[Trame Nimbus] Secret de famille

C'était un vieux rapport d'une centaine de pages, scellé au fond d'une enveloppe, caché au fond d'une boîte de rangement, sur la rangée la plus haute de l'étagère la plus vieille et la plus inaccessible des archives du département de fabrication des Potions de l'entreprise Nimbus. Le genre de pièce où l'on ne mettait les pieds, habituellement, que pour classer des dossiers ou retrouver une information égarée - et encore, des informations datant de moins de cinq ans. L'étagère où se trouvait le rapport correspondait aux premières années d'existence de Nimbus, vers les années 1600, quand l'empire d'aujourd'hui n'était qu'une petite fabrique de balais locale. Un nombre incalculables de sortilèges préservaient les vieux parchemins du passage du temps, mais on évitait tout de même d'y toucher, de peur de détruire le fragile équilibre de l'endroit. Autrement dit, la planque parfaite.



Jordan n'y était certes pas venu par hasard, mais il ne s'attendait pas du tout à tomber sur ça. Son stage au département des potions se passait plutôt bien. Au début, il avait été furieux de devoir occuper un poste aussi bas dans l'entreprise, puis il avait compris tout l'intérêt de la chose: c'était la crise, montrer aux ouvriers que leur futur patron avait accompli le même travail qu'eux dans sa jeunesse serait vu comme une marque d'intérêt pour eux - et lui dégonflerait le ballon, paraissait-il. Jordan n'avait pas tenu compte de cette dernière remarque, estimant qu'en matière de ballon, son père n'avait rien à dire.
Calmé, mais toujours pas ravi du sort qu'on lui réservait, Jordan avait donc choisi, autant par intérêt que par esprit de contradiction, d'oeuvrer dans le département polémique du moment: celui de la Fabrication des Potions. Eh oui, il travaillait sur ces mêmes potions accusées de donner la Consumeuse aux ouvriers. Lawrence n'avait pas contesté ce choix, mais son fils avait reconnu sa contrariété à l'expression de son visage. Après un mois de travail, le jeune Nimbus de Pompadour se félicitait de son choix. Il se rendait à l'usine tous les matins, revêtait la blouse écarlate des potionnistes et pénétrait dans la salle enfumée ou d'énormes chaudrons mijotaient. Les potions étaient diverses et variées: il y avait celles qui devaient rendre le bois plus solide, celles chargées de le lustrer, des mixtures de vernissage, de polissage, la colle magique qui servait à maintenir la paille de l'extrémité du balais... Les ouvriers s'activaient, minutieusement, plongeant les balais dans la potion appropriée, réceptionnant les potions livrées par les entreprises Malefoy.



Lui ne touchait pas aux potions. Il gérait les stocks, passait entre les rangs pour vérifier les constantes, les temps de pose, ce genre de choses. C'était moins glorieux que d'être en charge des précieuses mixtures, mais c'était aussi plus enrichissant: il naviguait ainsi sur toute la chaîne de fabrication et se familiarisait avec chaque étape, chaque potion, chaque subtilité du métier. C'était d'ailleurs cela qui l'avait mené dans la salle des archives. Il avait entendu les ouvriers parler de la consumeuse, de lorsque tout cela avait commencé. Il avait alors pris sur son temps libre pour étudier les évolutions de la fabrication. Chaque soir, il restait une heure de plus, et il fouillait. Et ne trouvait rien. Les archives étaient étonnament vide sur ce sujet. Alors chaque fois, il remontait dans les années, dans les siècles, pour reconstituer le délicat puzzle. Il était arrivé à la fondation des entreprises Nimbus. Et à ce rapport de 1995 qui n'avait rien à faire là.



Les entreprises Gristher ?! Ce n'étaient pas celles que Malefoy avait racheté après la guerre? Leurs fournisseurs actuels? C'était ça, qui était responsable de la consumeuse? Non, ça n'avait pas de sens. Malefoy fournissait un million d'autres clients qui n'avaient pas ces problèmes. Ils n'étaient pas les seuls à utiliser les produits Malefoy, et quand bien même, lorsque Gristher avait été racheté, ils avaient bien du étudier les potions et réorganiser la fabrication à leur façon, booster le département recherche, faire évoluer la science, par Merlin!



Dans l'obscurité de la salle des archives, le silence paru soudain pesant, le jeune homme qui lisait ces lignes blêmit, sa main trembla. Alors c'était vrai. Tout était vrai.



Jordan reposa lentement le rapport, sentant une goutte de sueur perler sur sa tempe. Il savait, maintenant. Il comprenait l'obstination, le silence de son père. Il avait la réponse à tout, et il ne savait pas quoi en faire.