Les retrouvailles [Ahren & Gil]

1er septembre 2007

Gil serra une dernière fois sa petite sœur dans ses bras, avant d'attraper sa malle d'une main et de saisir le bras de son père. Tandis qu'elle disparaissait vers King's Cross, elle eut un léger pincement au cœur.
Elle avait toujours su qu'elle partirait en internat à ses onze ans, dés son premier signe de magie. Elle avait toujours su que cela voulait dire passer du temps loin de sa famille, ne les voir qu'aux vacances, savoir que tout le monde vivait sa vie sans elle.
Elle n'avait pas vraiment réaliser que ça voulait dire passer neuf mois loin de sa famille. Oui, il y avait les hiboux, les vacances, les deux mois d'été... Mais cela ne remplaçait rien. Penny et Cairàn grandissait à la Cité Nimbus, pendant qu'elle était à Poudlard. Et ils lui manquaient, tout les deux. Même si elle disait que Cairàn était un râleur, qu'il n'arrêtait pas de se plaindre, que Penny monopolisait l'attention de ses parents et qu'elle était la petite chérie de tout le monde. C'était vrai, oui, mais ça n'avait pas tellement d'importance.
C'était sa famille, et elle avait l'impression, quand elle rentrait, de retrouver des étrangers dans ces personnes familières. Parce qu'ils s'étaient organisés sans elle, parce qu'ils n'avaient pas besoin d'elle. Tout cela disparaissait, au bout de quelques jours. Elle redevenait la grande sœur préférée de Penny, la râleuse de service pour Cairàn, la chérie de son père, la fille imparfaite de sa mère.
La normalité, quoi.

Ils réapparurent sur le quai 9 3/4, le Poudlard Express rutilant devant eux, et Gil oublia momentanément tous ses soucis. Poudlard, elle retournait à Poudlard. Elle allait revoir tout le monde, elle allait retrouver les couloirs, la salle commune, son dortoir qu'elle partageait avec Kat, Beth, Celia, Marianne. Ne pas les voir à son réveil, tout le matin, lui avait manqué. Ne pas se moquer gentiment les unes des autres, ne pas recevoir leurs commentaires sur sa tête de zombie, pendant presque deux mois, c'était étrange. Elle avait eu droit à ceux de Cairàn, puis à ceux d'Alban, mais ils n'avaient pas la même saveur. Parce que même si elle ne s'entendait pas forcément avec toutes les filles, même si Kat restait sa meilleure amie, elles étaient proches.

" Alors, la deuxième année, maintenant? Tu deviens une grande, Gillou. "

Elle se tourna vers son père, un sourire entre la tristesse et la joie sur le visage. C'était son père, c'était la personne vers qui elle se tournait toujours lorsqu'elle était plus jeune, c'était celui de ses deux parents qu'elle préférait, dont elle se sentait le plus proche.

" Tu vas me manquer, tu sais? "
" Tu vas me manquer aussi, Gillian. "

Elle s'avança, le serrant dans ses bras. Elle était toujours beaucoup plus petite que lui, sa tête reposant sur sa poitrine, ses bras l'entourant. Elle avait eu beaucoup plus de mal à les quitter, l'année précédente. Ça ne s'était peut-être pas beaucoup vu, mais elle avait été affectée. Parce qu'elle paraissait souvent bien, qu'elle n'était jamais en suffisamment mauvaise forme pour vraiment avoir l'air triste, parce qu'elle cherchait à toujours voir le côté positif des choses.

