Miss Bloomwood trompe l'ennui

Lundi 5 mars 2007

Artémis se rendait à l'infirmerie suite à une convocation de Miss Bloomwood. Elle ne savait pas pourquoi celle-ci voulait la voir, puisqu'elle n'avait quasiment jamais mis les pieds dans son repaire en cinq ans passés ici. La jeune fille n'était que très peu malade, et lorsque c'était le cas, elle préférait envoyer des hiboux à sa mère et se soigner seule plutôt qu'aller pleurnicher auprès de la jeune infirmière. On la trouvait déjà assez pathétique sans qu'elle n'ait besoin d'en rajouter une couche.

De plus, depuis qu'elle avait commencé à s'entraîner avec Ulrich, elle avait remarqué qu'elle se sentait bien mieux que d'habitude. Elle avait plus d'énergie le matin, alors qu'elle dormait pourtant d'un sommeil plus agité. Elle hésitait moins, prenait des décisions, et, chose fort surprenante, arrivait même à secouer Nora quand celle-ci déprimait. D'ailleurs, elle trouvait que son amie n'était pas dans son assiette en ce moment. C'était sans doute à cause de la mort du père d'Irving. Artémis ne s'était pas rendue aux funérailles. Elle ne connaissait pas particulièrement Irving, et depuis le réveillon, évitait quelque peu de le croiser. Bien sûr, elle avait été triste et désolée pour lui, et lui avait même présenté ses condoléances, mais elle ne faisait pas partie de ses amis. Elle n'avait d'ailleurs pas compris pourquoi certains, comme Jane, s'étaient invités à cet évènement particulièrement triste, et avait pensé que, outre les affreux voyeuristes qui aimaient se réjouir du malheur des autres, d'autres avaient saisi la première occasion de sortir de l'école qui se présentait. Très égoïste.

Pendant que tout le monde était absent, Artémis s'était demandée ce qu'elle ressentirait, si son père. Bien sûr, elle vivait déjà sans son père, qui était à Azkaban, mais elle savait qu'elle pouvait toujours lui parler. Elle n'y allait pas souvent, même si l'endroit, n'était plus aussi lugubre depuis le départ des détraqueurs. Si on lui annonçait que son père était décédé, elle serait probablement très triste, mais sa vie continuerait sans changer pour autant. Personne ne la plaindrait ou ne regretterait le vilain Mangemort défunt, contrairement à Mr Whitaker qui avait semblé très aimé. La jeune fille s'était également demandée s'il n'aurait pas mieux valu pour elle que son père meure d'une maladie plutôt qu'il se fasse enfermer, et se demandait le point de vue d'Irving.

Auparavant, elle n'aurait pas été capable d'affronter de telles pensées. Mais tout avait changé depuis qu'elle avait rencontré le vrai Ulrich. Elle ne lui faisait absolument pas confiance, et avait tenu sa résolution de noter tout ce qu'ils faisaient, avec un sortilège de datation. Elle avait envoyé un premier colis scellé à sa mère pour qu'elle le mette à Gringotts, lui disant que c'était des lettres d'amies auxquelles elle tenait, et comptait en rajouter quelques unes durant les vacances. Mais, malgré sa méfiance et ses précautions, elle n'arrêterait les entraînements pour rien au monde. Elle se sentait plus forte, moins timide, plus fière, et progressait à un rythme qu'elle jugeait raisonnable. Elle ne se laissait plus marcher sur les pieds, et même si Théo lui manquait, elle s'amusait de voir Cécilya réduite au même traitement qu'elle. Dominer sa rivale - peu importait les méthodes, seul le résultat comptait, n'importe quel Serpentard le lui aurait dit - lui procurait un plaisir infini, et elle en venait à espérer que celle-ci soit assez sotte pour la provoquer une nouvelle fois, histoire de lui montrer tout ce qu'elle avait appris.

Paradoxalement, ses notes en cours chutaient sensiblement, et outre son mauvais sommeil, elle avait plus de mal à se concentrer sur ses devoirs ou son travail au Quidditch. Bien sûr, elle restait dans l'équipe et visait mieux que jamais, mais ça ne lui suffisait plus. Elle trouvait le rythme de l'équipe trop lent, les autres pas assez éveillés, et s'énervait plus facilement. Peut-être était-ce pour ça, que Miss Bloomwood la convoquait? Parce que Nora lui avait parlé? Doutant cependant de cette hypothèse, elle entra dans l'infirmerie et se présenta à l'infirmière.

"Bonjour Miss Bloomwood, vous vouliez-me voir?" demanda-t-elle poliment.

Rachelle n'avait pas l'habitude de convoquer les élèves, à vrai dire cela ne lui arrivait même que très rarement. La dernière fois qu'elle avait eu à la faire c'était pour interroger Lauren McGowan après qu'un élève de sa maison soit arrivé à l'infirmerie avec deux dents en moins. La batteuse s'était justifié en expliquant qu'il l'avait cherché, allant jusqu'à invoquer la légitime défense, et s'en était tiré avec une semaine entière de retenues et une lettre à ses parents. Si Rachelle n'aimait pas en arriver là c'était parce qu'elle avait déjà du mal à avoir la confiance des élèves, à ce qu'ils la considèrent comme quelqu'un à qui ils pouvaient parler librement. Elle préférait largement être celle vers qui ils se tourneraient en cas de problèmes graves plutôt que celle qui leur causait des ennuis. C'était important qu'il y ait quelqu'un à Poudlard pour les écouter, en dehors de l'équipe professorale, puisqu'ils ne pouvaient contacter leurs parents que par lettre. Toutefois, elle était bien obligée de sévir dans certaines situation.

