F.R.I.E.N.D.S [Elio & Clifford]

Le Cognard heurta sa batte dans un bruit métallique et fila droit vers Billie qui l’évita de justesse. La balle continua sa course derrière elle avant de décrire un grand arc de cercle autour des tribunes ouest.

« Ah ouais, commenta-t-elle, le souffle court. On n’est pas là pour rigoler.
-C’est toi qui voulais bosser tes esquives, répondit Elio en posant sa batte sur son épaule. Tu veux qu’on arrête ?
-Nan. Mais envoie plutôt à droite, c’est là que je galère à faire mes tonneaux. »

Elio hocha la tête et se remit en position. Billie était venue le trouver après son cours de Divination pour lui proposer un petit entraînement en fin d’après-midi. Elio avait accepté sans sourciller, trop heureux de pouvoir se changer les idées. Il était descendu sur le terrain de Quidditch, son balai sur l’épaule, sa batte à la main, le regard voilé par la contrariété.

Il avait le seum, voilà.

Gina lui avait écrit ce matin. « Salut Elio, comment tu vas ? Je sais pas si Toni t’en a parlé mais ma mère a perdu sa sœur Felicia, hier. L’enterrement aura lieu samedi matin, si jamais. » Il n’avait pas répondu tout de suite. Gina était sa tante. Enfin, sa demi-tante, la demi-sœur de Toni. Elle n’était pas beaucoup plus vieille que lui – ils n’avaient que sept ans d’écart – et ils s’entendaient plutôt bien. Enfin, ils essayaient en tout cas, puisque Gina parlait très mal anglais et qu’Elio baragouinait à peine l’italien. Mais ils s’étaient vus à deux reprises et s’envoyaient parfois des messages (qu’ils faisaient traduire au préalable par un site internet). C’était souvent Gina qui lui donnait des nouvelles de sa famille italienne, quand Toni se fendait d’à peine quelques mots à ce sujet. Sans surprise, il ne lui avait pas dit que Felicia était morte.

Après, cela tenait peut-être au fait qu’Elio n’avait jamais rencontré Felicia de son vivant. Il n’avait vu qu’une seule fois sa grand-mère, un jour où elle était venue en Angleterre. Il se rappelait qu’elle avait brièvement évoqué cette sœur mais ce n’était peut-être pas suffisant pour lui valoir un appel de son oncle pour le prévenir d’un décès dans la famille. Certes. Mais cela ne l’empêchait pas d’avoir le seum. Parfois, il se sentait un peu indésirable dans cette famille italienne qu’il ne connaissait pas beaucoup. Il n’avait jamais senti qu’il en faisait pleinement partie. Alors, bien sûr, il était le neveu de Toni et son oncle s’était toujours montré très présent pour lui et même pour sa mère mais au-delà de lui, il n’y avait pas grand-monde.

Souvent, cela ne le dérangeait pas. Il n’avait jamais grandi avec cette famille, alors ce n’était pas comme si elle pouvait réellement lui manquer. Et puis, il avait une grande – grande – famille du côté de sa mère. Pleins d’oncles et de tantes, beaucoup de cousins et de cousines et même des sorciers parmi-eux, ce qui lui permettait de ne pas se sentir trop seul avec son don. Mais cela faisait quelques mois qu’Elio ressentait une curiosité de plus en plus vive envers sa famille paternelle et c’était très précisément cette curiosité inassouvie qui ouvrait un manque, chez lui. Parfois, Elio aurait aimé être un peu plus intégré chez les Tessio. Pouvoir aller en Italie, passer du temps avec sa grand-mère et ses tantes. Il n’avait pas vraiment de grand-mère, ici. Enfin si, mais c’était compliqué – comme toujours, chez les Davies. Ses grands-parents avaient fait de la prison et son grand-père était même toujours incarcéré. Sa grand-mère était sortie depuis quelques années et il la voyait parfois mais elle ne prenait pas vraiment son rôle de grand-mère. Elio avait l’impression qu’elle ne se l’autorisait pas vraiment.

