Oxytocin [PV inconnu mystérieux]

05 septembre 2023 - Hammersmith

C’était un endroit qu’on ne trouvait pas par hasard. De l’extérieur, il ressemblait aux autres maisons de la rue. Quelques marches menaient à une porte d’entrée par laquelle on aurait pu s’attendre à pénétrer dans une demeure familiale. On y aurait trouvé quelques paires de chaussures abandonnées dans l’entrée, un porte-manteau croulant sous les vestes et les écharpes, et d’autres traces d’une vie de famille classique. En réalité, rien de tout cela ne se trouvait derrière la porte, qui semblait mener directement dans l’antre du mal.

Un vestibule faiblement éclairé faisait office d’accueil, un homme silencieux assis derrière un bureau en bois sombre saluait les habitués d’un signe discret de la tête et arrêtait tous les visages inconnus. On n’entrait pas ici sans avoir signé quelques papiers, et sans avoir accepté d’être soumis au sortilège du secret, qui empêchaient les membres de donner les noms des personnes croisées ici. La confidentialité était une condition non-négociable, tous ceux qui fréquentaient les lieux tenaient à leur anonymat. Les sorciers les plus éminents de la communauté magique, le dos zébré de coups, des femmes d’affaires dont les foulards en soie dissimulaient les marques de strangulation, des pères de famille qui cachaient sous leurs chemises des traces de profondes brûlures. Des visages connus, parfois célèbres, des anonymes. Ici la fonction, le titre, l’argent, rien de tout cela n’importait. Les dominants devenaient les dominés, et vice versa.

Une fois passé le gardien des lieux, s’ouvrait un long couloir plongé dans une quasi-obscurité. Il flottait dans les airs une odeur de sueur, de sexe, de peur. On entendait alternativement, derrière les portes ouvertes ou fermées, des gémissements de plaisir, des soupirs de satisfaction, des hurlements de terreur, des râles de douleur. L’atmosphère était chargée de secrets, de honte, de désirs inavouables, de violences.

Sasha connaissait chacune des pièces de la maison, et tous les secrets qu’elles abritaient. On trouvait ici des réponses aux fantasmes les plus indécents, de ceux qu’on n’avoue pas à voix haute mais auxquels on s’abandonne dans les bras d’inconnus, partagés entre le plaisir et la honte. Beaucoup de gens ici étaient familiers avec ce sentiment de ne pas être comme les autres, d’être anormal, monstrueux. Sasha ne faisait pas exception.  

Elle était très jeune, quand elle avait commencé à trouver du plaisir dans la souffrance des autres. Elle avait ressenti des choses, face au spectacle de la violence, d’une intensité qui l’avait complètement retournée. Elle n’avait jamais pu aimer aussi fort qu’elle pouvait haïr. Elle ne se pensait pas capable d’éprouver un sentiment de désir ou d’amour aussi fort que cette envie de faire du mal, de détruire, de soumettre. Sur le spectre des sentiments, elle ne semblait pouvoir atteindre qu’une seule des extrémités.

Elle était un peu plus âgée quand elle avait compris que sa propre douleur était une source de plaisir toute aussi puissante. Elle avait besoin de susciter des émotions intenses chez les autres. Seule cette intensité la faisait se sentir vivante, puissante. Elle voulait sentir ses partenaires perdre le contrôle, était dépassés par des pulsions plus fortes qu’eux. Et si elle ne pouvait pas susciter leur amour fou ou leur dévotion, alors elle réveillerait leur haine, leur colère, et leur violence. Puisqu’elle n’était pas caressée, embrassée, désirées, elle serait menacée, violentée, frappée.

Enfant, peut-être parce qu’elle en manquait, elle avait cherché l’amour à tout prix. Elle voulait être aimée, admirée, jalousée. Elle avait envie d’être populaire, d’être désirée et choyée. Elle avait vite compris qu’elle n’excellait pas dans l’art de se faire apprécier. Les gens ne l’aimaient pas, de manière générale. Bien sûr, à force de travail et de dévotion, elle avait réussi à s’attirer la sympathie de ses professeurs et de quelques mentors, mais elle n’était pas dupe, ces gens-là ne l’aimaient pas réellement. Sa propre mère semblait ne l’avoir plus jamais aimée après son divorce. Petit à petit, elle avait intégré que c’était sûrement elle, le problème. Il devait y avoir quelque chose de non-aimable en elle. Elle n’était ni capable d’aimer, ni capable d’être aimée. Et si elle ne pouvait pas avoir l’amour et la passion, alors elle aurait la haine et la violence.

Elle avait été effrayée, au début, par ses propres envies. Elle avait tenté de faire taire ses pulsions, en vain. Elle avait fini par faire des expériences, par autoriser d’autres personnes à lui faire des choses, à lui faire du mal. Et elle avait adoré ça. Et pour se punir d’avoir aimé ça, elle avait recommencé. Elle ne savait pas exactement ce qu’elle cherchait à expier, et se violentant de la sorte, mais elle avait fini par y prendre goût.