" Deux mois avant les vacances seulement, tu sais? "
" C'est un peu long, deux mois, non? "
" C'est comme ça. J'étais moins courageux, moi, à ton âge. Je me rappelle que même à ma deuxième rentrée, je m'étais accrochée à mes parents jusqu'à la dernière seconde. "

Elle rit à cette évocation. Elle n'arrivait pas tellement à s'imaginer son père enfant. Il avait vécu exactement aux mêmes endroits qu'elle: il avait été un Poufsouffle, des années auparavant, avant d'être préfet, avant de quitter l'école pour devenir boulanger. Elle n'avait jamais tellement eut de réponse sur le comment il en était venu à devenir boulanger, sur le comment il en était venu à rencontrer sa mère. Ils en parlaient rarement, et il ne fallait pas compter sur ses grands-parents paternels pour le faire.
Sam lui rendit son sourire, avant de se pencher, pour lui glisser quelques mots à l'oreille. Elle fronça les sourcils, ne comprenant pas trop, avant d'éclater de rire, des étoiles dans les yeux.

" Tu plaisantes? "
" Si je te dis où elles se trouvent, jeune fille, ce n'est pas pour que tu ailles faire n'importe quoi, c'est bien clair? "
" Promis! "

La locomotive derrière eux lança un panache de fumée, et Gil se dépêcha de monter, tirant sa grosse malle, après avoir serré une dernière fois son père dans ses bras. Elle n'en revenait toujours pas. Elle s'était demandé de nombreuses fois, avec Jeremy, avec Cairàn, avec Irving, souvent avec ses parents dans la pièce, où se trouvaient les cuisines. C'était toujours utile à savoir, non? Si jamais on avait besoin d'une cachette que personne ne connaissait, si jamais on avait besoin de nourriture, pour une occasion spéciale, si jamais on avait besoin d'une pièce où l'on pouvait cuisiner, parfois…
Et là, son père lui donnait sa localisation, comme ça? Elle avait du mal à y croire, franchement.

" Gil! "

Elle se retourna, croisant le regard de Jeremy, avant de le serrer dans ses bras. Ils s'étaient vus même pas deux jours auparavant, mais ce n'était pas la même chose. Là, ils retournaient à Poudlard. Ils allaient recommencer à se voir tous les matins, à passer tout leur temps libre ensemble, dans leur petit groupe soudé.
Ils avaient retrouvé les autres dans un compartiment. Kat était déjà là, avec Paul, ce qui avait permis à Jeremy de faire une remarque légèrement moqueuse en se glissant à côté de son ami, qui lui avait en réponse donné un léger coup d'épaules, un sourire gêné aux lèvres. Gil avait levé les yeux au ciel avant de commencer à discuter avec Kathrina. Elles ne s'étaient pas revues depuis près d'un mois, une éternité. Quand on avait l'habitude de voir quelqu'un tous les jours, passer d'un coup à ne plus le voir du tout, à ne correspondre que par lettres était légèrement difficile. On y arrivait, mais Gil avait l'habitude de voir les personnes à qui elle parlait, à pouvoir leur confier ce qui lui arrivait quand elle les avait en face d'elle… Elle n'avait jamais été très douée pour trouver les mots exacts pour définir ce qu'elle ressentait sur du papier.
Le train partit au bout de quelques minutes, et le trajet commença à se dérouler. Au bout d'une demi-heure, environ, Gil commença à ressentir l'envie de bouger, de voir si elle pouvait retrouver des gens qu'elle connaissait dans le reste du train. Ahren, tiens. Si elle avait réfléchi un peu plus, elle se serait peut-être demandé pourquoi c'était le premier nom qui lui était monté à l'esprit, et pas Aby, ou Andrew, ou le groupe des Gryffondor, qu'elle n'avait pourtant pas vu depuis plus longtemps que le Serdaigle. Mais Gil n'était pas réputée pour être une Serdaigle, ni même pour réfléchir beaucoup avant d'agir ou de parler lorsqu'elle en avait envie.
Alors elle se leva, quittant la partie de Bataille Explosive qu'ils avaient commencé, lançant à la cantonade:

" Je vais aller voir si je peux retrouver des gens qu'on connaît, quelqu'un veut venir? "
" Tu penses à qui? "
" Ahren, par exemple, sinon Aby ou Andrew… "