Donc, forcément, il nourrissait beaucoup de curiosité envers cette grand-mère italienne dont il n’entendait que des échos. Toni lui en parlait parfois. Parfois, parce que, visiblement, parler de sa famille avec son neveu lui arrachait la bouche. Evidemment, Elio n’était pas stupide, il savait très bien pourquoi il ne pouvait pas fréquenter cette famille. Il était le fils de Dario Tessio. Dario Tessio, l’indésirable, ce qui rendait son existence à lui pas franchement désirée non plus.

Elio entendait les récits qu’on lui faisait de son père. Il savait même pourquoi Toni et lui ne se parlaient plus. Petit, il avait été très en colère contre ce papa qui était parti et, au fond, il l’était toujours un peu. Il savait que Dario n’était pas un homme très fréquentable, qu’il était même sûrement le genre d’homme qu’Elio détestait profondément pour en avoir trop vu autour de sa mère. Il voyait bien comme elle était déstabilisée quand il parlait de lui. Lorsque, un an plus tôt, il avait reçu une lettre de son père, son visage s’était fermé et il n’avait pas osé l’ouvrir devant elle. Il l’avait fourré dans sa poche en prétextant qu’il n’avait pas envie de la lire. Mais bien sûr, il l’avait lue, plus tard, dans l’intimité de sa chambre. C’était ainsi qu’Elio avait rencontré son père pour la première fois ; à travers des mots tracés de manière brouillonne – on aurait dit son écriture, avait-il pensé – qui disaient tout ce qu’il avait toujours espéré et craint : Dario voulait le voir.

Trop tard, avait immédiatement pensé Elio. C’était trop facile de débarquer quinze ans plus tard, la bouche en cœur, alors qu’il ne lui avait jamais donné le moindre signe de vie. De toute façon, sa mère et Toni criseraient s’il acceptait cette proposition. Il s’était donc très bien convaincu qu’il n’en avait pas envie.

Sauf qu’avec les mois, cette idée était revenue à plusieurs reprises et qu’elle était de plus en plus difficile à mettre à distance. En même temps, Elio ne se sentait pas parfaitement à l’aise lorsqu’il se projetait dans une scène où il faisait la rencontre de son père. Il n’y voyait que des silences gênants ou des reproches colériques. Peut-être, avait-il pensé au cours de l’été, que le mieux serait qu’il le voit parmi une assemblée d’autres personnes.

La pauvre Felicia – paix à son âme et tout – était donc le parfait prétexte pour amorcer ce plan. De toute façon, il n’y avait rien de mal à goûter l’eau. Elio se disait qu’il pourrait peut-être observer son père de loin et échanger deux ou trois mots avec lui, pas plus. Mais évidemment, son idée avait été écartée par Toni avant même qu’il n’ait le temps de la formuler. Il l’avait appelé juste avant son cours de Divination. « Ouais, tu sais, Gina m’a dit pour la mort de Felicia… Ouais, bah, je t’appelle parce qu’elle me demandait si je comptais venir à l’enterrement. Ce sera samedi et je peux sortir de l’école donc… » Toni l’avait rembarré dans les règles de l’art, de son habituel ton bourru qu’il empruntait dès qu’il avait le malheur d’aborder ce sujet. « C’est pas la peine que tu viennes. » Fin de la conversation, merci, au revoir.

Et Elio avait le seum. Le bon gros seum, même, parce qu’il commençait à en avoir marre qu’on le prenne pour un petit enfant débile qui était incapable de prendre une bonne décision. Et, parce qu’il n’était pas un Tessio ni un Davies pour rien, il commençait à être démangé par l’envie de faire, justement, quelque chose de profondément idiot, comme de contacter son père sans en parler à personne. Juste pour voir.