Cela faisait des années qu’elle était une habituée du club. Et elle commençait chacune de ses visites par un passage au bar, aménagé dans une pièce qui avait dû un jour être une cuisine. Le barman commença à préparer sa commande avant même qu’elle ne se soit assise et elle le remercie d’un bref sourire quand il fit glisser vers elle son verre de cocktail. Elle le porta à ses lèvres et savoura la première gorgée de la boisson amère. Elle avait besoin de ce moment de transition entre sa vie de l’extérieure, sa vie « normale » et celle qu’elle menait entre ses murs.

En promenant son regard autour d’elle, elle reconnut quelques habitués, et repéra un homme qui lui était étranger. Il était grand et, de ce qu’elle pouvait voir sous la lumière tamisée, avait les cheveux blonds. Il portait un masque sur les yeux, ce qui arracha un sourire à Sasha. Les nouveaux faisaient souvent ça. Ils modifiaient leur apparence, recouraient à des déguisements, faisaient tout leur possible pour rester anonymes. Il leur fallait toujours un peu de temps pour comprendre qu’ici, ils étaient tous anonymes collectivement. Personne ne pouvait parler. Ils partageaient tous le secret de ce qui se passait entre ces murs.

Certains y voyaient aussi un moyen de ne pas être jugés par les autres membres, de préserver leur image, mais Sasha n’avait jamais compris cette exigence. Elle avait besoin d’être pleinement elle-même, pour pouvoir libérer la part la plus sombre de sa personnalité. Ici elle ne se souciait plus de sa réputation, ni même de sa dignité.

Elle attrapa son verre et rejoignit l’homme masqué à sa table.

"Les gens ne mettent pas de masque pour venir boire un whisky, commença-t-elle en s’asseyant en face de lui. Alors, que faites-vous de si terrible que vous devez vous cacher ?" demanda-t-elle, le regard brillant de curiosité.

Ce n’était pas une, ni deux, mais trois précautions différentes que l’homme avait prises pour ne pas être reconnu, avant de venir ici. La magie était son meilleur atout, avec le sortilège du secret imposé à l’entrée du club, doublé d’un sortilège de métamorphose qu’il avait exécuté sur lui-même pour modifier légèrement les traits de son visage. Le Polynectar aurait été plus radical mais effets étaient un peu trop imprévisibles et sa condition physique l’empêchait de toute manière de prendre ce type de potion sans l’avis d’un médicomage. Alors, il avait ajouté à sa panoplie un masque qui couvrait son regard, au moins autant pour parfaire son anonymat que pour lui permettre de se cacher derrière quelque chose, dans ce lieu nouveau et quelque peu intimidant pour lui.

Quand il pénétra dans la pièce tamisée, tapissée de lourdes tentures qui ne suffisaient guère à étouffer complètement les râles émanant des pièces voisines, l’inconnu ne regretta guère sa prudence. Il pouvait déjà reconnaître deux personnes présentes dans cette pièce, d’éminents membres du Ministère dont il évita le regard, même si eux ne pouvaient pas le reconnaître. Mais étrangement, ce masque qu’il portait sur son visage en espérant passer inaperçu parut au contraire attirer la curiosité des clients présents. À cet instant, il se rendit compte qu’il était le seul à en porter dans ce bar et ne put s’empêcher d’en ressentir un léger malaise.

Malaise qu’il tenta d’étouffer en allant chercher le refuge familier de l’alcool. Il n’était pas encore bien certain de trouver ce qu’il recherchait ici mais ce qui était certain, c’est que l’établissement avait les ressources de s’offrir d’excellentes bouteilles, jugea t-il en goûtant son whisky. Perdu dans ses pensées, il n’aperçut pas la femme qui s’approchait de lui, avant d’entendre sa voix. Un léger frémissement de surprise le saisit, alors qu’il tournait les yeux vers elle.

Évidemment, il la reconnaissait. Sasha Benson faisait partie des têtes qu’on n’oubliait pas. Même s’il ne pouvait pas dire qu’il la connaissait vraiment, il avait quelques souvenirs et informations sur elle. Major de promo à Serpentard, une carrière fulgurante au Département des Mystères. Un débat lointain avec elle, en soirée, une fois.

Impossible d’imaginer qu’elle puisse se retrouver dans un tel endroit. En même temps, la réciproque serait sûrement vraie si Sasha savait qui il était et il fut un peu soulagé de contrôler cette information pour le moment, face à elle. Ce petit avantage sur elle lui offrit juste assez d’assurance pour rappeler à lui sa répartie et faire mine qu’il était plus à son aise qu’il ne l’était vraiment :

« Rien du tout. Je profite juste du luxe de savoir qui sont les gens ici pendant qu’ils ne savent pas qui je suis. »

Est-ce qu’elle se serait rappelé de lui comme il se rappelait d’elle, s’il n’avait pas eu tous ces artifices sur lui ? se demanda t-il.

Sasha arqua un sourcil, intriguée par la réponse de l’homme masqué. Il semblait prendre un certain plaisir à connaître l’identité des gens qui l’entouraient, tout en préservant la sienne.