Mais ils étaient moins proches d'eux qu'elle, et leur partie de bataille explosive avait l'air de plus les intéresser, alors elle partit toute seule. Cela ne la dérangeait pas vraiment, au fait, réalisa-t-elle alors qu'elle remontait les couloirs du train, jetant de brefs coups d'œil par les vitres des compartiments pour repérer le Serdaigle. Elle savait que Kat ne viendrait pas, elle savait comment aurait réagi Jeremy s'il était venu, et elle ne voyait pas du tous les raisons pour lesquels Paul se serait joint à elle. Il était discret, calme, prompt à choisir la décision raisonnable et les compromis, mais il avait peu d'amis dans les autres maisons. Paul avait une personnalité que Gil avait vraiment du mal à comprendre, de toute manière, même si cela ne l'empêchait pas de l'apprécier.
Et soudain, elle l'aperçut. Dans un compartiment, il lui tournait le dos, penché sur elle ne savait trop quoi. Elle sentit un sourire fleurir sur ses lèvres, sans vraiment réussir à le réfréner. Elle ouvrit la porte du compartiment, se glissant devant lui, sans vraiment lui laisser d'autre choix que de la laisser venir.

" Salut! "

Elle l'observa quelques secondes, tentant d'enlever son sourire un peu trop grand, ne se penchant pas pour lui faire un calin, comme elle l'aurait fait avec les autres, se souvenant qu'il n'était sans doute pas habitué à ces effusions... Avant d'envoyer sa raison au diable et de se pencher pour le serrer dans ses bras. S'il n'était pas content, il n'avait qu'à le dire.

" Ton mois d'août s'est bien passé? Des grandes nouveautés, depuis qu'on s'est vus fin juillet? "

Elle n'avait eut strictement aucune nouvelle d'Angleterre de tout le mois d'août, et lorsqu'elle était revenue, elle avait eut autre chose à faire que de s'occuper de rattraper tout son retard en courrier, nouvelles du monde, et autre. Elle avait prévenu tout le monde du fait qu'elle serait dans une ville moldue, en France et que, logiquement, lui envoyer des hiboux ne serait absolument pas la meilleure idée du monde. Elle n'avait pas vraiment envie de faire face à des questions auxquelles elle n'avait pas de réponse, pour être honnête.
Elle posa un regard intéressé sur le jeune garçon, un léger sourire toujours aux lèvres. Elle avait tendance à beaucoup sourire naturellement mais, face à Ahren, elle avait l'impression que c'était encore plus fréquent. Que quelque chose, dans la manière qu'elle avait de se comporter avec lui, de lui parler, n'était pas exactement comme avec les autres. Ce n'était sans doute qu'une impression sans importance, qu'elle était la seule à ressentir, qui ne voulait rien dire, elle n'en savait rien. Cela voulait dire qu'il comptait pour elle, sans doute, rien de plus.

Elle pencha légèrement la tête de côté, le dévisageant lorsqu'il affirma d'un air légèrement maussade que s'il n'avait pas eu de lunettes, sa rentrée se serait bien mieux passée. Elle ne voyait pas tellement pourquoi il râlait, honnêtement. Elles lui donnaient un air plus sérieux, un air plus âgé que ce qu'il était réellement…
 
" Tu trouves? Je trouve qu'elles te vont bien, moi. Dis-toi que ça renforce ton air Serdaigle! "
 
