Comment ça va la famille ? [Noah/Nate]

Les petites pièces tremblotaient, secouées par la marche du train. L’une d’entre elles se redressa courageusement et démolit sa voisine, sans pitié. Noah ne put empêcher un discret sourire d’étirer ses lèvres. Son piège venait tout juste de fonctionner. Le Gryffondor annonça alors d’une voix claironnante :

« Tour en E3. »

La tour noire s’activa, sous les yeux effarés de son adversaire, qui commençait peu à peu à comprendre sa manœuvre. Ce qui devait arriver arriva, Noah déclara d’un ton sans appel :

« Echec et mat. 
-Nooooon ! Mais bon sang, c’est quoi ton secret ?
-Eh bien…
-Non, ne dis rien, je vais réussir à te battre un jour par mes propres moyens, je le jure !
-Je vois. La fierté Gryffondor, ricana Noah.
-Exactement. Allez, on refait une partie ? »
 
Noah soupira en se laissant retomber contre le dossier de sa banquette, et ses yeux s’accrochèrent au paysage vert qui filait à la même vitesse que le train.
 
« Non, je suis fatigué, c’était déjà la deuxième…
-Pff, allez, t’as peur de perdre ?
-J’ai plutôt la flemme de gagner. »
 
Une troisième voix interrompit ce qui s’annonçait comme un début d’échange de piques, une voix féminine cette fois-ci, celle de Maeva Hellsoft :
 
« Oh non, vous allez pas refaire une partie ! J’en ai marre de vous regarder jouer, c’est ennuyeux à la longue.
-C’est parce que t’y comprends rien !
-N’importe quoi, je sais jouer ! C’est juste chiant et puis j’ai envie de faire autre chose. Comment vous pouvez rester à faire le même jeu pendant des heures ?
-C’est toi qui tiens jamais en place ! »


Un autre Gryffondor comptant parmi leurs amis, qui lisait jusqu’alors tranquillement un exemplaire du Chicaneur dans son coin, tenta d’intervenir :
« On a qu’à faire une partie de batailles explosives, comme ça, tout le monde peut participer.
-Oh, bonne idée ! »
 
Noah assistait en spectateur silencieux à la scène, avec un petit sourire sur ses lèvres. C’était le genre de scènes quotidiennes qu’il observait avec amusement. Il se souvenait  de ses premiers jours dans la tour de Gryffondor, il était littéralement mortifié, l’impression de ne pas être à sa place le hantait. Mais trois années aujourd’hui achevées à Poudlard lui avaient permis de s’intégrer totalement dans sa maison, et il remerciait intérieurement le Choixpeau de l’y avoir envoyé, même s’il ne comprenait pas toujours pourquoi il avait fait ce choix. Tout ce que Noah savait, c’est qu’il ne pouvait pas s’ennuyer chez les Gryffondor, et ça lui allait parfaitement !
 
« Tu joues avec nous Noah ?
-Hum, commencez sans moi, je vais me dégourdir un peu les jambes, je reviens. »
 
Ses amis hochèrent la tête en chœur, et Noah ne tarda pas à fermer la porte du compartiment derrière lui. Il se mit à déambuler dans le mince couloir du wagon, comme il pouvait. L’ennui avec ce train, et les trains en général, c’était le manque d’espace. Si en plus de ça, on rajoutait des gamins qui chahutaient comme s’il s’agissait d’un couloir de Poudlard au moment de la récréation, on finissait vite par étouffer. Noah fut vite agacé du manque d’air et de tranquillité, et lassé d’être à moitié bousculé par des demi-portions, il commença à rebrousser chemin lorsqu’une tête un peu plus haute que la sienne émergea d’un compartiment qui s’ouvra sans prévenir sur sa droite.
 
Nate Windstom. A chaque fois qu’il le voyait, la première pensée qui traversait l’esprit du Gryffondor était « Ce mec grandit beaucoup trop vite ». La vérité objective était plutôt que lui était en retard, mais Noah refusait de l’admettre. Il était surtout vexé qu’un garçon d’un an de moins que lui le dépasse d’une demi-tête. Mais Nate n’était pas le seul, ni le premier, Noah était globalement dépassé en taille par la moitié de ses cadets.
 
« Oh, je… Non, c’est bon, on peut discuter un peu si tu veux. » répondit-il, pris de court.
 
Il ne s’inquiétait par pour ses amis : quand ils étaient lancés dans une partie de bataille explosive, ça pouvait vite devenir passionné, peut-être même qu’ils ne s’apercevraient même pas de son absence. Il suivit donc Nate à l’intérieur de son compartiment. Mains dans les poches, il lança un regard machinal autour de lui. Nate était seul. Tout à fait seul. On ne l’avait pas abandonné quelques minutes, il n’y avait pas d’autre valise que la sienne. Noah fronça légèrement les sourcils face à cette constatation, soucieux. Il n’osait pas en parler franchement  à Nate, mais maintenant qu’il y pensait, il lui semblait bien qu’il l’avait rarement vu à Poudlard accompagné. Il ignorait si c’était l’apanage des Serdaigle, mais Nate lui paraissait très solitaire.
 
« C’est vrai que ça fait un bail qu’on a pas parlé. Ca se passe bien pour toi ? »
 
La question était sortie toute seule, alors que Noah prenait place sur la banquette. Il jugea bon de préciser :
 
« Les cours, la famille et tout… »
 
Il n’allait pas préciser « les amis », cette case lui semblant peu fournie. Il connaissait Nate depuis longtemps, en tant qu’ami de la famille, il n’avait jamais été aussi expansif que son jumeau Jude, mais tout de même. Il était plus sociable et joyeux avant d’entrer à Poudlard, Noah en avait un très clair souvenir. Il n’avait pas compris tout de suite la raison de son changement brusque de comportement. Sa mère ne lui avait révélé que plus tard la situation difficile des Windstom, prise dans un conflit entre un fils sorcier et son jumeau Cracmol. Noah ne pouvait qu’imaginer les souffrances de ces deux frères, inséparables depuis la naissance. Tellement inséparables qu’il avait même eu du mal à se greffer dans leur duo, autrefois. Maintenant, il était un peu mieux intégré, mais un certain malaise ternissait le tableau. Il préférait encore quand il assistait en spectateur à la complicité fusionnelle des jumeaux, c’était tout de même plus joyeux.
 