"Parce que vous savez qui je suis ?" s’enquit-elle avec un sourire en coin.

Elle était loin d’être la personne la plus célèbre de la pièce et, si son interlocuteur la connaissait, il y avait de fortes chances que la réciproque soit vraie. Le fait qu’elle se montre à visage découvert alors qu’il se cachait derrière un masque lui donnait peut-être l’impression d’avoir un avantage sur elle. Cela ne la dérangeait pas. Elle avait d’autres avantages, à commencer par son expérience ici.

Il n’y avait qu’un débutant pour penser qu’un masque le protégerait et l’empêcherait de dévoiler ses secrets. On ne connaîtrait peut-être pas son nom, mais s’il poussait la porte d’une des pièces voisines, s’il acceptait de rentrer dans le jeu, il ne pourrait plus se cacher. On trouverait ses peurs les plus secrètes, ses désirs les plus honteux, on le ferait hurler, jouir, pleurer, supplier. Peu importait son identité, ici elle n’avait aucune importance. Seul comptait ce qu’il était à l’intérieur, et qui finirait par sortir, qu’il le veuille ou non.

Sasha but lentement une gorgée de son cocktail, en savoura les notes amères de gin et d’orange, avant de reposer son verre sur la table et de se pencher vers son interlocuteur, amenant son visage à seulement quelques centimètres du sien.

"Vous finirez par retirer vos déguisements, souffla-t-elle dans un murmure. Il était évident qu’un sorcier ne se serait pas contenté d’un simple loup noir pour préserver son identité, et elle était certaine qu’il avait aussi eu recours à des artifices magiques. De gré ou de force."

Elle aimait bien traumatiser les nouveaux. Elle-même avait été un peu impressionnée, lors de ses premières visites, avant de réaliser que la peur faisait partie de l’expérience. On venait ici pour avoir peur, pour avoir le sentiment que tout pouvait arriver, qu’on ne contrôlait plus rien. Ce n’était pas complètement vrai, évidemment. Il y avait des règles à respecter, et il suffisait d’un mot pour tout arrêter. Le fameux safe word. Personne ne l’utilisait jamais, en tout cas pas de l’expérience de Sasha. Il était parfois là, au bord des lèvres, prêt à s’échapper, mais on le retenait. Par fierté, par défi, par folie.

Non, on ne forçait jamais personne à faire quoi que ce soit ici, c’était contraire aux règles (le consentement c’est important). Ou plutôt, on ne forçait que ceux qui acceptaient de l’être. Et quelque chose faisait dire à Sasha que son interlocuteur faisait peut-être partie de ces gens-là.

Elle tendit la main pour attraper son masque. L’homme eut un léger mouvement de recul, presque comme un réflexe, mais ne cherchait pas à se dégager. Voyant qu’il ne réagissait pas davantage, Sasha remonta son masque sur son front, puis le fit glisser par-dessus sa tête pour dévoiler son visage. Ses traits ne lui étaient pas familiers, pourtant elle ressentit une étrange impression de déjà-vu en croisant son regard.

"On s’est déjà vus", constata-t-elle simplement.

Le masque sur les yeux de l’inconnu ne cacha guère le petit sourire qui se glissa sur ses lèvres. Cette situation était nouvelle et un peu intimidante pour lui, mais il avait un tout petit peu de contrôle dans cette situation et cela l’aidait à garder la face.

« Bien sûr. » Il ajouta, sans ambages : « Miss Benson. »

De ce qu’il percevait chez la jeune femme, elle semblait n’avoir aucun problème avec le fait d’être reconnue ici et elle se mouvait avec une grande aise, comme si elle connaissait parfaitement bien les lieux. D’ailleurs, elle l’avait très vite identifié comme un nouveau, ce qui prouvait son expérience ici. Depuis combien de temps ? s’interrogea t-il. Sasha était un peu plus jeune que lui, pas assez pour qu’il ne se souvienne pas d’elle à Poudlard, pas alors qu’ils avaient passé leur scolarité à Serpentard, tous les deux.

Il ne fallait sans doute pas grand-chose pour que Sasha devine qui il était, songea t-il en reprenant une gorgée de son whisky. Il n’était pas certain d’avoir envie qu’elle le sache tout de suite. Évidemment, Sasha, elle, ne cachait pas sa curiosité et il dut s’efforcer de soutenir son regard sans vaciller quand elle s’approcha très près de son visage, comme pour tenter de lire dans ses yeux. Elle fit une déclaration qui se rapprochait d’une menace, laissant l’homme silencieux.

Un jeu était en train de s’installer, un jeu qui avait quelque chose d’inconfortable et de plaisant à la fois.

Par fierté plus qu’autre chose, malgré son mouvement réflexe de recul, il ne se déroba pas, alors qu’elle lui ôtait son masque. Malgré son regard défiant que révéla le masque, l’homme sentit son coeur cogner avec force dans sa poitrine et son pied s’agiter sous la table. Est-ce qu’elle pouvait le reconnaître de cette manière, malgré le sort de métamorphose qu’il avait appliqué sur lui-même ? Il y avait des choses que même la magie ne pouvait pas modifier. Ce fut un peu de ce quelque-chose là qui poussa Sasha à affirmer une vérité.