Mais pour l’instant, taper dans des Cognards pour décharger sa frustration lui faisait le plus grand bien. Ils restèrent même sur le terrain un peu trop tard et furent obligés de se hâter pour ranger leurs affaires. Elio sauta dans la douche, enfila et jogging et un sweat et se dépêcha de rentrer au château, les cheveux encore mouillés, les bras chargés de son sac de sport et de son balai. Le couvre-feu était déjà passé de quelques minutes lorsqu'il arriva en trombe dans la salle commune des Poufsouffle. Il salua plusieurs de ses camarades mais ne s'y attarda pas et monta dans son dortoir, où il était certain de trouver Clifford. Son pote était très occupé depuis le début de l'année, entre ses mille cours, ses options et ses responsabilités de préfet. Ils ne s'étaient même pas vus de la journée puisque Clifford s'était levé hyper tôt (ce grand malade) pour pouvoir réviser avant le début des cours.

C'était la première fois qu'ils se retrouvaient dans une configuration où ils ne passaient pas l'essentiel de leurs journées ensemble aussi Elio fut content de retrouver le visage familier de Clifford alors qu'il pénétrait dans leur dortoir.

Mais son sourire se transforma rapidement en grimace alors que son meilleur ami tendait la main devant lui avec un « Hey » beaucoup trop long, qui renvoyait Elio à de très mauvais souvenirs.

« Mais jamais tu vas me laisser oublier que je suis le plus gros blaireau de l'univers, toi. » soupira-t-il.

Il n'avait pas reparlé à Lou depuis le début de l'année. Enfin, pas vraiment, à part des « salut » dans la salle commune ou pendant le déjeuner. Des « salut » normaux, histoire qu'elle n'ait pas l'impression qu'il était attardé (si ce n'était pas déjà le cas.)

« Enfin cela dit, tu peux p'têt prétendre au titre toi aussi, commenta Elio avec un sourire en coin. C'est quoi le pire ? Moi qui essaie de serrer la main à Lou comme si j'étais le putain de ministre ou toi qui finis les jambes en l'air en plein milieu du train ? » La question méritait d'être posée. Elio lâcha son sac à côté de son lit et retira son pull. « C'était comment ta journée ? »

 «  Et puis être le roi des blaireaux pour un Poufsouffle c’est plutôt cool non ?
-Mouais… » fit Elio en s’affalant en étoile sur son lit.

Il espérait surtout que Lou ne le prenait pas pour un gros bouffon maintenant qu’il s’était ridiculisé devant elle. Il fallait vraiment qu’il trouve un moyen de rattraper le coup. Il avait beaucoup réfléchi. Un événement cet été dont il ne s’était pas encore ouvert à Clifford lui avait fait prendre conscience de beaucoup de choses, notamment du fait qu’il avait des sentiments sincères et forts pour Lou. Ce n’était pas un crush passager ou léger, il voulait vraiment tenter sa chance avec elle, toute la question était de savoir comment l’aborder.

Mais il n’eut pas le loisir de laisser ses pensées vagabonder de ce côté car Clifford partait déjà dans les grands tours au sujet de son malaise dans le train. Elio se tourna sur son lit de manière à lui faire face, en s’accoudant sur son oreiller pour soutenir sa tête. Un sourire se glissa sur ses lèvres. L’une des choses qu’il appréciait chez Clifford, c’était cette propension à être très dramatique pour tout, ce qui lui donnait un sens de l’humour bien à lui.

« Je sais pas si c’était grave stylé mais j’avoue qu’il y a bien que toi pour t’occuper encore de tes trucs de préfet alors que t’es à moitié dans les vapes, en PLS sur le sol. Rien que pour ça, on aurait du accorder masse de points à Poufsouffle, moi j’dis. Toujours dévoués pour la cause commune, les blaireaux ! » conclut t-il en brandissant son poing en l’air.

Tout en le regardant faire sa routine du soir avec sa crème hydratante dont Clifford lui avait déjà vanté les mérites pendant dix bonnes minutes, une fois, Elio l’écouta lui raconter sa journée. Comme souvent chez Clifford, cela se résuma à évoquer ses cours, ce qui n’était pas si étonnant quand on savait que ça composait les trois quarts de son temps. Elio ne comprenait pas toujours cette propension chez son ami à donner autant d’importance à l’école et il soupçonnait que cette tendance venait de la pression que lui mettaient ses parents, pour les avoir déjà rencontrés quelques fois. Mais Clifford mettait tellement d’entrain et semblait sincèrement intéressé par ses apprentissages alors Elio le soutenait à sa manière, en l’écoutant lui faire part de ses dernières découvertes.