Pour autant, Noah n’avait jamais parlé de cette situation ou de son ressenti avec Nate. Il ne se sentait pas assez proche de lui pour oser le faire. Peut-être qu’ils devraient profiter de leur temps passé à Poudlard ensemble pour se voir plus souvent… ? Noah n’y avait jamais pensé. Lui, il avait une belle bande d’amis où il se sentait tellement à l’aise qu’il refusait de voir que ce n’était pas le cas de tout le monde ou de perturber sa petite bulle de confort, alors qu’il savait, au fond de lui, que Nate souffrait. Mais il se sentait étranger à ce malaise, Nate était seul, mais il était loin de lui, et il avait choisi la solution de facilité : laisser les choses se faire, sans bouger. Spectateur, comme toujours.

Noah le laissa parler jusqu’au bout, sans l’interrompre. Nate avait l’air d’un garçon renfermé à première vue, mais c’était bien mal le connaitre. Passé les premières conversations où il avait tendance à bégayer et faire des réponses courtes, il se transformait peu à peu en une vraie piplette. Enfin… « Transformer » n’était pas le bon mot. Il redevenait tout simplement ce qu’il était véritablement : un garçon bavard et énergique, presque comme son jumeau. Noah connaissait cette facette de lui, mais il avait la sensation que plus le temps passait et plus elle s’estompait. Peut-être était-ce aussi parce qu’entre les cours et ses nouvelles amitiés, le Gryffondor s’éloignait peu à peu de son ami d’enfance.

Cependant, certains détails se remarquaient toujours. Une petite grimace, une voix qui s’affaiblit, et Noah percevait aussitôt le léger malaise de Nate à l’évocation de son frère. Même après deux années passées à Poudlard, ce sujet restait encore sensible chez lui, visiblement.  Il n’insista donc pas en posant des questions, il se contenta simplement de hocher la tête, signe qu’il l’avait écouté, et répondit à sa question sous-entendue à la fin, en haussant les épaules :

« Au début, c’était un peu dur, oui… Je me souviens, j’envoyais des lettres à mes parents presque tous les jours. Mais on s’habitue vite, et puis y a quand même une super ambiance à Poudlard, ça aide. Le tout c’est de réussir à bien s’entourer. »

Evidemment, quand on restait seul ou pire, quand on devenait la risée du groupe –les enfants pouvaient se montrer très cruels parfois-, une année passée en internat pouvait s’avérer longue et pénible. Noah avait eu la chance d’atterrir dans une maison connue pour sa sympathie et son énergie contagieuse, même si tous les Gryffondor n’étaient pas des cœurs d’or. Mais avec un peu d’efforts, on arrivait vite à se trouver une place parmi eux, la preuve : même Noah y était arrivé !

 Mais si lui n’était pas à plaindre, peut-être n’était-ce pas le cas de Nate ? Ce dernier avait tout à coup le regard songeur. Une phrase qu’il avait prononcée lui revint en mémoire. « Jude va bien, il se fait des amis moldus, s’intègre peu à peu… »   Tant mieux pour Jude, mais qu’en était-il de Nate ? Noah n’avait pas l’impression qu’il jouissait du même confort. Mais rien n’était sûr, et alors qu’il allait prendre la parole pour lui poser la question, Nate le devança :

« Et toi ? Comment vas-tu ? Tes parents vont bien ? »


Noah ravala ce qu’il allait dire et répondit par un simple hochement de tête qui convenait à ce genre de politesses banales. Le Serdaigle enchaîna, en le surprenant cette fois-ci :

« Qui est-ce qui vient te chercher ? »


Il ne s’attendait pas à la question. Non pas qu’elle le gênait, il avait déjà fait le deuil du divorce de ses parents, mais cette séparation, il l’avait cachée à presque tout le monde. Seuls ses plus proches amis étaient mis dans le secret, et encore, ils n’en connaissaient pas les raisons profondes. Ceci dit, c’était logique que Nate soit au courant, étant donné qu’ils étaient liés par leurs familles respectives. L’affaire avait tout de même fait grand bruit chez eux et sa mère en avait sans doute parlé à Mr Windstom, ça n’avait rien de surprenant. En tout cas, c’était la première fois que Nate l’évoquait avec Noah.

« C’est ma mère. C’est toujours elle. Mon père, il... Enfin… Il n’a plus trop envie d’être mêlé au monde sorcier, tu vois. »


Le « tu vois » accompagné du regard insistant qui voulait tout dire, qui sous-entendait tout. Peter Forester était un Moldu, ça tout le monde le savait. A partir de là, ça n’était pas très compliqué de deviner qu’un divorce avec sa femme sorcière était aussi un divorce avec ce monde qui n’était et ne serait jamais le sien. Lui et son fils évitaient toute discussion à propos de Poudlard, depuis. Pendant les grandes vacances, il se contentait d’un vague « Ca s’est bien passé, cette année ? » avant de parler d’autre chose. Et Noah étant ce qu’il était, sorcier jusqu’au bout des ongles et assez renfermé, les sujets de conversation se tarissaient vite. Il se renfrogna légèrement en y repensant.

« Mais on fait moitié-moitié comme d’habitude, le mois de juillet avec ma mère, le mois d’août avec mon père. » précisa t-il.