Il eut un frisson.

Il avait presque envie de voir si elle pouvait deviner par elle-même. La Sasha dont il se souvenait avait une bonne mémoire et une intelligence acérée, qu’il s’était plu à mettre à l’épreuve.

« J’aurais difficilement pu vous reconnaître si on ne s’était pas déjà vus, après toutes ces années… » glissa t-il, comme un léger indice.

Sasha avait déjà croisé ce regard, elle en était certaine. Les traits de l’homme assis face à elle, même débarrassés du masque qui les avait dissimulés jusqu’à présent, ne lui étaient pas familiers, pourtant elle était certaine qu’ils s’étaient déjà vus, ce qu’elle ne tarda pas à verbaliser. L’homme confirma ses soupçons, et ajouta que cela faisait de nombreuses années. Sasha haussa les sourcils, intriguée. Cela faisait une dizaine d’année qu’elle était entrée au Ministère, c’était donc potentiellement quelqu’un qu’elle avait côtoyé au début de sa carrière, ou même avant.

Sans qu’elle ne sache vraiment pourquoi, l’idée qu’il s’agisse de quelqu’un qu’elle avait connu à Poudlard la dérangeait un peu. Ses années d’école n’avaient pas été les plus heureuses de sa vie et elle estimait avoir beaucoup changé depuis. Elle était plus épanouie aujourd’hui, plus en phase avec elle-même. Elle n’avait pas vraiment envie que son interlocuteur lui renvoie l’image de l’adolescente qu’elle avait été.

Elle devait bien admettre qu’elle était assez curieuse de découvrir l’identité de cet homme mystérieux, mais elle n’était pas prête à y perdre sa soirée. Si elle avait voulu bavarder avec un ancien camarade de promotion, elle aurait pu aller dans n’importe quel pub de Londres. Sasha avait un emploi du temps très chargé et son plaisir, comme tous les autres aspects de sa vie, était minutieusement organisé. Elle venait ici dans un but précis et ne s’attardait jamais sans raison. Si elle passait par le bar, c’était uniquement pour s’accorder quelques minutes de transition entre la fin de sa journée de travail, et le début de ses activités extraprofessionnelles.

"J’aimerais beaucoup que vous m’en disiez un peu plus sur notre dernière rencontre, il y a des années, mais je ne suis pas vraiment venue pour bavarder," répondit-elle avec un faux sourire d’excuses.

Sasha porta son verre à ses lèvres et savoura les dernières gorgées de son cocktail au goût délicieusement amer. Elle reposa son verre vide sur la table se leva, sans s’éloigner tout de suite.

"Et vous ? s’enquit-elle avec un regard de défi pour l’homme démasqué. Vous m'accordez une nouvelle chance de vous laisser un souvenir mémorable ?"

C’était aussi un moyen de reprendre l’avantage sur cet inconnu dont elle ne savait rien mais qui connaissait son identité à elle. Ils n’avaient pas dû bien se connaître, dans le passé, sinon elle l’aurait reconnu. Mais s’il acceptait de la suivre, elle en saurait plus sur lui que ses amis les plus proches, peut-être même plus que lui-même. Sasha avait déjà exploré les recoins les plus sombres de son propre cerveau, elle avait vu la noirceur de son âme en face, mais elle avait l’impression que ce n’était pas encore le cas de cet homme en face d’elle. Et elle avait très envie de le guider dans cette découverte.

Il avait piqué l’attention de Sasha Benson, il le voyait à la manière dont elle le regardait. Il supposa qu’elle allait se prêter à ces devinettes qu’ils avaient commencé à engager mais à la place, elle fit une déclaration que l’inconnu n’attendait pas. Elle se leva de son siège et déclara qu’elle n’avait pas de temps pour s’épancher en bavardages et l’homme crut un instant qu’elle allait le planter là, ce qui généra chez lui une certaine frustration.

Bizarrement, le fait de connaître quelqu’un dans ce lieu nouveau et secret le rassurait un peu et il n’avait pas forcément envie de la laisser partir.

Alors quand elle se ravisa pour lui lancer une dernière perche, l’homme leva son regard masqué vers elle. Tiraillé entre une envie de prendre un peu plus son temps et celle de faire ses preuves dans cet endroit où tout le monde semblait très à l’aise, il finit par écouter son orgueil. Il se leva à son tour, révélant les bons vingt centimètres qu’il mesurait de plus qu’elle. Mais même dans cette posture, ils savaient tous les deux que celle qui tenait les rênes à cet instant, c’était elle. Dans une vague tentative de reprendre un peu de contrôle à son tour, il afficha un sourire énigmatique.

