Déjeuner entre amies [PV Emma]

Mardi 19 Juin 2007


On était mardi midi, en plein milieu des examens de fin d'année, une épreuve l'attendait deux heures plus tard ; Amely aurait dû être concentrée. Mais les notions de cours qu'elle avait apprises lui échappaient, les méthodes qu'elle avait remaniées s'embrouillaient, les astuces qu'elle s'était énumérées s'envolaient, et ce pour une bonne raison : elle était préoccupée. Elle ne cessait de penser à Emma. Comme tout le reste de Poudlard, elle avait appris que cette dernière avait subi un interrogatoire par les Aurors, mais elle avait fait la sourde oreille à toutes les rumeurs rocambolesques qui véhiculaient sur son compte. C'était environ une semaine après l'évènement ; elle se souvenait vaguement que James et Clara avaient évoqué le problème mais elle s'était alors plongée dans les révisions jusqu'au cou, à bonne distance du reste du monde. Car elle savait bien qu'il fallait impérativement séparer vie privée et travail lorsqu'il s'agissait d'examens, la preuve : maintenant, elle était déconcentrée. Elle devait à tout prix éloigner Emma de son esprit jusqu'au 22, date clôturant les examens. Elle devait les passer dans les meilleures conditions possibles. Elle devait les réussir. Ce n'était peut-être pas les BUSEs ou les ASPICs, mais c'était quand même très important pour elle, déterminent pour le passage et figurant dans son dossier, qui devait être irréprochable si elle se destinait à la Médicomagie. Non, pas irréprochable : il devait être parfait.

Un mal de crâne lancinant prit soudain Amely qui ne put s'empêcher de gémir. Si la migraine persistait, elle était pénalisée pour le contrôle de l'après-midi ! Elle devrait peut-être aller voir l'infirmière ! Non, il fallait se calmer et surtout ne pas s'angoisser. Si le stress stimulait certaines personnes, il ne faisait que la paralyser ; c'était donc  une nécessité pour elle de se prendre en main, garder son sang-froid et aborder les examens en toute confiance. Elle allait y arriver, c'était évident, elle ne s'appelait pas Amely Anderson pour rien. Elle descendit d'un pas rapide plus rapide les escaliers mouvants : c'était bientôt l'heure du déjeuner. Du haut de sa rambarde, elle observa le Hall avec une impression étrange. Quelque chose clochait, mais quoi ? Peu importe, se morigéna-t-elle, ce n'était pas le moment de s'attarder sur les détails. Elle continua sa descente jusqu'au moment où elle entendit Franklin Darrel, un de ses camarades de classe, prononcer le mot « fantôme ». La Serdaigle leva le nez et eut une illumination : c'étaient donc les fantômes qui manquaient à l'appel ! La Dame Grise ne s'était pas montrée le matin-même dans la salle commune et elle n'en avait croisé aucun dans les pièces qu'elle avait traversées aujourd'hui ; focalisée sur les problèmes qui la turlupinaient, elle n'y avait pas fait attention. C'était tout de même curieux que tous les fantômes aient disparu ce jour-là.

« Amy ! » appela une voix reconnaissable entre mille.

Robin Anderson descendit les quelques marches qui les séparaient pour marcher à ses côtés.

« Je n'ai pas le temps de discuter, Robin, j'ai...
- Écoute, la coupa-t-il abruptement.

Surprise, Amely scruta le visage hésitant de son petit frère.

- J'arrête le rugby, lâcha-t-il précipitamment.
- Quoi ? s'exclama Amely, Mais je croyais que tu adorais ça !

