Parce qu'il vaut mieux être deux pour affronter les lieux silencieux. [Lorena]

« Oui, ça va. ». C’était une réponse facile. Le genre de réponse qu’on donne par automatisme, parce que c’est plus simple de faire croire aux autres que tout va bien dans le meilleur des mondes, plutôt que de leur expliquer les raisons de notre réponse négative à leur question. Elles étaient rares, les fois où James avait déclaré qu’il allait mal, les fois où il l’avait clairement répondu un « non » assuré. Il allait rarement mal, à vrai dire, et se considérait comme chanceux sur ce point. Il ne tombait déjà pas souvent malade, et la vie l’avait épargné des grands malheurs, jusqu’ici. Oh, évidemment, il avait dû faire face à quelques problèmes, comme tout le monde. Des petits soucis familiaux, ou avec des amis. Mais rien de vraiment insurmontable. La dernière fois qu’il avait répondu qu’il n’allait pas bien, à vrai dire – ou du moins qu’il avait refusé de répondre à la question en haussant les épaules – c’était juste après sa dispute avec Clara, qui l’avait touché bien plus qu’il n’avait voulu le montrer devant la jeune fille. Et encore, il avait rechigné pour expliquer à Ashley les raisons de sa colère. Malheureusement – ou heureusement – pour lui, son meilleur ami le connaissait vraiment trop bien pour le laisser comme ça sans se rendre de quelque chose.

Aussi, il savait bien que ce n’était pas chose aisée de répondre à quelqu’un qu’on allait mal, que tout notre être criait le contraire. La personne en face, elle, se rendait parfois compte de quelque chose – pas toujours – mais pouvait choisir de laisser couler. Parce que c’était aussi tellement plus facile de faire comme si de rien était, de faire celui qui ne voit rien, de préserver son univers tranquille, loin des pensées de compassion, de gêne parfois, que pourraient insuffler le malheur des autres. Et, alors que James remarquait les yeux rouges et gonflés de Lorena, ses sourcils se froncèrent, tandis qu’il écartait distraitement sa plume, son parchemin, et son encre, précédemment sortis. Il dévisagea la Gryffondor quelques temps, tentant de se rappeler intérieurement ce qu’il savait d’elle. Ils étaient dans la même classe, et batteuse dans l’équipe de Quidditch de Gryffondor. De ce qu’il avait pu voir, elle avait une personnalité assez forte, alors peut-être que, si elle venait de pleurer, c’était que quelque chose de grave venait de se produire… Au fur et à mesure, qu’il réfléchissait, il se rendit compte qu’il ne connaissait à peine sa camarade de classe, alors qu’il avait passé cinq ans avec elle. Pourtant, ils parlaient, parfois ! Mais il n’avait jamais cherché à la connaître plus ça… Eh bien, ce travail serait sûrement l’occasion de faire d’avantage connaissance ! Oui, qui était Lorena Seroso ? C’était… Oh. C’était la fille avec qui Ashley était sorti, en début d’année. Cette fille qu’il avait choisie pour voir s’il avait réellement des penchants pour les garçons. … Par Merlin. Surtout que… C’était lui qui avait donné cette idée à son meilleur ami ! En plaisantant, peut-être, mais en attendant, c’était la pauvre Lorena qui en avait fait les frais… Peut-être devrait-il lui en parler ? S’excuser ? Oui, voilà ce qu’il allait faire. Enfin, pas pour l’instant, puisque visiblement, la jeune file n’avait pas envie de parler plus que ça.

« Tu es certaine que ça va ? » demanda-t-il doucement « A moins que tes yeux rougis soient dû à une allergie quelconque, évidemment. » poursuivit le jeune homme avec un trait d’humour.

Puis, se rendant compte que la Gryffondor n’avait aucun intérêt à se confier à quelqu’un qu’elle ne connaissait pas alors qu’elle avait de nombreux amis disponibles pour l’écouter, il se passa une main dans la nuque, et rajouta :

« Enfin, tu n’es pas obligée de m’en parler hein. C’est comme tu veux. »

Après tout, si elle préférait se mettre au travail, ça lui convenait aussi… Il était motivé, même. Oui, vraiment, très motivé, même, en jetant un regard désespéré vers son parchemin.

« Sans vouloir te vexer, ça se voit un peu, que tu ne vas pas bien. »

Oui parce que, avec ses yeux qui demeuraient rouges, et des traces de larmes sur les joues, il n’était pas difficile de voir qu’elle n’allait pas bien, contrairement à ce qu’elle affirmait. Même lui le voyait, alors qu’il était se plaisait souvent à croire les gens sur parole ce qui pouvait malheureusement lui jouer de mauvais tours. Enfin, là, visiblement Lorena était vraiment mal, alors l’heure n’était pas à se plaindre de sa propre naïveté, mais plutôt à essayer de la réconforter comme il le pouvait. Ils étaient dans la même classe depuis cinq ans, après tout, et même s’il ne la connaissait pas personnellement, il voulait bien lui prêter une oreille attentive. Il était assez doué, pour écouter les autres, James.

Aussi, lorsqu’elle commença son récit, il resta silencieux et l’écouta, se retrouvant dans ses paroles. Devoir mentir parce qu’il était un sorcier, parce que c’était le Secret Magique, et qu’il fallait le respecter. Devoir répondre aux questions de ses amis le plus vaguement possible, pour ne pas attirer l’attention, devoir se rattraper, continuellement, à chaque gaffe qu’il faisait, devoir inventer tous les détails, toute une vie. Et pour James Carter, qui détestait mentir, c’était un comble. Pourtant, il s’y pliait, comme tous les autres nés-moldus. Parce qu’il n’avait pas le choix, en quelque sorte. On les arrachait de leur monde, le monde moldu, pour les coller dans le monde sorcier, sans leur demander leur avis. Pourtant, James se plaisait, chez les moldus. Il allait à l’école de son quartier, avait une grande bande d’amis. Elle existait toujours, cette bande, et James passait toutes ses vacances avec ses amis. Cependant, ce n’était plus pareil qu’avant.