« Je vois que tu as toujours autant confiance en toi… » Laissant tomber le vouvoiement, étant donné ce vers quoi ils s’acheminaient, il poursuivit : « C’est toi qui connais les lieux, je te suis. »

Ils quittèrent le bar en laissant quelques mornilles sur la table et revinrent dans ce long couloir qui menait au vestibule de l’entrée ; un passage obligé pour tous les visiteurs, comme pour éveiller leurs sens et leur donner un aperçu de ce qu’ils étaient venus chercher. L’homme avait ressenti un frisson en le traversant tout à l’heure, sans trop savoir si c’était une sensation agréable ou non. Cette fois, il se sentit plus fébrile encore, animé d’une vive curiosité, dans ce couloir contenu et feutré où résonnaient râles de plaisir et de douleur mêlés. Quelques portes restaient partiellement ouvertes, comme pour inviter les voyeurs à venir y glisser un oeil et il ne s’en priva pas, en passant.

Sasha jeta son dévolu sur une porte surmontée d’un numéro sept doré. Elle la poussa d’une main affirmée avant de la refermer derrière eux. L’homme s’avança dans la pièce, laissant ses yeux courir autour de lui. Il eut la sensation de se retrouver dans un lieu très organique, où tout était chaud, feutré, intime, contenu entre ces murs recouverts de tapisseries sombres, éclairé faiblement de bougies qui flottaient dans les airs, accueillant un grand lit au matelas épais, recouvert de couvertures pourpres. On aurait presque pu s’y sentir comme dans un confortable cocon s’il n’y avait pas autant d’accessoires proches de la torture dans chaque recoin de la chambre. Des menottes en lévitation, une grande cage aux barres dorées, des ceintures qui rampaient au sol, des fouets dont les lanières animées d’un sortilège bougeaient comme des tentacules.

Il ne mettait pas tout à fait les pieds dans l’inconnu, il avait vu des images avant de venir. C’était toutefois une sensation tout à fait différente de s’y retrouver réellement, en présence d’une femme bien décidée à utiliser tous ces accessoires autour d’eux.

S’il voulait faire demi-tour, c’était le moment, songea t-il. Il s’offrit un instant de répit pour examiner ce qui se passait en lui. Bien sûr, il appréhendait, comme devant toute situation inconnue qu’il ne maîtrisait pas. Mais il savait pourquoi il était ici, pourquoi il ressentait ce besoin de chercher des sensations fortes, d’éprouver son corps par toutes ses coutures, de le sentir vivre et exister, de flirter avec ses limites. Ce besoin n’avait pas changé et même, il se manifestait comme un feu dévorant et sonore, maintenant qu’il se trouvait ici, à quelques pas de le satisfaire.

Il n’y avait qu’une seule petite dernière réserve.

Il tourna la tête vers Sasha.

« Ça te convient si je garde mon masque ? »

Une dernière petite barrière à son anonymat qui allait se fissurer très vite dans les prochaines minutes.

Sasha ne chercha pas à dissimuler son sourire satisfait en voyant son interlocuteur se lever. Il était bien plus grand qu’elle, pourtant sa stature ne l’impressionnait pas vraiment. Tout, dans son attitude, trahissait son manque d’expérience dans ce genre d’endroits. Il se laissa guider hors du bar et dans le couloir qui menaient aux différentes salles. Sasha jeta son dévolu sur une pièce qu’elle n’avait pas fréquenté depuis un moment, mais qui ne devrait pas trop le dépayser puisqu’elle ressemblait davantage à une chambre qu’à une salle de torture ou d’opération, contrairement à certaines des autres salles.

Elle prit soin de refermer soigneusement la porte derrière eux. Elle ne le faisait pas toujours -certains aimaient bien regarder- mais elle avait le sentiment que l’homme masqué préfèrerait se protéger des regards. Comme pour confirmer cette intuition, il lui demanda s’il pouvait garder son masque. Sasha lui avait déjà retiré le loup qu’il portait sur les yeux à son arrivée mais comprit qu’il faisait référence aux artefacts magiques qu’il avait dû utiliser pour modifier son apparence. Ainsi, elle n’avait pas fait tomber tous ses masques, pour l’instant.

"Si tu veux, répondit-elle en adoptant à son tour le tutoiement. C’est quoi ton code ?"

Le fameux safe-word, obligatoire ici. Une porte de sortie que personne n’ose emprunter. Un simple mot pour mettre fin au supplice, pour reprendre le contrôle, et qu’on se refuse pourtant, par fierté ou par folie. En toute franchise, elle espérait qu’il ne s’en servirait pas. Elle détestait perdre son temps avec des débutants qui se dégonflaient à la moindre égratignure.

Sasha ne trouvait pas simplement du plaisir dans la douleur des autres, c’était plus complexe que ça. Elle n’aimait pas particulièrement voir les autres souffrir. Ce qu’elle aimait, c’était être à l’origine de cette douleur. Elle aimait le pouvoir. Elle aimait l’absence de limite. Elle aimait tenir la vie des autres entre ses doigts. Elle aimait qu’on la supplie, qu’on la déteste, qu’on l’adore. Elle aimait déchainer chez ses partenaires des vagues de haine et de colère, aussitôt balayées par des ondes de satisfaction et de plaisir.

