Joy à la rescousse ! (Joy)

Joy fixait ostensiblement le blanc œuf de son parchemin, à rendre pour mardi. C'est-à-dire le lendemain. Son nom déjà tracé de son écriture rapide et saccadée la narguait, car avec la date et l'intitulé du devoir, c'était bien la seule chose qu'elle avait écrite depuis un bon quart d'heure. L'encre bleu marine se troublait devant les yeux de la jeune fille, ce qui rendait intolérable la vison des lettres floues. Crispée sur sa chaise, prostrée devant sa table, les yeux rivés sur sa feuille nue, la sixième année se demandait quel était son problème, au juste.

Pourquoi n'arrivait-elle plus à travailler ? Elle avait le temps de travailler, les moyens de travailler, et pourtant la flemme l'emportait. Elle manquait cruellement de volonté, et quand elle en avait, c'était aussi passager qu'inutile. Les cours l'ennuyaient, pour la bonne raison qu'elle ne voyait aucun but à ce qu'elle s'y intéresse. Dans quel but ? Elle n'avait pas de but. Si elle avait une vocation, la volonté de se donner les moyens de réussir serait là aussi. Mais voilà, il n'y avait ni vocation, ni volonté, juste Joy qui maudissait sa procrastination à chaque note peu glorieuse. Elle culpabilisait quand elle avait un P parce qu'elle aurait pu faire mieux si elle avait tout donné comme ceux qui avaient un A ; elle culpabilisait quand elle avait un A parce qu'elle avait moins travaillé que ceux qui avaient un P. La vie était injuste.

Ses notes étaient aussi imprévues qu'aléatoires, par son unique faute. Elle aurait voulu avoir la certitude d'être bonne ou même celle d'être mauvaise. Mais elle était au milieu : une mauvaise note, une bonne note, résultats irréguliers et révisions irrégulières. On croyait qu'elle faisait son possible, mais elle savait qu'elle ne faisait pas le maximum : au contraire, elle faisait le strict minimum et elle s'en voulait.

La poursuiveuse se massa les tempes : Kelly fanfaronnait à deux pas de là sur le joli postérieur de Whitaker.

« Kelly, la ferme ! » ne put s'empêcher de crier Joy avec mauvaise humeur.

Paige Warlock, la fille du président du SPAM, entra dans le dortoir en lui rappelant :

« Joy, Adamson t'attend dans son bureau. »

Bien que sceptique sur le fait qu'elle puisse être attendue, Joy abandonna son devoir avec un plaisir évident. Elle en oublia même de se demander ce que lui voulait sa directrice de maison, tant elle était ravie d'échapper aux fantasmes de Murdoch. Elle sortit de son dortoir avec soulagement. Pourtant, elle l'aimait bien, son dortoir. Les teintures et les flammes vertes des cachots lui manqueraient une fois qu'elle aurait quitté Poudlard.

C'est en longeant le couloir que Joy eut un pressentiment. Il n'y avait aucune raison que le Pr Adamson veuille lui parler excepté au sujet du Quidditch. Ses notes en Potions étaient les seules restées stables depuis son blocage. Donc, si la directrice de Serpentard voulait parler Quidditch, il y avait deux possibilités : soit Joy était virée de l'équipe, soit elle était nominée capitaine. La première alternative était hautement improbable, la deuxième hautement effrayante. Joy commençait à se dire qu'elle manquait vraiment de détermination. Se jugeait-elle incapable de prendre la direction de l'équipe ? Si elle avait les qualités nécessaires, elle l'ignorait. Elle n'avait jamais été en position de commander, n'étant ni aînée, ni préfète, ni capitaine.

Quand elle se posta à l'entrée du bureau de Margot Adamson, cette dernière était entrain de corriger des copies. Elle détailla la scène avec amusement : malgré la médiocrité de ses copies, la professeur de Potions semblait bien guillerette. Peut-être qu'Halloween en était la raison ; c'était même probable quant à la charmante citrouille qui ornait le pas de la porte. Joy n'avait pas eut l'occasion de célébrer cette fête durant son enfance, aussi Poudlard à cette période était toujours divertissant. Cependant, la jeune fille sursauta à la vue du Baron Sanglant qui s'affairait dans un coin de ce paisible tableau.

