baissa de nouveau le visage. Il n'avait certainement pas l'habitude qu'on le regarde ainsi, déjà qu'on le regarde c'était beaucoup alors avec admiration c'était carrément extraordinaire. Mais Nate devait avouer que la sensation n'était pas désagréable, c'était même plutôt agréable et ça le rendait fier de son intervention pourtant assez pitoyable.

Lorsqu'il releva la tête, il croisa de nouveau le regard d'Iliana mais son expression avait changé, elle regarda en direction du château, pour lui signifier manifestement son désir de rentrer au château. Et en effet fuir était sans doute la solution la plus judicieuse parce que s'ils restaient là, il ne donnait pas cher de leur peau. Nate acquiesça rapidement de la tête et se pencha pour l'aider à ramasser ses affaires mais le professeur sembla sortir de sa léthargie et lorsqu'il ouvrit la bouche, ce fut pour lancer une bombe… Des points en plus ? Venait-il sérieusement d'ajouter des points à Serdaigle ? C'était à n'y plus rien comprendre, ce prof était tout simplement incompréhensible.

Nate finit par sortir de sa stupéfaction alors que le professeur s'embrouillait dans ses explications, et bine, on aura tout vu aujourd'hui. Ebahi, il le vit ensuite tourner les talons, sans que lui ou Iliana n'ait eu le temps de rien dire, il souffla tout de même un merci dans le vide, pour la forme, au cas où mais le professeur ne leur jeta pas un coup d'oeil. Il se retrouva donc seul avec Iliana.

"Heu… Tu as compris ce qu'il vient de se passer ?"

Alors qu'il laissait la jeune fille répondre, il continua machinalement à rassembler le matériel qu'elle avait étalé sur la nappe bleue alors qu'elle peignait et le lui tendit.

"Je… Je pense que je vais rentrer au château, la brise se rafraîchit. Au revoir, ra.. ravi de t'avoir rencontré. A bientôt ?"