Elle avait compris très jeune qu’elle aimait faire du mal aux autres. Trop jeune, peut-être. Elle avait quinze ans quand elle avait regardé avec fascination Ahren Keller se tordre de douleur sous les sortilèges d’Alessandro, et elle était à peine plus âgée quand elle avait osé interpréter ce qu’elle avait ressenti comme une forme de désir. Dix ans s’était écoulé depuis la première fois qu’elle avait poussé la porte d’un club comme celui-ci. Elle en connaissait les codes par cœur, mais ce n’était pas le cas de son interlocuteur qui observait la pièce, étrangement silencieux.

"Dépêche-toi d’en trouver un avant qu’il ne soit trop tard."

Joignant le geste à la parole, elle se planta face à lui et lui attrapa les poignets qu’elle plaça dans son dos en l’entourant de ses bras. D’un coup de baguette, elle les emprisonna dans une corde magique qu’elle savait trop serrée. Ses mains effleurèrent alors quelque chose, dans son dos. Une fine structure métallique, qui descendait le long de sa colonne vertébrale et semblait se poursuivre autour de ses jambes, sous ses vêtements.

Le regard d’acier de Sasha s’illumina d’un bref éclair de compréhension mais elle ne dit rien et se contenta d’agiter à nouveau sa baguette. Un sourire mauvais passa sur son visage alors qu’elle mettait le feu à la corde magique qui retenait les poignets de son partenaire, et qui était bien évidemment résistante aux flammes.


Il s’était montré étonnement résistant, pour un nouveau, songea Sasha alors qu’ils se rhabillaient en silence. Il avait une tolérance à la douleur assez intéressante, notamment due à sa condition physique. Elle espérait qu’ils auraient l’occasion d’en tester les limites lors d’une prochaine occasion. Elle était restée plutôt sage cette fois-ci, pour ne pas lui faire peur, et n’avait pas demandé qu’ils inversent les rôles, ce qui la laissait toujours un peu frustrée.

Pendant des années, pourtant, elle s’était contentée de son rôle de tortionnaire et de dominatrice. Elle avait compris plus tard qu’elle prenait autant de plaisir à être contrainte qu’à contraindre, si ce n’était plus. Elle avait mis du temps à s’avouer à elle-même qu’elle avait besoin qu’on lui fasse mal, qu’on la méprise, qu’on l’humilie.

Cela n’avait pas été le cas ce soir, mais il y aurait peut-être d’autres occasions…

Elle s’approcha d’un miroir pour se recoiffer et aperçut, dans son dos, les traces de brûlure qui zébraient le dos de son partenaire jusque dans sa nuque.

"Il faudra camoufler ça avant de retourner à la banque… Monsieur Marchebank."

Dave tremblait encore quand il se mit à ramasser ses vêtements échoués au sol. Son corps endolori se manifesta à lui à chacun de ses mouvements, d’une manière qui lui donnait presque le vertige. Il ferma les yeux pour mieux appréhender cette sensation.

C’était ce qu’il était venu chercher. Eprouver son corps jusque dans ses extrêmes limites. Se prouver qu’il pouvait faire ce dont personne ne l’imaginait être capable. Sentir chaque parcelle de sa peau et en particulier les zones qui avaient été touchées par son accident à Leopoldgrad.

20% de récupération de sensations sur le bas de son ventre, 7% sur ses jambes. C’était le score que la médicomagie, mêlée des progrès technomagiques, avait permis à Dave d’atteindre après douze années de soins et de rééducation. Un miracle, disaient les professionnels, ravis de le voir réagir si positivement aux traitements expérimentaux.

Des chiffres ridiculement bas, songeait Dave, frustré de ne pas pouvoir retrouver pleinement les fonctions de son corps, malgré les sommes astronomiques d’argent qu’il investissait dans son rétablissement.

La seule chose qui avait généré un réel soulagement chez lui, c’était cette fine prothèse greffée au centre de sa colonne vertébrale, qui venait assurer la fonction motrice perdue par ses vertèbres brisés. Retrouver la possibilité de marcher avait fait plus de bien à sa santé mentale, selon lui, que deux longues années de psychothérapie. « Apprendre à vivre avec » son handicap, « l’accepter comme une part de lui », comme sa psychomage le lui suggérait, très peu pour lui. Si tôt qu’il avait eu vent de programmes de recherche expérimentale mêlant médicomagie et technomagie, Dave avait mis fin à ses séances de psy pour investir son temps et son argent à suivre les progrès de ces nouvelles structures. La foi en la science, c’était tout ce qui l’avait toujours porté dans sa vie et elle lui avait redonné un peu d’espoir.

Evidemment, cette prothèse n’était qu’un palliatif qui ne fusionnait pas réellement avec son corps ; quand Dave devait la retirer prothèse pour la changer ou la re-calibrer, il était forcé de retourner dans sa bonne vieille chaise roulante. Si quelque chose devait briser accidentellement ce petit morceau de métal imprégné de puissants sortilèges, il se retrouverait à terre, incapable de faire autre chose que de ramper. Et surtout, s’il pouvait faire avancer son corps par sa seule volonté, il n’avait pas encore retrouvé quelque chose d’aussi important, si ce n’était plus.

