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I will follow you way down wherever you may go [Joséphine & Ignacio]

Joséphine Walker
Joséphine WalkerProfesseur de danse
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I will follow you way down wherever you may go [Joséphine & Ignacio] - Page 2 Icon_minitimeVen 16 Fév 2024 - 10:40
Joséphine assistait aux échanges entre Ignacio et Louise, un sourire aux lèvres. L'idée d'imaginer son père avec une masse de cheveux bouclés semblait faire beaucoup rire la fillette, qui l'encouragea d'ailleurs à les laisser pousser. Elle hocha la tête en réponse à la question de sa fille.

"Oui, mais jamais avec beaucoup beaucoup de cheveux. Joséphine n'avait jamais connu Ignacio avec une coupe afro, mais il lui était arrivé de laisser pousser un peu ses cheveux, quand Louise était plus jeune.
- J'aurais bien aimé voir moi aussi ! se lamenta Louise en s'installant sur la chaise que sa mère lui désignait et en lui tendant sa brosse à cheveux.
- On a des photos...
- Oh oui ! La fillette pivota sur sa chaise pour tourner un visage ravi vers sa mère, qui hocha la tête. Je peux voir les albums ?
- D'accord, mais reste droite, sinon tu vas avoir des tresses de travers.
- Promis !"

Joséphine agita sa baguette et deux albums photos quittèrent une étagère du salon pour se poser sagement sur les genoux de la fillette, qui ouvrit le premier précautionneusement, comme s'il s'agissait d'un manuscrit très ancien. Ses yeux se posèrent immédiatement sur une photo de mariage de ses parents, et elle ricana en les voyants s'embrasser sur un autre cliché.

"Vous étiez trop beaux ! s'exclama-t-elle avant de se reprendre précipitamment. Enfin vous êtes toujours beaux hein ! C'est moi là ?" Elle pointa une photo de son père et elle prise quelques jours après sa naissance.
- Oui, quand étais tout bébé, tu étais encore à l'hôpital. Et tu vois que Papa avait des cheveux ! Joséphine sépara l'épaisse chevelure de sa fille en deux et commença à tresser la moitié droite.
- Et toi t'étais où maman ? Louise fit tourner quelques pages de l'album, cherchant une photo d'elle bébé dans les bras de sa mère, ce qu'elle ne trouva pas.
- J'étais à l'hôpital aussi, mais pas au même endroit.
- Pourquoi ?
- Et bien...toi tu étais à l'endroit où ils soignent les tous petits bébés, quand ils sont malades, et moi j'étais à l'endroit où les mamans se reposent, après l'accouchement.
- J'étais malade ? s'inquiéta la fillette en voulant se retourner sur sa chaise.
- Reste droite Loulou...
- Pardon ! s'excusa la fillette en se redressa sur sa chaise et en tournant les yeux vers son père. J'avais quoi ?"

***

Joséphine laissa échapper un soupir de découragement face à la réponse prévisible d'Ignacio et baissa la tête alors qu'il caressait doucement sa joue. Elle aurait voulu s'accrocher à ses paroles rassurantes, se laisser convaincre par ses arguments rationnels, mais elle n'y arrivait pas. Elle entendait ce qu'il lui disait, mais cela ne suffisait pas à effacer cette intuition que quelque chose n'allait pas.

Elle laissa échapper un bref éclat de rire, à mi-chemin du sanglot, quand Ignacio souligna qu'elle n'avait pas eu de vision indiquant qu'elle tomberait enceinte. Il avait raison, elle n'avait eu aucune vision de cette deuxième grossesse. Elle l'avait même découverte avec quatre mois de retard. Loin de la rassurer, cela la conforte dans le fait qu'il y avait quelque chose qui clochait avec cette grossesse, depuis le début. L'univers tout entier semblait lui crier qu'elle ne devrait pas être enceinte. Et elle avait du mal à ne pas l'écouter, surtout quand son corps et son esprit s'alliaient pour lui faire sentir qu'ils ne voulaient pas de cette grossesse.

Elle avait envie de surenchérir, pour qu'Ignacio la prenne au sérieux. Elle voulait lui expliquer que c'était plus qu'une simple intuition et qu'elle avait un très mauvais pressentiment, mais elle craignait que toute insistance de sa part soit prise pour de l'acharnement. Comme si elle voulait que les choses se passent mal. Elle se sentait complètement prise au piège, de cette grossesse, et de ses pensées noires qui lui embrouillaient l'esprit.

"Ok, capitula-t-elle sans grand conviction en ravalant ses larmes. T'as raison."

Elle n'en croyait pas un mot mais elle ne savait plus quoi dire qui ne la fasse pas passer pour une folle ou pour une horrible personne. Elle ne pouvait qu'attendre. Attendre que ce drame qu'elle sentait arriver leur tombe dessus.


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Ignacio Walker
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I will follow you way down wherever you may go [Joséphine & Ignacio] - Page 2 Icon_minitimeSam 17 Fév 2024 - 23:23
Louise trouvait évidemment très amusant d’imaginer son père avec des cheveux – cette ingrate – et demanda immédiatement à consulter les albums photos où elle pourrait admirer cette curiosité. Joséphine accéda à sa demande et fit venir jusqu’à elle les deux albums qui étaient rangés sur l’étagère du salon. Leur fille s’empara du premier mais l’ouvrit avec délicatesse. Les premières pages étaient consacrées aux clichés qui avait été pris pendant leur mariage et les mois qui avaient suivi ce moment. Puis, plus rien. Jusqu’à une photo d’Ignacio qui tenait Louise dans ses bras.

Ils n’avaient jamais pensé à immortaliser la grossesse de Joséphine. A cette époque, ils étaient tout simplement incapables de penser à se créer des souvenirs. Aujourd’hui, lorsqu’Ignacio repensait à ces quelques mois, il se figurait un immense brouillard traversé par quelques moments plus doux.

Louise ne tarda d’ailleurs pas à pointer l’absence de sa mère sur les premières photos de sa vie. Ignacio eut un léger pincement au cœur en croisant son regard clair alors qu’elle l’alpaguait sur sa naissance dont il conservait une douleur fantôme, comme la réminiscence d’une peur dont il avait eu du mal à se débarrasser.

« Tu es née un peu trop tôt, commença-t-il. Alors les médicomages ont décidé que ce serait plus prudent que tu restes un peu à l’hôpital. Sauf que tu étais tombée malade et…
-Ah bon ? Mais c’était grave ?
-C’était… Comme un gros rhume. » résuma Ignacio, sans entrer dans les détails de l’infection respiration qu’avait contracté Louise en réanimation néonatale et qui lui avait valu un traitement antibiotique. « Sauf que les gros rhumes, sur un tout petit bébé, ça peut être dangereux. Alors tu es restée presque trois semaines à Ste-Mangouste, le temps d’être complètement guérie.
-Trois semaines ! réagit Louise en écarquillant les yeux. Et vous êtes restés avec moi tout le temps ? » demanda-t-elle en levant les yeux vers sa mère qui tressait toujours ses cheveux.

***

18 novembre 2012, Ste Mangouste

Joséphine a eu ses premières contractions ce matin. Ignacio s’est inquiété : « C’est un peu tôt, non ? » lui a-t-il demandé avec un regard soucieux. Quelques jours plus tôt, les médicomages leur ont pourtant expliqués que des contractions pouvaient apparaître les prochaines semaines. Elles ont un nom compliqué dont il ne se souvient plus mais il a retenu l’essentiel : elles ne signifient pas que le travail commence, juste que le corps de Joséphine se prépare à l’accouchement. Mais c’est plus fort que lui, lorsque Joséphine a grimacé en posant sa main sur son ventre, il a senti son cœur accélérer drastiquement dans sa poitrine. Puis les contractions se sont intensifiées et rapprochées. Avant de partir pour la maternité, Joséphine a même perdu les eaux sur le tapis de l’entrée.

Ils sont partis en catastrophe, sans même avoir eu le temps de préparer la fameuse valise censée contenir les vêtements de leur bébé. Ignacio a jeté quelques pyjamas dans un sac mais il a oublié les couches malgré son demi-tour empressé pour récupérer les papiers d’identité de Joséphine. Ils ont été admis rapidement à la maternité, installés dans une chambre. Maintenant, Joséphine attend sur son lit, le ventre entouré d’une ceinture qui permet de mesurer le rythme cardiaque du bébé, le corps recouvert d’une robe blanche et bleue qui permet aux médicomages de l’examiner facilement. Elle attend et Ignacio attend à ses côtés. Il a un pli soucieux entre les sourcils et a demandé peut-être trois fois à une sage-femme si ce n’était pas « trop tôt ». A chaque fois, elle lui a répondu la même chose : « Ne vous en faîtes pas, monsieur. On a l’habitude des bébés qui ont un peu d’avance. »

Elle a peut-être l’habitude mais Ignacio, lui, ne l’a pas du tout et il déteste sentir la situation lui échapper des mains. Alors il a un pli entre les sourcils et une inquiétude dans le regard qu’il pose sur Joséphine.

« Ça va ? » lui demande-t-il peut-être pour la douzième fois, lorsqu’il voit une grimace passer sur son visage. « T’as pas trop mal ? Tu veux qu’on essaie de rappeler l’anesthésiste ? »


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Joséphine Walker
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I will follow you way down wherever you may go [Joséphine & Ignacio] - Page 2 Icon_minitimeDim 18 Fév 2024 - 10:21
Joséphine n'était pas prête. Ils n'avaient pas acheté la moitié des affaires qu'il leur faudrait pour le bébé, sa chambre n'était pas terminée, ils n'avaient même pas choisi de prénom. Elle se concentrait sur ces considérations pratiques pour nier le fait que, bien au delà de ça, elle ne se sentait pas prête. Elle n'arrivait pas à envisager que, dans quelques heures et si tout se passait bien, elle pourrait tenir sa fille dans ses bras. C'était une idée qui semblait absurde, qui sonnait faux. Elle n'était pas prête et pourtant le bébé arrivait, avec presque quatre semaines d'avance.

Elle avait essayé d'ignorer ses contractions, de les minimiser, comme si cela pouvait retarder l'échéance, mais elles étaient devenues plus douloureuses et plus rapprochées, jusqu'à ce que la vérité s'impose : elle allait accoucher. Accoucher d'un enfant qu'elle n'était toujours pas certaine de vouloir et auquel elle n'arrivait toujours pas à s'attacher. Même maintenant, alors que son corps se préparait à accueillir ce bébé, son cerveau ne parvenait pas à faire de même.

C'était étrange, d'être de retour ici si rapidement. Le service maternité de Sainte-Mangouste n'avait pas changé depuis sa dernière visite. Elle reconnaissait les médicomages, les sage-femmes, les infirmières. Elle avait l'impression que son premier accouchement avait eu lieu hier, et pourtant elle se sentait radicalement différente aujourd'hui. La dernière fois qu'elle était arrivée ici, elle était fébrile, un peu inquiète, un peu excitée aussi. C'était l'aboutissement d'un projet, la fin de sa mission, et elle savait que même si la séparation serait difficile, elle pourrait ensuite retrouver son ancienne vie.

Dix mois plus tôt, pour ce premier accouchement, elle ne savait pas ce qui l'attendait. Elle avait lu le livre acheté par Angus, et avait assisté à des cours de préparation à l'accouchement, mais elle n'avait pas anticipé ce qu'elle ressentirait, ni ce qui se passerait dans son corps. Son accouchement s'était très bien passé, cela avait été long et fatiguant mais moins douloureux qu'elle ne l'avait craint. Cette fois-ci, elle savait parfaitement à quoi s'en tenir, elle était bien mieux préparer à son accouchement que la première fois. Pourtant elle ne se sentait pas prête. Pas prête à ce qui allait arriver ensuite, une fois que leur fille serait née.

Une nouvelle contraction la fit grimacer, si forte qu'elle en oublia de respirer comme le lui avait conseillé les sages-femmes. Elle ferma les yeux pendant quelques secondes interminables, avant de se détendre à nouveau et de souffler lentement.

"Ça va, répondit-elle mécaniquement quand Ignacio lui demanda si elle n'avait pas trop mal. C'est trop tôt," ajouta-t-elle lorsqu'il suggéra d'appeler l'anésésiste.

Elle tendit une main dans sa direction qu'il s'approche et glissa ses doigts dans les siens pour se raccrocher à lui. Ses dernières semaines, il avait semblé bien plus préparé qu'elle à l'arrivée de ce bébé, qu'il aimait déjà tellement, pourtant aujourd'hui il paraissait complètement dépassé par les évènements. Etrangement, cette inquiétude chez son compagnon poussait Joséphine à se montrer plus calme.

"Tu restes avec moi ?"

Comme beaucoup de choses autour de cette grossesse, ils n'avaient pas discuté de ce qu'ils souhaitaient, pour l'accouchement. Ignacio n'avait pas assisté au premier, puisque ce n'était pas son enfant, et aussi parce que Joséphine n'avait pas eu particulièrement envie qu'il la voit dans cette situation où elle n'était pas vraiment à son avantage. Cette considération lui paraissait complètement secondaire aujourd'hui. Elle avait besoin qu'il soit là, elle n'était pas certaine de pouvoir y arriver toute seule, mais elle ne voulait pas le forcer s'il n'en avait pas envie.