« Ça, c’est grave stylé » convint-il au sujet de Zabini. « Est-ce qu’Al Majida est moins flippante maintenant que vous êtes genre douze dans son cours ? »

Il attrapa une balle rebondissante sur sa table de chevet et commença à l’envoyer contre le plafond de son lit à baldaquins, d’un geste machinal. Un petit jeu qu’il maîtrisait sur le bout des doigts, du moins quand on ne le déconcentrait pas. Or la remarque sur Megan lui fit suffisamment perdre ses moyens pour qu’il se prenne sa balle sur le bout du nez.

« Aïe ! » Il se redressa sur le lit, en renvoyant un regard incrédule à Clifford. « Mais trop chelou, pourquoi elle a dit ça ?? » Megan disait souvent des trucs étonnants et imprévisibles, elle était d’ailleurs connue dans leur promotion pour son sens de la répartie et pour ses approches, disons, très frontales. D’ailleurs, ce genre de remarques ressemblait bien à la manière dont elle draguait des mecs, parfois. Elio ouvrit grand les yeux. « Attends, tu veux dire qu’elle a dit ça en mode… un truc sexuel ? »

Et dire que Clifford annonçait ça comme si de rien n’était en se passant de la crème sur le visage. Alors que maintenant qu’il avait dit ça, Elio se posait plein de questions ! Est-ce que Megan était sérieuse ? Est-ce qu’il lui plaisait ? Oh non, il n’aimait pas trop l’idée, il l’aimait bien mais elle était un peu intimidante parfois et en plus, il avait déjà décidé de parler à Lou ! Il n’avait pas du tout envie de se retrouver dans une situation où il devait recaler Megan, ça craignait trop.

« Euh… Non » répondit t-il, un peu déstabilisé, à la question suivante de Clifford. « Enfin, pas vraiment un entraînement, c’est juste Billie qui voulait bosser ses esquives, je l’ai aidée. »

Ce qui lui avait fait du bien, après sa conversation avec Toni mais il n’était pas certain de vouloir évoquer ça avec Clifford tout de suite. Trop sensible comme sujet, pour le moment, songea t-il en s’efforçant de poser un couvercle sur les émotions qui grondaient encore.

Il y avait en revanche un autre sujet dont il voulait lui parler depuis la rentrée, sans trouver le bon moment pour le faire, parce qu’entre la reprise des cours et les sélections de Quidditch, leurs soirées à tous les deux avaient été bien occupées. Maintenant qu’ils étaient seuls dans le dortoir, c’était le moment ou jamais.

« Cliff, j’voulais te dire un truc. » Elio se redressa en tailleur sur son lit, en triturant sa balle dans sa main d’un geste nerveux. « Il s’est passé un truc avec une meuf, cet été. Une… Une meuf moldue, c’est une amie de ma cousine. »

Elio avait hésité à envoyer un message à Clifford pour lui raconter sa rencontre avec Riley. Il avait même prévu de le faire dès le lendemain de sa conversation avec Aimee mais sa cousine avait été un peu trop vive car elle l’avait invité chez son amie Kathleen avant même qu’il n’ait le temps de se faire à l’idée. Il s’était un peu laissé embarquer dans tout ça : la soirée, la rencontre avec Riley, leur premier baiser sur la terrasse, les messages qu’ils avaient échangés ensuite puis les moments où ils s’étaient vus juste tous les deux… Les jours s’étaient écoulés et, lorsqu’Elio avait ressenti l’envie de parler de tout ça avec Clifford, la rentrée approchait à grands pas. Il s’était dit qu’il le ferait en vrai, que ce serait plus facile de parler avec son pote en face à face plutôt que par message.

Il n’avait pas exactement prévu qu’il parlerait face à son visage figé dans un papier humide et suintant.