Le bonheur d’un frisson inattendu sur la surface de sa peau, la brûlure d’une main qui passe sur ses cuisses, la tension insoutenable du désir. La pleine appréciation des délices du contact humain, en somme.

Depuis la supercherie dont il avait été victime par la faute de son père qui avait cru bon de lui envoyer à son insu une prostituée payée par ses soins, Dave répugnait plus que tout à s’acheter ce genre de services. Et pourtant, faute d’autres opportunités, parce qu’on ne pouvait pas dire qu’il charmait les foules et qu’il inspirait l’envie de romance, ni même qu’il se sentait capable à accorder assez de confiance à quelqu’un pour s’engager dans une relation amoureuse après les multiples trahisons qui parsemaient son histoire, Dave s’y était résolu, quelques fois. Et il en retirait surtout une sensation de frustration, voire dégoût, rien qui n’améliorait son estime de lui-même.

Aujourd’hui était peut-être la première fois que Dave retrouvait ce sentiment après lequel il courait si désespérément ces dernières années, sans réussir à l’atteindre tout à fait malgré sa fortune et sa renommée.

Une grisante sensation de puissance.

Pourtant, il avait été sous le joug de Sasha qui s’était montré impitoyable avec lui. C’était tout à fait étrange et paradoxal. Dave ne savait pas encore comment l’expliquer mais ce jeu de domination mêlé de plaisir sexuel qu’ils venaient d’expérimenter ensemble ne lui donnait pas du tout la sensation d’avoir été humilié. Plutôt d’avoir repris un peu de pouvoir sur quelque chose qu’il pensait perdu.

Tout à ses pensées, confus dans ses émotions et ses réflexions, il resta silencieux pendant qu’il se rhabillait. Sasha fut la première à briser le silence et par là-même, le semblant de masque qu’il portait. Il suspendit brièvement ses gestes puis d’un mouvement sec replaça sa chemise sur son dos pour cacher ce qui avait trahi son identité.

Il n’était pas fondamentalement surpris. Il savait qu’il avait laissé trop d’indices pour qu’un esprit brillant et bien informé comme celui de Sasha ne puisse pas recoller les morceaux. Il tourna vers elle son visage transformé, plus beau que celui qui lui appartenait réellement -tant qu’à se métamorphoser, il en avait profité pour gommer ses complexes et se faire apparaître comme plus séduisant.

Est-ce qu’il était contrarié qu’elle l’ait identifié ? Pas tout à fait, se rendit t-il compte. Alors qu'il était entré dans cette chambre avec la peur d’être reconnu, ce qu’il venait de partager avec elle le poussait à revoir un peu sa posture. Ce n’était pas seulement sexuel et ce n’était certainement pas amoureux. C’était plus intime encore, d’une certaine manière. Ils s’étaient autorisés mutuellement à explorer des parts dissimulées d’eux-mêmes, et même inconnues en ce qui concernait Dave. Et Sasha n’avait pas trahi ses attentes et sa confiance ; aussi brutale s’était-elle montrée, elle s’était attachée à trouver ce qui lui donnait du plaisir.

Et surtout, elle en avait trouvé elle aussi et cette délicieuse réciprocité, Dave ne l’avait plus éprouvée depuis un moment maintenant.

Il ne défit pas l’illusion qui cachait encore son visage -il n’avait pas forcément envie que d’autres membres du club le reconnaissent pour le moment- mais il ne démentit pas Sasha.

« Je ne suis pas trop mauvais en camouflage, ça tombe bien » répliqua t-il en récupérant sa baguette magique laissée sur une table.

Tout à fait habillé, il s’approcha de Sasha qui terminait de se recoiffer devant son miroir. Il était venu sans savoir exactement à quoi s’attendre et il en ressortait avec la certitude qu’il ne pouvait pas s’arrêter là. Il attendit de retrouver le regard de la jeune femme pour lui faire une demande qui révélait ses intentions :

« Tu viens par ici à quelle fréquence ? »

Sasha se contenta d'un léger sourire pour répondre à l'affirmation de Dave selon laquelle il n'était pas mauvais en camouflage. Elle ne pouvait pas le contredire. Sans la fine prothèse fixée au creux de son dos, elle ne l'aurait certainement pas reconnu. Maintenant qu'elle connaissait son identité, bien sûr, elle lui semblait évidente. Elle reconnaissait ses yeux, sa voix, sa façon de parler, sa stature, mais c'était bien plus facile à dire une fois qu'on avait la vérité sous les yeux.

Sur le moment, elle avait été plutôt surprise par la découverte de son identité, même si elle avait essayé de ne rien laissé paraitre, pour ne pas briser la tension entre eux. Elle ne connaissait pas assez Dave pour avoir des a priori sur sa vie sexuelle, mais il n'était pas quelqu'un qu'elle se serait attendue à croiser ici. Il lui était toujours apparu comme un garçon brillant mais calme, très cérébrale, pas du tout porté sur la violence. Quelqu'un de raisonnable. De normal.

