Sous le masque [Lou & Elio]

Elio avait appuyé sa joue dans sa main et avait le regard tourné vers la fenêtre. Il ne prêtait pas trop attention au cours d’Al-Majida sur les maléfices et leurs contre-sorts, l’esprit tellement parasité qu’il ne percevait même pas le son de sa voix. Son arrière-grand-père était mort la semaine dernière et l’enterrement avait eu lieu samedi matin, à Leeds. L’église était remplie de gens qui avaient connu Mateo Muňoz et qui étaient venus lui rendre un dernier hommage. Elio avait beaucoup de souvenirs avec lui ; sa mère avait toujours été proche de ses grands-parents, elle avait même vécu avec eux quand elle était petite et elle l’emmenait souvent les voir. Son arrière-grand-père était un homme assez silencieux mais Aimee et lui – les premiers arrières – avaient passé beaucoup de temps avec lui. Il leur avait appris à jouer aux dames et à faire du vélo sans petites roulettes.

Cela faisait plusieurs mois qu’il était malade. Elio n’avait pas tout bien compris. Comme toutes les personnes âgées, il prenait beaucoup de médicaments, il s’essoufflait vite, n’arrivait pas à faire beaucoup d’efforts mais ça ne l’avait pas trop inquiété. Il regrettait, maintenant. Peut-être qu’il aurait demandé à le voir plus souvent ou qu’il aurait fait plus d’efforts pour passer du temps avec lui...

Pour ne rien arranger, il avait rencontré d’autres personnes âgés deux semaines auparavant. Les parents de son père. Enfin, la mère de son père, plutôt, qui était venue en Angleterre avec son mari. Elio avait stressé pendant des jours avant cette rencontre, ça lui avait fait une boule dans le ventre et il avait eu du mal à manger, le matin. Sa mère et lui avaient retrouvé Toni et sa famille dans un restaurant. Ils avaient déjeuné ensemble et le repas s’était globalement bien passé. Ils avaient parlé de trucs simples et Elio s’était un peu détendu. Pouvoir échanger avec sa grand-mère avait un peu comblé en lui ce vide qu’il nourrissait du fait de l’absence de son père dans sa vie. Il l’avait regardée en essayant de voir des ressemblances entre eux, peut-être dans le visage, la forme des yeux, le sourire... Il s’était laissé entraîner dans une quête identitaire qui n’avait été que bien trop courte.

Le repas avait pris fin sans promesse de retrouvailles. Sans “la prochaine fois, on ira manger italien, tiens, comme ça tu goûteras un peu les plats de chez nous”, sans “ce serait bien que tu puisses venir à Naples, un jour”, sans “on s’appelle” ou “à bientôt”. Depuis, plus rien.

Cela lui donnait l’impression que sa grand-mère était juste venue constater son existence par elle-même. “Ah, c’est toi” et puis merci, aurevoir.

Sa tête bourdonnait de toutes ces pensées tandis que ses yeux suivaient la course d’un oiseau à l’extérieur. Il ne fut tiré de cet état que par l’intervention de son enseignante, qui fut obligée de répéter son nom à deux reprises pour qu’il tourne la tête vers elle. Elle avait les sourcils froncés au-dessus de ses yeux, ce qui lui donnait un air sévère.

“Monsieur Davies, vu vos difficultés, vous feriez mieux de prêter attention au cours.”

La sècheresse dans sa voix creusa son estomac d’un sentiment honteux. Et, avec ses émotions qui partaient dans tous les sens, le premier réflexe d’Elio pour s’en défendre fut de répondre, en se redressant légèrement :

“Ça va, j’parle pas.”

Al-Majida le toisa.

“Et je devrais vous féliciter pour ça, peut-être ?
-Mais c’est bon, pourquoi vous vous en prenez tout le temps à moi, j’ai rien fait là, j’suis pas tout seul dans cette classe !”

Al-Majida lui donna trois heures de colle pour insolence.

Elio quitta la classe parmi les premiers, sans attendre ses amis. Les élèves se dirigeaient vers la grande-salle pour le repas mais lui s’enfonça dans le premier couloir vide qu’il trouva, les nerfs à vif. Al-Majida avait le don de le faire se sentir tellement bête, tellement nul, tellement à la ramasse. Ses cours étaient un calvaire pour lui et, comme il avait du mal à les suivre, il se laissait souvent aller aux bavardages. Ce n’était pas la première fois que sa prof le reprenait mais là, la manière dont elle avait parlé de ses difficultés alors qu’il ne faisait rien de mal (à part regarder par la fenêtre) ça lui avait fait un coup dans le ventre.