Cette vision lui tira un grand éclat de rire et il se redressa sur son lit pour lui laisser plus de place. Sans commenter l’apparence de son ami – il avait l’habitude, maintenant et il avait même déjà essayé ses masques – il se pencha vers lui et plongea sa grande main dans le sachet de bonbons que tenait Clifford pour en saisir une poignée.

« Ben… fit-il en mâchonnant un Fizwizbiz, en fait, au début, j’parlais juste à ma cousine – tu sais, Aimee – de Lou. Enfin, c’est elle qui m’en parlait plutôt, elle m’demandait si j’avais tenté un truc, tout ça. J’lui ai dit que non et là elle m’a dit « ouais, nanana, t’as mille occasions de le faire » et, bref, je te passe toute la conversation mais elle m’a dit qu’il fallait que je pécho quelqu’un d’autre. Pour… » Elio fronça les sourcils. Il ne se souvenait plus exactement des termes employés par Aimee et finit par hausser les épaules. « J’sais plus. Sur le coup, ça m’a paru pas trop con. Du coup elle m’a dit qu’elle voulait me présenter une pote à elle. »

Machinalement, ses mains retrouvèrent la balle avec laquelle il jouait un peu plus tôt et il la fit passer entre ses doigts.

« Et bref, le lendemain, elle m’propose de venir en soirée avec elle. Et là, elle me présente bah, cette meuf. Riley, précisa-t-il. Elle était vachement sympa. Genre… Drôle, jolie, le genre à pas se laisser casser les couilles par les autres. Et… J’crois qu’Aim’s lui avait parlé de moi aussi parce que bah, elle était un peu entreprenante tu vois ? Genre elle me touchait le bras, elle voulait faire équipe avec moi au beer-pong, des trucs comme ça… Du coup, on passe la soirée tous les deux un peu et… Ben, on s’est pécho sur le balcon. » Un sourire glissa sur ses lèvres à cette pensée. « Et c’était cool. Genre, vraiment cool. J’suis parti pas trop longtemps après parce qu’il était déjà une heure du mat’ et que ma mère allait m’tuer si j’rentrais trop tard. »

Il était rentré avec le sourire et sa cousine s’était grave foutue de sa gueule mais il passa ce détail à Clifford. Il reprit sur un ton un peu plus hésitant :

« Et du coup… Le lendemain, on s’envoie des messages et elle m’dit qu’elle veut qu’on se revoie. »

Avec un sourire, Elio se pencha pour checker Clifford et en profita pour replonger sa main dans le sachet de Fizwizbiz de son pote pour en reprendre une poignée.

“Nan, répondit Elio en mâchonnant un bonbon. Mais je flippais trop que ça m’arrive. Mais c’était bien...” Il laissa passer un court moment de silence avant de reprendre : “Riley, elle a capté que c’était ma première fois. J’sais pas, j’pense que j’savais pas trop quoi faire et que ça se voyait. Franchement, ça m’a un peu foutu la honte. Genre j’voulais pas lui mentir hein, mais j’avais trop l’impression que c’était une manière un peu sympa de me demander pourquoi j’étais aussi nul, quoi.” Elio en parlait plus librement maintenant mais, sur le moment, il se souvenait avoir été vraiment mortifié par la question de Riley. “Mais bon, j’lui ai dit que c’était ma première fois et elle a été vraiment cool. En fait, c’était même plutôt bien qu’elle sache parce que... Bah, c’était pas sa première fois à elle alors elle a pu m’dire un peu, bah, ce qu’il fallait faire. Enfin, se corrigea-t-il, je savais ce qu’il fallait faire, genre, dans la théorie mais euh... Enfin tu vois. Surtout que, juste avant de partir la voir, mon oncle m’a trop pris la tête. Toni, tu sais, le frère de mon père, expliqua Elio parce qu’il savait que Clifford aimait bien avoir tout le contexte. Bah, j’sais pas ce qu’il lui a pris, il s’est mis à m’appeler “fils” et à vouloir me parler de comment on fait plaisir aux femmes...” Il secoua la tête ; le simple souvenir de ce moment l’embarrassait toujours. “C’était tellement cringe, mec. Genre, vraiment, on devrait interdire aux vieux de nous parler de ça. Tout ça pour me filer des conseils de merde en plus ! Il m’a dit de caresser l’arrière du genou d’une meuf... Et le pire c’est que j’ai essayé” confessa-t-il. Il leva son index entre eux. “Et crois-moi : ça n’en vaut pas la peine.”