Elle avait donc convoqué Artémis Nott en apprenant que c'était elle qui avait blessé la jeune Marianne. Oh il ne s'agissait de rien de grave, une entaille bénigne sur la joue, mais mieux valait prévenir que guérir. Poudlard comptait déjà bien assez de brutes comme ça au goût de la jeune infirmière. On avait assez de Jayden Valentyne, Lauren McGowan ou Anton Smith pour cogner les autres parfois sans raison apparente. Rachelle s'était un peu renseigné sur son élèves, qu'elle ne se rappelait pas avoir déjà rencontré auparavant. Tous les professeurs s'accordaient pour dire que c'était une jeune fille réservé mais agréable. Peter avait cependant ajouté que ses notes faiblissaient un peu en ce moment, mais que cela pouvait arriver, avec l'approche des BUSE. Elle avait également interrogée la fille de Daisy, alors qu'elle l'avait croisé dans un couloir pendant une de ses rondes de préfets et celle-ci lui avait révélé que sa camarade de dortoir était un peu "à fleur de peau" ces temps-ci, mais que ça lui passerait sans doute.

C'était tout de même étrange qu'une jeune fille timide, discrète, et bonne élève, se retrouve tout à coups avec des résultats plus faibles et s'en prennent à une première année. Cela pouvait aussi être une coïncidence et peut-être qu'Artémis lui donnerait des explications, mais vieux valait vérifier. Rachelle n'avait pu s'empêcher d'émettre des suppositions, allant d'une idylle avec un garçon qui aurait une mauvaise influence jusqu'à un changement de comportement lié à la drogue. L'infirmière avait été désolée de découvrir que des élèves si jeunes était déjà des habitués de la mandragore lorsque Danny Sneals s'était fait opéré en Laponie et que l'on avait retrouvé des traces importantes de cette substance dans son organisme. D'ailleurs Sneals était dans l'année et dans la maison d'Artémis, voilà qui réunissait l'hypothèse de l’idylle et de la drogue dans un seul scénario. Elle en était là de ses réflexions quand l'objet de ses suspicions entra justement dans l’infirmerie.

"Bonjour Artémis, la salua-t-elle avec un sourire. Oui je voulais te voir, assied-toi donc."

Rachelle désigna d'un geste de la main l'un des deux sièges qui se trouvaient en face d'elle, avant de poser son menton sur ses mains jointes, ses coudes appuyés sur le bureau. Elle observa rapidement la jeune fille, remarquant son regard déterminé et pourtant un peu vague, comme voilé. Étrange.

"Comment vas-tu ?"

Question générale mais peut-être la jeune fille lui livrerait d'elle-même ses états d'âme, ce qui lui éviterait de la questionner pendant de longues minutes, mais cela semblait complètement surréalistes. Elle se demandait néanmoins si elle aurait droit à un "tout va bien" ou si Artémis laisserait supposer que quelque chose n'allait pas en lui disant qu'elle était fatiguée, ou de mauvaise humeur, irritable, ce genre de réponses qui cachaient souvent un mal être plus profond. Bon, maintenant il fallait lui expliquer pourquoi elle était ici, en évitant de dénoncer la jeune Marianne. D'un autre coté elle ne savait pas s'il y avait eu des témoins de l'incident. Oh et puis tant pis, les Poufsouflles n'étaient pas censés être rancuniers après tout, alors autant entrer directement dans le vif du sujet.

"On m'a rapporté que tu avais eu un différend avec une première année, Marianne Wolf, que tu aurais blessé au visage. J'aimerais que tu me racontes ce qui s'est passé."

Que les choses soient claires, elle n'était pas là pour la sanctionner, Marianne n'avait presque rien et si Artémis promettait de ne plus recommencer et lui donnait des explications satisfaisantes, Rachelle fermerait les yeux sur cette altercations. C'était à la jeuene Poufsouffle de se défendre à présent.

Artémis fronça les sourcils lorsque l'infirmière lui demanda comment elle allait. Elle l'avait fait venir juste pour ça? C'était louche. Depuis quand Miss Bloomwood convoquait un élève pour lui poser une question aussi banale? Jamais, bien évidemment. Lorsqu'on devait se rendre à l'infirmerie sans savoir pourquoi, c'était généralement que l'hôte des lieux avait une raison précise de vous convoquer. Le problème, c'était qu'Artémis ne voyait pas du tout quelle raison l'infirmière pouvait avoir de s'inquiéter à son sujet. Certes, ses notes avaient un peu baissé récemment, et certains professeurs lui avaient fait quelques remarques sur la gestion du stress - elle allait passer ses BUSEs, après tout - mais rien d'alarmant. Ils ne pouvaient pas savoir que les BUSEs étaient à mille lieux de l'inquiéter, et que sa fatigue était dûe à ses entrainements avec Ulrich Keller, qui lui apportait bien plus qu'ils ne lui prenaient.

Circonspecte, elle répondit donc simplement, après s'être assise sur le siège que lui désignait la jeune femme:

"Je vais bien, merci."

Elle ne retourna pas la politesse, comme elle allait le faire intinsctivement, et se retint juste à temps. Ce n'était pas une conversation à un camarade, mais un entretien avec un responsable de l'école. Responsable qui semblait prendre son rôle très au sérieux, puisqu'elle lui demanda des comptes sur son altercation avec Marianne Wolf. De nouveau, Artémis fut perplexe. Pourquoi l'infirmière voulait elle qu'elle lui rende des comptes? Elle n'était pas censée incarner l'autorité et la discipline de l'école. Et puis, après tout, Artémis n'avait rien fait d'interdit. Elle avait été un peu sèche, certes, mais Marianne avait pleurniché très vite et son sac avait volé par accident, c'était tout. Ne sachant cependant pas ce que la première année avait raconté, la jeune Nott répondit prudemment, s'enfonçant dans son siège, le visage fermé:

"Je ne l'ai pas blessée! Elle m'est rentrée dedans et ça a cassé mon sac. Quand j'ai voulu le reprendre, la bandoulière était détachée et j'ai fait un geste brusque qui lui a envoyé au visage, ça lui a juste fait une petite égratignure. Ce n'est pas ma faute si elle a pleurniché tout de suite, je lui ai dit d'aller vous voir pour se faire soigner, je ne pouvais pas faire ça moi-même, je suis nulle en sortilèges."