L'écran holographique qui flottait à côté du lit de Jospéhine et qui affichait tout un tas de données s'alluma soudainement en rouge et un bip aigu se mit à retentir régulièrement dans la pièce. Avant qu'elle n'ait eu le temps de s'inquiéter de ce que cela signifiait, une sage-femme fit irruption dans la pièce, un peu affolée.

***

Joséphine tressait distraitement l'épaisse chevelure rousse de sa fille, toutes ses pensées dirigées vers les premiers jours de sa vie, qu'elle n'avait pas partagés avec elle. Elle échangea un regard avec Ignacio, au dessus de la tête de Louise, et l'encouragea d'un discret hochement de tête alors qu'il expliquait à la fillette qu'elle avait été malade, juste après sa naissance, et qu'elle avait du rester à l'hôpital pendant trois semaines.

"Trois semaines ! Et vous êtes restés avec moi tout le temps ? Louise avait penché la tête en arrière pour jeter un regard surpris à sa mère au dessus d'elle, qui interrompit momentanément sa tresse.
- C'est surtout Papa qui était avec toi, expliqua Joséphine en luttant contre les mauvais souvenirs qu'elle gardait de cette période. Et tu as eu la visite de ta marraine, et même de Papy, à la fin quand tu allais mieux.
- Et toi ? s'inquiéta la fillette en fronça les sourcils.
- Moi je... J'étais un peu malade aussi, mais j'étais dans un autre service de l'hôpital.
- On pouvait pas se voir alors ?
- Non, pas les premiers jours...
- Tu as du me manquer !"

Cette phrase atteignit Joséphine avec une force qu'elle n'avait pas prévue. Elle s'en voulait beaucoup, d'avoir manqué les premiers jours de la vie de sa fille, et de n'avoir été qu'à moitié présente pendant les deux premiers mois de sa vie. C'était des moments qu'elle ne récupérerait jamais. Elle n'éprouverait jamais le doux sentiment de plénitude qu'on devait ressentir en serrant son tout petit bébé dans ses bras pour la première fois. Elle ne revivrait jamais ces premières fois qui jalonnent les premiers mois d'un nourrisson et dont elle n'avait pas profité. Elle se rassurait en se disant qu'elle s'était rattrapée plus tard, et que cela n'avait pas d'importance, que Louise ne s'en souvenait même pas. Mais il suffisait d'un rien pour réveiller de vieux sentiment de culpabilité.

Face à l'absence de réponse de sa mère, Louise se sentit obligée de s'expliquer.

"Bah oui, après neuf mois dans ton ventre je devais être triste d'être sans toi ! Joséphine caressa doucement les cheveux de sa fille, qu'elle recommença à tresser en ignorant le noeud qui s'était formé dans son estomac.
- Oui, moi aussi j'étais triste."



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Ignacio Walker
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I will follow you way down wherever you may go [Joséphine & Ignacio] - Page 2 Icon_minitimeLun 19 Fév 2024 - 6:12
Ignacio hoche la tête lorsque Joséphine lui explique qu’il est encore trop tôt pour appeler l’anesthésiste. Il n’y connait rien – mais alors absolument rien – et il essaie vainement d’imiter le calme de son épouse. Il se rassure comme il peut en se disant qu’elle est déjà passée par là une fois, que ce n’est pas son premier accouchement. Tout s’est bien passé la première fois, non ? Alors, oui, leur fille arrive un peu plus tôt que prévu mais cela n’a pas l’air d’affoler qui que ce soit dans cet hôpital. Les médicomages n’arrêtent pas de leur répéter que ce n’est qu’une « toute petite » avance et qu’ils sont habitués à accueillir des bébés prématurés de plusieurs mois. Ignacio essaie de graver ces phrases dans son cœur agité mais il ne parvient pas à se débarrasser de ce sentiment inquiétant qui l’habite.

Il tressaille légèrement en sentant les doigts de Joséphine s’emmêler aux siens et s’arrache à ses pensées nerveuses pour lui offrir un sourire.

« Bien sûr que je reste avec toi. » lui répond-il en embrassant sa main.

Ils n’ont pas eu le temps d’évoquer les détails de l’accouchement. Bêtement, Ignacio se disait qu’ils avaient encore le temps, exactement comme pour les préparatifs de la chambre ou les divers achats qu’ils n’ont pas pu finaliser. Il a la terrible sensation qu’ils ne sont pas prêts à accueillir leur fille ; elle n’a même pas encore de prénom. Alors il y a une légère culpabilité qui l’agite lorsqu’il lève les yeux vers Joséphine et il s’apprête à prendre la parole lorsqu’une sonnerie la lui vole. Le petit appareil à côté d’elle émet un bruit régulier et inhabituel qui ne rassure pas Ignacio. Mais ils n’ont même pas le temps de s’interroger à ce sujet qu’une sage-femme fait son apparition dans la chambre. Elle a une expression qui ne le plaît pas au futur papa et ne s’embarrasse même pas des formalités.

« Madame ? Vous pouvez écarter les jambes, s’il-vous-plaît ? Je vais vous examiner. »

Joséphine obtempère.

« Qu’est-ce qui se passe ? » demande Ignacio, les sourcils froncés au-dessus de ses yeux.

Mais il n’obtient que le silence en guise de réponse. Une seconde sage-femme entre quelques secondes plus tard et pose la même question à sa collègue :

« Qu’est-ce qui se passe ?
-Bradycardie.
-Et la dilatation ?
-Trois, à peine… »

Être ignoré, dans ce moment où son cœur s’affole dans sa poitrine, fait sauter les dernières miettes de sa patience. C’est exactement ce qu’il déteste dans les hôpitaux ; cette impression d’être invisible.

« Putain, vous pouvez nous expliquer ce qui se passe ? » tonne-t-il en redressant la tête.

La sage-femme, une petite rousse avec des lunettes, fronce les sourcils à son tour mais visiblement l’urgence de la situation l’empêche de le prendre sur son langage. Elle s’adresse toutefois davantage à Joséphine lorsqu’elle répond :

« Madame, votre bébé est en bradycardie, ça veut dire que son cœur bat trop lentement. Il vient de chuter assez brusquement et…
-Mais… Mais pourquoi ? balbutie Ignacio qui perd tous ses moyens.
-Pour l’instant, on ne peut pas dire. Ce qui est sûr, c’est qu’on va tout faire pour la sortir rapidement, d’accord ? On va devoir vous conduire au bloc opératoire pour une césarienne d’urgence. »

***

Ignacio n’avait même pas besoin de regarder l’expression peinte sur le visage de sa femme pour deviner ses pensées. Il savait qu’elle se sentait coupable de ne pas avoir été réellement présente lors des premiers moments de vie de Louise et c’était exactement ce que les mots de leur fille venaient réveiller chez elle. Ignacio avait assisté avec beaucoup d’impuissance, de frustration et de crainte et à cette lente descente aux enfers de Joséphine, depuis l’annonce de sa grossesse jusqu’aux trois mois de Louise. A plusieurs reprises, il avait pensé que leur couple ne surmonterait jamais une pareille épreuve.

A présent, avec la distance et le recul, il pouvait relire ces mois avec un autre regard mais cela n’empêchait pas certains sentiments de s’activer lorsqu’on les mentionnait. Il posa un regard songeur sur Louise, qui questionnait sa mère avec une certaine inquiétude et beaucoup de curiosité sur ses premiers jours dont elle n’avait aucun souvenir et peu de photos. Elle avait un pli soucieux entre les sourcils et une petite moue sur le visage.

« Mais toi, c’était grave ta maladie ? » demanda-t-elle à sa mère en levant à nouveau les yeux vers elle.

Un silence s’installa pendant que les deux parents échangeaient un regard qui avait un arrière-goût de conversation silencieuse. Finalement, Joséphine hocha la tête et Ignacio tira une chaise pour s’asseoir face à sa fille.

« Tu sais, Loulou, quand on était à l’hôpital avec Maman, les médicomages nous ont dit qu’il fallait se dépêcher pour que tu sortes de son ventre.
-Pourquoi ? interrogea la petite.
-Parce que… » Ignacio peinait à trouver ses mots ; il avait connu des histoires plus faciles à conter sa fille. « Parce qu’ils avaient besoin de te soigner et qu’il fallait que tu sois en dehors du ventre de Maman pour ça. Et du coup, ils ont dû faire une opération à Maman, pour ça.
-Une opération ?
-Oui. Tu sais ce que c’est, une césarienne ? » Louise secoua la tête. « C’est, euh, quand les médicomages ouvrent le ventre de la maman pour aller chercher directement le bébé et que…
-Hein ??? » l’interrompit-elle. Cette fois-ci, elle se tourna vers sa mère, sans prêter attention à sa coiffure. « On t’a découpé le ventre ??? »


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Joséphine Walker
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I will follow you way down wherever you may go [Joséphine & Ignacio] - Page 2 Icon_minitimeLun 19 Fév 2024 - 13:49
A l’instant où elle voit la sage-femme entrer dans la chambre, l’air préoccupé, Joséphine comprend que quelque chose ne va pas. Et cette intuition, celle qu’elle a tout fait pour étouffer ces dernières semaines, se réveille. Il y a un problème. Elle le savait. Elle l’a senti depuis le début. Le cœur battant et le visage blême, elle se laisse examiner par la sage-femme, qui ne dit rien. Une collègue la rejoint, et elles échangent quelques mots dont le sens échappe complètement à Joséphine.

L’éclat de voix d’Ignacio la fait sursauter, mais a le mérite d’attirer l’attention des deux sage-femmes, qui leur expliquent la situation d’un ton grave. Le rythme cardiaque du bébé vient de chuter. Il faut faire une césarienne d’urgence. Joséphine hoche la tête sans comprendre tout de suite. Les mots prennent du temps pour s’imprimer dans son cerveau et pour y trouver du sens.

Le rythme cardiaque du bébé a ralenti. Le cœur de leur fille ne bat plus comme il faut. Elle prend brutalement conscience de l’urgence de la situation et cherche le regard d’Ignacio, la peur au fond des yeux. Le souvenir des inquiétudes de Joséphine au sujet de l’avenir de leur enfant est tendu entre eux, invisible mais pesant.

Elle n’est pas prête à accueillir ce bébé. Elle n’a pas réussi à se lier avec cet enfant, elle ne s’est pas préparée à devenir sa maman, mais elle n’est pas prête non plus à le perdre. Elle ne peut pas lui dire adieu avant même de l’avoir rencontré. Elle voudrait une chance d’essayer, de se rattraper. Une part d’elle se dit que, si elle avait essayé dès le début, il n’y aurait peut-être pas de problème. Est-ce que leur fille sait qu’elle n’est pas attendue, pas désirée par sa propre mère ? Est-ce que les bébés sentent ce genre de choses ?

Plusieurs sage-femme et médicomage se succèdent dans la chambre. En seulement quelques minutes, Joséphine se retrouve perfusée, anesthésiée, prête à être opérée en urgence. Elle a la tête qui tourne, la gorge sèche, et son cœur bat un peu trop vite, contrairement à celui du bébé qui continue de ralentir. Elle voit les regards inquiets que s’échangent les membres de l’équipe médicale. On ne leur dit plus rien, comme pour les préserver. Mais Joséphine sait ce qu’ils taisent, elle le sent. Les choses vont mal se passer. Cette intuition grandit en elle à mesure que les secondes s’égrènent.

Elle réalise avec un peu de retard qu’on est en train de déplacer son lit. Elle tourne la tête, cherche Ignacio du regard, ne le trouve pas. Son cœur s’affole et elle sent des larmes d’impuissance lui monter aux yeux.

"Attendez…" souffle-t-elle.

Le visage de la sage-femme rousse apparait dans son champ de vision, qui commence à se troubler sous l’effet de la forte anesthésie. Elle porte un masque sur le visage, une charlotte sur les cheveux et a enfilé une sorte de tablier par-dessus sa blouse. Joséphine ne voit plus que ses yeux.

"Il faut y aller maintenant, lui assure-t-elle en posant une main sur son épaule. Respirez."

Mais Joséphine n’arrive plus à respirer. Sa gorge est nouée d’angoisse et l’air lui manque. Elle est terrifiée par cette intuition qui se confirme de minute en minute. Quelque chose ne se passe pas comme il faut.

***

Joséphine et Ignacio n’avaient jamais raconté à Louise sa naissance difficile. Ce n’était pas un bon souvenir pour eux, et pas vraiment une histoire pour les enfants. Mais leur fille avait visiblement beaucoup de questions sur le sujet, ce dont ils ne pouvaient pas la blâmer. C’était certainement naturel, de vouloir connaitre les circonstances de sa venue au monde, et de s’entendre raconter ces premiers moments dont on ne pouvait pas se rappeler.

Joséphine croisa le regard d’Ignacio par-dessus la tête de Louise et l’encouragea d’un hochement de la tête à répondre à la question de la fillette, qui écouta attentivement les explications de son père au sujet de la façon dont elle était née. A l’entente de la description d’une césarienne, elle se retourna si vivement que ses cheveux glissèrent des mains de Joséphine.

"On t’a découpé le ventre ???"

Le sujet ne se prêtait pas forcément à la plaisanterie mais l’expression d’horreur sur le visage de Louise donnait presque envie de rire à sa mère, qui hocha doucement la tête.