Maintenant, il avait des fourmis dans les doigts de cette nervosité qui ne l’avait pas quittée. Il allait devoir appeler sa mère, en plus, pour le prévenir qu’il avait été collé trois heures cette semaine... Il s’en voulait, elle était déjà triste avec la mort de son grand-père...

Il se sentait nul. Nul d’avoir refusé d’aller chez ses arrière-grands-parents, la dernière fois que sa mère lui avait proposé, parce qu’il avait eu envie de passer le weekend avec des copains à Londres. Nul de ne pas comprendre ses cours, de galérer à faire monter sa moyenne d’un point. Nul, au point où sa propre grand-mère, finalement, n’avait pas très envie de le connaître.

Ses émotions explosèrent sur cette pensée et les larmes lui montèrent aux yeux. Elles roulèrent sur ses joues alors qu’il s’adossait contre un mur en les essuyant nerveusement avec le revers de sa main.

Elio sursauta en entendant des pas s’approcher de lui. Il passa plus rapidement ses mains pour essuyer ses yeux, peu désireux qu’on le voie pleurer ici. Une fille de son année, en plus. La honte.

Il ne connaissait pas bien Lou. Elle faisait partie de son paysage quotidien, puisqu’ils partageaient la même salle commune et il avait déjà eu l’occasion de papoter avec elle dans un contexte de groupe. Mais il n’était pas certain de s’être déjà retrouvé seul avec elle. Il ne la connaissait donc que de loin, n’avait pas d’a priori négatif sur elle, c’était même plutôt l’inverse : elle avait l’air d’être une fille discrète mais pas méchante. Et elle était jolie.

Bref, pas le genre de personne devant qui il tenait à s’afficher en pleurant comme un gamin.

« Euh, si ça va, t’inquiète » bafouilla t-il.

Il était con à venir pleurer dans un couloir, aussi. Lou parut partir du principe qu’il pleurait à cause de leur prof, ce qui le gêna encore plus : ça faisait vraiment gros bébé de première année pleurer juste pour une retenue. Il se justifia maladroitement :

« Euh non c’est pas à cause d’elle c’est euh… Des trucs de famille. Enfin bref. »

Elio ne précisa pas davantage car elle en avait sûrement rien à faire, et puis il ne savait même pas comment expliquer toutes ces émotions qui se mélangeaient en lui. Son regard se posa sur le dessin caricatural qu’elle lui tendait en guise de thérapie. Ok, ça c’était sympa de sa part et un peu drôle.

« Hé, t’es douée en dessin » nota t-il en souriant un peu. Il saisit le papier pour observer le croquis de plus près. « On reconnaît de ouf ses gros sourcils tout le temps froncés, là, la meuf on dirait elle est ensorcelée par une malédiction genre, elle peut jamais sourire sinon elle meurt. »

Lou fut un peu soulagée d’apprendre que son camarade ne s’était pas mis dans cet état seulement à cause de ce qui s’était passé en cours. C’était carrément injuste, et il n’avait pas mérité ses trois heures de retenue, mais ce n’était pas très grave. Chiant, mais pas grave. Les trucs de famille en revanche, ça pouvait être chiant et très grave. Elle était bien placée pour le savoir.

“Oh, je suis désolée, répondit-elle avec une grimace compatissante. J’espère que ça va s’arranger. Elle aurait voulu dire des choses plus intelligentes, les choses qu’elle aurait elle-même aimé entendre quand elle avait eu des “trucs de famille”, mais elle ne réussissait qu’à débiter les mêmes banalités affligeantes que tout le monde. Si jamais tu veux en parler…”

Elle laissa sa phrase en suspens, ce qui laissait entendre qu’elle était prête à l’écouter. En réalité, elle n’était pas sûre d’être une très bonne interlocutrice dans ce genre de situation. Elle savait écouter, ça oui, mais elle n’était pas très douée pour donner des conseils ou apporter du réconfort. Clifford aurait certainement été un bien meilleur choix ! Mais elle ne pouvait clairement pas dire à Elio “Si tu as besoin d’en parler, tu n’as qu’à aller voir ton pote”, ça se faisait pas. Elle espérait donc qu’il n’avait pas besoin d’en parler, ou du moins qu’il n’oserait pas le faire avec elle.

“C’est pas grand-chose…” répondit-elle avec un haussement d’épaules quand son camarade complimenta la caricature qu’elle avait réalisée de leur professeur. Il aurait été bien plus élégant de simplement répondre “merci” mais elle avait toujours eu du mal à recevoir des compliments.

Un sourire se dessina sur ses lèvres quand Elio poursuivit en supposant que leur professeur devait être sous le joug d’une malédiction qui l’empêchait de sourire.