Et si Bloomwood ne la croyait pas, eh bien tant pis, elle irait s'expliquer au professeur Mason, qui était quelqu'un d'ouvert et compréhensif et qui connaissait mieux Wolf, et savait sans doute qu'elle en avait fait des tonnes. Artémis s'étonnait que la petite fille si discrète cache une envie de revanche aussi disproportionnée, pour avoir fait croire à l'infirmière qu'elle l'avait violentée. Mais c'était sans doute l'influence d'Ahren Keller, un gamin aussi mauvais que son grand frère.

Les mains jointes sur son bureau, Rachelle observait avec attention la moindre des réactions de la jeune Poufsouffle, qui s'enfonça dans son fauteuil, le visage fermé. Elle était sur la défensive, comme si elle se sentait agressée. L'infirmière avait été plutôt douce pourtant, elle n'avait pas le sentiment de l'avoir brusquer. Artémis avait-elle quelque chose à cacher pour agir de la sorte ? La jeune fille lui livra alors un récit un peu différent de celui de Marianne. Visiblement elle ne l'avait blessé que par accident et lui avait aussitôt conseiller de se rendre à l'infirmerie, pourtant la première année avait attendu plus d'une semaine.

C'était pour cela que Rachelle n'avait pris aucune décision avant d'avoir entendu Artémis, se doutant bien que sa version des faits serait différentes de celle de Marianne. Rachelle voulait bien croire que Marianne ait un peu exagéré, mais sa camarade avait bien du l'intimider un peu pour qu'elle ait si peur de la dénoncé. L'infirmière avait vraiment eu du mal à lui faire dire la vérité, et la peur avait été clairement visible dans les yeux de la première année. Artémis avait dû effrayer Marianne d'une façon ou d'une autre, mais visiblement elle ne l'avait pas blesser volontairement.

Elle était persuadée qu'aucune des deux jeunes filles ne mentaient volontairement, elles avaient juste vécu les évènements de façon différente. Un avertissement pour Artémis suffirait, elle se contenterait de lui demander de faire plus attention, Marianne n'avait plus rien et avait sans doute déjà oublié toute cette histoire.

"Je te crois", répondit-elle avec un léger sourire.

C'était vrai, elle voulait bien croire que la version d'Artémis était la bonne, toutefois elle ne voulait pas laisser l’adolescente partir tout de suite. Le comportement de la jeune fille l'alarmait un petit peu. Plus elle l'observait plus elle lui trouvait l'air fatigué, et un peu absent. Elle trouvait ses yeux un peu rouges, ses pupilles légèrement dilatées. Néanmoins, la jeune fille s'était déjà suffisamment braquée contre elle comme ça, Rachelle allait devoir jouer finement si elle voulait avoir un peu de la confiance de la jeune fille.

"Tu es sûre que ça va ? Tu as l'air fatigué, reprit-elle doucement. Du mal à trouver le sommeil ?"

Elle n'avait pas besoin de la réponse d'Artémis pour voir que celle-ci était fatiguée, mais elle préférait que l'adolescente lui parle d'elle-même, même si cela avait peu de chance d'arriver.

"Il n'y a aucun mal à avoir quelques soucis qui t'empêchent de dormir tu sais, ça arrive à tout le monde, ajouta-t-elle pour la rassurer. Tu aurais dû venir me voir plus tôt, tu as les yeux rouges de fatigue !"

A vrai dire cela pouvait être lié à autre chose que la fatigue, la mandragore notamment. Mais elle attendait d'avoir la version d'Artémis avant d’émettre ce type d'hypothèse, que l'adolescente refuserait forcément.

Ah, Miss Bloomwood la croyait, parfait. Elle allait donc lui lâcher la grappe et la laisser partir. Le visage d'Artémis se détendit comme l'infirmière ne remettait pas en cause sa version des faits, et elle se redressa dans son siège, prête à filer dès qu'on lui en aurait donné l'autorisation. Mais à son grand désarroi, Miss Bloomwood semblait vouloir faire la causette. Elle lui trouva l'air fatigué, lui posa des questions sur son sommeil et lui assura qu'elle aurait du venir la voir. La bonne blague.

Artémis se renferma aussi sec, fixant désormais l'infirmière avec une méfiance non dissimulée, et surtout de la rancoeur. Bloomwood s'inquiétait pour elle maintenant? Elle avait passé quatre années horribles dans cette école, quatre années à lutter pour ne pas sombrer dans la dépression à cause de toutes les méchancetés qu'on pouvait lui dire, à cause de son nom et de ses complexes. Elle avait passé des nuits à pleurer, sans oser réclamer une potion pour pouvoir dormir, et jamais Miss Bloomwood ne s'était inquiétée pour elle. Visiblement, elle croyait que seuls les élèves qui faisaient du mal aux autres avaient des problèmes de santé. C'était donc pour ça qu'elle s'inquiétait maintenant, alors qu'Artémis allait mieux de jours en jours. Quelle belle hypocrisie.

"Je ne comptais pas venir vous voir" répondit Artémis en s'efforçant de prendre un ton neutre, ce qu'elle ne réussi pas très bien. "... pour une nuit plus courte que les autres. J'ai travaillé tard hier soir, après l'entraînement de Quidditch, c'est tout."

C'était un mensonge, bien sûr. Elle était rentrée avec Nora et toutes deux s'étaient effondrées sitôt leur douche prise. La nuit avait été agitée. Artémis avait fait des cauchemars à base d'Ulrich qui se vengeait d'elle pour une raison qu'elle ignorait, et elle avait été incapable de lancer le sortilège qu'elle venait d'apprendre pour se défendre. Pour autant, le réveil n'avait pas été trop difficile et les cours de la matinée s'étaient passés comme d'habitude. Bon, elle avait oublié la moitié de ce qu'avait dit le professeur Nolan, mais c'était sans importance, elle copierait le cours de Nora. Et puis, elle ne comptait pas devenir spécialiste en métamorphose, de toute façon.

"Je peux y aller, maintenant?"