C’était devenu une routine, toutes les vacances scolaires étaient partagées à parts égales, et Noah s’y était vite fait. Finalement, le fait qu’il soit en internat devait arranger ses parents, le partage de la garde était bien plus simple ainsi.

« Mais bon, bref, on s’en fiche, râla t-il en agitant la main, comme pour chasser le sujet. Je me demandais si... »

Il ne souhaitait pas l’embarrasser avec la question qu’il se posait tout à l’heure, mais il fallait tout de même qu’il sache. Il prenait rarement le temps de venir vers lui à Poudlard, et Noah n’avait pas pour habitude d’être un ami ingrat. Il n’était pas encore trop tard, heureusement.

« Toi, tu t’es bien intégré à Poudlard ? »

Noah avait posé la question mine de rien, en jouant avec le lacet de son sweat trop large pour lui, comme si le sujet n’avait rien de sérieux. Il ne voulait pas mettre Nate mal à l’aise. Un détail lui revint a ce moment-là en tête, et il sauta sur l’occasion de détendre un peu l’ambiance :

« Oh Maeva m’a parlé de toi, y a quelques semaines ! Vous vous êtes rencontrés dans les couloirs, pas vrai ? Elle t’a trouvé très sympa. Je sais pas si t’es au courant, mais une rumeur dit que vous seriez… Tu vois. »

Le même « tu vois » suggestif que tout à l’heure, mais cette fois-ci en beaucoup plus drôle. Noah ne laissait rien paraître mais il s’esclaffait intérieurement. Il savait bien évidemment que ce n’était pas vrai. Enfin… Du côté de Maeva, en tout cas. Elle n’avait rien évoqué de ce genre, leur relation paraissait être un début de simple amitié. Mais s’il pouvait en profiter pour taquiner un peu Nate, il n’allait pas cracher dessus.

Nate comprit aisément qu’il avait surpris le garçon avec sa question mais, à son grand soulagement, Noah ne sembla pas gêné et lui répondit rapidement. Mais dans sa réponse, il sentait bien que le sujet n’était pas des plus faciles pour le garçon, ses hésitations le montraient bien. Son « tu vois » lui fit comprendre la stupidité de sa question, bien sûr que c’était sa mère qui venait le chercher, il aurait dû s’en douter… Mr Forester était moldu après tout, son divorce avec sa femme avait sans doute dû être un divorce avec le monde sorcier également. Il se demandait comment Noah faisait quand il était avec son père, il pensa au malaise qu’il ressentait chez ses grands-parents paternels et espéra que le temps que Noah passait chez son père n’était pas comme ça. Cette pensée se renforça lorsqu’il apprit qu’il faisait moitié-moitié, ce qui était logique après tout… Une question vint d’ailleurs à l’esprit de Nate :

« Du coup, tu vis à la moldu pendant la moitié de tes vacances ? »

Non pas que cela dérange Nate, sa famille lui avait inculqué la tolérance sous toutes ses formes mais surtout envers les moldus et né-moldus, son père ayant pas mal souffert de réflexions sur son statut de sang, mais ça devait tout de même être bizarre. Nate avait toujours vécu dans une maison où on faisait les tâches quotidiennes avec l’aide de la magie, où on jouait à des jeux sorciers, où les murs étaient décorés de photos et tableaux animés et quand il passait une semaine chez ses grands-parents, c’était déjà très déstabilisant alors y passer la moitié de ses vacances… En fait, Noah avait sans doute découvert une autre facette de son père, une facette qu’il ne connaissait peut-être pas si bien…

« Mais lorsque tes parents étaient encore ensemble, tu faisais déjà des trucs moldus ou c’est tout nouveau ? »

Dans ce cas-là, il plaignait sincèrement le garçon, s’accommoder du divorce de ses parents devait déjà être assez dur pour qu’en plus il ne doive faire un effort supplémentaire. En repensant à ce divorce, Nate réalisa qu’il était un peu triste de savoir qu’il ne reverrait sans doute jamais Mr Forester, il l’aimait bien, il avait pris l’habitude de le voir chez lui lors des repas communs, il faisait souvent des blagues… Enfin, il n’allait sûrement pas dire ça à Noah, ça risquait de créer un malaise plus qu’autre chose. De toute façon, le garçon venait de clore le sujet en déclarant que ce n’était pas intéressant et après une hésitation, il lâcha une bombe… S’il s’était bien intégré à Poudlard ? Il ne le regardait jamais pour poser une telle question… Enfin si, justement, il devait le regarder, cette question n’était sûrement pas anodine et son hésitation montrait bien que la question était réfléchie malgré le ton qui se voulait désinvolte. Embarrassé, Nate s’apprêtait à balbutier une réponse bancale mais Noah ne lui en laissa pas le temps, repartant vers un sujet plus léger : Maeva… Décidément, il ne pensait pas que cette simple rencontre ferait tant de bruit, mais il était ravi de la distraction qu’offrait ce sujet il répondit donc en tentant de masquer sa gêne due à la question précédente et à celle-ci.