Plus elle l'observait, plus elle se rendait compte de la véracité de sa réponse. Il avait l'air différent, avec des lunettes sur les nez. L'air plus grand, plus sérieux, plus mature. Plus inaccessible aussi, d'une certaine manière. Mais bon, ce n'était pas des lunettes qui allaient changer qui Ahren était vraiment, il ne fallait pas se leurrer. Il restait quelqu'un d'un peu borné, un peu hautain, un peu trop fier pour son propre bien… Mais, sans savoir pouquoi, ces défauts que Gil n'aurait jamais appréciés chez quelqu'un d'autre ne semblaient pas avoir une grande importance quand ça en venait à Ahren.  Et non, elle n'allait pas se demander pouquoi. Parce que, de toute manière, quelle importance cela avait? Elle aimait bien Ahren, elle aimait les changements qui se profilaient en lui depuis qu'ils avaient commencé à se parler, devenant plus que simplement le Sang-Pur orgueuilleux. Il fallait toujours essayer d'aller au-delà de la simple apparence des gens, c'était quelque chose que Gil s'efforçait de toujours appliquer, avec plus ou moins de succès, mais elle ne le regrettait absolument pas quand ça en venait au Serdaigle. Simplement parce qu'en quelque mois, elle était venue à le considérer comme une sorte d'ami, faute d'un meilleur terme, plutôt que comme le frère jumeau étrange de sa meilleure amie.
Elle haussa un sourcil lorsqu'il affirma que son mois d'août avait été mortellement ennuyeux, sans pourtant chercher plus loin. Déjà parce qu'elle pourrrait demander à Kat, et ensuite parce qu'elle n'était pas sûre qu'il ait véritablement envie d'en parler. Et que lorsqu'elle posait une question, elle n'aimait pas du tout ne pas avoir de réponse. Alors, quand elle était sûre de ne pas en avoir, autant ne pas en poser, ça allait plus vite.
Elle hocha la tête lorsqu'il lui demanda si elle avait bien été en France durant ses vacances.
 
" Chez mes grands-parents, comme chaque année! Enfin… J'ai une histoire familiale beaucoup trop compliquée, alors je dis simplement que c'est mes grands-parents, même s'ils ne le sont pas. Je suis sûre que j'ai une famille plus compliquée que celle de beaucoup de Sang-Purs, dit elle en riant. "
 
C'était probablement vrai, en plus. Elle ne s'y connaissait pas tellement lorsqu'on en venait à la bonne société sang-pure, mais elle savait que les divorces, les remariages étaient rares, alors sa situation familiale ne devait pas exister. Et puis, lorsqu'on lui demandait de l'expliquer, elle devenait brusquement une grande utilisatrice de raccourcis, parce que sincèrement, répéter quinze fois la même chose, ça devenait casse-pied à la fin.
 
" J'étais dans le Sud, j'y ai passé tout mon mois d'août, c'était vraiment génial. J'ai vu des amis, j'ai pris le soleil, le grand air… Et j'ai passé un mois loin de la magie, pour être en pleine forme pour la Rentrée. "
 
Un mois sans aucune magie, elle savait que c'était totalement inimaginable pour beaucoup de ses camarades. Bizarrement, ça n'avait jamais été un problème pour elle. En France, le seul sorcier était son Grand-père et il l'utilisait le moins possible, vu qu'ils étaient dans un voisinage moldu. Tout était fait à la moldue, avec l'électronique, les machines qu'ils construisaient… La magie ne lui manquait pas tellement, dans ces moments-là, et puis ce n'était pas comme s'ils avaient le droit d'en faire en-dehors de Poudlard. Mais bon, elle pouvait comprendre que pour des personnes venant d'une famille uniquement magique, sans aucun contact avec le monde moldu, comme celle d'Ahren, cela pouvait être impossible à envisager. Surtout quand on avait les opinions sur les moldus qu'avait Ahren. Mais elle n'allait pas partir sur ce sujet, vu qu'elle savait pertinemment qu'ils allaient se disputer. Ahren avait des opinions tranchées, Gil également, et malheureusement elles étaient diamétralement opposés. Elle venait d'une famille mixte, une de ses amies d'enfance était une Moldue, son cousin était un Cracmol, elle n'allait pas faire semblant de croire dans ces idées simplement pour lui faire plaisir. Dans ce cas-là, mieux valait éviter le sujet.
 