Rachelle vit avec déception Artémis se refermer sur elle-même et se réfugier derrière une méfiance non-dissimulée dès qu'elle l'interrogea à propos de son sommeil. Cette discussion allait être plus difficile que ce qu'elle pensait. Pourquoi les adolescents refusaient-ils toujours qu'on les aide ? Elle était persuadée que de nombreux élèves de l'école avaient des problèmes, des problèmes un peu plus importants que ceux de leur camarades. Elle aurait aimé pouvoir avoir des yeux et des oreilles partout mais ce n'était pas le cas. Elle quittait rarement l'infirmerie et il y avait de toute façon beaucoup trop d'élèves à Poudlard pour qu'elle puisse faire attention à tout le monde. Le seul moyen qu'elle avait de pouvoir les aider était qu'ils viennent spontanément la voir, mais évidement quand on venait la voir c'était pour un genoux écorché ou pour un cœur brisé -et elle n'avait pas de remède contre les petits amis coureurs de jupons, malheureusement pour Miss Scott qui avait plusieurs fois débarquée à l'infirmerie en larmes.

Elle se renseignait auprès de ses collègues, qui côtoyaient les élèves tous les jours, mais ils étaient rarement en mesure de lui apprendre quoi que ce soit. Les adolescents avec les problèmes les plus sérieux ne se faisaient jamais remarquer, malheureusement. Elle savait parfaitement qu'il y avait des dizaines d'élèves dont même le nom lui était inconnu, et que parmi eux il y en avait peut-être quelques-uns qui auraient besoin d'aide pour une raison ou une autre mais elle ne pouvait pas le deviner. Elle ne pouvait pas avoir un entretien avec chaque élève de l'école pour voir s'il allait bien. En reposant les yeux sur Artémis, Rachelle se demanda si la jeune fille faisait partie de ceux qui souffraient en silence. Cette dernière assura qu'elle n'allait pas venir la voir pour une nuit plus courte que les autres. Mensonge. Son regard fatigué et ses yeux rougis la trahissaient.

"Une seule nuit tu es sûre ? Tu as les yeux de quelqu'un qui n'a pas profité d'une bonne nuit de sommeil depuis longtemps..."

Elle en savait quelque chose, elle avait passé des mois sans dormir, ou très peu, après la bataille du 2 Mai. Dès qu'elle fermait les yeux elle revoyait tous les corps qui avaient défilé sous ses yeux et elle fuyait le sommeil, par crainte. Et Artémis avait exactement la tête de quelqu'un dont le sommeil était agité, ou de quelqu'un consommant de la drogue, ou de quelqu'un pratiquant des formes de magie peu recommandables. La dernière hypothèse était ridicule mais les deux premières valaient la peine d'être creusées davantage. Artémis allait probablement la détester d'insister de la sorte, mais elle ne faisait que son travail. Si la jeune fille avait réellement un problème, alors Rachelle serait ravie de l'avoir embêter un peu, et si ce n'était pas le cas et bien elle n'aurait fait que faire perdre dix précieuse minutes à une élève innocente.

"Tu sais qu'il n'y a que trois choses qui provoquent des yeux un peu vitreux comme cela ? commença-t-elle innocemment. Un important manque de sommeil, une consommation excessive de psychotropes, comme la mandragore, ou la pratique de certaines formes de magie noire. Et je doute que tu veuilles devenir le prochain mage noir, n'est-ce pas ?"

Si les jeunes Poufsouffles de quinze ans se mettaient à faire de la magie noire...Le monde avait sérieusement à s'inquiéter. Cette hypothèse méritait d'être éliminée d'office. Celle de la Mandragore paraissait bien plus probable, et c'était ce qui inquiétait Rachelle. Elle ne s'était pas encore penchée sur le cas Danny Sneals, mais il allait bien falloir le faire. Elle craignait de découvrir un véritable réseau, et de réaliser que beaucoup plus d'élèves étaient concernés que ce qu'elle pensait, mais mieux valait se charger de ça le plus vite possible. La consommation de drogue de façon régulière était réellement dangereuse, surtout à cet âge là. Elle convoquerait Danny Sneals le plus vite possible pour le questionner un peu aussi. C'était loin d'être la partie la plus agréable de son boulot et elle détestait déjà devoir jouer à l'auror, mais c'était ainsi.

Quoiqu'il en soit, pour le moment elle devait se concentrer sur Artémis. Elle avait encore bon espoir que la jeune fille lui serve une histoire crédible expliquant qu'elle avait du mal à dormir, mais n'était pas non plus complètement dupe. S'il ne s’agissait que d'un problème de sommeil, la Poufsouffle ne se serait pas braquée de la sorte et aurait été honnête avec elle dès le début. L'attitude d'Artémis ne pouvait signifier qu'une chose : elle cachait quelque chose, et Rachelle craignait bien d'avoir découvert ce dont il s'agissait.

"Cette discussion sera beaucoup plus rapide et bien plus agréable pour toi comme pour moi si tu es honnête avec moi, reprit-elle en fixant Artémis dans les yeux. Alors, est-ce qu'il y a quelque chose que je devrais savoir ?"

Derrière ses airs gentils, l'infirmière était tenace et plus féroce que certains professeurs. Artémis se retint de lever les yeux au ciel lorsqu'elle insista sur son sommeil. Même si elle dormait mal, en quoi c'était son problème? Elle allait lui donner une potion anti-stress, et on n'en parlerait plus. La Poufsouffle songea que ce serait plus simple de l'admettre, et que mieux dormir ne lui ferait pas de mal. Mais sa mère lui avait toujours dit que l'accoutumance aux potions était dangereuse, et elle la croyait parfaitement sur ce point.

"Tu sais qu'il n'y a que trois choses qui provoquent des yeux un peu vitreux comme cela ? Un important manque de sommeil, une consommation excessive de psychotropes, comme la mandragore, ou la pratique de certaines formes de magie noire. Et je doute que tu veuilles devenir le prochain mage noir, n'est-ce pas ?"