« C’est vrai, elle t’en a parlé ? » Il était étonné que la rencontre ait suffisamment marqué la fillette pour qu’elle en parle à d’autres amis à elle et cette découverte ravissait Nate, elle le réconfortait dans l’idée qu’ils pourraient devenir amis. « Elle sait peut-être que nous nous connaissons ? »

Bon, maintenant, il fallait qu’il réponde à la question sur la rumeur. Il l’avait déjà fait avec Aby et il ne la connaissait même pas, ou alors ce qu’il connaissait d’elle ne le réconfortait pas du tout, et il s’en était sorti – il ne savait toujours pas comment, d’ailleurs – alors il devrait bien s’en sortir auprès de Noah. Néanmoins, il ne put s’empêcher de devenir écarlate :

« Heu… Non… Ce n’est pas vrai… On n’est pas ensemble… Ce… Ce n’est qu’une rumeur… »

Pfff… Et voilà que ça recommençait, ce n’était pas grand chose quand même… Enfin, les filles n’étaient certainement pas un sujet avec lequel il était à l’aise et puis, il appréciait Maeva et ne voulait pas donné de crédit à ces racontars, il ne voulait pas qu’elle croit qu’il puisse en pincer pour elle, cela réduirait ses chances de devenir son ami à zéro. Alors il reprit d’une voix un peu plus assurée :

« Je l’ai juste croisé par hasard dans les couloirs, on a discuté un moment, moi aussi je l’ai trouvé très sympa. J’étais tellement absorbé par notre conversation que j’en suis même arrivé en retard au cours de métamorphose. Enfin, heureusement le professeur n’avait pas commencé depuis longtemps et il ne m’en a pas tenu rigueur, il m’a juste fait une petite réflexion, j’étais pas fier de moi, je peux te le dire. »

Et bien voilà ! Quand il voulait… Enfin, c’était Noah, c’était toujours plus facile avec Noah. Le silence s’étirait et Nate repensa à la question précédente, peut-être devrait-il lui en parler, après tout, s’il avait posé la question c’est que la réponse l’intéressait et puis, ça lui ferait sans doute du bien d’en parler avec quelqu’un d’autre que ses parents. D’ailleurs, il tentait toujours de minimiser sa solitude dans les lettres qu’il envoyait à ses parents, il avait bien vu qu’ils s’inquiétaient et il ne voulait pas leur causer de soucis alors il exagérait toujours la moindre de ses rencontres, la moindre de ses discussions. Jude, il lui en parlait mais ce n’était pas pareil et puis, il se sentait toujours un peu bête face à son frère qui, lui, n’avait jamais eu ce genre de problème, même si celui-ci faisait tout pour l’aider et le conseiller. Après encore quelques minutes de réflexions pour ordonner ses pensées, il se lança :

« Si j’étais tellement absorbé par ma conversation avec Maeva, ce n’est pas parce qu’elle m’attire mais parce que… je n’ai pas tellement l’habitude de parler avec d’autres élèves », murmura-t-il. « Je… Je n’ai pas tellement d’amis, j’ai un peu de mal à aller vers les autres et je dois être trop renfermé pour qu’ils osent m’approcher, enfin, c’est ce que m’a dit Jude, qu’il fallait que j’essaye d’être un peu plus ouvert mais c’est pas facile. Alors, quand Maeva m’a adressé spontanément la parole et a lancé la conversation, je me suis lancé. J’ai bien fait, elle est vraiment sympa, je devrais laissé tomber mes affaires plus souvent » Une petite touche d’humour pour tenter de détendre l’atmosphère alors qu’il n’avait aucune envie de rigoler, ce qu’il disait lui pesait beaucoup. « Je fais ce que je peux, vraiment, mais je… Je crois que les gens me font un peu peur, je voudrais leur plaire, être bien, intéressant mais je ne suis rien de tout ça. »

Il tombait dans le pathos, il devait se reprendre… Quoique… Vider son sac faisait du bien de temps en temps et Noah semblait disposé à l’écouter. Il aimait bien Noah, il lui faisait confiance, il le connaissait vraiment, il connaissait le Nate d’avant, le Nate de Jude. Jude…

« J’aimerais, j’aimerais que Jude soit là, c’était tellement plus simple, tellement mieux avant… Tu comprends, on était deux. On était toujours deux et on pensait que ce serait toujours ainsi, on avait tort… Maintenant, il fait sa vie dans le monde moldu, je suis content pour lui, vraiment mais… Il me manque. S’il pouvait être là, je pourrais redevenir le Nate d’avant. »

Il fallait qu’il arrête là, il ne voulait pas paraître égoïste et puis, il ne voulait pas accabler Noah. Pour une fois qu’ils discutaient tous les deux, il était obligé de plomber l’ambiance, il comprenait mieux pourquoi les autres ne lui parlait pas, si en plus d’être renfermé à l’extrême, il était rabat-joie… Il fallait qu’il dise quelque chose de positif : vite !

« Enfin, cette année c’est un peu mieux ou moins pire, ça dépend du point du vue », un petit rire, un peu cassé mais sincère. « L’année dernière j’étais encore trop sous le choc, maintenant j’ai pris conscience du problème et j’essaye d’y trouver une solution. J’essaye d’aller un peu plus vers les autres, de ne pas rater une occasion de discuter avec quelqu’un, je relance la conversation, même si c’est dur. Et puis, j’essaye de m’intégrer un peu à Serdaigle, de discuter des cours avec les élèves, c’est un sujet neutre. Enfin, avec les garçons de mon année, c’est un peu compliqué, ils ont créé leur petit groupe sans moi… Ils ne sont pas méchants mais ils ont l’habitude de faire sans moi. Bref, je ne vais pas t’ennuyer plus que ça »

Un petit rire ponctua son monologue et il s’arrêta, un peu essoufflé, le cœur battant, il avait l’impression d’avoir couru un marathon, il était vidé de toute énergie mais il était étonnamment apaisé. Il avait eu raison, ça faisait du bien de se libérer, Noah allait sans doute être gêné et à court de réponses – que répondre à cela ? Nate, lui, ne saurait pas comment réagir – mais, d’une certaine façon, il l’avait déjà aidé. Un peu embarrassé d’avoir monopolisé la conversation aussi longtemps, Nate tenta d’effacer les dernières traces de la tourmente qui s’était emparé de lui et tourna son attention vers son ami d’enfance :

« Et toi ? Comment ça se passe à Gryffondor ? J’ai l’impression que tu t’es bien intégré, non ? »