Son frère qui avait déjà dévalé les grands escaliers se retourna et lui lança :

- Arrête de voir chez les gens seulement ce que tu as envie de voir ! »

Encore sous le choc, Amely se repassa les dernières années de sa vie dans sa tête, cherchant l'indice qu'elle n'avait pas trouvé. Initiés par leur père, Robin et elle avaient commencé le rugby tout petits et il n'avait pas hésité à les inscrire au Club de la ville. Ils avaient continué à le pratiquer des années durant, puis pendant les vacances lorsqu'ils étaient partis à Poudlard chacun leur tour. Elle n'avait jamais remarqué que son frère n'avait plus envie d'y jouer, ou plutôt, elle ne s'était jamais demandé si son frère pouvait ne plus en avoir envie. Pour elle, le rugby était une institution, elle adorait ça et considérait qu'il était de même pour le reste de sa famille, jusqu'à maintenant. Et que penser de la dernière phrase ? « Arrête de voir chez les gens seulement ce que tu as envie de voir. » Maintenant qu'elle y prêtait attention, elle se souvenait que Robin lui avait déjà sorti des choses de ce genre, mais elle n'avait jamais noté d'insinuation. « Je ne suis pas une fiche » avait-il dit un jour ; c'était la phrase la plus étrange, mais on pouvait la relier aux reproches qu'il lui avait fait sur sa manière de classer les gens et leurs caractéristiques dans des petites cases. « Amy, elle ne voit pas plus loin que le bout de son pif » ; elle avait pris ça pour une remarque affectueuse, mais si c'était un sous-entendu ? Et si ça signifiait que sa vision un peu idéaliste du monde l'empêchait de voir ce qui était juste sous son nez, l'évidence même ? Elle ne s'était jamais vraiment posé la question.

La Serdaigle traversait le Hall en hâte quand elle aperçut Emma, qui allait sûrement déjeuner elle aussi. Elle lui posa la main sur le bras pour l'arrêter et lui dit :

« Salut Emma, comment tu vas ? J'ai appris en partie ce qu'il t'est arrivé, et je voulais juste te dire que si tu as besoin de moi, je suis là. »

Amely sourit à la jeune Serpentard. Elle espérait sincèrement qu'Emma n'était pas trop chamboulée, c'était quelqu'un de sensible et il lui était apparemment arrivé quelque chose de grave. Elle ne savait pas toute l'affaire mais n'ignorait pas que la toute récente et retentissante arrestation d'Ana Sorden, quatre jours auparavant, y était liée. En plus d'avoir peur pour son amie, elle culpabilisait inconsciemment. Elle avait été une mauvaise amie pour Clara et James et ne parvenait pas à se convaincre du contraire. Elle ne tenait vraiment pas à être une mauvaise amie pour Emma aussi. Quoi qu'il se soit passé, cette fois-ci, elle épaulerait Emma et lui offrirait tout son soutien, déjà en tant qu'amie, et ensuite pour rattraper le coup, d'une certaine manière. Ainsi, elle s’inquiéterait moins pour Emma et pourrait passer ses examens la conscience tranquille.

« Tu... n'as pas envie d'en parler ? Je comprends », articula Amely, déstabilisée. Et surtout rongée par la curiosité...

En effet, la Serdaigle brûlait d'en savoir plus, de connaître les détails. Elle savait l'essentiel de l'affaire, mais ne s'en contentait pas. Et ce pour une simple et bonne raison : en vérité, elle ne comprenait pas. Elle ne comprenait pas pourquoi Emma ne pouvait pas lui en parler, malgré les raisons qu'elle avait évoquées :  le fait qu'elle préférait tout oublier, passer à autre chose... Mais elles étaient amies, non ? La voix de Robin, pleine de reproches, retentit alors dans sa mémoire. « Je sais que c'est difficile pour toi, mais essaie parfois de te mettre à la place des autres... » avait dit un jour son petit frère. Amely ne parvenait pas à appliquer ce conseil. Elle n'avait pas mis le feu à Pré-au-Lard, elle n'avait pas été manipulée par Ana Sorden, elle n'avait pas vécu d'évènements aussi douloureux que... ah si, il y avait la Laponie. *Ça n'a rien à voir* se raisonna-t-elle. Néanmoins, cet « accident » avait lui aussi été provoqué par Sorden. Ils avaient frôlé la mort dans leur tombeau de glace, à défaut d'un cercueil de flammes. Comment Amely aurait réagi si, comme Emma récemment, elle avait été intimement liée à cet événement dramatique ? Si elle avait été responsable du décès d'une ou plusieurs personnes ? Elle ne s'en serait pas remise. Par ailleurs, elle non plus n'avait rien dit à ses amis. Pourquoi ? Pour ne pas se souvenir. Ne pas se souvenir de ce voyage hors du temps, ces instants d'horreur, la main de Cassandre dépassant des blocs de glace, les gémissements des blessés, la mort en manteau blanc... Ne surtout pas se souvenir.