Si elle n'avait pas été aussi méfiante et énervée, Artémis aurait éclaté de rire. Devenir le prochain mage noir? Oh non, ça, ce n'était pas dans ses ambitions, mais flirter avec l'idée, ça l'était tout à fait. Elle constata cependant que l'infirmière trouvait cette idée absurde, et considéra que c'était un progrès. Apparemment, Miss Bloomwood ne jugeait pas qu'un enfant de Mangemort faisait automatiquement de la magie noire. Ca lui faisait toujours un bon point au milieu de la marée de mauvais qu'elle accumulait, à vouloir se mêler de sa vie. Artémis décida qu'il était prudent qu'elle continue à croire cela. Ce serait dommage de donner raison aux préjugés alors qu'elle venait de trouver quelqu'un qui n'en avait pas... et avait malheureusement tort.

Mais les paroles de l'infirmière laissaient entendre qu'elle croyait qu'Artémis fumait de la Mandragore. C'était logique, en un sens: sa réticence à parler de son sommeil n'était pas normale, et comme on excluait la magie noire, cela ne laissait que la Mandragore. Artémis ne voulait surtout pas que Miss Bloomwood croie cela. Déjà, parce que c'était faux, ensuite parce qu'elle préférait encore qu'on dise à sa mère qu'elle apprenait le Sectusempra plutôt qu'elle fumait de la Mandragore. Bien sûr, la communauté magique réprimait plus durement ce second fait, mais Artémis était incapable de voir aussi loin. Imaginer la déception et la colère maternelle en apprenant que sa fille se laissait aller à des distractions aussi dégradantes lui faisait froid dans le dos. Mais comment détromper l'infirmière?

"Cette discussion sera beaucoup plus rapide et bien plus agréable pour toi comme pour moi si tu es honnête avec moi. Alors, est-ce qu'il y a quelque chose que je devrais savoir ?"

Etre honnête, elle n'avait pas trop le choix. Elle était une piètre menteuse et si elle essayait d'inventer une histoire, cela se verrait tout de suite et mettrait l'infirmière sur une piste un peu plus dangereuse que de la simple Mandragore. Cependant, lui dire la vérité était tout aussi inenvisageable. C'était signer son aller simple pour Azkaban, ce qui était tout simplement inenvisageable. D'autant que c'était la faute de gens biens pensants comme l'infirmière, si elle se réfugiait dans un art interdit. On l'avait tellement poussée à bout qu'elle avait pris les seules solutions qu'elle trouvait pour survivre. Et on allait lui reprocher de ne pas s'être laissé mourir? Cette simple pensée suffit à la jeune fille pour s'enflammer. Bloomwood voulait la vérité? Elle allait la lui donner.

"Il y a un million de chose que vous devriez savoir, et la première, c'est que je ne fume pas de Mandragore, vous interrogez la mauvaise Poufsouffle. La seconde, c'est que vous n'avez pas à vous mêler de ma vie. J'ai mal dormi pendant 4 ans, parce qu'on me traitait comme une moins que rien à cause de mon père, et ça ne vous a pas inquiété. Alors je ne vois pas de quel droit vous venez me faire la morale quand j'arrive enfin à aller mieux."

Elle se leva, furieuse, et jeta son sac sur l'épaule avec la ferme intention de sortir de l'infirmerie. Elle esquissa quelques pas enragés vers la sortie, inconsciente que quelques mois auparavant, elle n'aurait jamais osé - ni même pensé! - hausser le ton face à un adulte.

Comme Rachelle l'avait craint, Artémis faisait partie de ces élèves qui auraient eu besoin d'elle et qu'elle n'avait pas pu aider. Un sentiment de culpabilité s'empara de la jeune infirmière alors que l'adolescente se levait, furieuse. Elle avait raison d'être en colère quelque part. Personne n'avait été là pour là quand elle en avait eu besoin. Rachelle n'avait jamais voulu accorder d'attention particulière aux enfants de mangemorts, souhaitant traiter tout le monde de la même façon, mais réalisait aujourd'hui que c'était une grosse erreur. A son arrivée à Poudlard elle s'était promis de ne pas s'arrêter aux noms de famille, de faire comme si elle ne les connaissait pas. Nott, Lestrange, Keller, elle avait fait comme si tout ces noms n'avaient aucune histoire, parce qu'elle avait besoin de cette distance. Elle était là le soir du 2 Mai et elle avait vu des corps d'adolescents à peine sortis de l'enfance mutilés par la magie noire, ensevelis sous les décombres, ou simplement allongés au sol, comme endormis. Et elle savait très bien qui avaient fait ça, évidement, mais elle s'était forcée à l'oublier parce que les enfants de Mangemort n'avaient pas à subir la répercussion des agissements de leur parents. Ils étaient innocents eux, et avaient souffert de la guerre plus que n'importe qui, ils n'avaient pas besoin qu'on les exclue simplement à cause de leur nom. En les traitant comme les autres elle avait voulu les protéger, mais cela avait peut-être eu l'effet inverse.

Elle aurait voulu le voir quand Artémis allait mal, tout comme elle aurait voulu voir que Sean n'allait pas bien avant qu'il n'essaie de se suicider, elle aimerait pouvoir voir tout ça mais plus les années passaient et plus elle se rendait compte qu'elle ne connaissait pas la moitié des élèves. Il y avait ceux qui avaient toujours mal quelque part ou qui étaient toujours malade et qui passaient presque autant de temps qu'elle à l'infirmerie, mais il y en avait aussi des dizaines qu'elle n'avait jamais vu. Comment pouvait-elle se préoccuper d'élèves qu'elle ne connaissait pas ? C'était impossible, et pourtant c'était son boulot. Parfois elle se disait qu'elle aurait dû rester à Sainte-mangouste, où l'on aurait pas pu lui reprocher de ne s'occuper que de ses patients, et pas de l'intégralité de la population londonienne.

Voyant que la jeune fille se dirigeait vers la sortie, Rachelle attrappa sa baguette ,jusque là posée sur son bureau, et verrouilla la porte d'un sortilège informulé.

"Je n'ai pas fini."

Elle n'avait pas élevé la voix, contrairement à Artémis, mais son ton s'était fait plus ferme. L'infirmière fit le tour de son bureau et s'y adossa en croisant les bras sans quitter l'adolescente des yeux.