Soudain, un léger mouvement eut lieu dans sa poche, et la petite frimousse de Berlingot en sortit, l'air légèrement perplexe quant à son environnement. Gil eut un petit rire, avant de le sortir de sa poche et de le poser sur la banquette. Il commença immédiatement à explorer le compartiment, se dirigeant directement vers Ahren et le rat posé à côté de lui. Elle jeta un coup d'œil désolé à Ahren,
 
" Fais attention, il mors. Il n'aime pas trop les gens, habituellement. "
 
C'était un rat sauvage, à l'origine, et cela n'avait été qu'à force de longues heures de travail, de caresses, de friandises que Berlingot avait fini par la considérer comme une personne à apprécier. Mais la plupart du temps, il restait méfiant et presque méchant avec les inconnus. Mais avec Ahren, il ne semblait pas avoir de problèmes, il commença même à monter le long de sa jambe, loin de son habituelle méfiance à l'égard des inconnus. Même Jeremy, il ne l'aimait pas, alors que c'était une personne qu'il avait eu dans son entourage dès qu'il avait pris la maison des Forest-Whitaker comme résidence principale.
 
" Bravo Ahren, fit-elle en riant en récupérant son rat sur la banquette à côté de lui, tu as été approuvé comme personne fréquentable par Berlingot! Même Jerem n'a pas eu cet honneur! "
 
Elle posa le petit animal à côté d'elle, avant de se retourner vers lui, un sourire toujours aux lèvres. Être apprécié par Berlingot, c'était peut-être exceptionnel, mais Ahren était son ami avant tout, et elle n'avait pas besoin d'un rat, aussi malin soit-il, pour le lui rappeler.
 
" Tu as pris des bonnes résolutions, pour cette année, j'espère! Ma mère a voulu absolument que je les écrive sur un bout de papier qu'elle a collé dans la cuisine, sous prétexte que comme ça, je saurais à quoi je me suis engagée. Ma mère a des idées bizarres, parfois, mais bon. Et tu comptes toujours te présenter comme attrapeur? Tu m'avais pas dit que tu jouais, d'ailleurs! "
 
Ça avait été la grande surprise de cet été, découvrir qu'Ahren et elle partageait la passion du Quidditch. Jamais elle n'aurait imaginé Ahren sur un balai, pour être honnête, mais l'idée ne lui paraissait plus aussi aberrante qu'elle ne l'avait été à l'origine. Et d'un côté, cela leur donnait une passion commune, quelque chose qu'ils n'avaient pas tellement auparavant. A se demander, parfois, comment ils faisaient pour bien s'entendre.

Gillian éclata de rire à l'affirmation péremptoire d'Ahren, affirmant qu'il était un être exceptionnel, et que c'était sans doute cela que Berlingot avait senti et qu'il appréciait chez lui.

" A moins que ce ne soit ton immense modestie, qu'est-ce que tu en penses? répliqua-t-elle avec un sourire moqueur. "

Modeste, ce n'était pas une qualité qu'elle avait un jour pensé à accoler à Ahren. Fier, sûr de lui, borné parfois, gentil avec elle, drôle même, oui, mais jamais modeste ne lui avait jamais traversé l'esprit. Elle était consciente du fait que la vision qu'elle avait du Serdaigle était de beaucoup différente à celle des autres élèves de Poudlard, elle en avait la preuve dès qu'elle avait le malheur d'évoquer Ahren devant Andrew ou Jerem, donc elle avait pris l'habitude de ne plus en parler, se contentant d'aller le voir sans attendre les réponses des autres, de lever les yeux au ciel et de partir lorsque quiconque commençait à aborder le sujet de son étrange amitié avec le jumeau de sa meilleure amie.
Il n'y avait rien à expliquer, franchement.  Elle savait qu'il était coincé, qu'il avait des opinions divergentes, qu'il y avait quantité de sujets sur lesquels tous les deux taisaient quantité de choses, n'ayant pas envie de se disputer. Elle savait qu'il n'était pas facile à vivre, que peu l'aimaient vraiment. Elle savait tout cela, pourquoi le monde entier semblait ne pas le comprendre, semblait croire qu'elle ne savait pas ce qu'elle faisait, qu'elle fermait les yeux sur des pans entiers de la personnalité du garçon? C'était faux. Elle le connaissait, et elle, en connaissance de cause, elle avait décidé de le fréquenter.
Et qu'Andrew, Jerem, sa mère, tous ces gens qui ne les connaissaient pas aillent voir ailleurs pour donner leurs leçons de morale. Elle était assez grande pour prendre soin d'elle-même, merci pour elle.