"Oui, mais j’étais sous anesthésie, ça veut dire que je ne sentais rien du tout. Cette réponse parut rassurer un peu Louise, dont les sourcils restaient toutefois froncés en signe de préoccupation.
- Il devait y avoir plein de sang…
- Un peu oui, mentit Joséphine. Mais les médicomages sont très fort, ils ont fait super vite."

Ils n’avaient surtout pas eu le choix. Le cœur de Louise ne battait presque plus et Joséphine avait commencé à faire une hémorragie sur la table d’opération. Elles l’avaient échappé belle, toutes les deux.

"Je serai jamais médicomage ! affirma Louise en secouant la tête.
- C’est un beau métier pourtant, on ne serait pas là, toutes les deux, s’ils n’avaient pas été là.
- Mais Maman je vais pas découper des gens ! Présenté comme ça, effectivement, ce n’était pas très vendeur.
- Qu’est-ce que tu voudrais faire, alors ?"

Joséphine était ravie de pouvoir changer de sujet, et récupéra la tresse qu’elle avait abandonnée malgré elle pour la recommencer.



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I will follow you way down wherever you may go [Joséphine & Ignacio] - Page 2 Icon_minitimeMer 21 Fév 2024 - 5:09
Brusquement, les soignants affluent dans la chambre. Il y a des infirmières, des sage-femmes et même un médicomage qui s’affairent autour de Joséphine. Quelqu’un lui parle. « Monsieur, pardon. » Mais il n’entend pas. Alors, la voix reprend : « Monsieur, pardon. » Il sent que quelqu’un pose une main sur son épaule, qu’on le tire vers l’arrière et il se retrouve effacé dans un coin de la chambre, son regard perdu fixé sur la silhouette de Joséphine qui disparaît dans son lit. On la perfuse et on l’habille mais personne ne leur dit rien. Ignacio est pâle, son ventre est tellement serré qu’il en a la nausée. Brusquement, les confidences de Joséphine lui reviennent en mémoire, lui qui a pourtant fait tellement d’efforts pour les garder loin de ses pensées.

Il se souvient des mots qu’elle a lâché d’une voix blanche, en sortant de Ste-Mangouste. « Je ne l’ai jamais vu dans notre avenir. » « Je n’ai jamais vu son avenir à elle non plus. C’est comme si elle n’en avait pas. » Maintenant, il n’est plus aussi certain de ce qu’il a pourtant affirmé face à elle. A cet instant précis, devant les visages inquiets des soignants, Ignacio saute immédiatement à la pire des conclusions ; leur fille va mourir. Leur fille va mourir, Joséphine le savait et il n’a pas voulu l’entendre.

Cette phrase lui fait l’effet d’un violent coup dans le ventre, qui bloque sa respiration. Son esprit quitte son corps et il s’équilibre en posant une main sur le mur. Son cœur, dans sa poitrine, bat à toute vitesse.

« Monsieur ? » On l’interpelle encore. « Monsieur, est-ce que vous voulez venir ?
-Euh… » Il lui faut quelques secondes pour comprendre le sens de ces mots assemblés. « Oui. Oui, je peux ?
-Tenez, mettez ça. Dépêchez-vous. » le presse l’infirmière.

Ignacio a les doigts qui tremblent et doit s’y reprendre à deux fois pour réussir à nouer correctement la blouse par-dessus ses vêtements. Il enfile une charlotte sur son crâne, positionne un masque sur son visage. Il finit à peine d’ajuster les élastiques lorsque le lit de Joséphine est amenée en dehors de la chambre.

« Attendez ! » lance-t-il en se précipitant vers le lit. « Jo ! Jo, je suis là ! » Il pose une main sur une barrière du lit et se penche pour croiser son regard. Elle est blême et ses grands yeux sont écarquillés. Ignacio cherche des mots pour la réconforter ; il aimerait lui dire que tout va bien se passer mais cette phrase a le goût du mensonge. Alors il se contente de répéter : « Je suis là. »

Il ne faut que quelques minutes pour installer Joséphine dans le bloc opératoire. Ignacio, lui, est invité à s’asseoir à sa droite, au niveau de sa tête, devant un grand drap bleu qui est tendu pour masquer son ventre. On ne voit rien ; on entend seulement les ordres par la médicomage : « scalpel », « compresse », « aspiration ».

Dans sa vie, Ignacio en a vu des scènes sanglantes et terrifiantes. Mais jamais il n’a senti, au fond de ses tripes, le poids de la peur, du sang et de l’angoisse. C’est dans un geste désespéré qu’il se penche pour poser son front contre la joue de Joséphine. Il lui murmure à l’oreille : « Courage, mon amour, c’est bientôt fini, ça va aller » et cette fois, il se ment aussi à lui-même.

Tant pis. Il faut bien se raccrocher à quelque chose.

Ignacio ne parvient pas à occulter les bruits autour d’eux. Il entend une phrase, quelque chose qui fait bondir son cœur :

« Elle est sortie. »

Et là, c’est l’absence de bruit qui l’inquiète. Il relève la tête.

« Elle… Elle crie pas… ? » demande-t-il d’une voix blanche.

***

L’éclat de voix de Louise, qui expliquait à sa mère qu’elle ne voulait pas découper des gens, tira un petit rire à Ignacio. Les réponses de ses parents semblaient l’avoir rassurée, même si ses sourcils restaient légèrement froncés au-dessus de ses yeux bleus. Joséphine fut toutefois suffisamment habile pour l’amener à changer de sujet et elle ne se fit pas prier pour leur exposer ses idées du moment :

« Moi, je voudrais être archéologue ! » s’exclama-t-elle. Ignacio haussa les sourcils : c’était la première fois qu’il entendait sa fille évoquer ce projet d’avenir (pourtant, elle était toujours assez bavarde sur le sujet, même si elle changeait d’avis trois par semaine). « Et je partirai dans plein de pays pour découvrir des trucs ! Comme papy !
-Papy n’est pas archéologue, chérie, il est historien et chercheur.
-Ben il va dans des pays pour découvrir des trucs, non ?
-… Oui, concéda Ignacio. Mais les archéologues, ils font des fouilles, pour essayer de comprendre comment les gens vivaient avant. Papy, lui, il étudie plutôt la magie d’aujourd’hui mais sous toutes ses formes.
-Eh ben, moi, je vais découvrir la magie et faire des fouilles ! Et comme ça, je ferais des voyages partout ! »

Louise semblait très enthousiaste et avait retrouvé son sourire.

« Tu ne veux plus faire du théâtre, alors ?
s’enquit son père.
-Siiiiii mais le soir ! Ce sera mon métier du soir, le théâtre. » La petite leva les yeux vers sa mère : « Toi maman, ça a toujours été ton métier de faire les cours de danse ? »



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Joséphine Walker
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I will follow you way down wherever you may go [Joséphine & Ignacio] - Page 2 Icon_minitimeMer 21 Fév 2024 - 10:54
La moitié du corps anesthésiée, Joséphine ne ressent aucune douleur physique. Elle sent pourtant que des mains touchent sa peau, elle sent les tissus qu’on découpe, les chairs qu’on écarte, mais ses nerfs sont endormis, contrairement à son cœur qui continue de s’affoler dans sa poitrine, au désespoir. Elle entend l’équipe médical s’activer, le va-et-vient des infirmières, le bruit métallique des instruments qu’on attrape puis repose. Elle entend les formules qu’on utilise pour l’opérer, prononcée de la voix tendue mais maitrisée de la médicomage, et elle sait que tout ça est vain. Ils n’y arriveront pas. Ils ne la sauveront pas. Cela fait déjà plusieurs minutes qu’elle ne sent plus sa fille bouger. Elle est morte, elle le sait, elle le sent.

Des larmes de fatigue et d’impuissance roulent sur ses joues. Elle sent la présence d’Ignacio à côté d’elle et son cœur se serre. Elle veut lui attraper la main mais ne parvient pas à bouger, complètement engourdie. Elle entend à peine ses promesses et ses paroles rassurantes. C’est déjà fini, songe-t-elle alors qu’il l’encourage à tenir, encore un peu.

"Je suis désolée…" souffle-t-elle en tournant la tête vers lui.

Elle est désolée de ne pas avoir su accueillir leur bébé, de ne pas l’avoir suffisamment aimé, et de ne pas avoir réussi à lui donner la vie. Elle s’en veut terriblement de ne pas avoir été la mère que méritait leur enfant, et d’empêcher Ignacio de devenir le père qu’il rêve d’être. Elle n’a pas été à la hauteur, et leur fille est morte.

"Elle est sortie."

L’annonce de la médicomage est suivie par un silence glaçant. Un silence si lourd qu’il semble faire taire tous les bruits environnants. Joséphine n’entend plus les bips réguliers des hologrammes qui flottent dans la salle, ni le froissement des blouses, ni le bruits des pas des sage-femmes. Elle n’entend plus que ce silence.

"Elle…elle crie pas ?"

Leur fille ne crie pas. Elle ne crierait jamais.

A cet instant suspendu, qui n’avait duré qu’une poignée de secondes, succéda un déchainement d’évènements.

Une porte claqua, quelque part au fond de la salle d’opération. Loin des yeux des futurs parents, une sage-femme se précipitait en service de réanimation néonatale, leur bébé dans les bras.

Un des appareils se mit à bipper de façon plus forte et plus régulière. Comme celui qui leur avait annoncé que le rythme cardiaque du bébé ralentissait. Celui-ci, néanmoins, ne mesurait pas les constantes du bébé, mais celles de la mère.

La vision de Joséphine se troubla. Elle avait soudainement très chaud, et du mal à réguler sa respiration.

"Chute de tension, annonça la voix de la médicomage. Elle perd beaucoup de sang. On est à combien sur l’hémoglobine ?
- 6,9
- On transfuse, tout de suite.
- Monsieur il faut sortir de la salle."

Joséphine chercha Ignacio du regard mais le mouvement de ses yeux lui donna le vertige. Elle fut un instant éblouie par l’intense lumière blanche au-dessus de son lit, puis ce fut le noir.

***

Joséphine fut ravie de voir sa fille s’emparer de ce nouveau sujet de discussion avec enthousiasme. Louise s’intéressait à beaucoup de choses. Elle était très curieuse et se découvrait très régulièrement de nouvelles vocations. La dernière en date était donc l’archéologie, un intérêt certainement lié aux quelques jours qu’elle avait passés avec son grand-père cet été. Le mois dernier elle voulait être dresseuse de licornes, celui d’avant soigneuse de poneys, et l’année dernière elle voulait devenir Auror.

Une constante, dans les plans de carrière de Louise, était le théâtre, et Ignacio s’étonna de l’absence de cette passion dans ce nouveau projet. Sa fille lui répondit que le théâtre serait son métier du soir, évidement. Ce que les parents pouvaient être bêtes.

Joséphine venait de terminer la première tresse de Louise, et entamait la deuxième quand sa fille leva de nouveau la tête vers elle.

"Toi maman, ça a toujours été ton métier de faire les cours de danse ?
- Non, j’étais danseuse avant, je faisais des spectacles."

Elle avait déjà montré à Louise quelques photos de certaines de ses tenues de scènes. Elle s’était évidemment gardée de lui montrer les plus osées et de lui expliquer que danseuse n’était qu’une partie de ses activités et qu’elle aussi, elle avait eu un « métier du soir » bien différent. La fillette avait admiré les plumes et les paillettes, sans se douter de tout ce qui s’était passé en coulisses.

"Ah oui c’est vrai ! Pourquoi t’as arrêté ?
- C’est fatiguant, de monter sur scène tous les soirs, expliqua-t-elle. Et je n’aurais pas eu beaucoup de temps pour m’occuper de toi.
- C’est vrai, concéda Louise. Ça te manque pas ?
- Non, pas du tout. »

Joséphine n’était pas certaine d’être un jour capable de révéler ce secret à Louise. Avant d’être mère, elle avait toujours assumé ce qu’elle avait fait. Elle refusait d’avoir honte. Elle se fichait de ce que les gens pensaient, elle n’entendait pas les remarques désobligeantes, faisait semblant de ne pas remarquer la gêne que la découverte de sa profession provoquait chez ses interlocuteurs. Pendant des années on l’avait regardée avec mépris, avec dégout, avec pitié, et elle avait laissé faire. Mais jamais elle ne voulait voir ça dans les yeux de sa fille.

"Et toi Papa ? Tu faisais quoi avant ?"


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I will follow you way down wherever you may go [Joséphine & Ignacio] - Page 2 Icon_minitimeDim 25 Fév 2024 - 7:12
Le silence lourd et pesant est la réponse à sa question. Leur fille ne crie pas. Ignacio se redresse, le cœur battant, mais le drap tendu l’empêche de voir ce qui se passe de l’autre côté. Quelqu’un sort précipitamment du bloc opératoire et il comprend qu’on emmène leur bébé ailleurs. Il voudrait parler, demander des explications, mais sa gorge est trop nouée pour laisser sortir le moindre mot. Le temps se suspend pendant un moment, les minutes cessent de s’écouler.