"Je suis désolée Artémis. Crois-le ou non mais je suis vraiment désolée de ne pas t'avoir aidé quand tu en avais besoin, commença-t-elle. Mais je suis infirmière, pas médium, je n'ai que deux yeux et je ne peux pas me préoccuper de tout le monde au château. Si tu avais un problème tu aurais dû venir m'en parler, je t'aurais écouté, et je t'assure que j'aurais fait mon possible pour que ça s'arrange."

Voilà qui était dit, maintenant elle pouvait reprendre ses questions là où elle les avait laissées, elle avait encore quelques petites choses à demander à la jeune fille. Celle-ci avait paru honnête quand elle avait affirmé ne pas fumer de Mandragore, de plus cette accusation l'avait mise hors d'elle, alors peut-être disait-elle vrai. Toutefois, quelques éléments du discours de la demoiselle avaient retenu l'attention de Rachelle. Elle avait noté que la jeune fille avait dit aller mieux, ce qui au vu de ses notes, ainsi que de ses yeux, paraissait étrange. Et Artémis lui avait reproché de ne pas interrogé la bonne Poufsouffle, ce qui laissait entendre qu'un ou une de ses camarades fumaient de la mandragore, contrairement à elle.

"C'est bien que tu ailles mieux, qu'est ce qui t'a aidé ? Tes amis, le Quidditch....autre chose ?"

Rachelle décroisa les bras et laissa le temps à Artémis de répondre, ne voulant pas l'assaillir de questions. C'était censé être une discussion, bien que cela ait un peu tourné à l'interrogatoire. C'était parfois difficile de trouver un juste milieux, de se faire respecter par les élèves tout en leur donnant l'impression qu'ils pouvaient se confier librement. Et c'était le genre de chose qu'on ne vous apprenait pas pendant vos études, malheureusement.

"Et que voulais-tu dire par "Vous n'interrogez pas la bonne Poufsouffle" ?"

L'infirmière était à peu près certaine qu'Artémis ne lui donnerait pas de nom, et c'était tout à son honneur, mais peut-être obtiendrait-elle une piste.

Artémis jura tout haut lorsque l'infirmière scella la porte de l'infirmerie, et se retourna, aborant un air boudeur. On en oubliait presque que Miss Bloomwood était une sorcière elle-aussi. La jeune fille eu la tentation de sortir sa propre baguette et d'utiliser l'un des sortilèges d'Ulrich pour ouvrir les portes, mais ce serait se trahir. C'était tout de même frustrant de ne pas pouvoir se servir de ce qu'elle apprenait juste parce qu'une horde de héros bien-pensants jugeait que c'était mal.

La jeune fille eu un reniflement méprisant lorsque l'infirmière, qui s'était rapprochée,lui fit un petit discours sur ô combien elle était désolée de ne pas l'avoir aidée, mais que pour ça, il aurait fallu réclamer de l'aide. N'importe quoi. On l'aurait traitée de faible, si elle l'avait fait, et faible, elle l'avait suffisamment été pour ne pas le devenir davantage. Bloomwood avait probablement été bien arrangée qu'aucun enfant de Mangemort ne vienne la trouver en pleurant. Elle était l'incarnation du camp des gentils, et leur silence l'avait confortée dans ses idées de sainte qui croyait pouvoir aider ceux que le Mal tentait de prendre. Mais elle était comme les autres, elle les considérait comme le Mal. La seule différence était peut-être sa pitié, ou sa compassion, et cela, Artémis n'en avait plus besoin. Peut-être, plus jeune, l'aurait-elle regardée avec des yeux plein de gratitude, mais aujourd'hui, elle savait que c'était vain. Elle n'avait rien à faire des fausses excuses de l'infirmière, qui ne l'atteignirent pas, car ce n'était pas ce qu'elle avait besoin d'entendre.

Alors, comme Bloomwood la questionnait plus avant, cherchant à savoir ce qui lui permettait d'aller mieux, ou qui était les Poufsouffles dont elle parlait, Artémis se mura dans un silence têtu, borné et colérique. Les bras croisés, elle regarda l'infirmière d'un air de défi, bien décidée à ne pas laisser un mot de plus franchir ses lèvres. Elle ne savait pas mentir, elle venait encore une fois de le prouver en insinuant malgré elle que des Poufsouffles prenaient de la Mandragore. Un mot de plus pourrait la trahir - elle, ou les autres, comme Danny. Alors elle se tairait. Elle pouvait tenir longtemps, elle trouvait un million de raison de ne pas parler à la jeune femme face à elle. Même si elle était moins disposée à attendre ces derniers temps, elle restait une Poufsouffle, et sa patience était proverbiale.

Rachelle aurait dû s'attendre au silence d'Artémis et pourtant elle n'avait rien préparé pour y remédier. Elle soutint le regard de l'adolescente qui avait croisé les bras, avec une expression de défi. Elle aurait pu exiger une réponse, la menacer de lui faire perdre des points ou de la mettre en retenu mais cela n'aurait servi à rien sinon à braquer un peu plus la jeune fille contre elle. Et ce n'était pas ce que l'infirmière voulait, elle n'obtiendrait rien en agissant de la sorte et ne se ferait détester que davantage. Parce qu'Artémis semblait vraiment la détester, presque personnellement, et c'était difficile à gérer. Elle voulait bien admettre que c'était désagréable, de se faire interroger par un adulte trop curieux, mais pourquoi tant de haine ?
Parce qu'elle aurait dû s'intéresser à elle avant, parce qu'elle n'avait pas été là quand Artémis avait eu besoin d'elle, parce qu'elle n'avait pas rempli son rôle. Rachelle prenait doucement conscience de ses erreurs, et croyait réussir à comprendre un peu la jeune fille, mais n'avait aucune idée de la façon dont elle pouvait se rattraper. Peut-être qu'elle ne le pouvait pas. Elle ne se rachèterait pas aux yeux de l'adolescente, c'était trop tard.