Emma refusait de rouvrir cette plaie à peine cicatrisée, une blessure encore trop récente pour qu'il lui soit facile d'en parler. Et maintenant qu'Amely s'était mise à sa place, elle pouvait le comprendre.

« Pas de problème, s'empressa-t-elle de dire à son amie, Clara et James m'ont mis au courant des grandes lignes. Elle continua avec franchise : Je vais mettre un point d'honneur à te changer les idées ! »

Et parce que c'était sans doute le plus important, Amely ajouta avec un sourire sincère :

« Je suis vraiment contente que tu ailles mieux, Emma. »

Celle-ci embraya immédiatement sur un autre sujet : et son amie, comment allait-elle, qu'en était-il de ses examens, de ses vacances. Au final, avoir une conversation normale était peut-être le premier pas pour avancer. Amely balaya les questions qui la taraudaient encore et répondit :

« Très bien. Jusqu'ici, mes examens se passent sans anicroche. Excepté celui de Divination, avoua-t-elle, où j'ai eu un peu de mal. »

Elle avait révisé avec assiduité et passé de longues heures devant le livre Lever le voile du futur. Malheureusement, connaître à quoi correspondait chaque symbole ne suffisait pas pour découvrir le sens caché de certaines prophéties. La Divination était un art trop vague pour qu'Amely y excelle comme dans les autres matières. C'était son point faible, mais malgré sa préférence pour les faits, elle persévérait à se pencher sur les feuilles de thé, les cartes et les boules de cristal.

« Pendant les vacances, je n'ai rien de prévu pour l'instant », déclara-t-elle ensuite avec un soulagement évident.

Effectivement, Amely supportait difficilement les vacances en famille, avec la sienne en particulier. Car s'il devaient partir quelque part, son père exigerait sûrement qu'ils y aillent en voiture, « à la moldue », tout fier qu'il était d'avoir obtenu son permis de conduire. Amely était contente pour lui mais estimait bien plus pratique de voyager par cheminée. Elle voyait déjà le tableau... Après s'être battus pour les sièges les plus convoités, ils seraient serrés comme des sardines, David et Robin ne cesseraient de se disputer, papa Anderson remarquerait au bout de quelques kilomètres qu'il avait oublié quelque chose à la maison, Alice pousserait des cris perçants toutes les cinq minutes pour avoir sa pause pipi, Lucy se mettrait à pleurer à un moment où un autre pour une raison stupide, maman Anderson leur criait dessus pour qu'ils se calment tous, ils mettraient des miettes partout en mangeant leur pique-nique qu'Arthur, qui avait le mal de la route, ne manquerait pas de régurgiter sur eux par la suite. Autant dire que la perspective d'un trajet encadrée de ses cinq frères et sœurs n'enchantait guère Amely.

« Sinon, je suppose que je vais commencer à étudier pour les BUSEs, il n'est jamais trop tôt. Dire que c'est déjà l'année prochaine, tu te rends compte ? »

À vrai dire, la Serdaigle, complètement accaparée par les examens de fin d'année, n'avait pas pris le temps de réfléchir aux deux longs mois d'été qui s'offraient à eux.