Puis une machine s’affole. Encore une. Ignacio met quelques secondes à comprendre la signification de cette sonnerie stridente. Les médicomages parlent entre eux, emploient des termes à la fois étrangers et familiers et le regard d’Ignacio chute vers Joséphine. Les yeux de sa femme se révulsent lorsqu’il les croise et là, son corps se fige. On lui demande de se lever, de partir, mais il ne bouge pas. Il a la main posée sur l’épaule de Joséphine et il ne peut pas se résoudre à rompre ce contact avec sa peau qu’il sent chaude sous ses doigts. Il ne peut pas, il ne peut pas, il ne peut pas, et il n’y a que cette phrase qui tourne en boucle dans sa tête. Alors, comme les mots ne l’atteignent pas, un infirmier vient le chercher. Ignacio sent qu’on le retire par l’épaule.

« Non, non, non, non… souffle-t-il en se dégageant.
-Monsieur, il faut sortir… insiste l’infirmier. Laissez les médicomages faire leur travail, d’accord ?
-Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qu’elle a ? » Ignacio se redresse vivement pour croiser le regard du soignant. « Mais répondez-moi, bordel ! Qu’est-ce qu’elle a ??
-Que quelqu’un le fasse sortir de mon bloc opératoire tout de suite, gronde le médicomage qui se tient au-dessus de Joséphine.
-Monsieur, venez…
-Il se passe quoi ? reprend Ignacio, qui a perdu toute patience et tout bon sens.
-Monsieur. » Cette fois-ci, c’est le second médicomage qui parle. Il lève les yeux vers Ignacio et le fusille du regard. « J’ai actuellement ma main sur une hémorragie qui pourrait coûter la vie de votre femme, vous m’entendez ? Et pour stopper cette hémorragie j’ai besoin de silence et de concentration. Donc vous allez sortir de ce bloc opératoire immédiatement pour que je puisse avoir une chance de sauver la vie de votre épouse, c’est clair ? »

Ignacio perd tous ses mots et sa colère reflue aussi vite qu’elle est montée. Il balbutie quelque chose, sûrement un « oui » tremblant et se laisse guider hors de cette salle qui pue le malheur. D’un geste mal assuré, il arrache son masque qui l’étouffe sous le regard désolé de l’infirmier qui l’a escorté ici. Il appuie ses mains sur ses yeux, forts, comme si cela pouvait réprimer les larmes qui y montent et finissent par mouiller ses doigts.

« Est-ce que… Est-ce qu’elle va s’en sortir ? demande-t-il finalement.
-On va faire tout ce qu’on peut, monsieur, lui assure l’infirmier.
-Et… Et notre fille ?
-Elle doit être en réanimation. Je vous y emmène, si vous voulez. »

Ignacio acquiesce mais doit mobiliser toute sa volonté pour s’éloigner de cette pièce où la vie de Joséphine ne tient qu’à un fil. Il sent une énorme culpabilité lui serrer le ventre et, en même temps, il a besoin de savoir où est son bébé, son tout petit bébé qu’on a emmené loin d’eux dès ses premières secondes dans ce monde. Le chemin jusqu’au service de réanimation néo-natale est peuplé par les questions qui ne franchissent pas ses lèvres serrées. Il a trop peur des réponses.

Alors il a une forme de réticence à se présenter devant les infirmières. Quelque chose bloque ; une part de lui a envie d’exister dans ce monde où on ne lui a pas encore dit que sa fille est morte. C’est terrible, il ne peut penser à rien d’autre qu’aux mots de Joséphine, ces mots qui ont acté la mort de leur fille bien avant sa naissance. Alors, lorsqu’une infirmière l’invite à le suivre, il marque un temps d’arrêt.

« Elle… Elle va bien ?
-Elle va bien, lui assure-t-elle avec un sourire. Elle a juste eu besoin d’un peu d’aide pour prendre ses premières inspirations. »

Ignacio sent un vertige s’emparer de son corps et ses pas sont hasardeux. Il a l’esprit comme anesthésié ; il se sent ici et ailleurs.

« Et voilà… lui indique l’infirmière. Je vous présente votre fille…
-Oh… »

Ignacio s’approche. Il a le cœur qui cogne si fort contre sa poitrine ; il n’a jamais été aussi impressionné. Ses yeux se posent sur sa fille et il songe, d’une pensée absente, qu’il n’a jamais vu un aussi petit bébé. Elle semble minuscule, emmitouflée dans un drap qui la fait presque disparaître. Elle est calme mais elle ne paraît pas endormie, même si ses yeux sont fermés. Sa toute petite bouche bouge un peu.

« Est-ce que vous voulez la prendre ?
-Je peux ? demande-t-il, la voix chargée par l’appréhension. Elle va vraiment bien ?
-Elle va vraiment bien, lui assure l’infirmière. Elle doit être impatiente de rencontrer son papa… »

Ce mot frappe Ignacio. C’est la toute première fois qu’on l’appelle comme ça. Il est papa. Il tend les bras vers sa toute petite fille et la soulève délicatement. Il n’a jamais eu des gestes aussi doux, aussi précautionneux ; il a peur de lui faire du mal. « Coucou… » murmure-t-il. A côté de lui, l’infirmière sourit mais il est trop concentré pour le faire. Ses yeux ne quittent pas le visage de sa fille. Il la regarde, elle et sa peau rose, ses yeux clos, son petit nez, sa petite bouche. Elle a quelques cheveux sur le haut du crâne. Des cheveux roux, comme ceux de sa mère.

Ce détail ramène Ignacio vers une réalité qu’il aurait aimé oublier dans cette rencontre. Son cœur est toujours serré par l’angoisse.

Il voudrait être là-bas, auprès de Joséphine, aussi fort qu’il a envie d’être ici, avec leur fille. C’est comme si son existence se résumait à un perpétuel déchirement.

Ignacio se penche vers sa fille. Il dépose un baiser sur son front, à peine une caresse.

Dans sa tête, il n’y a qu’une prière. Pourtant, Ignacio n’est pas croyant.

Mais il veut implorer n’importe qui pour qu’on lui laisse présenter leur fille à Joséphine.

***

Petite, Louise avait fait quelques cours de danse et, si la discipline ne lui avait pas déplu, c’était pour le théâtre qu’elle s’était passionnée. Elle prenait des cours deux fois par semaine et s’y rendait toujours avec beaucoup d’enthousiasme. Comme elle avait une excellente mémoire, elle n’avait aucune difficulté à retenir ses textes et il n’était pas rare de l’entendre les déclamer à toute heure de la journée. Très créative, la fillette adorait monter ses propres spectacles et se produire devant ses parents qui ne tarissaient jamais d’éloges devant ses représentations.

Comme Louise, Joséphine avait été un jour passionnée par la scène. Ignacio l’avait vu danser à plusieurs reprises aux Folies Sorcières et Louise avait déjà vu quelques photos et même la vidéo d’une représentation. Elle interrogea d’ailleurs sa mère sur la fin de sa carrière de danseuse, que Joséphine expliqua en omettant de préciser quelques détails au sujet de ses activités. Ignacio imita d’ailleurs sa femme lorsque leur fille le questionna à son tour :

« J’étais barman, lui confia-t-il. Mon travail c’était de faire les boissons des gens. » précisa-t-il devant la moue interrogative de Louise.

Elle était heureusement encore trop petite pour réaliser que son père n’aurait jamais amassé une telle fortune avec un simple travail de barman.

« Et toi non plus, tu voulais pas continuer ?
-Non… Tu sais, moi aussi je travaillais beaucoup le soir alors, quand tu es née, j’avais envie de pouvoir être plus souvent à la maison avec toi.
-Et après t’as fait le haras avec Roy !
-Oui, c’est ça. » approuva Ignacio. Mais il confia à la petite, avec un sourire en coin : « Tu sais, c’est parce que maman dansait dans l’endroit où je travaillais aussi qu’on s’est rencontrés, tous les deux.
-C’est vrai ? Louise avait les yeux brillants. Et ça s’est passé comment ? »


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I will follow you way down wherever you may go [Joséphine & Ignacio] - Page 2 Icon_minitimeDim 25 Fév 2024 - 10:08
Ce fut un bruit régulier qui tira Joséphine de sa léthargie. Ce même bip qui s'était affolé un instant plus tôt -ou était-ce une heure ? Une journée ?- retentissait désormais de façon régulière. Elle essaya de l'ignorer pour sombrer à nouveau. Elle ne sentait plus son corps, elle n'avait mal nul part, elle n'avait ni trop chaud ni trop froid. Elle avait l'impression de ne pas être vraiment là, de ne plus tout à fait exister. C'était agréable. Elle voulait replonger dans ce néant, se réfugier dans le noir et le silence, là où rien ne pouvait l'atteindre, mais elle n'y parvenait pas. Ce bip incessant semblait retentir de plus en plus nettement à ses oreilles, et elle ouvrit légèrement les yeux.

Aveuglée par une lumière blanche beaucoup trop vive, elle les referme aussitôt. Des bruits de pas lui indiquèrent que quelqu'un s'approchait de l'endroit où elle était allongée et une voix douce s'éleva au dessus d'elle.

"Prenez votre temps pour vous réveiller, n'essayez pas de vous redresser tout de suite."

Joséphine rouvrit lentement les yeux et distingua le visage d'un infirmer, debout à côté d'elle, qui scrutait avec attention les données projetées par un hologramme. Petit à petit, elle reprit conscience de l'endroit où elle se trouvait et de ce qui s'était passé avant qu'elle ne perde connaissance. Elle déplaça sa main vers le bas de son ventre et ses doigts rencontrèrent un épais pansement. Elle grimaça de douleur quand ses muscles se contractèrent malgré elle sous ce contact.

"La zone va rester sensible pendant plusieurs semaines, mais la cicatrice devrait complètement disparaitre, la rassura l'infirmier qui avait suivi son geste. Comment est-ce que vous vous sentez ?"

Elle ne répondit rien, encore plongée dans ses derniers souvenirs, qui lui revenaient par flash. Le bébé était né. Il était sorti, mais il n'avait pas pleuré. Leur fille n'avait pas survécu. Cette pensée tourna un instant dans sa tête, sans qu'elle ne parvienne à s'y accrocher, à lui donner une réalité. C'était fini. Elle avait accouché. Accouché d'un bébé mort. C'était terriblement triste, mais elle n'arrivait pas à se laisser submergée par ce drame. Elle sentait dans son coeur le même vide qu'au creux de son ventre. Elle ne ressentait rien.

Elle tourna la tête pour chercher Ignacio du regard. Ignacio à qui elle n'avait pas pu donner ce bébé qu'il désirait tant. Ses yeux ne rencontrèrent que des écrans holographiques, le visage de l'infirmier, la perfusion accrochée à son bras, et ils se remplirent de larmes. Il n'était pas là. Elle fut enfin assaillie par un violent sentiment de culpabilité, et d'échec.

"Où est...? articula-t-elle d'une voix rauque.
- Votre fille est avec votre mari, lui répondit l'infirmier en posant une main rassurante sur son épaule. Elle va bien."

Joséphine dévisagea l'infirmier sans vraiment le voir, refusant de comprendre ce qu'il venait de lui dire. Son mari était avec sa fille. Ça n'avait aucun sens. Elle n'avait pas de fille. Le bébé n'avait pas pleuré, il n'avait pas survécu, comme elle l'avait prédit. Elle le sentait au plus profond d'elle-même, c'était inscrit dans son corps et dans son coeur. Leur fille était morte. On lui mentait.

"On va lui dire que vous êtes réveillée."

Joséphine observa l'infirmier s'éloigner dans le couloir et l'entendit parler à voix basse avec une autre personne. Ils lui cachaient la vérité. Ils ne voulaient pas lui annoncer la mauvaise nouvelle tant qu'Ignacio ne serait pas avec elle. Ils cherchaient à la protéger, mais elle savait. Elle l'avait su bien avant eux.

***

Comme beaucoup de petites filles de son âge, Louise avait une vision assez idéalisée de la façon dont devait se dérouler une histoire d'amour. Evidement cela devait être le coup de foudre, l'amour au premier regard. Puis les amoureux devaient se fréquenter pendant un temps, faire connaissance et aller à des rendez-vous galants. Idéalement dans des endroits très chics qui impliquaient de porter de jolies robes. Enfin, ils devaient se fiancer, puis se marier et vivre heureux jusqu'à la fin des temps. Elle avait plusieurs livres de contes qui regorgeaient d'histoire de ce genre et, même si ses parents avaient tenté de diversifier ses sources en lui présentant d'autres histoires, c'était celles-ci qu'elle préférait.

L'histoire d'amour de ses parents, pourtant, n'avait rien d'un conte de fées. Joséphine et Ignacio avaient travaillé ensemble pendant plus de deux ans, avant de commencer à se fréquenter. Deux ans pendant lesquels elle lui avait raconté des anecdotes plus ou moins intimes sur ses clients, deux ans pendant lesquels elle s'était douté qu'il ne travaillait pas qu'en temps que barman, sans chercher à en savoir plus.

La première fois qu'ils avaient couché ensemble, c'était avec Sofya, que Joséphine fréquentait à l'époque. S'en était suivi un ménage à trois qui n'avait pas duré très longtemps, et après lequel ils avaient continué de se voir tous les deux, parce que le courant passait bien entre eux. Ils s'étaient séparés quand Joséphine avait décidé de porter l'enfant d'Angus, puis elle avait eu cette vision de leur mariage. Ils s'étaient mariés à la hâte aux Etats-Unis pour échapper à des poursuites judiciaires, et Louise était arrivée à peine neuf mois plus tard, au terme d'une grossesse particulièrement compliquée.

