Blanche-Neige et Grincheux [Ahren]

Jeudi 2 novembre 2006

Artémis était penchée sur son devoir de Runes, assez concentrée. Seule à la bibliothèque, elle s'était donnée pour mission de le finir avant le lendemain. En effet, elle avait pris l'option Runes pour le voyage en Laponie - et apparemment il n'y aurait pas grand monde dans le module - et voulait absolument tout comprendre de ce que le professeur Virtanen raconterait. Le soucis était que si elle appréciait la matière et s'en sortait plutôt bien, cette année elle avait une nouveauté dans son emploi du temps: les entraînements de Quidditch. Elle avait toujours du mal à croire qu'elle avait été acceptée dans l'équipe et courrait aux entraînements avec ferveur, mais cela lui prenait pas mal de temps pour travailler, aussi rattrapait-elle comme elle pouvait.

Elle était plongée dans une version depuis une heure et le silence de la bibliothèque lui convenait parfaitement. Se rendant compte que le manuel qu'elle avait ne lui donnait pas la bonne traduction de la Rune Gyfu, elle se leva et se dirigea vers le rayon Runique pour chercher un livre plus complet. Lorsqu'elle arriva vers le rayonnage, qui jouxtait celui de sortilèges, elle se rendit compte qu'il y avait déjà quelqu'un. Et pas n'importe qui: le nouveau fléau de Serdaigle, à savoir Ahren Keller.

Artémis avait entendu parler de la morgue et de l'agressivité du gamin. Etant de Sang-Pur, elle ne se faisait pas trop de souci quant au comportement qu'il adopterait avec elle. Aussi se contenta-t-elle de l'ignorer et de fouiller l'étagère qui la concernait. Elle n'avait pas envie de lancer la conversation avec lui. Elle n'aimait pas les gens mauvais et agressifs, et trouvait les prises de position d'Ahren complètement éculées. Il était comme O'Connor, il n'avait pas réalisé que le seigneur des Ténèbres était mort et enterré depuis belle lurette. Elle savait que Théo n'était pas complètement réfractaire à ses idées, mais, fort heureusement pour lui, il était beaucoup plus modéré et n'agressait personne dans les couloirs!

Elle finit par trouver un manuel qui semblait contenir ce qu'elle cherchait, mais un second attira son attention. Avisant quelques livres posés en vrac sur l'étagère d'en face - sûrement ceux que son voisin venait de sélectionner, elle les déplaça légèrement pour poser sa propre sélection. Et se permis même de remettre en équilibre celui du haut de la pile qui menaçait dangereusement de tomber. Restait à espérer que l'espèce d'O'Connor miniature en face d'elle ne s'en vexerait pas. La meilleure manière d'éviter ce genre de comportement étant de continuer à l'ignorer, Artémis se retourna donc sans plus de manières vers son étagère et continua sa recherche.

Il y avait un truc qu'Artémis détestait, c'était la méchanceté gratuite. Généralement, lorsqu'elle était dirigée contre elle, elle rentrait la tête dans les épaules et essayait de balbutier une réponse peu convaincante pour se défendre. Bien évidemment, elle échouait à chaque fois et devait donc attendre que l'orage passe en contenant ses larmes. Et après, elle ressassait durant des jours les mauvaises paroles qui l'avaient frappée.

Devant la morgue d'Ahren, elle aurait donc dû réagir de la sorte. Cependant, plusieurs facteurs dérivaient du chemin habituel. Premièrement, elle était assez énervée ces derniers temps. Entre Théo, Cécilya, le Quidditch et les BUSEs, elle avait une certaine pression sur ses épaules et ne demandait qu'à exploser. Deuxièmement, elle se sentait moins en danger permanent depuis le début de l'année. Mince, elle avait réussi les sélections de Quidditch, tout de même! Ce n'était pas rien! Troisièmement, Ahren était assez ridicule. Et il ne pouvait pas l'agresser à cause de son nom. Il était un Sang-Pur et cela comptait pour lui. Elle ne pouvait être coupable de rien à ses yeux. Qu'elle s'appelle Artémis ou McGonagall, il s'en serait pris à elle de toute façon, juste parce que son orgueil venait d'être blessé. De plus, c'était un gamin de première année, qui n'avait donc pas de quoi l'impressionner. Connu pour sa mauvaise humeur permanente, elle avait entendu de nombreuses personnes rire de lui. Et il fallait avouer qu'elle avait là la preuve flagrante qu'il tendait le bâton pour se faire battre.

Bref, la petite réplique mesquine du gamin ne fit que l'énerver, et elle se décida à le remettre à sa place, ne se doutant pas à quel point c'était impossible. D'un point de vue objectif, on aurait pu dire qu'elle avait des arguments aussi lourd que le professeur Virtanen: son père aussi était en prison. Mais hélas, elle était bien plus naïve et innocente que le meurtrier de Poudlard, et il ne lui serait jamais venu à l'idée d'utiliser le chantage sur Alexander (dont elle ne connaissait même pas l'existence, ou qu'elle avait oublié). C'était une Poufsouffle, eh! C'est donc très confiante qu'elle s'en alla au casse pipe.