“Elle serait capable de s’être auto-maudite en plus ! ajouta-t-elle avec un sourire amusé. Je suis sûre qu’elle kiffe traumatiser les premières années avec son air sérieux là... Elle-même avait été très impressionnée par l’enseignante lors de son premier cours. Mais tu verras, elle fait généralement bosser les devoirs pendant les retenues, c’est toujours mieux que de copier des lignes…”

Elle ponctua sa phrase d’un nouveau haussement d’épaules. Elle commençait à avoir un peu d’expérience en la matière, surtout depuis quelques mois. Jusqu’à l’année dernière, elle avait pourtant toujours été une assez bonne élève, mais elle n’arrivait plus à se concentrer sur ses cours. Tout lui paraissait inutile, et sans intérêt, et elle ne se privait pas de le montrer à ses professeurs, qui n’avaient pas l’air d’apprécier.

Elio hocha la tête, un peu gêné, lorsque Lou lui notifia qu’elle était là pour lui s’il avait besoin de parler. C’était sympa de sa part, vraiment, surtout qu’ils ne connaissaient pas très bien... Mais justement, ils ne se connaissaient pas très bien et il n’avait pas envie de lui déballer tous ses problèmes. Déjà qu’elle l’avait vu en train de pleurer dans les couloirs... Et puis, elle aussi avait vécu des trucs vraiment durs. Son père était mort l’année dernière, après une longue maladie. Lou avait beaucoup pleuré, Elio se souvenait l’avoir déjà vu fondre en larmes en classe ou dans la salle commune. Il n’avait pas trop osé aller la voir, à cette époque. Ils n’étaient pas vraiment amis et puis, il était nul avec la tristesse, il ne savait jamais quoi dire pour réconforter les gens. Un jour, quand même, il lui avait filé une chocogrenouille à la fin d’un cours. Il avait tout un paquet avec lui qu’il partageait avec Clifford et Lou était passée devant eux. Elle avait les yeux rouges et gonflés et il s’était senti vraiment de ne rien faire. Il avait dit “Hé, Lou, t’en veux une ?”.

Bref, comme il disait : il n’était pas très doué avec la tristesse.

Ni celle des autres, ni la sienne. Il n’avait pas envie de raconter à Lou que son arrière-grand-père était mort (en plus, c’était vachement moins grave que de perdre un père (enfin, il imaginait, puisqu’il n’avait pas de père)) ou que sa famille en Italie s’en fichait un peu de lui.

C’était plus facile pour lui d’aller sur le terrain de l’humour et le fait que Lou l’y suive le soulagea grandement.

“Mais vraiment ! abonda-t-il lorsqu’elle supposa qu’Al-Majida adorait traumatiser les petits. J’sais pas pourquoi elle est prof, sérieux, elle aurait dû être flic...” En tout cas, il l’imaginait bien mener des interrogatoires, avec son regard assassin et ses sourcils qui se fronçaient dès qu’un mot franchissaient les lèvres de la personne en face d’elle.

La remarque de Lou sur la manière dont Al-Majida organisait les retenues lui tira une vague grimace. Très honnêtement, passer trois heures à bosser sous la supervision tyrannique de cette prof enchantait encore moins Elio que la perspective de recopier des lignes. Il préférait faire un truc stupide que de se retrouver confronté aux remarques acides d’Al-Majida sur la qualité de son travail.

“Ouais...” fit-il en haussant les épaules. “En vrai j’ai trop hâte de passer sa vieille matière aux BUSES pour la lâcher après” confia-t-il à sa camarade. Il n’avait jamais aimé la DCFM et même si la pratique pouvait être marrante, elle était noyée par tellement de cours théoriques que ça ne suffisait pas à éveiller son intérêt. “J’me souviens, la première fois qu’on a reçu la liste des matières enseignées ici, ma mère a trop phasé sur l’intitulé. Elle est moldue, précisa-t-il, et elle était genre “c’est quoi les forces du mal contre qui vous devez vous défendre ?”” Il eut un rire. “En fait, elle savait pas que c’était la prof, le plus gros démon.” Il s’adossa contre le mur derrière lui, les mains dans les poches et observa Lou. “Vas-y, c’est quoi ton classement des meilleures retenues, en fonction des profs ?” lança-t-il avec un sourire en coin.

Il avait récolté plusieurs heures de colle pour “bavardages” et “dissipation” (sans oublier “oubli de matériel”, ce qui arrivait souvent) et avait désormais une liste des pires et des meilleures séances de retenues dans le château.