Elle hocha la tête lorsqu'il affirma qu'il n'avait pas pris de bonnes résolutions, contrairement à elle. Enfin, prendre des bonnes résolutions… elle avait écrit une dizaine de phrases sur un bout de papier que sa mère avait collé sur le frigo, lui faisant promettre de les respecter durant l'année. Ce que Gil avait fait sans vraiment y penser, avant d'attraper Cairàn par le bras et de courir dehors. Sa mère était trop protectrice, trop prompte à essayer de gérer sa vie à sa place, même si elle l'aimait beaucoup. Quand elle était plus jeune, cela ne la gênait pas, sa mère gérait et elle s'amusait sans avoir à s'inquiéter de rien. Mais elle avait douze ans, maintenant, elle n'était plus petite. Que sa mère reporte son surplus d'autorité sur Penny et Cairàn, et pas sur elle.
D'un autre côté, elle avait ses deux parents, et elle se sentait parfois coupable d'avoir des pensées pareilles alors que  beaucoup d'autres enfants avaient perdu un de leurs parents, ou bien n'avaient pas la possibilité de les voir aussi souvent qu'ils le voulaient. Elle savait que les Keller avaient une histoire familiale compliquée, qu'ils avaient perdu leur père, et ni Kat ni Ahren ne parlaient jamais de leur mère, sans que Gil ne cherche jamais tellement plus à en savoir plus.
Mais de l'impression qu'elle avait, il lui semblait qu'ils étaient en grande partie livrés à eux-mêmes, juste sous la supervision d'Ulrich Keller, et vu l'amour fraternel qu'il y avait entre les deux frères, Gil se demandait plutôt comment les deux pouvaient toujours être vivants et en un seul morceau à la fin des vacances.

" Oui! Je ne sais plus si je t'en avais parlé, mais j'ai fait un mois d'entraînement en juillet, à la Cité, dans l'équipe des jeunes. En Août, vu que mes grands-parents habitent dans un village moldu, j'ai pas tellement pu voler, mais j'ai repris un peu avec Jerem à la fin de la semaine dernière. Oh, et d'ailleurs! Je sais qui est le nouveau prof de vol de Poudlard, vu que Bibine est partie! "

Elle avait toujours du mal à réaliser, d'ailleurs. Haytham était indissociable de la cité Nimbus, pour elle, l'imaginer à Poudlard était vraiment étrange, comme sentiment. Est-ce que sa mère pourrait-lui avoir demandé de garder un œil sur elle? Elle ne l'espérait franchement pas. Comment pourrait-elle vraiment s'amuser en pensant que quoi qu'elle fasse, sa mère serait au courant? Non, aussi protectrice qu'elle soit, Sue Whitaker n'aurait jamais fait ça. Puis Haytham lui aurait dit, non?
Et en plus, il allait déjà falloir qu'elle fasse attention à ne pas faire trop de bourdes, de ne pas le tutoyer, de ne pas l'appeler Haytham devant tous ses camarades… Elle était sûre qu'elle allait faire une bêtise dès le premier cours, c'était inévitable.
Elle accepta en souriant la patacitrouille que son ami lui tendit avant de croquer dedans à pleines dents, laissant le goût de la friandise exploser dans sa bouche.

" C'est les friandises préférées de ma petite sœur, elle a l'habitude de me casser les pieds dès qu'elle en vois. Tu ne sais pas la chance que tu as de ne pas avoir de petite sœur de six ans casse-pied, crois-moi. "

Mais elle souriait en disant cela. Penny avait beau être casse-pied, être une petite fille gâtée et parfois capricieuse, c'était sa petite sœur chérie.