Quand sa directrice de maison se rendit compte de sa présence gênée, elle lui demanda si elle savait pourquoi elle lui avait demandé de venir, en remplissant deux tasses de thé. Joy se demanda si l'une lui était destinée ; en tout cas, elle apprécia le geste. Elle avait l'impression d'être à égal avec son interlocutrice, ce qui n'était pas le cas avec tous les professeurs. (Certains tels que Dérébusor avaient le don de faire écraser la petite vermine qu'ils étaient.) Elle répondit :

« Je crois le savoir. »

La poursuiveuse préféra ne pas aller plus loin, dans le cas où elle se serait trompée. Mais elle en doutait fortement et ne parvenait pas à se détendre.

Joy ne bougea pas d'un cil sous le regard pensif de Margot Adamson. Peut-être s'interrogeait-elle sur le choix dont elle allait lui faire part peu après : elle était nommée capitaine de Serpentard. toujours aucune réaction chez la jeune fille : elle se contentait d'écouter, et de regarder aussi. Si certains étaient menteurs ou impénétrables, les yeux des gens étaient une mine d'informations sur leur vécu et leurs sentiments. Joy aimait scruter les globes oculaires des autres, même si elle n'y décelait rien. Ceux de Margot Adamson étaient bleus étincelants. curieux contraste avec l'ombre des cachots.

La Serpentard fut toute ouïe quand sa directrice de maison lui énonça ce qu'on attendait d'elle. Certes Joy s'interrogeait sur sa capacité à mener une équipe - elle s'était toujours fondue au deuxième plan -, mais c'est plus l'idée qu'elle puisse décevoir la directrice de Serpentard qui la perturbait. Joy n'aimait pas décevoir. Elle avait déjà vu ce sentiment passer sur le visage de son père, au prix d'un regard, d'une moue, d'une expression. Tellement de fois. Elle avait déjà vu cette émotion dans les yeux de Danny Sneals, à la soirée mousse. La brune chassa ces mauvais souvenirs d'un signe exaspéré de la tête. Elle ne voulait pas décevoir encore une fois. Pas Swann Twilfit, pas Margot Adamson, pas les élèves de sa maison.

Ça semblait si facile à dire. Joy était consciente de ce qu'elle pouvait perdre si elle acceptait. Elle pouvait perdre la confiance qu'on lui accordait, son amour-propre, son masque d'indifférence, son temps, son année. Si un fiasco comme celui qu'avait provoqué O'Connor avait de nouveau lieu, elle ne s'en remettrait pas. Peut-être qu'elle était trop fragile psychologiquement. Peut-être qu'elle se surestimait totalement. Mais c'était bien ça le problème : il y avait bien trop de peut-être dans la vie de Joy Highlands ; et trop peu de certitudes. Elle devait arrêter de douter de ses capacités. N'avait-elle pas été remarquée par Richard Griffit au match, alors qu'ils avaient lamentablement perdu ? N'avait-elle pas été nommée capitaine de l'équipe de Quidditch de Serpentard ?

N'était-elle pas une Serpentard ?

Si, elle en était une. Et malgré ses appréhensions, la menace qui pesait sur ses petites et ridicules habitudes quotidienne, la peur de paraître en public, le doute qui s'infiltrait partout tel un fléau incurable, il lui restait un peu de détermination. C'était tout ce qu'on attendait d'elle : son avis. Qu'en disait-elle ?

« Votre choix m'honore beaucoup, j'espère en être digne, dit Joy de sa voix la moins tremblante, qui l'était tout de même un peu. Reprenant sa respiration, elle reprit d'une voix plus calme et diplomate : j'accepte votre proposition, Pr Adamson. »

Voilà, c'était dit. Le regard posé sur les iris bleus cobalt de sa directrice de maison, Joy tergiversa. C'était une erreur : la panique s'emparait d'elle, accélérant la respiration. Une multitude de questions s'égrenaient une à une dans son cerveau : comment réorganiser cette équipe disloquée ? Quels joueurs devait-on garder dans l'équipe ? Fallait-il réorganiser de nouvelles sélections ? Quand ? Comment ? Qui s'en occuperait ? *Du calme*, se morigéna-t-elle. Elle devait rester maîtresse d'elle même. Le Quidditch était l'un des rares domaines où elle connaissait tous les astuces sur le bout des doigts. Elle connaissait les aptitudes des joueurs de Serpentard. Elle connaissait des jeunes talents ambitieux qui rêvaient de tenter leur chance. Il fallait juste tout organiser. Un pli soucieux barrait le front de la jeune fille devant l'ampleur de la tâche qui les attendaient.