Nate se montra plus curieux que ce que Noah avait prévu. Être enfant d’une Sang Pur et d’un Moldu des plus basiques n’était pas si courant, c’était normal qu’il veuille en savoir plus sur son quotidien. Ce genre de situation familiale bouleversait forcément les habitudes de chacun, on apprenait à connaître et accepter la culture de l’autre, et on faisait des compromis, énormément de compromis… Tellement de compromis que parfois, les choses devenaient ingérables et l’union ne pouvait plus tenir. Noah ne se rendait pas complètement compte de tous les sacrifices que ses parents avaient dû faire pour lui offrir une vie à peu près stable, mais il se l’imaginait plus ou moins. Plus petit, il ne voyait rien du tout. Sa mère faisait la vaisselle d’un tour de baguette magique pendant que son père branchait à côté un aspirateur bruyant, et alors ? Tout était très clairement défini dans les tâches quotidiennes chez eux, et tout était mis en place pour que chacun y trouve son compte. Ils avaient l’électricité et le gaz, que sa mère n’utilisait quasiment jamais mais Noah avait appris à en servir et à manier les objets Moldus les plus banals. De toute façon, il ne pouvait pas utiliser la magie à la maison, alors du temps où ses parents étaient ensemble, il vivait davantage comme son père. Au final, ça lui avait permis d’acquérir plus d’autonomie que les autres enfants sorciers, qui avaient des parents pour tout leur faire d’un coup de baguette magique. D’ailleurs, son père utilisait souvent l’expression, en bon Moldu qu’il était : « Qu’est-ce que tu attends pour mettre la table ? Ca va pas se faire tout seul ! ». Eh bien si, chez les sorciers, ça se faisait tout seul.

« Bah, en fait, quand j’étais petit, je faisais quasiment que des trucs moldus. Je contrôlais pas assez mes pouvoirs magiques pour m’en servir au quotidien et mon père considérait que j’avais pas à attendre que ma mère me fasse tout. Donc il m’a appris à vivre comme lui. Et maintenant, quand je vais chez lui, je retrouve ces habitudes-là. » 

Il réfléchit quelques secondes à comment expliciter sa pensée et mettre de l’ordre dans ses explications, puis il poursuivit, un peu hésitant :

« En fait… Je sais pas comment dire mais… J’ai vraiment compris ce que c’était de « vivre à la Moldu » ou « vivre en sorcier » que depuis le divorce de mes parents. Avant, je faisais pas bien la distinction, parce que tout était mélangé. On avait une volière pour le courrier de ma mère et une boîte postale pour mon père. On avait aussi la télé moldue, le téléphone, la radio, le gaz, et puis chacun les utilisait quand ça lui chantait… On allait tous les trois autant voir des matchs de Quidditch que de rugby, on se séparait pas. Maintenant, je fais soit l’un soit l’autre, en fonction de chez qui j’habite. Les différences sont devenues claires. »


Le divorce de ses parents datait seulement de deux ans, mais Noah avait l’impression qu’il s’était écoulé une éternité depuis. Elle lui semblait bien loin, son ancienne maison si atypique, avec tous ses souvenirs… Au final, ses parents étaient revenus à leur nature profonde. Diana Highlands n’utilisait plus aucun objet moldu, et Peter Forester ne voulait plus entendre parler de sorcellerie. Quant à leur fils, il était une espèce de caméléon qui s’adaptait à son environnement, avec une petite préférence pour le monde sorcier tout de même, qu’il trouvait beaucoup plus exaltant. Peut-être était-ce aussi parce qu’il avait toujours été plus proche de sa mère, malgré tout. Ses parents avaient beau avoir fait garde équitable, il se sentait moins à l’aise chez son père. Pas à cause de l’environnement moldu, de la maison, des appareils technologiques, tout ça, il connaissait. Plutôt à cause de malaise qui ne cessait de grandir entre lui et son père, pour une raison qui lui échappait. Parfois, Noah se disait qu’il n’avait plus grand-chose à partager avec lui, depuis qu’il était entré à Poudlard, une école à laquelle Mr Forester ne comprenait pas grand-chose. Parfois, il était convaincu que c’était la faute de son père, qui changeait de personnalité, qui devenait quelqu’un d’effacé, presque… volontairement distant.

La conversation dériva sur un sujet plus frivole, au soulagement de Noah. Ressasser les souvenirs de son enfance pouvait se révéler autant amusant que déprimant, il ne souhaitait pas arriver à cette dernière extrémité. Il observa donc les réactions de son ami d’enfance, assez amusé de voir une lueur d’espoir dans son regard.

« Bah, tu sais, Maeva parle beaucoup, de façon générale. Je lui ai dit qu’on se connaissait seulement après, en fait, sans rentrer dans les détails. »

Comme il l’avait imaginé, Nate se mit à cafouiller quand il évoqua les rumeurs à leur sujet, que Noah savait fausses. Mais c’était toujours drôle à voir. Ils n’avaient que treize ans, après tout, l’époque où ils se moquaient de leurs camarades qui avaient une « namoureuse » n’était pas si loin. Noah ne s’était jamais senti vraiment intéressé par une fille. Jusqu’à son entrée à Poudlard, il était fermement convaincu que « Les filles c’est caca, ça pleurniche tout le temps, c’est moche ». Il avait vite compris son erreur. En même temps, dans une maison comme Gryffondor, c’était impossible de rester sur de telles positions. Maintenant c’était plutôt l’extrême inverse « Les filles, ça fait peur, ça griffe, ça pique et ça mord ». Non vraiment, l’amour, pas pour lui, pas maintenant.