Peut-être que c'était une cause perdue. Peut-être qu'elle devrait abandonner, laisser partir Artémis, y revenir plus tard. Mais ce serait faillir à nouveau. Si elle en avait douté au début, il était maintenant évident que la jeune fille lui cachait quelque chose. Il y avait un problème, et elle découvrirait ce que c'était. Parce qu'il y avait une chance pour que ce soit des broutilles d'adolescente, mais que son instinct lui disait le contraire. Trop d'indices laissaient croire qu'il s'agissait de quelque chose de plus grave. Elle ne la lâcherait pas, elle jouerait toutes ses cartes, jusqu'à ce qu'elle y arrive. Elle était là pour ça, gérer les problèmes, guérir les blessures, elle ne pouvait pas laisser la Poufsouffle partir avec son secret. Artémis lui reprochait de ne pas avoir été présente pour elle pendant quatre ans, Rachelle n'allait pas faire la même erreur encore une fois.

"Ça ne me dérange pas d'attendre, je vis ici de toute façon. Nous avons toute la soirée devant nous."

A vrai dire elle avait espéré passer sa soirée autrement, avec William par exemple, mais elle attendrait le temps qu'il faudrait. Elle savait, pourtant, que ce n'était pas la seule solution. Elle n'était pas obligée d'attendre qu'Artémis lui parle d'elle même. Elle pouvait la faire surveiller, demander aux professeurs et aux préfets de garder constamment un œil sur elle. Elle pouvait interroger son frère, ses amis, la convoquer à nouveau, souvent. Elle pouvait aussi lui faire boire du veritaserum, bien que ce soit illégal. Elle avait pas mal de moyens à sa disposition mais elle rechignait à les employer. Parce qu'elle avait envie qu'Artémis parle d'elle-même. Chose que la jeune fille ne semblait pas disposer à faire tout de suite.

"Je ne te veux aucun mal Artémis, quoi que tu dise je ne te jugerai pas. Elle avait entendu des histoires étranges, que ce soit au cours de sa formation ou pendant ses années à Poudlard. Les gens se livraient parfois à de drôle d’expériences. Et Rachelle était persuadée qu'elle saurait faire face au problème de la jeune fille, quel qu'il soit. Tu peux parler librement, ça ne sortira pas d'ici, et je ne suis pas là pour te punir."

C'était vrai, même si la jeune fille faisait des choses pas forcément légales, l'infirmière chercherait à l'aider, pas à la punir, ce n'était pas son boulot. De toute façon elle n'imaginait pas que la Poufsouffle puisse se livrer à des activités plus dangereuses que la consommation de Mandragore, et ce genre de problèmes restait dans ses cordes.

"Je ne voudrais pas devoir m'y prendre autrement pour découvrir ce qui ne va pas, mais je le ferai si tu ne coopères pas."

Elle aurait préféré ne pas en arriver aux menaces, c'était moche comme technique, mais elle était complètement démunie et ne voyait plus que ça pour faire parler la jeune fille. Etant donné que la jeune Poufsouffle ne paraissait toujours pas vouloir parler, Rachelle soupira et se résolut à jouer au détective. Elle n'avait plus qu'à exposer toutes ses hypothèse à Artémis et voir laquelle la ferait réagir, elle allait devoir être observatrice. Et elle se surprit à prier pour que la légende selon laquelle les Poufsouffles étaient de mauvais menteurs soit vrai, celle sur leur patience proverbiale l'était en tout cas.

"C'est à cause d'un petit-ami ? Si oui tu peux me le dire, je t'ai dit que cela resterait secret. Un garçon qui aurait des activités pas forcément toujours légales par exemple ?"

Elle aurait pu directement donner le nom de Danny Sneals, ça n'aurait pas été beaucoup plus subtil. Mais elles n'allaient pas passer leur soirée à échanger des sous-entendus, le but restait tout de même de découvrir la vérité, et rapidement si possible.

Devant l'insistance de l'infirmière, Artémis se demanda si elle n'avait pas été à Poufsouffle aussi. Ou à Gryffondor. Forcément l'une de ses deux maisons, car l'entêtement de Miss Bloomwood ne pouvait être issu que des blaireaux ou des lions. Artémis se réjouit vaguement de ne pas être tombée sur une vile Serpentard, contre laquelle elle n'aurait eu aucune chance. Au moins, les pièges que l'infirmière lui tendaient seraient visibles et elle pourrait les éviter. Il suffisait d'être silencieuse, patiente, et de ne mentir que par omission.

Son silence ne fit pas craquer Rachelle qui lui annonça qu'elle vivait ici et qu'elle pouvait donc attendre aussi longtemps qu'elle le voulait. Elle voulait la faire craquer? Artémis lui souhaitait bien du courage. Rater les cours de l'après-midi n'était pas un problème, et quelqu'un viendrait bien à l'infirmerie requérir l'attention de l'infirmière. Il lui suffirait alors de s'éclipser. Et dans le pire des cas, Miss Bloomwood finirait par se lasser de son silence et la laisserait partir. Artémis ne voulait pas craquer. Il y avait trop de choses en jeu pour qu'elle ne le fasse, alors elle ne le ferait pas. Elle mentirait s'il le fallait, elle se montrerait convainquante. Comment, elle ne savait pas. Mais la peur donnait des ailes, disait-on, et derrière sa colère, la sourde angoisse de ce qu'il se passerait si l'on découvrait son addiction à la magie noire était bien présente.

Gryffondor, définitivement, décida-t-elle finalement. En effet, l'infirmière, au lieu de patienter tranquillement, la pressait de questions, la menaçait et fini même par émettre une hypothèse. C'était une pression supplémentaire mais au moins, ce serait vite terminé. Artémis attrapa d'ailleurs cette hypothèse au vol. Mettre Bloomwood sur une fausse piste, lui faire croire qu'elle tenait le bon bout et partir avant qu'elle ne lui pose d'autres questions. Restait à savoir comment faire cela. Elle était une piètre menteuse, si elle se livrait subitement en inventant une histoire, cela se verrait tout de suite. Heureusement, les sous-entendus de Rachelle guidaient tout droit vers un nom qui la fit réagir.