Ce n'était certainement pas l'histoire que leur fille avait envie d'entendre.

"On n'est pas tombé amoureux tout de suite tu sais, expliqua-t-elle à la fillette, que cette information laissa perplexe.
- Mais pourquoi ?
- On ne se connaissait pas beaucoup, on travaillait au même endroit mais on ne se parlait pas souvent. Et en général il faut apprendre à connaitre quelqu'un, avant de savoir si cette personne nous plait.
- Mais après vous avez fait connaissance ?
- Oui, c'est ça, d'abord on est devenus... amis. Ils étaient devenus amants bien avant d'être amis, mais Louise n'avait pas forcément à le savoir.
- Et quand est-ce que vous êtes tombés amoureux alors ?"


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I will follow you way down wherever you may go [Joséphine & Ignacio] - Page 2 Icon_minitimeSam 2 Mar 2024 - 6:52
Ignacio berce sa fille lorsqu’une infirmière vient lui annoncer le réveil de Joséphine. Quelque chose en lui s’effondre, comme si la tension qui habitait son corps se relâchait brusquement. Il souffle et ses poumons lui semblent presque douloureux. Il a passé deux heures à remercier la vie et à craindre la mort. Deux heures à implorer, deux heures à murmurer à voix basses des prières éperdues pour des dieux auxquels il ne croit même pas, deux heures à sentir son cœur mourir dans sa poitrine. Il a eu tellement peur que, lorsqu’on lui dit enfin ce qu’il espère entendre, il ne parvient pas à y croire. Il observe l’infirmière sans rien dire, le visage marqué par la stupeur. Elle insiste, avec douceur : « Je peux vous conduire à elle, si vous voulez » et il hoche la tête. Il dépose sa fille dans son berceau, elle geint un peu mais semble se rendormir rapidement car elle ne fait plus aucun bruit lorsqu’il quitte la chambre.

Les couloirs de l’hôpital lui semblent interminables. La réanimation néonatale ne se situe pas au même étage que les salles de réveil et Ignacio a l’impression de traverser l’établissement pour parvenir enfin à l’endroit où son cœur l’appelle. Il s’immobilise devant la porte, presque comme s’il craignait que les médicomages se soient trompés et qu’il se retrouve face au corps sans vie de Joséphine. Une inspiration lui donne le courage nécessaire pour poser sa main sur la poignée et l’activer.

Il pousse la porte et ses yeux trouvent immédiatement le visage de Joséphine.

Elle est pâle, fatiguée et semble flotter dans cette robe d’hôpital qui est curieusement aplatie au niveau du ventre. Cela fait plusieurs mois qu’Ignacio est habitué à voir le ventre rond de son épouse ; cette brusque absence le déstabilise. L’accouchement s’est passé si vite qu’il n’est même pas bien sûr d’avoir assimilé tout ce qu’ils ont traversé en une poignée d’heures.

Il retient le principal : Joséphine est en vie. Leur fille est en vie.

Le cœur allégé par ce constat, il s’approche d’elle.

« J’ai eu tellement peur pour toi… » Il glisse une main dans ses cheveux roux, se penche pour embrasser son front. Une fois, deux fois, comme pour imprimer sur ses lèvres la chaleur de sa peau. « Comment tu te sens ? » Il s’assoit à côté d’elle, conserve sa main dans la sienne et la porte à nouveau à ses lèvres pour y déposer un baiser. Puis il lui confie, dans un murmure : « Notre bébé va bien. J’étais avec elle, là… Elle va bien. »

***

Louise aimait beaucoup écouter ses parents parler de la vie qu’ils avaient eu avant elle. Malheureusement pour elle, ce n’était pas un sujet sur lequel Joséphine et Ignacio s’attardaient particulièrement. Ignacio ne ressentait pas une grande fierté pour l’homme qu’il avait été avant la naissance de sa fille. Il n’avait jamais autant ressenti le poids de la honte et de la culpabilité que lorsque Joséphine était tombée enceinte et qu’ils s’étaient questionnés sur leur légitimité à devenir parents. Il avait vu le sang sur ses mains, ce sang qui était incrusté sous ses ongles, sous sa peau et qu’il ne parvenait pas à faire partir. Il avait tout quitté, dans une urgence presque vitale, mais sa honte ne s’était pas estompée pour autant. Plusieurs années s’étaient écoulées avant que son reflet dans le miroir ne lui soit plus aussi désagréable.

Heureusement, Louise semblait bien plus intéressée par leur histoire d’amour que par leurs anciens métiers respectifs. Ignacio esquissa un sourire en l’entendant questionner Joséphine sur leur rencontre et s’étonner qu’ils ne soient pas tombés amoureux au premier regard comme c’était souvent le cas dans les dessins animés qu’elle regardait. Leurs débuts avaient été chaotiques et, à l’époque, rien ne les destinait à la vie qu’ils avaient finalement construite ensemble. Après leur mariage, ils s’étaient même questionnés sur la possibilité de divorcer avant d’abandonner complètement cette idée au fil des mois.

Ils n’avaient rien fait de manière conventionnelle, tous les deux. Mais aujourd’hui, avec un certain recul sur leur relation, Ignacio était capable de déceler le jour où il avait pris conscience des sentiments sincères qu’il nourrissait pour Joséphine. Ce fut cette réponse qu’il offrit à Louise, avec un léger sourire pour sa femme :

« Moi, je m’en souviens très bien. En fait, ça commence un peu comme l’histoire de notre deuxième mariage parce qu’un jour, maman et moi on s’était disputés…
-Encore ! s’exclama Louise. Pourquoi ?
-Pour des bêtises.
-Mais racooooonte, se désespéra la fillette.
-Mhhh… Maman cherchait des papiers qu’elle avait laissé chez moi, elle m’avait demandé de regarder et je n’avais pas regardé au bon endroit, révéla Ignacio en gardant l’essentiel de l’anecdote pour eux, à savoir que Joséphine avait oublié ses papiers dans son réfrigérateur, à côté d’un paquet de salade. Des bêtises, reprit-il, mais on s’était quand même disputés. Et le soir, j’étais tout seul chez moi et là, je me suis rendu compte que ça me rendait vraiment triste que ta maman ne soit pas là et que je préférais encore devoir chercher ses papiers partout dans ma maison plutôt qu’elle ne soit plus jamais là avec moi…
-Et là, ça voulait dire que tu étais amoureux, là ?
-C’est ça, confirma Ignacio.
-Et toi, maman ? C’était pareil ? » s’enquit Louise, curieuse.


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L'infirmier avait disparu, laissant Joséphine seule face à sa culpabilité et au sentiment d'échec qui pesait lourdement sur sa poitrine. Elle avait terriblement honte de l'admettre, mais elle avait l'impression de ressentir un vague sentiment de soulagement, derrière la déception et la tristesse. Elle n'osait pas s'abandonner à ce sentiment, parce qu'elle avait conscience qu'il était déplacé et parfaitement monstrueux, mais il était bien là.

C'était terminé. Elle n'avait pas voulu que les choses se finissent de cette façon, et elle avait la gorge nouée et le coeur serré quand elle pensait à ce bébé qu'elle n'avait pas su mettre au monde, mais elle était soulagée que ce soit fini. Elle avait envie de mettre cet épisode derrière elle, de l'enterrer très profondément et de ne plus jamais y penser. Elle voulait oublier, retrouver sa vie d'avant, prétendre que ce n'était jamais arrivé.

La porte s'ouvrit sur Ignacio et Joséphine sentit le poids de sa culpabilité l'écraser. Elle s'en voulait terriblement, de ne pas avoir pu lui offrir la fille qu'il désirait tant. Elle s'en voulait encore plus d'éprouver malgré elle ce sentiment de soulagement maintenant que tout était terminé. Les larmes lui montèrent aux yeux alors qu'il s'approchait d'elle et glissait une main dans ses cheveux. Elle brûlait d'envie de s'excuser, encore et encore, de lui demander pardon, de lui avouer ce qu'elle ressentait, mais les mots restèrent coincés dans sa gorge. Elle avait terriblement besoin de lui parler mais elle était parfaitement consciente qu'elle ne pouvait pas lui dire ce qu'elle avait réellement sur le coeur. Elle ne pouvait pas confesser ces pensées horribles qui étaient les siennes. Elle ne pouvait pas lui demander de comprendre des sentiments si abominables.

"Ça va..." répondit-elle simplement quand il s'inquiéta de savoir comment elle se sentait.

Elle serre fort la main d'Ignacio dans la sienne, pour y trouver le courage d'affronter son regard doux et de s'excuser d'avoir perdu leur bébé. Il ne lui laisse pas le temps de chercher ses mots et, comme s'il avait pressenti ce qu'elle allait dire, il lui assure que leur bébé va bien. Elle reste un instant interdite, les sourcils légèrement froncés, refusant de croire ce qu'elle entend. Non, leur bébé ne va pas bien, c'est impossible. Leur bébé est mort. Elle n'a jamais vécu. Elle n'a pas pleuré. Et elle n'est pas là, avec eux.

Joséphine n'a pas voulu croire l'infirmier quand il lui a affirmé la même chose, mais Ignacio sème le doute dans son esprit. Pourquoi lui mentirait-il ? Et pourtant cela ne peut pas être vrai. Elle le saurait, si sa fille était vivante, elle le sentirait. Et on la lui aurait montrée, on la lui aurait amenée. Elle ne comprend plus rien. Elle ne comprend pas pourquoi on s'acharne à lui parler d'un bébé qu'on se refuse à lui présenter.

"Mais...non, proteste-t-elle faiblement. Elle...elle n'a pas crié, elle..."

Les larmes coulent sur ses joues alors qu'elle cherche dans le regard d'Ignacio la confirmation de cette terrible vérité qu'elle a déjà acceptée.

***

Joséphine sourit en écoutant Ignacio raconter à Louise ce qu'ils pouvaient aujourd'hui considérer comme leur première dispute de couple. Elle aussi, à l'époque, avait réalisé ce jour là que, même après une confrontation, elle avait envie d'être auprès de lui et qu'il lui manquait quand elle était chez elle. Pourtant, si elle avait dû désigner le moment où elle avait pleinement pris conscience de ses sentiments pour Ignacio, elle aurait choisi un autre jour, quelques mois plus tard, ce qu'elle expliqua à Louise quand elle lui retourna la question.

"C'était quand alors ? lui demanda la fillette, curieuse.
- Tu te souviens qu'avec Papa on s'est mariés aux Etats-Unis ?
- Oui à Las Vegas !"

Louise n'avait jamais été à Las Vegas mais, parce que ses parents s'y étaient mariés, elle en avait une image très romantique et assez éloignée de la vérité. Elle finirait bien par apprendre un jour que c'était un endroit où les gens, généralement complètement ivres, faisaient la queue pour être mariés à la chaine par des célébrités moldues.

"Pendant nos vacances là-bas, avant le mariage, Papa s'est fait mal. Joséphine vit sa fille ouvrir la bouche pour poser une question mais anticipa sans lui laisser le temps de la formuler. Rien de grave, mentit-elle, mais j'ai eu très très peur et j'ai réalisé que j'avais besoin qu'il reste avec moi, pour toute la vie. Elle glissa un regard vers Ignacio et échangea un sourire avec lui, qui n'échappa pas à Louise, qui aimait voir ses parents amoureux.
- Et du coup après vous vous êtes mariés !
- Exactement. C'était une version légèrement édulcorée, mais pas radicalement différente de la réalité.
- Tu t'étais fait mal où ?" enchaina Louise en se tournant vers son père.

Joséphine se demandait parfois si, un jour, ils arriveraient au bout des questions de Louise. Et au fond elle espérait bien que non.


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Ignacio Walker
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I will follow you way down wherever you may go [Joséphine & Ignacio] - Page 2 Icon_minitimeSam 9 Mar 2024 - 7:20
Joséphine ne le croit pas. Ce constat serre le cœur d’Ignacio alors qu’il croise son regard dans lequel brille une détresse qu’il n’interprète pas correctement. Lui pense que Joséphine n’ose pas y croire, qu’elle craint de s’abandonner à un tel espoir. Il ne songe pas une seule seconde qu’elle pourrait être soulagée par la disparition de leur bébé ; la peur a tant brûlé sa chair qu’il ne pourrait même pas l’envisager.

Alors il sort son téléphone et le déverrouille en même temps qu’il parle :

“Elle n’a pas crié tout de suite et ils ont dû l’aider un peu au début mais elle va bien. Elle respire toute seule, même.”

En entrant dans sa chambre quelques heures plus tôt, Ignacio a eu peur de voir sa fille branchée à tout un tas de machines bruyantes et terrifiantes. Finalement, elle repose simplement dans un gros berceau qui la maintient au chaud et cette idée le rassure car elle signifie qu’elle peut exister par elle-même. Elle est née tôt, mais pas trop tôt pour que sa santé soit menacée.

“J’ai pas pu la prendre avec moi pour venir te voir, ils avaient peur que je la fasse traverser l’hôpital, à cause des microbes et tout... Mais j’ai pris des photos.”