Il hocha la tête au récit de Nate, c’était à peu près conforme à ce que lui avait dit Maeva. Il n’y rajouta rien et le silence s’installa, quelques secondes, avant que Nate ne reprenne la parole, avec une toute autre expression, qui fit froncer les sourcils à Noah.  S’en suivit un discours -puisque c’était le mot qui convenait à la longueur de sa prise de parole- qui stupéfia le Gryffondor. Nate venait de lui fournir la définition de l’expression « vider son sac », et quel sac, par Merlin ! Et encore, sans doute qu’il était encore à moitié plein, il avait l’air d’en avoir gros sur la patate. Noah sut qu’il avait bien fait de lui poser la question, même si maintenant, il ne savait plus trop quoi lui répondre. Il n’était pas doué pour ces choses-là, le réconfort, la gentillesse, tout ça. Il avait beaucoup d’empathie pour ses proches, mais il restait en général silencieux, se contentant d’être simplement présent et attentif.

« Et toi ? Comment ça se passe à Gryffondor ? J’ai l’impression que tu t’es bien intégré, non ? »


Noah sut à ce changement de sujet que le malaise du Serdaigle était plus grand qu’il ne voulait bien le montrer. Il connaissait cette attitude fuyarde, pour la simple et bonne raison que lui-même agissait de la même façon. Eviter de trop discuter des sujets qui fâchent et préférer parler de celui en face pour faire oublier ses propres problèmes. Surtout qu’avec cette question, Nate posait le doigt sur une question par encore tout à fait réglée dans le cœur de Noah, celle de son étonnante répartition à Gryffondor. Certes, il ne pouvait que se sentir bien dans cette maison où les élèves étaient si amicaux et ouverts, mais y était-il pour autant à sa place ? Noah choisit de revenir sur le morceau précédent, par volonté d’aider son ami, mais aussi plus insidieusement par lâcheté quant à ses propres tourments :

« Hum, tu veux vraiment qu’on parle de ça ? Enfin, c'est gentil de t'inquiéter, hein, de mon côté, ça va, mais après tout ce que tu viens dire, je peux pas rester dupe… »

*Sous-entendu : c’est plutôt de toi qu’il faut qu’on parle, Nate*


« Ca m’ennuie pas, je t’aurai pas posé la question, sinon. En fait, je me doutais un peu de la réponse, je te voyais souvent seul à Poudlard, donc… Je me demandais comment ça se passait. J’aurai peut-être dû aller vers toi plus tôt. »

Il grimaça un peu, pas fier de s’être montré si peu disponible pour un ami de si longue date.

« Mais j’comprends, hein, Jude c’était un peu… Vous étiez tout le temps fourrés ensemble, y avait jamais l’un sans l’autre, quoi. Ca doit être super déstabilisant pour vous deux, maintenant… Mais tu m’as dit tout à l’heure qu’il avait réussi à s’intégrer chez les Moldus, c’est quand même impressionnant. Ca doit être encore plus dur pour lui ! T’imagines ? C’est un univers tout entier qu’il découvre, et lui aussi il est séparé de son jumeau. Pourtant, il a réussi à se faire quelques amis, alors moi, je me dis qu’il y a pas de raison pour que ça fonctionne pas pour toi. Je sais, tu vas me dire que t’es pas comme lui, je me souviens, il avait une plus forte tête, mais… Mais toi aussi, Nate, t’es quelqu’un de super cool et de sociable. Enfin, moi je me souviens de ce Nate-là. »


Il offrit une sorte de sourire maladroit mais sincère, avant de le devancer, appréhendant ce qu’il allait répondre :

« Et ne me dis pas que ce Nate n’existe plus, moi, j’ai l’impression que t’as pas changé. Toujours aussi bavard et curieux, hein ? »


Noah n’était pas un professionnel des tentatives d’humour, mais ça lui arrivait d’avoir le mot juste pour détendre l’atmosphère. Oui, vraiment, pour lui, Nate n’avait pas changé, ou alors, très peu. Certes, au début de leur échange, il s’était montré un peu timide, mais Noah mettait ça sur le compte de leur éloignement. Quand on a pas parlé depuis longtemps à une personne, on est forcément intimidé, même si on la connait bien.

Très intéressé, Nate écouta avec attention les explications de Noah et acquiesça à la réflexion concernant l’autonomie, c’est vrai que les enfants sorciers étaient très dépendants de la magie de leurs parents, c’est notamment pour cela qu’ils attendaient avec impatience leur entrée à Poudlard, afin de pouvoir se débrouiller un peu seul. Le choc avait été d’autant plus rude pour Jude car il avait compris qu’il n’aurait jamais l’aide de sa propre magie, deux possibilités s’offraient alors à lui : être dépendant de ses parents ou bien « vivre à la moldu » comme on disait. Son désir d’autonomie avait été plus fort et il avait décidé de se débrouiller par n’importe quel moyen. La suite des explications de Noah fascina totalement Nate, cette vie en équilibre entre deux mondes devait être tout à fait passionnante ! Nate s’apprêta à demander si certains éléments de cette vie ne lui manquaient pas, la télé par exemple le fascinait totalement quand il était chez ses grands-parents et il aurait aimé en posséder une chez ses parents, mais il se ravisa à temps en réalisant que cette question serait sûrement malvenue, il ne souhaitait pas importuner son ami plus longtemps sur le sujet, du moins pour l’instant car il était tout de même très curieux.