Le léger accès de rage d'Ahren la prit par surprise. Elle avait l'habitude de se plaindre de son frère et de sa sœur, comme beaucoup d'autres enfants. C'était un fait communément admis par tous les enfants que les frères et sœurs, même si on les adorait, même s'ils étaient mignons, même s'ils pouvaient être agréables, ils étaient tout de même la plupart du temps des plaies. C'était simple, ceux qui avaient des grands frères ou des grandes sœurs en voulaient des petits, ceux qui en avaient des petits en voulaient des grands, ceux qui avaient des frères et sœurs n'en voulaient pas et ceux qui n'en avaient pas en voulaient. C'était une des grandes vérités de l'existence, dans la plupart des familles normales.

Gil ne s'était jamais considérée comme venant d'une famille "normale". En fait, elle avait plutôt l'habitude du contraire, avec son histoire familiale compliquée,  ses grands-parents qui n'étaient pas ses grands-parents, sa grand-mère qui avait l'âge d'être sa mère et son oncle qui avait à peine quatre ou cinq ans de plus qu'elle. La plupart du temps, les gens en face la regardaient avec des yeux ronds, sans vraiment croire à ce qu'elle racontait, sans vraiment toujours comprendre, d'ailleurs.
Elle avait l'habitude, à la fin. Et elle avait appris que ce qui pour elle était la "normalité" ne l'était pas forcément pour les autres.

Elle s'apprêta à lui relancer une réplique acide, peu ravie de se prendre les remontrances d'Ahren à l'égard de quelque chose qu'elle ne contrôlait pas. Non, elle n'avait pas choisi de naître Gillian, chez les Forest-Whitaker, dans une famille d'ouvrier de la Cité Nimbus, tout comme il n'avait pas choisi de naître Ahren Keller dans une famille de Sang-Purs coincés. On choisit pas sa famille, il n'avait jamais remarqué?
Et, bizarrement, on n'avait jamais la famille idéale. Elle était toujours chez les autres.

Gil était loin de penser que sa famille était parfaite. Oui, elle avait de la chance d'avoir des parents comme les siens, un frère et une sœur comme les siens, aussi casse-pieds pouvaient-ils être l'un que l'autre. Tout le monde pouvait trouver quelque chose de bien dans sa famille, il suffisait juste d'ouvrir les yeux pour le voir. Oui, elle savait qu'Ahren avait des problèmes familiaux, mais elle savait aussi que s'il pouvait être un petit peu moins borné, un petit peu moins hautain, Kat serait là pour lui.

Mais ses excuses, juste après, la firent s'adoucir. Ahren ne s'excusait que peu, et Gillian appréciait le fait qu'il l'estime suffisamment pour penser qu'elle avait le droit à des excuses de sa part. Elle était trop fermée, trop étriquée, elle ne pensait pas à Ulrich Keller et à ses airs de Mr Parfait qui lui faisait froid dans le dos, elle ne pensait pas au fait qu'Ahren et Kathrina semblaient livrés à eux-mêmes, sans aucune supervision de leurs parents. Il fallait vraiment qu'elle arrête d'essayer de voir du positif partout, quand parfois il n'y en avait juste pas.
Elle soupira légèrement, posant son regard bleu sur le garçon en face d'elle. Il avait porté son regard sur le dehors, l'air pensif. Jamais elle ne l'avait vraiment vu auparavant, mais là, assis de cette manière-là, il ressemblait à Kat. Les mêmes yeux bleus, la même manière de se tenir, la même chevelure brune… Elle savait qu'ils étaient jumeaux, mais jamais l'évidence ne l'avait jamais autant frappée que dans cet instant.

" Tu.... Tu veux en parler? "

Elle avait hésité avant de prononcer cette phrase, ne sachant pas tellement comment elle serait reçue de l'autre côté, comment Ahren prendrait le fait qu'elle essayait d'en savoir plus sur cette partie de lui-même qu'il s'escrimait à laisser caché. Elle ne voulait pas se disputer avec lui, pas maintenant, pas sur ça, ça n'en valait pas la peine.

" C'est comme tu veux, tu sais. Je ne t'oblige à rien. "