A bien y réfléchir, c'était probablement l'image qu'elle renvoyait elle aussi, auprès de ceux qui ne la connaissait pas. Et c'était certainement le cas de tous les habitués du club. Aux yeux du monde ils étaient des parents exemplaires, des employés modèles, des collègues de confiance, des époux dévoués. Il n'y avait qu'entre ces murs qu'ils pouvaient laisser s'exprimer leur part d'ombre, qu'ils pouvaient avouer leur fantasmes, et rechercher ce dont ils avaient réellement besoin sans craindre d'être jugé.

Cela rapprochait, de partager ce genre d'expérience. C'était encore plus intime qu'un simple rapport sexuel, parce qu'il y avait cette conscience d'avoir partagé avec l'autre quelque chose de secret, quelque chose que personne d'autre ne pouvait comprendre, ni même imaginer. Sasha avait été surprise plus d'une fois par la force de l'intimité qui se créerait après chacune de ses visites ici. L'autre vous avait vu si pleinement vous-même, si terriblement nu et vulnérable, qu'il était facile de se sentir accepté et compris par ce qui était en réalité un parfait étranger avec les mêmes vices que vous.

Elle avait appris à se méfier de ce moment qui invitait dangereusement à la confidence, et à ne surtout pas prendre pour de l'amour ce qui n'en était pas. Elle cherchait toujours à conserver une certaine distance avec les personnes qu'elle rencontrait ici. Elle ne passait jamais la nuit avec ses partenaires, ne les fréquentait pas en dehors du club, et ne partageait rien de sa vie quotidienne avec eux.

Elle suivit le reflet de Dave dans le miroir alors qu'il approchait dans son dos et se retourna quand il arriva à sa hauteur. Sa question trahissait ses intentions, et dévoilait une envie de renouveler l'expérience qui flattait l'égo de Sasha. Elle avait donc été une bonne initiatrice.

C'était la première fois que le rapport de force entre eux penchait en sa faveur. A l'époque où ils étaient à Poudlard, Dave était plus âgé qu'elle, plus cultivé et mieux né. Aujourd'hui leur différence d'âge n'avait plus d'importance, elle avait une carrière aussi prestigieuse que la sienne, et un nom de famille parfaitement inconnu, qui valait mieux que celui d'un ancien ministre déchu. Et surtout, elle était une habituée dans ce milieu qu'il découvrait à peine. C'était une position plutôt agréable, mais elle espérait toutefois qu'il ne lui céderait pas le terrain trop facilement. Ce qu’elle préférait dans le pouvoir, c’était la lutte pour l’obtenir.

"Toutes les semaines, répondit-elle tranquillement, comme s'il lui avait demandé à quelle fréquence elle prenait des cours de danse. Et toi, tu penses revenir bientôt ?"

Les gens avaient parfois besoin d'un petit temps de réflexion avant de recommencer. Le temps nécessaire pour réaliser qu'ils avaient aimé ce qui s'était passé, pour surmonter leur honte, et pour s'avouer qu'ils avaient envie de recommencer. Dave lui semblait néanmoins être déjà arrivé au bout de cette introspection, ce n'était pas surprenant? Il réfléchissait vite.

"Qu'est-ce qui t'a amené ici ?" se risqua-t-elle à demander en accrochant son regard de ses yeux clairs.

Si elle rechignait à trop se confier à ses partenaires, Sasha aimait en revanche les questionner. Elle trouvait très intéressantes toutes les raisons qui pouvaient amener des personnes apparement équilibrées à vouloir se faire du mal, ou faire du mal aux autres.

Toutes les semaines. Dave hocha la tête, en s’accordant quelques secondes de réflexion. Cela lui semblait bien comme fréquence ; ni trop court, ni trop long. Pour le moment il n’avait pas forcément envie de chercher une autre partenaire dans ce club. Sasha lui avait apporté ce qu’il recherchait et il ne se sentait pas encore assez confiant ou connaisseur de cette nouvelle pratique pour prendre le risque d’aller chercher ailleurs. La question était : est-ce que Sasha partageait la même envie ?

Il laissa transparaître ses intentions en répondant :

« Je pourrais venir une fois par semaine aussi. »

Du coin de l’oeil, il guetta les réactions de Sasha mais elle préféra l’interroger sur un autre sujet. Cette fois, Dave garda un bref silence. Ce n’était pas le genre de question à laquelle il pouvait répondre en une phrase, s’il voulait être honnête. Il n’avait pas forcément envie de lui partager tout son cheminement, bien trop personnel pour qu’il le divulgue si vite. Il ignorait s’il le dirait un jour, d’ailleurs ; ça dépendait beaucoup de comment évoluerait leur relation dans les semaines à venir.

Alors il répondit quelque chose d’assez évasif, qui n’était ni faux ni honnête :

« Une envie de nouveauté. Voir jusqu’où je pourrais aller. »

Il enfila sa veste par-dessus sa chemise et planta son regard dans celui de Sasha, en cherchant ses mots. Peut-être que le mieux dans cette situation était encore de jouer franc-jeu, songea t-il.

« Ça te dirait qu’on se revoie ici la semaine prochaine ? »