Mais il préférait encore mourir plutôt que d’avouer à Toni qu’il avait tenté d’appliquer ses conseils, même si c’était pour souligner à quel point ils étaient nazes. Elio avait encore une certaine forme de dignité et, surtout, aucune envie d’approcher à nouveau ce sujet avec son oncle.

“Bref mais sinon, à part ça, on a fait des vrais trucs plutôt cools, ouais.” Elio hésita un peu. Il avait envie de partager ses ressentis avec son meilleur pote mais il ne se sentait pas très à l’aise avec l’idée de disséquer son intimité et celle de Riley. Il opta pour un entre deux. “En vrai, pour moi c’était vraiment cool. Pour elle... Je crois aussi ? En tout cas, à un moment, elle m’a dit ce qu’elle aimait bien et genre, pour une fois, j’te jure que j’étais, euh, appliqué.”

En tout cas, il avait vraiment essayé. Parce que c’était Clifford, il s’autorisa à avouer :

“Mais en vrai, c’était pas facile de savoir. Genre, j’sais pas, pour un mec c’est un peu facile quoi. J’veux dire, y a des signes qui trompent pas ! Mais une meuf... En plus, tu sais comment Billie dit que les meufs simulent genre une fois sur deux. J’sais pas moi, ça m’a fait flipper, j’voulais pas qu’elle fasse semblant mais j’allais pas lui demander, trop la honte. Mais j’crois que ça a été. Enfin, je me dis que si ça avait été horrible, elle aurait plus jamais voulu me voir après ça, non ?”

Et ce n’était pas exactement ce qui s’était passé. Il restait toutefois un élément dont il était un peu moins fier et qu’il finit par livrer à son pote :

“Le seul moment vraiment gênant c’était, bah, après ? Genre j’suis là, elle est là et elle dit rien, je dis rien... Sauf que je savais pas si c’était un silence malaisant ou un silence un peu chill, tu vois ? Et là j’voulais dire un truc, un truc sympa mais mec, mon cerveau il a bugué. Et là je lui dis un truc comme “euh, merci”.” Elio souffla bruyamment en passant une main nerveuse dans ses cheveux. “Mais j’me rend compte après que c’est hyper bizarre. Genre, j’voulais pas dire ça en mode elle me devait un truc ou genre que j’la prenais pour une pute tu vois ?” Il s’agita, un peu mal à l’aise. “Donc j’essaie d’me rattraper en lui disant ça – que j’ai pas dit ça parce que je pensais qu’elle me devait un truc – et là elle m’a dit que j’étais vraiment chelou comme gars.” Elio ferma les yeux. “Et c’est vrai putain, parfois j’suis vraiment un gros blaireau.” Il se racla la gorge pour se donner contenance. “Mais bon, j’pense qu’elle disait plus ça pour se foutre un peu de ma gueule que parce qu’elle le pensait vraiment... Enfin j’espère. J’sais pas. T’en penses quoi ?”  

Elio aimait se confier à Clifford, parce qu’il lui offrait toujours une oreille attentive et des conseils sages. Il avait un regard intelligent sur les choses, il arrivait toujours mieux que lui à cerner les tenants et aboutissants d’une situation, parfois même, il comprenait Elio mieux que lui-même. Combien de fois s’était-il retrouvé à l’entendre dire « non mais si tu as réagi comme ça, c’est sûrement parce que… » et le regard d’Elio s’éclairait aussitôt. Il avait beaucoup d’admiration pour la manière dont Clifford trouvait toujours les mots précis et justes pour qualifier ce qui était flou chez lui.