Lou hocha la tête quand son camarade lui confia avoir hâte d’abandonner la Défense Contre les Forces du Mal après les BUSE. Elle aussi avait hâte de se débarrasser de cette matière et de leur enseignante tyrannique. A vrai dire, elle ne savait pas vraiment quelles matières elle voulait continuer en sixième année. Elle aimait les Runes anciennes, et l’Astrologie, mais deux matières ne suffisaient certainement pas, et elle ne voyait pas ce qu’elle pourrait faire après Poudlard avec ces deux ASPIC. Elle songea avec une pointe d’amertume que son père serait certainement déçu s’il voyait son dossier scolaire, lui qui avait toujours veillé à ce qu’elle ait d’excellents résultats. Elle songea aussi que ce serait un peu gonflé de sa part, et qu’il n’avait qu’à pas mourir et la laisser sans surveillance.

Etre la fille du directeur avait eu son lot d’avantages, et d’inconvénients, notamment le fait que son père puisse discuter avec ses professeurs dès qu’il le souhaitait. Fut une époque où elle ne pouvait pas bailler en classe sans que ce soit immédiatement rapporté à son père. Elle avait détesté ça. Elle regrettait un peu maintenant. La mère d’Elio, au contraire, ne connaissait pas le monde magique, ce qui devait causer d’autres problèmes, complètement différents, notamment l’incompréhension des matières enseignées à Poudlard.

“Ils devraient expliquer un peu chaque matière, répliqua Lou, scandalisée que ce ne soit pas déjà le cas. Y a de quoi avoir peur sinon ! A la réflexion, il était assez incroyable que tant de parents moldus laissent partir leurs enfants de onze ans dans une école où on enseignait la “Défense Contre les Forces du Mal”. Tes deux parents sont moldus ?”

Lou était issue d’une famille purement sorcière, et avait passé toute sa vie à Poudlard. Elle était née ici, avait grandi ici, elle étudiait ici. Elle n’en pouvait plus de cette école, et elle avait toujours rêve d’ailleurs. Elle trouvait que les enfants issus de famille moldues avaient de la chance, et elle les enviait un peu. Découvrir à onze ans un nouveau monde, avec ses traditions, son histoire, sa culture, ça devait être grisant. Tout devait leur paraitre nouveau et excitant. Elle se rappelait très bien de ses camarades en première année, qui se perdaient dans les couloirs, étaient effrayés par les escaliers mouvants ou fascinés par les portraits magiques qu’elle-même ne remarquait même plus. Elle connaissait chaque tableau de chaque couloir de chaque étage de l’école. Cela faisait bien longtemps qu’elle ne trouvait plus rien de magique à Poudlard.

Sa connaissance de l’école s’étendait également à la salle des professeurs, qu’elle avait beaucoup fréquenté pendant son enfance, et à l’aile Sud qui était normalement interdite aux élèves. Pendant ses premières années, Lou avait eu la chance d’avoir deux chambres à Poudlard. Le dortoir qu’elle partageait avec ses camarades pendant l’année scolaire, et une chambre dans l’appartement de son père, dans laquelle elle dormait pendant les vacances et certains week-end. L’année dernière, le Directeur Forbes lui avait assuré qu’elle était libre de rester dans l’appartement de son père aussi longtemps qu’elle le souhaitait, mais elle avait décliné son offre. Elle n’avait aucune envie de retourner là-bas toute seule. Alors il avait été vidé, et réattribué à un nouvel enseignant. Depuis, Lou évitait l’Aile Sud, dans laquelle elle n’avait de toute façon plus aucune raison de se rendre.

Elle n’avait pas cherché à entretenir le lien qui existait entre elle et certains des professeurs de l’école, qu’elle cotoyait depuis qu’elle était toute petite, et avait désormais un rapport plutôt conflictuel avec la plupart d’entre eux. Cela n’avait visiblement pas échappé à Elio, puisqu’il lui demanda de classer leurs enseignants selon ceux qui donnaient les meilleures ou les pires retenues.

"Hum, je dirais que les retenues avec Londubat sont les pires, répondit-elle après s'être accordé un bref instant de réflexion. Il est sympa hein, tempéra-t-elle. Il était très populaire auprès des élèves, et particulièrement auprès des Poufsouffles, à qui il donnait régulièrement des conseils pour entretenir les nombreuses plantes de la salle commune. Mais vraiment, à chaque fois il te fait rempoter des plantes avec des boutons plein de pus là, t'as une chance sur deux de finir recouvert d'un truc dégueu. Elle ponctua sa réponse d'une grimace, elle parlait d'expérience. Et celles avec Stenn sont plutôt cool, en général il s'endort au bout de vingt minutes. Le professeur Stenn enseignait l'astronomie et, parce que ses cours avaient souvent lieu la nuit, il lui arrivait régulièrement de piquer un somme en pleine journée. La dernière fois je suis partie au bout d'une demi-heure, il a rien capté."