Alors oui, il comprenait Lorena, parce que c’était difficile, de devoir mentir à des proches. Mais au fil des années, il avait appris à découvrir et à aimer le monde sorcier, avait rencontré des personnes formidables, Clara, Amely, Emma, Ashley. Un mal pour un bien, se disait-t-il souvent. Et puis, il devait l’avouer, ça lui plaisait aussi, d’être un sorcier. Un pied dans les deux mondes, ça avait son avantage, tout de même. Il secoua la tête suite à la conclusion de Lorena.

« Bien sur que non, je ne trouve pas ton histoire idiote ! » s’exclama-t-il sincèrement.

Parce que dans ce cas c’aurait été trouvé sa propre histoire idiote, et ça, c’était particulièrement stupide.

« Non, mes deux parents sont moldus, donc crois-moi, je sais ce que tu ressens ! Mentir aux autres, alors qu’ils essaient de chercher Poudlard sur Internet, je connais. Le nombre de gaffes que j’ai fait… Je ne peux même pas les compter ! » rit-il en secouant la tête. « On est beaucoup dans la même situation, et moi aussi, parfois, je meurs d’envie de révéler l’existence du monde magique à des amis moldus. Mais qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ? On ne peut pas, c’est le Secret. »

Et c’était dommage, oui. Mais que pouvait-il y faire ?

« Ne pleure pas, va. » déclara-t-il doucement en saisissant la main de la jeune fille pour la serrer dans la sienne avant de la relâcher. « Avoir le MIM au pouvoir, c’est déjà une bonne chose ! Ça va mieux ? » s’enquit-il.

« Je t’en prie, c’est normal. »

C’était dans le caractère de James, d’être toujours gentil, après tout. Presque toujours, plutôt. Lorsque quelque chose ne lui plaisait vraiment – vraiment – pas, il le disait souvent d’une manière brutale et dure. C’était perturbant, dans ce cas, pour ses interlocuteurs. Où était passé le gentil James qui préférait tempérer les choses ? Parti. Parce qu’il avait beau être patient, il ne fallait tout de même pas dépasser les limites. Enfin, heureusement, ça ne lui était pas encore trop arrivé – l’affaire Clara, à la rigueur mais c’était tout – mais le jeune homme se doutait bien qu’il serait vite confronter à des situations où il devrait faire un choix entre se laisser écraser et réagir. Et James Carter avait tout de même sa fierté, merci pour lui.

« Exactement, faisons ce devoir ! » s’exclama James, ravi de pouvoir changer de sujet.

Pas qu’il n’aimait pas s’étendre sur la vie personnelle des autres, mais il avait dû mal à les réconforter. Il s’était amélioré, depuis l’année dernière, après avoir acquis quelques notions de tact et avoir assimilé une vague – très vague – idée de la subtilité, mais, il fallait le dire, il n’était pas très bon pour ça. Oh, évidemment, il savait tenir quelques paroles réconfortantes, prendre ses amis dans ses bras, mais il était tout de même relativement maladroit. Ce n’était pas de sa faute aussi, on ne lui avait jamais enseigné ça ! Bon, il y avait bien sa sœur qui lui avait expliqué que non, dire à une fille qu’elle pourra toujours devenir plus belle plus tard lorsque ladite fille venait de se faire quitter par son copain pour la fille la plus jolie et populaire de la classe – vous savez, cette fille garce sur les bords qui semble si sûre d’elle dans toutes les circonstances – n’était décidemment pas une très bonne idée. Pour sa défense, il avait dix ans, parlait des histoires de cœurs avec Eleanor, et les filles, à cet âge là, n’était pas encore vraiment intéressantes. Elles gloussaient beaucoup en se cachant derrière leurs cheveux, et imitaient les chevaux pendant la récréation. Bon, évidemment, il y avait certaines filles gentilles – Sandy, par exemple, était vraiment sympa, elle lui donnait toujours une part de son goûter, parce que ses parents lui mettaient toujours trop, et que James oubliait toujours le sien – mais, contrairement à quelques uns de ses amis, James préférait largement taper dans un ballon de foot plutôt que de se creuser la tête pour savoir quoi raconter aux filles de sa classe.

D’ailleurs, il ne savait pas vraiment à partir de quel moment il avait commencé à s’intéresser à la gente féminine. En fin de troisième année, peut-être ? Ou alors à force d’entendre parler de Mary – une très jolie jeune fille, il devait le reconnaître – à longueur de journée par Dylan, lorsqu’il rentrait chez lui, pour les vacances ? Enfin, lui n’avait jamais ressentit le besoin de se trouver expressément une petite-amie juste pour en avoir une. Evidemment, ils trouvaient plusieurs filles jolies – certaines plus que les autres – mais il gardait souvent ça pour lui – il n’était pas nécessaire de l’exposer au reste du monde, après tout. La seule personne avec qui il aurait pu en parler été Ashley, mais il semblait bien plus attiré par la gente masculine qu’autre chose. Papillonnant des yeux pour revenir à la tirer, il releva la tête vers Lorena et lui adressa un sourire

« Bon, ça n’a pas l’air trop compliqué, à première vue. Allons-y ! » s’exclama-t-il finalement en saisissant une plume.