Le passage concernant Maeva détendit un moment l’atmosphère avant que la conversation ne reparte dans les sujets qui fâchent ou plutôt qui peinent. Une fois son monologue terminé, tourmenté, Nate déchiffra aisément le regard étonné et quelque peu perdu de son locuteur, il tenta alors de détourner la conversation pour que tout le monde soit plus à l’aise mais Noah semblait vraiment concerné par ce que Nate venait d’avouer et il revint sur le sujet, allant même jusqu’à se reprocher de ne pas être allé plus tôt vers son ami. Nate, abasourdi par ces derniers mots, s’empressa de réagir :

« Tu n’y es pour rien Noah ! J’aurais aussi bien pu aller vers toi ! Franchement, ne t’en veux pas, tu es venu me voir aujourd’hui, c’est déjà sympa de ta part. Et puis, plus tôt, je ne sais pas si je t’aurais aussi bien accueilli. »

Le discours que prononça ensuite Noah bluffa tout simplement Nate, il ne s’attendait clairement pas à ça de la part de son ami d’enfance et pour être franc lorsqu’il eut fini, Nate se sentit assez mal. En effet, Noah avait eu les mots justes et en voulant le réconforter, il avait mis en évidence un aspect auquel Nate n’avait jamais vraiment réfléchi. Jude était quelqu’un de sociable et l’avait toujours été, Nate avait donc pensé que c’était plus simple pour son frère de se retrouver seul, que c’était naturel qu’il se fasse facilement de nouveaux amis mais il avait eu tort car si Jude avait l’avantage de son caractère, il avait été jeté dans un monde quasiment inconnu et il avait su faire face alors pourquoi, lui, Nate, n’arrivait-il pas à s’en sortir alors qu’il était là où il avait toujours pensé être ? Alors même qu’il pensait cela, Nate fronça les sourcils, une fois de plus, il revenait à lui, à ses petits problèmes, peut-être que son problème majeur n’était pas d’être timide mais plutôt d’être égocentrique ? Il ne s’était jamais pensé égoïste mais Noah venait de lui faire comprendre qu’il devrait essayer de se mettre à la place de son frère au lieu de se focaliser sur ses soucis, peut-être que cela lui permettrait de relativiser ? En tout cas, il faudrait qu’il parle sérieusement de cela avec Jude, il n’avait pas envie que son frère pense qu’il l’avait abandonné dans un monde hostile sans même se rendre compte des difficultés auxquelles il devait faire face. S’il n’avait pas été aussi perturbé par la discussion en cours, Nate aurait compris qu’il n’était pas aussi mauvais qu’il n’était arrivé à le penser, très souvent il réfléchissait à toutes les épreuves que traversait son frère et s’il souhaitait ardemment que Jude soit à ses côtés, plus d’une fois il avait souhaité être cracmol comme lui plutôt que d’être seul à Poudlard, plutôt que de le laisser seul face au monde moldu.

Malgré cette petite remise en question, Nate devait avouer que Noah était doué, il avait su trouver quoi dire pour le réconforter et encore plus que ce que Noah avait dit, savoir qu’il le connaissait assez bien pour savoir exactement quoi dire lui faisait chaud au cœur. Décidément, il aurait vraiment dû aller le voir plus tôt, et il se faisait la promesse de ne pas hésiter à aller déranger le garçon en cas de coup de blues l’année prochaine. Noah le connaissait si bien qu’il était capable de prédire ses réactions, ce qui fit sourire Nate, après tout, il avait raison, il avait souvent l’impression d’avoir changé, il avait l’impression que le Nate que Noah avait connu avait disparu, remplacé par une pâle copie. Mais d’après son ami, il était toujours présent, il voyait encore le Nate « cool et sociable » - enfin, sociable, il ne l’avait jamais vraiment été, il ne fallait pas exagérer –, le Nate « bavard et curieux », il fallait juste le réanimer et ses paroles lui redonnaient confiance : l’année prochaine, il s’en sortirait, l’année prochaine…

Légèrement rougissant face aux compliments de Noah, Nate fini par lui répondre, après tout, son ami le regardait débattre intérieurement sans avoir aucune idée de ce qui lui traversait l’esprit :

« Merci de me remonter le moral, c’est vrai que l’ancien Nate doit toujours être dans le coin, faut juste le retrouver mais en grattant bien, on devrait réussir. »

Un petit sourire tordu, Nate n’était pas un grand blagueur, il avait toujours peur d’être ridicule lorsqu’il s’aventurait à faire de l’humour mais c’était bien pratique pour détendre l’atmosphère alors il faisait ce qu’il pouvait.

« C’est vrai que je suis toujours aussi curieux, même si je ne satisfais plus ma curiosité que dans les livres ces derniers temps. Quoique… Ce n’est pas tout à fait vrai, si je réfléchis bien, si j’observe toujours autant les autres, c’est sûrement pour satisfaire ma curiosité envers les êtres humains. Pour ce qui est d’être bavard, je n’ai pas eu beaucoup l’occasion de le montrer mais c’est vrai qu’une fois à l’aise je me laisse aller, mais bon, pour me mettre à l’aise… C’est pas gagné. »

Un petit rire, plus naturel que le sourire précédent. Cette conversation tournant uniquement autour de lui le perturbait toujours un peu, ce n’était pas dans ses habitudes et puis, il avait sincèrement envie d’en savoir plus sur ce que devenait Noah.

« Et toi alors ? Gryffondor, c’est cool ? Pas trop dur d’être entouré de fauteurs de trouble ? »

Nate conclut sa question sur un clin d’œil, c’est vrai qu’il avait toujours un peu en tête les vieux préjugés sur les maisons qui lui venaient de ses parents, il ne connaissait pas assez bien les autres élèves pour s’être fait une nouvelle image bien qu’il sache parfaitement que tous les Gryffondor n’étaient pas des fauteurs de trouble, Noah en était un bon exemple. Une idée lui traversa alors l’esprit :

« Dis-moi, ça te dirait de passer à la maison cet été ? Je serais content de te parler un peu plus au calme et puis, ma famille serait sûrement contente de te voir. »

La petite intervention de Nate concernant le fait qu’ils n’avaient pas cherché à se voir plus tôt fit hausser les épaules à Noah. Il se sentait tout de même plus coupable. Il avait bien vu que Nate était seul. Le Serdaigle avait davantage besoin de lui que l’inverse, et Noah ne lui avait pas tendu la main. Voilà comment il voyait les choses. En revanche, la fin l’interpella. Il ne l’aurait « pas très bien accueilli » ? S’éloignait-il volontairement des gens à Poudlard en essayant de les repousser ? Ou s’était-il passé quelque chose qui l’avait rendu de mauvaise humeur ? Noah ne releva pas à haute voix, il préféra poursuivre sur son ressenti.