« Mais avant, puis-je vous poser quelques questions ? »

Joy voulait parler raisonnablement. Joy voulait prouver qu'elle était capable d'accomplir ce qu'on attendait d'elle. Seulement, ses pensées se faisaient confuses, et plus elle tentait de les démêler, plus le stress la menait d'une main de maître. Éperdue, elle souffla d'une voix brisée :

« Comment je vais faire ? »

Question qui n'aurait pas dû sortir. Si elle ne savait même plus se maîtriser et gérer une situation comme une personne mature et avisée, sa place de capitaine était cuite.

Serpentard, grandeur et décadence...

Joy fut reconnaissante à son professeur de potions de ne pas la laisser à ses inquiétudes. Au contraire, sa voix rassura la jeune fille, qui écouta attentivement ce qu'on attendait d'elle. Son devoir n'était pas de gagner la Coupe. Son devoir était de renouveler une équipe, de repartir à zéro sur des bonnes bases. Joy essaya de dissocier l'image du Quidditch de celle de la Coupe. Cette année, il faudrait bien faire les choses, même si la Coupe irait très bien avec une banderole verte. L'important, c'était de créer une unité. Joy trouvait assez ironique qu'on lui confie à elle, paumée asociale, la tâche de réunifier une équipe. En y réfléchissant, c'était plus judicieux qu'étrange : il n'y avait aucun doute sur son impartialité.

Joy hocha la tête quand Adamson lui parla des sélections qu'il faudrait organiser. En face de cette femme franche et joviale, Joy ne les voyait plus du tout comme le fardeau qu'elle s'imaginait quelques minutes plus tôt. L'idée de former des joueurs jeunes et peu expérimentés était une perspective intéressante. Enseigner serait peut-être une bonne expérience. C'était vrai qu'il y avait trop d'anciens dans l'équipe. Serpentard avait toujours regroupé des conservateurs, et Joy ne faisait pas exception à la règle puisqu'elle ne jugeait pas le changement d'un bon oeil. Cependant, il pouvait parfois s'avérer salutaire. Joy était persuadée qu'il y avait des jeunes talents chez les Serpentard. Ils représentaient l'avenir de cette maison qui avait besoin d'être redressée. Swann et son club contribuaient à ce redressement. Joy se demandait si elle pourrait avoir un petit rôle dans le tableau.

« J'y penserai, » murmura Joy en prenant la petite clef que sa directrice de maison lui tendait.

La poursuiveuse contempla l'objet qui luisait sur sa paume. Il représentait son invitation pour le local des capitaines, auquel elle aurait désormais accès. Devant ce privilège, Joy se promit de ne pas abuser de ses nouveaux pouvoirs. Serpentard avait déjà assez pâti des débordements de ses élèves.

Lorsque le professeur Adamson prononça le mot "stratégie", l'attention de Joy redoubla : c'était bien le domaine qu'elle maîtrisait le mieux, d'un côté parce qu'elle n'était pas à côté de la plaque quand on abordait le sujet, d'un autre parce qu'elle adorait ça. Elle nota dans un coin de sa tête le style de chaque capitaine. Joy se promit d'observer attentivement ses adversaires et ses coéquipiers pour trouver une faille, identifier les points forts et les points faibles. Elle le faisait depuis toujours mais n'avait jamais imaginé que Margot Adamson puisse être du même avis qu'elle. Cette dernière déclara qu'il fallait jouer pour le plaisir, mais qu'elle adorerait avoir encore la Coupe dans son bureau... Joy sourit car cette affirmation illustrait parfaitement le fond de sa pensée. Sourire qui s'accentua au clin d'oeil rassérénant de sa directrice de maison : Margot Adamson était vraiment quelqu'un de bien.

« Je n'ai plus de questions. Merci pour vos conseils, Professeur, je pense que ça va aller. »

Pour l'instant, Joy ne pensait pas à la professionnalisation. Elle osait espérer que le Quidditch pouvait constituer une voie, mais l'importance de l'avenir s'était bien amoindrie depuis cet entretien : elle avait un objectif. C'était tout ce qui lui manquait à Poudlard. Tous les jours, elle travaillait sans but ; cette absence de motivation était un frein au moment d'apprendre ses cours. Maintenant, elle savait pourquoi elle allait organiser les sélections - en demandant de l'aide à Paige -, pourquoi elle allait mettre en place un entrainement par semaine - deux ne conviendraient pas à la plupart des élèves -, pourquoi elle allait devoir faire des choix. Alors autant les faire bien, maintenant qu'elle en avait la possibilité.

« Je ferai de mon mieux ! »