Il ouvre la galerie dans laquelle tous les derniers clichés montrent un petit bébé emmitouflé dans un linge, le crane recouvert de minuscule cheveux roux. Pendant qu’il l’observait religieusement, Ignacio a joué au jeu des ressemblances. Il trouve qu’elle a le nez de Joséphine mais ses yeux à lui. Et puis, évidemment, elle est rousse – ce n’est pas une surprise, le gêne court dans les deux côtés de sa famille.

“Tiens, regarde”
lui dit-il en tournant l’appareil vers elle. “Elle va bien, je te jure.”

***

Le souvenir convoqué par Joséphine tira un sourire à Ignacio qui leva les yeux vers sa femme. Il gardait un souvenir très précis de leur voyage aux États-Unis, tant parce qu’il avait longtemps hanté ses pensées que parce qu’il avait révélé de très belles choses entre lui et Joséphine. Parfois, elle le taquinait sur le fait qu’il avait attendu d’être dans des toilettes miteuses avec le bras ensanglanté pour lui dire qu’il l’aimait.

Et Ignacio n’avait malheureusement rien à répliquer à ça (si ce n’était qu’il l’avait tout de même fait en premier.)

Après ce voyage chaotique et ce mariage express, Ignacio et Joséphine avaient envisagé de divorcer. Ils s’étaient même renseignés sur les démarches, comme si l’accomplissement de la vision les libérait brusquement de cet engagement l’un envers l’autre. Ils en avaient parlé une fois, peut-être deux et avaient même demandé les papiers officiels. Ils ne les avaient jamais remplis ; du buffet, ils avaient été déplacés sous la table basse, puis sur une étagère un peu éloignée, puis rangés dans une chemise avec d’autres papiers. Un jour, Ignacio les avait retrouvés (ce n’était jamais Joséphine qui retrouvait des papiers administratifs) et il avait demandé : “on pourrait peut-être les jeter, non ?”. Et voilà.

Ce pan de leur histoire le faisait toujours sourire.

“Au bras, trésor,
répondit-il à Louise qui le questionnait.
-Comme moi quand je me suis cassée le bras une fois au parc ?
-Mhhh, oui, voilà, un peu comme ça” mentit Ignacio en gratifiant sa fille d’un sourire. “Bon alors ! Qu’est-ce que ça donne, ces tresses ?”

Il se leva et passa derrière Louise pour faire mine d’inspecter sa coiffure.

“Bah, je pense que je fais des tresses aussi droites que celles de maman.”

Louise pouffa et jeta un regard malicieux à sa mère :

”Elles sont pas droites et en plus papa il fait des bosses... fit-elle en français, ce qui ne manqua pas de faire réagir son père :
“Dis-donc, Louise Walker ? Tu crois que j’ai besoin de parler couramment le français pour savoir quand tu te moques de moi avec maman ?
-Mais j’ai rien dit !
-Ben voyons.
-J’ai dit que tu étais le meilleur papa du monde...
-Ah oui ?
-Oui !
-Le meilleur papa du monde qui...” il fit mine de réfléchir “fait des bosses quand il te coiffe ?
-Comment tu sais ??”

Parce que “bosses” ressemblaient étrangement à “bumps”, qu’Ignacio vivait depuis plus de dix ans avec une femme française et qu’il aurait été profondément scandaleux qu’il soit toujours incapable de comprendre ce qui relevait d’un vocabulaire plutôt basique. Mais il préféra hausser les épaules avec un regard énigmatique :

“Je fais des efforts, si jamais tu vas finalement à Beauxbâtons l’année prochaine...”


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I will follow you way down wherever you may go [Joséphine & Ignacio] - Page 2 Icon_minitimeSam 9 Mar 2024 - 10:17
Le coeur de Joséphine bat trop fort dans sa poitrine alors qu'Ignacio déverrouille son Pear, pour lui montrer des photos d'un tout petit bébé, emmitouflé dans une couverture, avec de minuscules cheveux roux sur la tête, qui dépassent d'un petit bonnet blanc. Leur fille, qui dort paisiblement dans un berceau éclairé d'une lumière bleutée. Leur fille qui a survécu, qui est vivante, qui va bien. Cette vision déchaine en elle une tempête d'émotions contradictoires.

Bien sur qu'elle est heureuse que leur fille soit vivante. Bien évidement qu'elle n'aurait pas préféré qu'elle soit morte. Mais elle l'a cru, pendant un moment. Elle a pensé que sa fille était morte. Elle l'a accepté. Et pendant un instant, un terrible instant qu'elle ne pourra jamais partagé avec personne, elle en a été un peu soulagée. La culpabilité lui écrase si lourdement la poitrine qu'elle parvient à peine à respirer.

Elle n'aurait pas dû être capable de penser de telles choses. Elle était sa mère, elle aurait du garder espoir jusqu'au bout, elle aurait du savoir, elle aurait du sentir que sa fille était là, qu'elle était vivante. Et elle devrait être profondément soulagée de la savoir en vie, de réaliser qu'elle s'était trompée, mais elle ne ressent que cette culpabilité dévorante. Elle n'entend que cette petite voix dans sa tête, qui lui rappelle qu'elle a pensé que sa fille était morte, et qu'elle en a été soulagée. Elle se sent monstrueuse.

Elle a besoin de l'avouer, elle a besoin de se soulager de ces horribles pensées mais les mots restent coincés dans sa gorge et se transforment en sanglots. Ce ne sont pas des choses qu'on dit à voix haute. Ce ne sont même pas des choses qu'on pense. Quand elle ouvre finalement la bouche, seuls des pleurs s'échappent de ses lèvres.

"Je...J'ai cru que..." Elle n'arrive pas au bout de sa phrase, hoquète entre deux sanglots et enfouit son visage dans ses mains pour se soustraire de la vue d'Ignacio.

Elle ne pourra jamais lui dire, elle ne pourra jamais lui avouer ce qu'elle a pensé, ce qu'elle a ressenti.
Jamais elle ne s'est sentie moins prête à devenir mère qu'à cet instant où il lui dit qu'elle l'est déjà.

*****

Joséphine rendit son sourire malicieux à sa fille quand celle-ci s'adressa à elle en français pour remettre en question les talents de son père en matière de coiffure. Louise partait du principe que seule sa mère pouvait la comprendre quand elle s'exprimait en français, et cela avait été le cas au début, quand elle était petite, mais Ignacio avait depuis fait suffisamment de progrès pour saisir l'idée générale de leurs échanges, ce qui ne manqua pas de la surprendre.

La surprise de la fillette se transforma rapidement en inquiétude quand son père mentionna Beauxbatons, où ses parents avaient un temps envisagé de l'inscrire. Joséphine avait beaucoup apprécié sa scolarité en France, cela permettrait à Louise de parfaire son français, et ils aimaient l'idée de pouvoir retrouver leur fille chaque week-end. Ils avaient finalement abandonné l'idée, en partie parce que Poudlard avait assoupli ses règles au sujet de l'internat, et en partie parce que Louise tenait absolument à faire ses études en Angleterre, avec Alma.

"C'est trop tard de toute façon ! affirma-t-elle, plutôt fière de l'incompréhension de ses parents face à sa déclaration, qu'elle consentit à leur expliquer. Les années à Beauxbatons sont pas les mêmes qu'à Poudlard. Tous les élèves nés en 2012 font leur rentrée cette année, même ceux qui sont nés après le mois de septembre. Donc si je devais aller à Beauxbatons ce serait cette année, pas l'année prochaine."

Particulièrement fière de sa démonstration, la fillette croisa les bras et releva les yeux vers ses parents avec un air de défi.

"Donc si tu faisais ta rentrée à Beauxbatons cette année, on pourrait aller t'acheter une baguette aujourd'hui, c'est ça ? s'enquit Joséphine en toute innocence.
- Euh...oui....
- Mais tu préfères aller à Poudlard et attendre encore un an avant de pouvoir faire de la magie ?
- Bah oui....
- Tu n'as pas vraiment envie d'avoir une baguette alors ?"


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I will follow you way down wherever you may go [Joséphine & Ignacio] - Page 2 Icon_minitimeLun 11 Mar 2024 - 3:53
15 janvier 2012, Oxford.

Louise babille dans les bras d’Ignacio. Elle fait des petites bulles avec sa salive et esquisse des sourires baveux alors que son père ajuste son gilet pour la garder au chaud. Le mois de janvier est particulièrement froid cette année, tellement froid que des plaques de verglas se forment régulièrement sur les routes. Ignacio est très prudent avec la santé de sa fille ; il craint qu’elle ne retombe malade. Son hospitalisation a été difficile, surtout au pic de son infection, lorsque les traitements antibiotiques ne fonctionnaient pas encore. Ignacio a passé des nuits entières dans ce fichu hôpital, le dos raide, le visage froissé par l’inquiétude et, vraiment, il donnerait tout ce qu’il possède pour ne pas y retourner. Alors il est prudent. Il couvre bien sa fille, il évite de l’emmener dans des endroits trop fermés, il stérilise consciencieusement ses biberons. Il est prudent.

Et comme il est prudent, leur sortie du jour ne l’enchante pas ; il doit amener Louise chez le pédiatre pour son rendez-vous mensuel. Il n’aime pas vraiment l’idée de passer une demi-heure dans un endroit où tous les parents d’Oxford amènent leurs gosses malades. Cette pensée l’inquiète et l’agace ; il aurait préféré une visite à domicile. Et puis, la nuit a été courte, Louise s’est réveillée peut-être six fois et il n’a pas réussi à se rendormir entre chacun de ses réveils. Joséphine ne se lève jamais la nuit ; parfois, Ignacio se demande si elle entend leur fille.

Elle est pelotonnée dans le canapé lorsqu’il pénètre dans le salon. Louise est allongée dans le couffin qui se fixe ensuite au landau qu’Ignacio utilise parfois pour sortir et il la dépose délicatement sur la table basse. Son regard cherche celui de sa femme.

“Jo ?” Elle relève la tête. “Je dois emmener Louise chez le pédiatre, tu viens avec nous ?” Et il enchaîne : “Et on pourrait aller se balader un peu, après ?”

***

Louise était une petite fille très intelligente – selon les dires de ses très objectifs parents – qui avait toujours réponse à tout. Ce n’était même pas tant qu’elle était dans l’opposition franche et brutale, mais plutôt qu’elle savait se montrer créative et rusée pour imaginer mille idées qui lui permettraient d’avoir le dernier mot. Elle avait bien réfléchi à son petit commentaire sur Beauxbâtons, cela se voyait à son petit sourire satisfait.

Son petit sourire qui s’effaça bien vite, dès que sa mère reprit la parole.

Ignacio étouffa un rire ; Louise n’aimait pas vraiment quand ses parents se montraient plus malins qu’elle.

“Mais c’est pas du tout la même chose, maman ! répliqua-t-elle.
-Ah non ?
-Mais non ! Je... Je veux faire de la magie en Angleterre parce que... Je parle mieux anglais que français ! Donc je serais plus forte ici !
-Oh, tu sais, fit Ignacio en haussant les épaules, les formules latines qu’on utilise se rapprochent beaucoup plus du français que de l’anglais...
-Mais...” Louise soupira très dramatiquement. “C’est nul, se plaignit-elle. On pourrait quand même aller voir le magasin de baguettes... On sait jamais... Juste pour voir si ça marche ou pas !”

Ignacio coula un regard vers Joséphine ; quand elle avait une idée en tête, Louise pouvait se montrer très – très – obstinée.


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I will follow you way down wherever you may go [Joséphine & Ignacio] - Page 2 Icon_minitimeLun 11 Mar 2024 - 7:46
Cela fait deux mois que Joséphine essaye d'accepter son nouveau rôle de mère. Elle essaye, vraiment, et elle échoue continuellement. Elle a envie que les choses soient simples, qu'elles soient naturelles. Elle a envie d'aimer inconditionnellement sa fille, sans se poser de question. Cela devrait être facile, instinctif même, mais pour elle c'est une lutte de chaque instant, et elle est épuisée.

Elle a du mal à trouver en elle la force nécessaire pour faire le strict minimum pour se maintenir en vie. Elle ne mange pas assez, ne dort presque pas, ne boit pas assez d'eau. Elle devrait être complètement remise de son opération depuis longtemps mais elle son corps affaibli peine à la surmonter. La cicatrice lui fait toujours mal, elle se sent encore faible, et elle est parfois prise de vertiges. Elle n'a pas touché aux compléments alimentaires et autres onguents cicatrisants prescrits par la maternité.

Le simple fait de sortir du lit lui parait chaque jour insurmontable. Et souvent, elle y renonce.

Elle ne se supporte plus. Elle ne supporte plus ces pensées horribles qui tournent en boucle dans sa tête. Elle n'en peut plus d'être constamment épuisée et pourtant toujours si loin de ce qu'on attend d'elle. Elle essaye de remonter la pente mais elle a l'impression que pour un pas en avant elle retombe trois pas en arrière. Et elle s'en veut, de ne pas y arriver. Elle se déteste d'être comme ça, de ne pas réussir à faire ce que des milliards de femmes font chaque jour. On ne lui demande que d'aimer son enfant, et d'en prendre soin, et elle n'y arrive pas.