La réponse de Nate tarda à venir, mais Noah resta patient, ne souhaitant pas le bousculer sur cette question. Après tout, il venait de faire son petit discours lui aussi, et il n’était pas difficile de deviner à l’expression du Serdaigle qu’il avait fait mouche, ou du moins, qu’il laissait à réfléchir. Il attendit donc la réponse de son ami, avec une pointe d’appréhension au creux du ventre. Il ne pouvait s’empêcher d’imaginer le pire. Nate hurlant que ça n’était de toute façon pas ses affaires, par exemple. Bon, ça n’était pas son genre du tout, ceci dit… Mais Noah restait à l’affût de la moindre trace d’agacement, par prudence. S’il avait touché juste, il n’aurait rien à se reprocher. En revanche, s’il avait parlé tel un médiocre psychologue, il ne pourrait que comprendre une réaction négative de la part de son ami. Il n’y avait rien de plus agaçant que des gens qui se permettaient de donner de fausses leçons en croyant tout savoir.

Ce moment d’appréhension ne fut que de courte durée, évaporé dès le premier mot du Serdaigle. « Merci ». Voilà qui lui suffisait amplement. Cela signifiait qu’il avait réussi à réconforter son ami, malgré son incertitude, malgré son langage un peu maladroit. Noah sourit avec lui dans sa tentative d’humour. Il ne doutait pas que le bon vieux Nate referait vite surface, et si on s’y mettait à plusieurs pour gratter, cela irait encore plus vite.

« Bah, tu trouveras des gens avec qui laisser éclater ton flot de paroles, t’inquiète pas. Deux ans que tu les retiens, les pauvres. Un jour, ça va exploser, c’est moi qui te le dis, rit Noah, à son tour. Eh mais, je suis sûr que tu trouveras des camarades aussi bavards que toi ! Les Serdaigle ont un peu une réputation de gens… hum… excentriques. »

Il aurait pu dire « tarés », cela aurait tout aussi bien fonctionné. Cependant, il était plus sage de modérer son langage. Si l’on se basait sur les réputations de chaque maison, alors on pourrait aussi traiter les Gryffondor de gosses hyperactifs, les Poufsouffle de choses molles et niaises et les Serpentards de dangereux psychopathes. Nate eut d’ailleurs son mot à dire sur la maison Gryffondor et tous ses préjugés. Des fauteurs de trouble ? Ah, il ne croyait pas si bien dire. Noah ricana un peu à ce qualificatif, qu’il trouvait après réflexion plutôt approprié, surtout si l’on tenait compte de cette année, où les rouge et or avaient quand même eu leur petite apparition dans le journal, avec tout ce qui s’était passé autour du professeur Sorden qu’ils avaient bien failli dégager eux-mêmes à coups de pieds au cul.

« C’est à la fois cool et chiant, si tu veux savoir. C’est sûr qu’on s’ennuie pas avec eux, la salle commune est toujours très… agitée. Après, c’est une question de caractère, mais on finit par s’habituer. » conclut-il en haussant les épaules.

Lui ne faisait certainement pas partie des fauteurs de trouble. Noah se souvenait encore de ses premières années à Poudlard où il rasait presque les murs, tellement il ne voulait pas qu’on le remarque. Même après trois ans, les professeurs avaient parfois du mal à mettre un nom sur son visage, c’est dire s’il était discret. Finalement, la foire gryffondorienne lui permettait presque de passer encore plus inaperçu, c’était une planque idéale qui avait ses avantages, comme ses inconvénients.

Il ne souhaita pas poursuivre la réflexion sur sa maison, il était un peu lassé de réfléchir sur ce sujet, et aussi un peu lassé qu’on lui fasse des remarques. Il était temps que lui et les autres se fassent à sa répartition, ce n’était pas demain que le Choixpeau allait miraculeusement déclarer qu’il s’était trompé.  De toute manière, Noah ne le souhaitait pas. Il avait mis presque deux ans à s’intégrer à sa maison, il ne voulait surtout pas refaire le travail ailleurs. « Tant qu’on y est, on y reste ».

Il commençait donc à se lever, poussé par l’envie de rejoindre les amis qu’il avait laissés, mais aussi par le fait que le train allait rentrer à King’s Cross d’ici quelques minutes. Le temps avait filé à une vitesse redoutable. Nate lui proposa en même temps de passer chez lui cet été. Noah lui répondit, tout en remettant machinalement son sweat en place :

« Ouais, ça pourrait être cool ! Je vais en parler à ma mère, je suis sûr qu’elle sera contente de venir aussi. Je t’enverrai un hibou pour te dire quand je serai libre, alors. »

Il conclut par un sourire, content d’avoir pu reparlé à cet ami d’enfance qu’il avait un peu perdu de vue depuis son entrée à Poudlard. Ne parlons pas de Jude, il avait l’impression que cela faisait une éternité qu’il n’avait pas vu sa tête –quoiqu’elle n’était pas très différente de celle de Nate- cela lui laisserait sans doute une sensation étrange de le revoir maintenant.

« Bon, j’y vais, c’était cool de te parler, Nate. A la prochaine, hein ! » ajouta t-il avec un signe de la main, en claquant la porte du compartiment derrière lui.


Un « à la prochaine » qui sous-entendait pour lui aussi bien une rencontre pendant les vacances que la prochaine rentrée à Poudlard.