En l’occurence, c’était sur le comportement de Riley que son meilleur ami lui apporta sa lumière. Elio écouta sa démonstration, en hochant la tête à certains passages. Oui, Clifford avait raison sur un point, Riley avait fait ce petit sourire amusé en disant qu’il était chelou. Elle n’avait pas eu de mouvement de recul dégoûté ou méprisant. Il avait tellement peur de paraître bête ou inadapté, parfois, qu’il oubliait de noter ce genre de détails.

« Le véritable sens est tout l’inverse de ce que je dis « Tu es peut-être un peu bizarre mais c’est ce qui fait ta singularité et c’est aussi ce que j’aime chez toi… »
-Ouais, j’vois, ouais… »

Elio hocha la tête une deuxième fois. Il n’aurait jamais utilisé ces termes-là -d’abord parce que le mot « singularité » ne lui passait jamais par la tête et franchissait encore moins la barrière de ses lèvres- mais il comprenait bien ce que Clifford lui disait.

« T’as raison, p’têt elle a juste trouvé ça drôle, en vrai. »

Il expira de soulagement. Bizarrement, alors que son existence était envahie par l’anxiété, Clifford avait le chic pour trouver les mots pour le rassurer. Sa question sur Riley, celle qui s’imposait logiquement après tout ce récit, lui fit relever la tête.

« Euh bah… Pas vraiment » répondit-il en frottant sa nuque, l’air vaguement gêné. Ils commençaient à toucher à tout ce dilemme dont Elio voulait lui parler. « Ouais on s’est revus et on continue de se parler par messages mais… On a rien acté du tout. Enfin, j’crois qu’elle serait pas contre mais… »

Il risqua un regard vers Clifford. Il devait déjà deviner ce qu’il allait lui dire. Il poussa un gros soupir.

« Mais tu sais. Y a Lou. »

Riley était une fille super sympa, jolie, pas prise de tête, sûrement volontaire pour tenter un truc avec lui. Quand Elio était avec elle, il s’amusait bien, il se sentait bien, c’était chouette. Il ne doutait pas qu’ils pourraient vivre une jolie histoire, tous les deux. Mais l’envisager ne lui faisait pas du tout le même effet que quand il se projetait dans une relation avec Lou. Il ne ressentait pas ce truc intense qui prenait tout son ventre et tout son coeur, comme quand il croisait le regard de sa camarade de maison. Comment est-ce qu’il pourrait envisager de se mettre en couple avec Riley alors qu’il était encore si fasciné par Lou ? Cela ne lui semblait pas sonner juste. Il tenta de l’expliquer dans un discours hésitant.

« En fait… J’peux pas me mettre avec Riley. » Dans une autre vie, dans un autre contexte, il aurait pu. « Parce que… Je ferais que penser à Lou, ça craint. Mec, en vrai… En vrai, j’ai un vrai truc pour elle. »

Il ne l’avait jamais affirmé à haute voix de cette manière. Lui-même ne savait pas vraiment ce qu’il en était, s’il n’était pas juste en train de fantasmer et qu’au fond, il ne voulait pas aller plus loin que ça. Au lieu de rabattre ses jambes contre lui comme il le faisait pour se rendre tout petit à chaque fois qu’il l’évoquait, cette fois, Elio se redressa en tailleur sur le matelas, d’un air décidé.

« Du coup, j’crois que j’ai envie de tenter avec elle. Genre vraiment. » Il précisait parce qu’il l’avait déjà dit les années passées, mais il l’avait dit d’une voix timide, un peu hésitante, comme un objectif trop haut pour espérer l’atteindre. Puisqu’il n’y croyait pas lui-même, il ne pouvait pas y arriver. Cette fois, son regard n’était plus le même et sa voix non plus. « J’crois que… Cette histoire avec Riley, ça m’a montré que je pouvais le faire, tu vois ? » Il s’était montré bien plus entreprenant avec elle qu’il ne s’en imaginait capable. « Et puis, je vais pas rien tenter de plus avec elle pour juste me retrouver comme un con à bégayer devant Lou, genre c’est bon. Faut que je me lance. »