"Si je n'avais pas touché à tes livres, tu serais mort enseveli sous la pile à l'heure qu'il est." dit-elle sans se retourner.

Elle tenta de faire comme si elle ne ressentait aucun intérêt envers le gamin, mais elle vibrait d'une colère contenue. Au bout de trois secondes, elle abandonna l'idée de jouer l'indifférente (mais comment faisaient les gens?) et lui fit face, le visage fermé. Elle aurait voulu arborer un sourire narquois mais n'arrivait qu'à afficher une mine réservée, presque défensive.

"C'est dommage, tu n'aurais rien dit, je t'aurai aidé à rammasser. Maintenant, il va falloir te débrouiller, parce qu'on n'apprend pas le Sortilège de rangement en première année."

Un début de sourire narquois apparu sur le visage d'Artémis. C'était plaisant, d'être pour une fois en situation de supériorité. Très plaisant, même.

S'excuser? Mais il se prenait pour qui! Artémis se posait sincèrement la question. Elle était assez atterrée de voir un petit première année avoir plus de morgue qu'O'Connor. Surtout qu'Ulrich, son grand-frère, n'était absolument pas comme ça. Au contraire, il était aimable, serviable et Préfet-en-chef! Comment deux frères pouvaient-ils être aussi opposés? Surtout qu'à son âge, Ahren n'aurait pas dû avoir de telles idées sur la pureté du Sang, il ne devait même pas se souvenir beaucoup de la guerre. A moins qu'Ulrich soit une exception et que les enfants Keller aient été élevés dans cette idéologie, mais Kathrina semblait bien différente de son jumeau... Etrange, vraiment.

Mais voilà que le morveux se permettait de lui dicter comment elle devrait être, ce qui acheva de l'énerver. Le monde lui disait tout et son contraire et elle était censée s'en sortir comme ça?

"Eh bien, heureusement que tu n'es pas à ma place, tu aurais honte souvent pour des trucs qui n'en valent pas le coup" répliqua-t-elle, acide. "Comme tu dois sûrement le savoir, on n'apprend pas aux Sang-Pur à s'excuser, je ne vois donc pas pourquoi je le ferai, surtout pour quelque chose dont je ne suis pas responsable. C'est assez amusant que tu ne reconnaisses même pas les principes que tu chéris chez les autres, toi qui ne compte que sur eux."

Ahren s'en prenait à la mauvaise personne. S'il y avait une chose dont elle n'avait pas à rougir, c'était de sa bonne éducation. Il arrivait souvent qu'elle se sente mal, qu'elle rougisse de son nom, qu'elle se demande pourquoi son père avait tué, qu'elle trouve même que la haine des autres était justifié. On pouvait la déstabiliser sur beaucoup de chose, mais Ahren glorifiait tout ce qu'elle appelait des points faibles. Et il n'avait que onze ans et aucun ami dans l'école.

Artémis eu un sursaut de méfiance à l'égard d'Ahren lorsque le comportement de celui-ci changea du tout au tout. Que manigançait-il? Un revirement tel que celui-là ne correspondait à l'image de l'enfant. Elle croyait qu'il était buté, sournois, mesquin, et surtout tellement sûr et fier de lui qu'il ne s'excusait jamais.

"Certes, les Sang-purs ne s'excusent pas. Je ne m'excuserais donc pas de mon accusation totalement injustifié à ton égard. Il est vrai que je me suis trompé à ton sujet. Veux-tu avoir la gentillesse de m'aider à ramasser les livres qui sont tombés ?"

Mais peut-être la réponse d'Artémis l'avait-elle suffisamment mouché pour qu'il préfère arrêter là les hostilités et ne pas s'enfoncer davantage. Elle tira une fierté nouvelle de cette idée. Son statut de Sang-Pur l'avait certainement aidé à obtenir cette petite victoire, mais elle l'avait obtenu quand même. Sa mère avait raison: pour se faire respecter, se tenir droite et rester sérieux et calme était primordial. Et Artémis venait de prouver que désormais, elle en était capable, et pas sur n'importe qui: elle venait de clouer le bec à un petit teigneux qui avait, disait-on, épuisé la patience du professeur Virtanen.

A nouveau de bonne humeur, elle décida donc de se montrer magnanime. Sortant sa baguette, elle prononça la formule "Leviosa Tabula". Les livres se rangèrent tous seuls en une pile ordonnée sur l'étagère qu'ils avaient quittés quelques minutes plus tôt.

"Ca va tout de suite plus vite quand c'est bien demandé, tu ne trouves pas?" dit-elle avec un sourire un peu supérieur.

Puis, considérant la discussion close, elle se tourna à nouveau vers son propre rayonnage. Mais son esprit n'était plus du tout à son devoir de Runes. Au lieu de ça, elle se demandait de qui viendrait la prochaine attaque et si elle serait capable d'y faire face aussi dignement. Peut-être, oui. Elle avait presque (presque) envie d'y être.