"Danny ne fait rien!" s'exclama-t-elle, portée par une inspiration subite.

Puis, réalisant ce qu'elle venait de dire, elle porta une main horrifiée à sa bouche. Elle venait de lâcher un nom, celui de Danny. Danny qui était, en dépit de son étrangeté, le garçon le plus gentil qu'elle connaisse. Et elle venait de le livrer en pâture à l'infirmière. Restait à espérer qu'elle serait aussi discrète et compatissante qu'elle semblait l'être, et que ses propos sur le secret médical étaient bien vrais. Artémis réfléchit rapidement aux options qui s'offraient à elle. Elle venait presque de reconnaître que Danny était son petit-ami, pour reprendre les propos de Bloomwood. Le plus simple restait de lui faire croire que c'était ça, qui la faisait aller mieux. Ne pas la détromper, lui dire autre chose, une autre vérité, une à laquelle elle croyait sincèrement.

"S'il vous plait, ne lui faites rien!" implora-t-elle, n'ayant même pas à feindre la panique.

Elle n'osait pas imaginer la réaction du garçon si on le convoquait pour une histoire de Mandragore par sa faute, si ce qu'elle vivrait si l'école entière s'imaginait qu'ils sortaient ensemble. Danny était tellement gentil, tellement maladroit qu'elle ne lui voulait pas de mal. Mais à tout prendre, elle préférait encore qu'il ait un entretien désagréable avec l'infirmière plutôt qu'elle ne soit envoyée à Azkaban. Et puis ses parents étaient nés-moldus, ils ne comprendraient pas lorsqu'on leur parlerait de Mandragore, n'est-ce pas? Alors au fond, il ne risquait pas grand chose...

"Ne le dites pas! Mes parents, ils n'aimeraient pas... parce que Danny..." était Danny. "Est né-moldu..."

Elle baissa les yeux, honteuse. Honteuse de mentir sur sa relation avec Danny, de l'avoir vendu à Miss Bloomwood, de mettre ses parents dans l'histoire. Mieux valait Danny qu'elle, mais ce n'était pas une pensée très Poufsouffle, et si tout était involontaire, elle s'en voulait quand même. Elle en voulait à l'infirmière de l'avoir mise dans cette situation. Elle était confuse, mal à l'aise et mortifiée, mais encore en colère. Relevant les yeux vers Miss Bloomwood, plusieurs expressions traversèrent son visage: angoisse, tristesse et énervement avant qu'elle ne dise d'une voix hachée:

"Voilà, vous êtes contente? Vous savez, mais vous avez promis de ne rien dire. S'il vous plait... Laissez-moi partir maintenant."

Danny Sneals. C'était donc ça, le secret d'Artémis Nott, ce qui lui donnait confiance en elle, qui faisait baisser un peu ses notes, qui l'éloignait de ses amies. Ce n'était que ça. Rachelle était tellement soulagée qu'elle aurait pu en rire, mais elle se retint. Ce n'aurait pas été très sympa pour Artémis, et elle savait quelle importance pouvait prendre les histoires de cœur à cet âge là. Et ce qui lui apparaissait comme un petit soucis d'adolescence -avoir un copain qui fumait de la mandragore en l’occurrence, ce n'était pas anodin, mais ce n'était rien de terrible non plus- pouvait apparaitre comme un problème insurmontable aux yeux de la jeune Poufsouffle. Celle-ci l'implorait justement de ne rien faire à son petit-ami. Que croyait-elle donc, que l'infirmerie était équipée d'une salle d'interrogatoire et que Rachelle allait le torturer jusqu'à ce qu'il lui livre les noms de tous ceux qui fumaient aussi ?

"Il ne va rien arriver de mal à Danny, je te le promet. Mais je vais devoir lui parler, c'est certain. Elle ne voulait pas non plus mentir à la jeune fille qui, étant donné qu’elle sortait avec lui, finirait pas apprendre de Danny qu'il avait été convoqué à l'infirmerie. Il met sa santé en danger, ce n'est pas bon pour lui. Mais tu ne l'as pas dénoncé, si cela peut te rassurer, il fallait que...Que j'en parle avec lui, de toute façon."

Elle avait laissé trainer le cas Sneals trop longtemps. En grande partie parce qu'elle n'avait pas de preuves tangibles, mais il suffirait qu'elle demande une fouille des dortoirs et elle pourrait convoquer le Poufsouffle et le mettre en garde contre les dangers de la Mandragore, plus particulièrement à son âge. Mais Artémis, en plus du sort de Danny, s'inquiétait visiblement de ce que penseraient ses parents de cette relation, étant donné que Danny était né-moldu.

Rachelle ne put retenir un soupir. C'était tellement dommage, de forcer des adolescents amoureux à se cacher, à mentir et à s'angoisser pour des histoires de pureté du sang. Elle ne fit toutefois aucun commentaire, parce qu'elle n'avait aucun conseil à donner à Artémis. Elle aurait adoré pouvoir lui dire de ne pas s'arrêter à ça, d'imposer son choix à ses parents, de ne pas se plier à leurs opinions d'un autre âge, mais elle ne pouvait pas. Le nom de famille de la jeune fille ne lui était évidement pas inconnu, et elle ne savait pas trop comment ses parents réagirait. Elle croyait se souvenir que son père était en prison, mais ne savait rien de sa mère. Elle ne devait pas pousser Artémis à s'affirmer si c'était pour lui attirer des ennuis.

Celle-ci semblait d'ailleurs en proie à beaucoup d'émotions, inutile de lui imposer une discussion difficile en plus. La jeune fille lui avait révélé ce qu'elle cachait, et Rachelle n'avait plus de raison de la retenir.

"Je ne dirai rien, tu n'as rien à craindre. Tu peux t'en aller maintenant, Rachelle attrappa sa baguette et la leva pour ouvrir la porte. Et n'hésite pas à venir me voir en cas de problèmes, je suis là pour ça, ajouta-elle en lançant le sortilège de déverrouillage. Bonne soirée Artémis."

RP Terminé