Ignacio dépose Louise dans ses bras, parfois, et elle l'observe longuement. Elle a les yeux de son père, mais son nez à elle, elle est toute petite, elle a des mains et des pieds minuscule. Elle sent bon. Elle est toute chaude, contre elle, toute fragile. Et elle ne ressent rien. Parfois sa fille s'endort dans ses bras sans la moindre crainte, comme si elle s'y sentait protégée, dans les bras de cette mère qui l'avait pourtant condamnée à mort avant même qu'elle ne vienne au monde. Dans ces moments-là, Joséphine se déteste tellement qu'elle se fait peur. Elle a peur de se faire du mal, ou de faire du mal au bébé, et elle préfère s'en éloigner.

Souvent, elle se dit que sa fille serait mieux sans elle, que son absence ne ferait aucune différence. Elle commence à se dire la même chose au sujet d'Ignacio. Elle voit bien, dans sa façon de la regarder, qu'il ne la comprend pas. Et elle est incapable de lui expliquer. Plusieurs fois elle a songé à partir, sans jamais osé. Pour aller où ? Pour faire quoi ? Elle n'a pas envie de retrouver sa liberté, ou sa vie d'avant. Elle ne veut pas se séparer de lui et se retrouver seule. Elle n'a aucune envie, aucun désir, aucun but à poursuivre. Elle veut juste que tout s'arrête.

Elle relève brièvement la tête quand Ignacio l'interpelle. Elle a le teint blafard, les yeux profondément cernés. Elle perd ses cheveux par poignée et ses joues rondes commencent à se creuser. Elle baisse les yeux pour éviter son regard et secoue négativement la tête.

"Allez-y sans moi", répond-t-elle simplement, presque par automatisme.

Cela fait presque deux mois qu'elle n'est pas sortie de l'appartement, mais l'idée de se retrouver face au pédiatre l'effraie. Elle a peur qu'il voit. Qu'il voit quelle mauvaise mère elle est, qu'il voit qu'elle n'aime pas sa fille, qu'elle est une horrible personne.

***

Un sourire amusé passa sur le visage de Joséphine alors qu'elle observait sa fille tenter de reprendre le dessus dans le débat qui l'opposait à ses parents. Louise aimait beaucoup argumenter, elle pouvait se montrer très obstinée quand elle voulait quelque chose, et il était souvent difficile de la faire changer d'avis. Joséphine affirmait, en toute mauvaise foi, qu'elle tenait ça de son père.

Mais la fillette savait reconnaitre quand une partie était perdue, et elle abandonna donc son argumentation logique pour jouer sur le tableau de l'affect. Elle soupira profondément et leva vers ses parents des yeux désespérés et suppliants en expliquant qu'ils pouvaient quand même passer par le magasin de baguettes, juste pour voir.

"Juste pour regarder alors ?
- Mais oui !
- Tu sais que tu n'auras pas le droit de choisir une baguette ? vérifia sa mère, qui préférait que les choses soient claires pour lui éviter une déception future.
- C'est la baguette qui choisit le sorcier, répliqua Louise avec son sourire le plus innocent. J'y peux rien moi si une baguette me choisit...
La fillette avait bien réfléchi son plan, à une exception près...
- Mais tu n'as pas encore onze ans, donc aucune baguette ne va te choisir, lui répondit Joséphine avec douceur. Tu veux quand même aller voir ? Même si c'est pour repartir sans baguette magique ?
- Peut-être que je peux la réserver pour l'année prochaine ! Comme ça je choisis la plus jolie !Ça, elle le tenait peut-être de sa mère.
- Je croyais que c'était la baguette qui choisissait le sorcier ?
- Ah, oui... J'espère que la mienne sera jolie, celle d'Alma est trop belle ! Je peux regarder les vôtres ? "



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I will follow you way down wherever you may go [Joséphine & Ignacio] - Page 2 Icon_minitimeMer 13 Mar 2024 - 7:16
Joséphine a une voix éteinte, un regard éteint, un visage éteint. Parfois, Ignacio songe que la vie l’a quittée lorsqu’elle l’a donnée à Louise, comme s’il n’y en avait pas assez pour elles deux. Ça lui fait peur, une aigreur dans l’estomac qui ne le quitte jamais, un poids dans le cœur qu’il porte tous les jours. Parfois, le soir, quand il enlace Joséphine, il a l’impression qu’elle pourrait se briser dans ses bras, s’évaporer puis disparaître.

Parfois, la peur qui l’habite le met en colère. Il aimerait la secouer pour la ramener à la vie, hurler dans ses oreilles pour chasser le silence dans lequel elle s’enveloppe, faire quelque chose, n’importe quoi pour que son esprit réintègre son corps amaigri. De temps en temps, des disputes murmurées émergent entre eux mais finissent toujours par tarir. Pas par s’apaiser ; Joséphine n’a juste pas l’énergie de lui répondre. Alors elle fixe un mur et Ignacio s’en va.

Il ne sait pas comment faire. Il est perdu, fatigué, terrifié et désespérément seul. Tellement seul qu’il a pleuré au téléphone, la dernière fois qu’il a eu son père. De l’autre côté de l’océan Atlantique, Elijah Walker est resté silencieux de longues secondes comme pour laisser à son fils la possibilité d’occuper tout l’espace avec son désespoir. Et puis il a dit “Joséphine a besoin d’aide, Iggy” et “toi aussi tu as besoin d’aide”. Il lui a proposé de venir en Angleterre et, comme Ignacio n’a pas su quoi répondre, il lui a dit qu’il prendrait ses billets dès le lendemain. Il doit arriver la semaine prochaine mais Ignacio ne l’a pas encore dit à Joséphine ; elle refuse de sortir de l’appartement et il craint qu’elle n’ait pas plus envie de recevoir son beau-père. Comme il n’a pas envie de se disputer avec elle, il ne dit rien. Demain, peut-être.

Lorsqu’elle refuse sa proposition, c’est une familière terreur qui s’agite en lui. Il hoche la tête, soulève le couffin de Louise.

“Ok.” Une part de lui n’a pas envie de quitter le salon. “Je serai là dans une heure” promet-il finalement.

Quelques minutes plus tard, la porte de l’appartement se referme derrière lui. Louise est allongée dans son landau et agite ses petites mains dans les airs. Ses mouvements sont entravés par l’épaisse combinaison qu’elle porte mais elle ne semble pas s’en formaliser. Ignacio a un sourire en l’observant ; sa vie a l’air tellement paisible. Les brefs moments comme celui-ci lui offrent une maigre fenêtre pour respirer alors il inspire et il inspire encore toute la douceur qui émane des yeux de sa fille. Il est comme un homme privé d’oxygène, comme un assoiffé en plein désert ; les brefs moments comme celui-ci sont les seuls qui l’aident à tenir.

Parfois, Ignacio aussi a l’impression qu’il va s’effondrer. Il ne tient plus, ou alors à peine parce qu’il se dit qu’il doit tenir, qu’il ne peut pas faire autrement. Ce n’est pas complètement faux ; s’il lâche, il n’y a personne pour le rattraper, lui, Louise et Joséphine. Alors il tient mais ses nerfs sont usés, sa patience est réduite à une peau de chagrin mais, surtout, son inquiétude le bouffe. C’est là, ça lui dévore les entrailles, il aimerait arracher le malheur de Joséphine pour l’avaler, le porter, le réduire en miettes, il ne sait pas mais tout plutôt que d’assister à sa lente descente aux enfers.

Dans son malheur, Ignacio oublie des choses – lui qui s’est si souvent vanté d’être parfaitement organisé – et, cette fois-ci, c’est le carnet de santé de sa fille. Il s’en rend compte en arrivant dans la salle d’attente parce qu’une maman feuillette celui de son enfant qui tousse à côté d’elle. Il jure intérieurement et hésite. Il n’a pas envie de faire le trajet en sens inverse mais, en même temps, il sait que le pédiatre voudra voir le carnet de santé de Louise pour suivre sa courbe de poids. Il évalue la situation ; il y a deux mamans qui attendent devant lui, il a sûrement le temps de faire l’aller-retour. Et puis, se dit-il pour se décider, ça évitera à Louise d’attendre dans un univers contaminé par les microbes.

L’air extérieur est froid et presse Ignacio. Il marche, les pensées rendues confuses par la fatigue et appelle l’ascenseur lorsqu’il arrive dans le hall de son immeuble. Il attend en ayant l’impression que la machine descend avec une infinie lenteur. Ses yeux font des allers-retours réguliers vers sa montre – Ignacio n’aime pas être en retard. Les portes s’ouvrent enfin, il appuie sur le bouton de son étage, patiente et arrive enfin devant chez lui. Sa baguette trace un code sur la porte. Il entre.

L’appartement est calme, comme toujours. Ses yeux tombent sur une silhouette attablée face au bar de la cuisine. Joséphine, ses cheveux roux emmêlés, ses mains posées de part et d’autre de son visage, fixe un verre de whisky avec intensité.

Devant elle, il y a plusieurs fioles vides. Au moins deux, dont la couleur permet à Ignacio de les identifier.

Ce sont des potions d’anti-douleur, celles qui lui ont été données après son accouchement. Efficaces à un certain dosage.

Fatales à un autre.

Sa voix s’élève brusquement et brise le silence alors qu’il s’avance précipitamment vers Joséphine.

“Qu’est-ce que t’es en train de faire ?!”

***

Louise avait toujours des idées pour toutes ses envies et des solutions pour tous ses problèmes. Elle était très obstinée – comme sa mère, disait souvent Ignacio – et capable d’imaginer mille choses pour parvenir à ses fins sans jamais entrer dans une opposition frontale. C’était assez amusant à regarder et Ignacio était même fier de voir que sa fille était aussi intelligente et vive d’esprit (même quand ça ne l’arrangeait pas beaucoup qu’elle le soit.)

Joséphine fut toutefois suffisamment avertie pour prévenir Louise d’une probable déception au magasin, ce que la fillette sembla entendre de manière assez lointaine. Elle voulait désespérément avoir une baguette magique, quitte à penser qu’elle pourrait être choisie envers et contre toutes les règles. Finalement, elle se rabattit sur les baguettes de ses parents, manifestant à nouveau une curiosité certaine qui ne tarissait jamais.

“Oui, bien sûr.” Ignacio tendit la main pour attraper sa baguette. “Tiens, regarde.”

Sa baguette était faite en bois de hêtre et comprenait un ventricule de dragon. Elle mesurait 21,3 centimètres, ce qui en faisait une baguette assez courte, très efficace pour les duels. C’était la sienne depuis ses onze ans et elle lui convenait très bien. Le manche était un peu stylisé, il y avait des arabesques taillées dans le bois, qui formaient un curieux dessin.

“C’est quoi ça ? demanda justement Louise.
-Je ne sais pas trop... avoue Ignacio. Quand j’étais petit, le vendeur m’a dit que le dessin symbolisait l’énergie mais je n’ai jamais eu beaucoup plus d’explications.
-Elle est trop beeeelle, soupira Louise. Moi aussi je veux des dessins sur ma baguette ! Et est-ce qu’on peut mettre un peu des décorations aussi ? Comme...
-Des paillettes ? acheva Ignacio, qui connaissait un peu trop bien sa fille.
-Oui ! Ou un manche avec des couleurs !”

Il échangea un regard avec Joséphine et finit par répondre avec prudence :

“C’est peut-être possible. Mais seulement si ça n’abîme pas le bois donc, par exemple, on ne peut pas mettre de la colle !
-Oh ! Mais ça veut dire qu’on peut mettre des choses sur vos baguettes ! Montre ta baguette, maman, et après on les décore mieux !”

Forcément.


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Ignacio accepte son refus, sans formuler les reproches qu'elle mérite pourtant. Parfois, Joséphine préférait qu'il lui en veuille, qu'il la déteste, qu'il lui crache au visage toute cette haine qu'elle ressent contre elle-même. Elle mérite sa colère mais ne récolte que son silence et sa patience.

Il s'inquiète pour elle, et ils se disputent parfois brièvement sur ce sujet, sans jamais qu'il ne formule les accusations qu'elle semble attendre. Il est infaillible là où elle est médiocre, et le naturel avec lequel il s'occupe si bien de Louise lui rappelle en permanence à quel point elle n'est pas à sa hauteur. De plus en plus souvent, elle se dit qu'il serait mieux sans elle. Ils ne se parlent plus, ne se touchent plus, elle n'a plus rien à lui offrir, elle n'est plus qu'une source d'angoisse pour lui. Un fardeau. Elle est devenue une terrible épouse, en plus d'être une mauvaise mère.

Elle sursaute légèrement en entendant la porte d’entrée claquer. Le silence tombe sur l’appartement, mais pas dans son cerveau, qui continue de bouillonner au rythme des pensées qui polluent son existence. Elles ne se taisent jamais. Lui rappellent en permanence son échec, son incompétence.

Elle pense des choses inavouables qu’elle ne peut partager avec personne et qui creusent un gouffre au creux de sa poitrine. Elle reçoit chacune de ces vagues de culpabilité avec un plus de force que la précédente et elle n’arrive plus à remonter à la surface. Elle est en train de se noyer et elle est trop fatiguée pour continuer de se débattre. Elle n'en peut plus de lutter contre elle-même. La haine qu'elle se porte l'épuise. Elle veut que tout s’arrête.