Est-ce qu’il était certain de vouloir rayer Riley de sa vie ? Présentée comme ça, l’idée n’était pas très attirante. Elio avait passé de très bons moments avec elle, ils s’entendaient bien, ils avaient beaucoup ri ensemble et il la trouvait vraiment jolie. Quand il pensait à elle, ça lui faisait forcément quelque chose. En plus, elle avait été sa première fois alors il avait l’impression d’avoir partagé quelque chose de vraiment spécial avec elle. Une part de lui n’avait pas envie de renoncer à ça.

Mais il ne pouvait pas non plus renoncer à Lou. C’était bête parce que, comme Clifford le disait si bien, il ne se passait rien de concret entre eux. Mais Elio n’arrivait pas à se raisonner là-dessus, il avait un tel crush sur elle depuis deux ans que ça prenait toute la place. Il était... Il était amoureux, ouais. Clifford avait raison. Il était très amoureux de Lou et les sentiments qu’il nourrissait pour elle l’empêchaient de se projeter avec quelqu’un d’autre. Dans un autre contexte, les choses auraient sûrement été différentes.

Mais voilà, il était amoureux de Lou depuis deux ans et même son flirt avec Riley n’y avait rien changé.

Ce qui avait changé, par contre, c’était la grande résolution qu’il avait prise.

Il allait tenter quelque chose avec Lou.

Il ne pouvait pas continuer comme ça, à espérer dans son coin que quelque chose se passe. Il avait des qualités. Il était sympa. Et drôle. Et capitaine de l’équipe de Quidditch (mais il n’était pas certain que Lou soit sensible à cet argument). Et Aimee lui disait tout le temps qu’il était beau, qu’il était typiquement le genre de gars à plaire aux filles. Alors oui, il trouvait que Lou était beaucoup plus cool que lui, beaucoup plus jolie et assurée aussi. Mais il pouvait lui plaire. Il avait plu à Riley et elle était aussi très jolie et assurée.

“En vrai c’est pas con le musée, y a peut-être des expos sur les tatouages ou un truc comme ça...” réfléchit Elio à voix haute. Il n’était pas hyper branché musée – il avait des souvenirs de sorties scolaires super chiantes quand il était à l’école primaire – mais il voulait bien y aller si cela pouvait faire plaisir à Lou. Et puis, ce serait forcément plus intéressant avec elle. “En vrai, j’vais pas l’inviter tout de suite.” En croisant le regard de Clifford, il se sentit obligé d’ajouter précipitamment : “Mais j’vais l’faire, hein. Genre... Avant les vacances de Noël, c’est sûr. Mais déjà, j’veux mettre toutes les chances de mon côté, tu vois. Genre aller lui parler plus souvent, voir si on peut pas se mettre ensemble en Botanique, tout ça... Et après, je l’invite.”

Elio était très décidé et cela se voyait sur son visage. Parler de tout ça avec Cliff lui avait fait du bien, il se sentait encore plus assuré maintenant que sa décision était partagée – en plus, il était certain que son pote ne le laisserait pas faire demi-tour et serait là pour lui rappeler l’échéance des vacances de Noël (car Cliff était comme ça, il aimait quand les échéances étaient respectées.)

“Puis j’commente plus souvent ses publications sur insta aussi” ajouta-t-il après un moment de réflexion. Elle postait parfois les dessins qu’elle faisait et Elio était toujours assez admiratif du résultat mais n’osait pas toujours le manifester – il n’avait pas envie de passer pour un gros lourd auprès d’elle. Maintenant, il se sentait un peu plus libre (même s’il relisait ses mots six mois pour ne pas passer pour un gros lourd, justement.) “’Fin voilà” conclut-il en étendant ses grandes jambes dans le vide, puisque Clifford était toujours installé au pied de son lit. “Et toi ? il s’est passé des trucs pendant tes vacances que tu m’as pas dit ?”  

RP terminé