« Et on se verra tous les quatre, bien entendu, conclut-elle. Et toi, tes examens ? s'enquit-elle. Tu t'en sors ? Et tes vacances ? »

Amely, le sourire aux lèvres, écoutait son amie parler. Elles avaient toutes deux un soulagement identique sur le visage. Pas pour les mêmes raisons, mais qu'importe, ça voulait dire que tout allait pour le mieux. C'était l'essentiel. En temps normal, Amely avait un sens assez particulier des priorités. Pourtant, dès que le danger surgissait, ces priorités étaient bouleversées du tout au tout – une des raisons pour laquelle elle craignait l'imprévu : il perturbait l'ordre des choses. Cependant, s'il avait au moins un mérite, c'était celui de lui rappeler ce qui était réellement important. Le plus cher à ses yeux pointait alors en haut de la liste, éclipsait tout le reste... toutes ces choses stupides qui prenaient tant de place dans sa vie et qu'elle croyait essentielles jusqu'au jour où, le danger aidant, elles perdaient la fausse valeur qu'elles avaient à ses yeux. Aveuglée par celles-ci, Amely n'avait rien remarqué des soucis d'Emma, et ce pendant des mois. Elle s'était trouvé des dizaines d'excuses au moment où elle avait appris ce qu'il s'était passé. Mais maintenant qu'elle était debout là, devant la face souriante d'Emma, plus aucune n'était valable. Elle était passée à côté de l'essentiel.

Emma lui dit que ses examens se passaient bien, quoiqu'elle ait bloqué sur l'Arithmancie. Amely tiqua à la fin de cette phrase. Quand elle avait compris qu'Emma ne voulait pas en parler, elle pensait qu'elle n'en parlerait plus du tout. Pas même une allusion détendue, un fragment d'explication, rien, une sorte de silence radio semblable au sien – celui portant le nom de « Laponie ». Mais Emma semblait avoir choisi un autre moyen de guérir ses blessures, pas évident mais probablement fructueux. Elle paraissait capable, non de mentionner les faits, mais au moins de ne pas nier qu'il se soit passé quelque chose. C'était déjà pas mal. Amely répondit au sourire timide de son amie qui lui parla un peu de ce en quoi consisteraient ses vacances. Elle enchaîna sur un autre sujet d'ordre domestique, ce qui amusa beaucoup Amely. En effet, ce genre de problème lui était totalement inconnu, des différents goûts de biscuits aux elfes de maison. Chez elle, sa mère s'estimait assez méritante de préparer des repas pour huit personnes pour ne pas s'embêter en plus à varier les plaisirs du palais, aussi n'avaient-ils pas tellement le choix. Ça ne dérangeait pas du tout Amely ; elle n'était ni goinfre, ni gourmet, ni même très branchée nourriture. Quant aux elfes, elle n'en avait jamais vu de sa vie.

« Les meilleurs gâteaux sont ceux dont l'amour de celui qui les a préparés fait partie des ingrédients », plaisanta Amely.

Emma proposa de les inviter chez elle pour les grandes vacances. Enthousiaste, Amely s'exclama :

« Ce serait gentil de leur part ! Tu habites vers où ? »

L'ennui avec une école comme la leur, c'est que ses camarades de classe n'habitaient pas tous dans la même région, contrairement à la majorité des écoles moldues. Au vu de leur nombre réduit par rapport aux Moldus, Poudlard réunissait les jeunes Sorciers de toute la Grande Bretagne. De belles amitiés se créaient, mais lorsque l'un des deux amis était par exemple Londonien et l'autre habitait en Irlande du Nord, ça pouvait poser problème pour se revoir fréquemment une fois les ASPICs passés. Bien sûr, il y avait le transplanage et les cheminées qui rendaient les choses plus évidentes... Par ailleurs, Amely ne s'était encore jamais rendue chez Emma. De par son nom, il était aisé de deviner qu'elle devait habiter dans un manoir plus ou moins grand, mais elle n'en était pas sûre. Cependant, si tel était le cas, ce serait génial de l'avoir à disposition tous les quatre ! Amely était curieuse de découvrir le lieu dans lequel son amie vivait en dehors de Poudlard. Emma était fille unique d'une ancienne famille de Sang-Pur. Amely était l'aînée d'une famille nombreuse de Sang-Mêlé. Leurs univers étaient donc radicalement différents. Dans le sien, il y avait tant de bruit et d'agitation à longueur de journée que personne ne faisait vraiment attention à l'autre. Dans celui d'Emma, il y avait des goûters chez les grand-mères et des elfes de maison pour cuisiner...