Comme s’il s’agissait d’un geste réfléchi depuis longtemps, qu’elle attendait d’être seule pour mettre en œuvre, Joséphine s’extirpe de la couverture dans laquelle elle était enveloppée et se lève du canapé. Le froid la fait frissonner et elle se dirige d’un pas un peu chancelant vers une desserte sur laquelle sont disposées quelques bouteilles d’alcool. Elle en attrape une au hasard, sans même regarder l’étiquette, et en verse une généreuse quantité dans un verre en cristal. Du whisky, d’après l’odeur.

Elle s’empare du verre, s'assoit sur l'un des tabourets du bar de la cuisine, et le pose sur la table face à elle. Elle plonge la main dans la poche de son jogging pour en sortir deux petites fioles en verre, qu’elle garde sur elle depuis plusieurs jours, peut-être une semaine. De fortes potions anti-douleur, qu'on lui a prescrit après son accouchement et qu'elle a oublié de prendre. Elle a négligé son traitement, comme tant d'autres choses. Elle fait tourner une des fioles entre ses doigts. Elle connaît l’étiquette par cœur. Dissoudre 3 à 5 gouttes dans un verre d’eau, deux à trois fois par jour. Plusieurs pictogrammes alertent du risque de surdosage. Ne pas mélanger avec de l’alcool. Ne pas dépasser la limite de dix millilitres par jour. Elle sait qu’à partir d'une demi-fiole, il y a un risque élevé de malaise cardiaque, et qu’à partir d'une fiole entière, les chances de survie sont presque nulles. Elle le sait parce qu’elle a fait la recherche sur son Pear, il y a quelques jours.

D’un geste, elle débouche une fiole, puis l'autre, et les vide entièrement dans le verre de whisky. Elle observe les liquides qui se mélangent d’un regard un peu absent. Elle se sent déjà mieux. Le simple fait de savoir qu’il lui suffirait de vider ce verre pour que tout s’arrête suffit à l'apaiser. Il lui suffit de boire ce verre pour s’endormir, et ne jamais se réveiller. Cela semble facile. Tellement plus facile que d’exister, dans ce monde où elle n’arrive pas à être celle qu’elle voudrait être.

Elle n’a pas peur. Mourir ne lui fait pas peur. C’est la vie qui la terrifie. Cette vie dans laquelle elle ne trouve plus sa place. Elle n’arrive pas à s’adapter à son nouvel environnement et à son nouveau rôle, qui semble beaucoup trop grand pour elle. Elle se sent comme une enfant qui essaierai de faire entrer un carré dans un rond. Elle a beau forcer au point d’abîmer les angles, d’entamer le bois et d’écailler la peinture, ça ne fonctionne pas. Et ça ne fonctionnera jamais. Parce que les carrés ne deviennent pas des ronds. Aussi sûrement que les putes ne deviennent pas des mamans.

Elle tend la main et attrape le verre, le regard vide. Elle le porte à ses lèvres mais des bruits de pas dans le couloir lui font suspendre son geste. Elle a juste le temps de reposer précipitamment le verre sur le bar avant que la porte de l’appartement ne s’ouvre. Elle se fige face à Ignacio, tressaille quand sa voix brise brusquement le silence de l'appartement.

"Je suis désolée..." souffle-t-elle alors qu'il s'approche d'elle précipitamment.

Elle ne pense même pas à nier. Elle s'en veut de l'abandonner mais elle s'en voudrait encore plus de rester et de lui imposer cette horrible personne qu'elle est devenue. Ils seront plus heureux sans elle, avec Louise, elle le sait et elle est persuadée qu'au fond il le sait aussi. S'il est honnête avec lui-même, il sera certainement soulagé, une fois la tristesse passée.

Elle garde la tête baissée et évite son regard. Elle ne veut pas voir son inquiétude et sa peur. Elle ne veut pas se laisser convaincre qu'elle devrait se battre ou qu'elle mérite une énième chance. C'est foutu. Elle a essayé et elle a échoué, encore et encore. Elle ne s'en sortira jamais. Et elle ne veut pas l'entraîner plus loin dans sa chute.

"J'en peux plus, avoue-t-elle dans un murmure alors que ses yeux se remplissent de larmes. J'y arrive pas..."

Elle lève finalement le visage vers lui et le supplie du regard. Le supplie de la laisser faire. C'est la seule solution, la seule issue à cette situation de laquelle ils sont prisonniers depuis deux mois. Il n'est pas heureux, elle le voit. Ce désespoir qui la ronge commence à le grignoter lui aussi et c'est le seul moyen d'y mettre un terme.

Elle a envie de lui dire qu'elle l'aime, une dernière fois, mais se ravise. Elle risquerait de changer d'avis s'il lui répondait de la même façon.

"Il faut que ça s'arrête..."

Sa main tremble alors qu'elle esquisse un geste en direction du verre.

***

Joséphine ne put s’empêcher de sourire en imaginant la baguette d’Ignacio couverte de paillettes, mais ravala bien vite son rire quand sa fille lui demanda à son tour sa baguette, avec la ferme intention de la décorer elle aussi.

"Elle est plus grande que celle de Papa ! Commenta Louise en fronçant les sourcils. Elle posa les deux baguettes côté à côté pour mieux observer l’écart de taille entre les deux. Alors que t’es beaucoup plus petite..." ajouta-t-elle à l'attention de sa mère avec un sourire un peu moqueur.

Du haut de ses dix ans, Louise n’était pas loin d’atteindre la taille de sa mère et vérifiait tous les deux jours si elle l’avait dépassée ou non. Joséphine était parfaitement consciente qu’il suffirait de quelques mois pour qu’elle doive lever les yeux pour parler à sa fille, et savourait les derniers instants où elle pouvait l'embrasser sur le front sans se hisser sur la pointe des pieds.

"Tu sais, ce n’est pas la taille qui compte. Joséphine évita soigneusement de croiser le regard d'Ignacio qui, contrairement à leur fille, n’aurait pas manqué le double sens de cette phrase
- Elle est plus légère par contre ! reprit Louise en poursuivant son examen des deux baguettes. C’est quoi comme bois ?
- Du tilleul
- Comme dans la tisane ? s’étonna Louise en fronçant les sourcils, visiblement peu convaincue.
- Euh oui, j’imagine.
- Ça a pas l’air très solide… commenta Louise, en pliant légèrement la baguette entre ses mains.
- Fais doucement Loulou
- Oui oui ! répondit distraitement la fillette. On pourrait mettre un ruban autour du manche, avec un joli nœud ! En fait je crois que je veux faire ça quand je serai grande !
- Fabriquer des baguettes ?
- Mais non, les décorer !" Évidemment.

Louise attrapa le manche de la baguette de la sa mère et la fit tourner entre ses doigts pour l'observer sous tous les angles. Des flocons se déposèrent alors sur ses tresses rousses et elle leva les yeux au plafond en même temps que ses parents pour constater qu'elle était en train de faire tomber de la neige.

"Oups !
- Assez de magie pour toi aujourd'hui, affirma Joséphine en tendant la main pour que sa fille lui rende sa baguette
- Mais...
- Pas de "mais", tu n'as pas le droit d'utiliser une baguette avant onze ans ! Tu n'as pas envie que le Ministère débarque ici pour usage abusif de la magie ? Louise secoue négativement la tête en ouvrant de grands yeux ronds.
- Est-ce qu'on peut aller en prison si on fait de la magie avant onze ans ?"


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I will follow you way down wherever you may go [Joséphine & Ignacio] - Page 2 Icon_minitimeDim 17 Mar 2024 - 1:26
La voix d’Ignacio s’élève, aussi forte que l’urgence qui grandit en lui. Ses pensées ne sont pas assez organisées pour exprimer clairement ce qu’il voit mais il sait. Il sait, il comprend et c’est comme une brusque décharge d’adrénaline dans son corps. Il abandonne le landau de Louise dans l’entrée et s’avance précipitamment vers Joséphine, le cœur affolé, la peur dans les yeux. Elle ne bouge pas, n’esquisse pas un geste. Puis elle s’excuse.

Elle s’excuse.

Et là, le cœur affolé d’Ignacio chute dans sa poitrine. Dans son esprit, les mots dansent et s’arrangent en phrases ; la réalité insupportable s’inscrit partout en lui, partout autour de lui. Joséphine veut mourir. Non, ce n’est même pas un simple désir, c’est une volonté qui s’exprime dans le liquide tourbillonnant entre les parois d’un verre en cristal posé face à elle. Elle s’apprêtait à mourir, à vider le contenu de ce verre et à attendre la fin. S’il avait attendu l’ascenseur un peu plus longtemps, il l’aurait peut-être trouvé effondrée sur le sol, les yeux révulsés vers l’arrière.

Son regard agrandi par l’effroi croise celui éteint de Joséphine. Elle n’en peut plus, dit-elle. Elle n’y arrive pas. Sa voix le brise en morceaux et c’est une vague de culpabilité qui s’abat sur lui alors qu’il se fige à quelques centimètres d’elle. Une voix perfide lui murmure que c’est sa faute ; il sait depuis des mois que Joséphine n’a jamais désiré cette vie-là. Elle était dévastée d’apprendre sa grossesse, désespérée de devoir la mener à terme. Il ne l’a pas écoutée. Il a pensé que les choses iraient mieux plus tard : après la première échographie, après l’accouchement, après l’hospitalisation de Louise... Après, après, après. Mais le temps qui passe ne guérit rien et ne fait émerger aucun désir chez Joséphine. Pas le désir d’être la mère de Louise.

Ni même le désir de vivre.

Ce constat est d’une violence inouïe pour Ignacio, qui sent la peur, la colère et la culpabilité se confondre en lui. Une part de lui le projette dans une réalité alternative, pas si éloignée de celle dans laquelle il se tient. Même salon, même éclairage, même bruits environnants. Mais le verre en cristal brisé sur le parquet, le corps de Joséphine inanimé sur le sol et de l’écume autour de sa bouche. Et lui, devant cette scène. Et Louise, dans son landau.

L’image lui donne envie d’hurler à s’en déchirer les poumons. C’est intolérable.

Et le pire, c’est que sa présence ne dissuade pas Joséphine de réaliser cette vision.

Elle tend une main tremblante vers son verre, avec des mots d’excuse et un regard suppliant.

En fait, elle le prie de la laisser mourir.

Le geste d’Ignacio est plus vif que celui de Joséphine. Ses doigts viennent saisir le bord du verre avant que sa femme ne puisse l’atteindre. Il le ramène vers lui et, parce qu’il ne sait pas quoi en fait d’autre, le laisse tomber par terre. Le verre s’éclate lorsqu’il touche le sol et le liquide se répand dans une flaque malodorante.

“Mais... Mais Joséphine, mais...” Il balbutie, la bouche anesthésiée alors que ses pensées défilent à toute vitesse. “Mais tu peux pas faire ça.” Le mot “suicide” n’arrive même pas à franchir ses lèvres. Et puis les phrases s’emballent, fusent, glissent : “Mais putain mais il se serait passé quoi si j’étais pas rentré ? Ou si j’étais rentré plus tard ? Je t’aurais retrouvé morte dans le salon, c’est ça ? Et là, tu crois... Tu crois quoi ? Que j’allais te laisser vider ton verre cul-sec ? T’attendais quoi de moi ? Que je te dise “bien sûr mon amour, tiens je vais te reprendre une potion histoire d’être certain que ça fonctionne ?” Mais... Mais t’es complètement malade.”

Et le mot résonne plus longtemps que les autres dans les airs.

Joséphine est complètement malade.

Ignacio s’arrête sur cette phrase, le souffle court, le cœur battant. Il a de la colère qui fourmille dans le corps mais elle s’évanouit aussitôt que le silence retombe. Il n’est pas vraiment en colère ; c’est juste cette urgence en lui qui s’exprime. Une urgence à faire quelque chose.

Mais il ne peut rien faire de plus.

Il n’a pas les ressources, pas la patience, pas les connaissances, pas les moyens. Ça fait déjà plusieurs mois qu’il veille sur Joséphine comme si le moindre mouvement trop brusque pourrait la briser, qu’il marche sur des œufs autour d’elle, qu’il retient ses mots, ses gestes. Et ça ne marche pas. Il ne la préserve pas, il ne la guérit pas.

Elle veut mourir et lui, il ne peut rien faire d’autre que de la regarder. Parce qu’elle est malade et qu’il ne peut pas la soigner.

Pas lui.

“Il faut que tu voies un médicomage, Jo” souffle-t-il dans le silence qui les entoure, en fouillant dans sa poche pour tirer son téléphone.

***

Un sourire s’étira sur les lèvres d’Ignacio lorsque Joséphine fit un commentaire sur la taille des baguettes magiques – c’était vrai, en plus, la taille ne comptait pas vraiment – et il observa Louise examiner la baguette de sa mère sous toutes les coutures. Elle la tourna entre ses doigts, la plia un peu pour tester sa souplesse (un peu trop au goût de Joséphine) avant de décréter très naturellement que, désormais, elle voulait décorer des baguettes magiques “quand elle serait grande.” Ignacio se retint de lui faire remarquer que lorsqu’elle disait “quand je serai grande” signifiait forcément qu’elle était encore petite (ce qui n’aurait pas manqué de la faire râler et de le faire rire.) Il n’en eut pas le temps : de gros flocons froids tombèrent dans son cou et lui firent lever les yeux vers le plafond. Il neigeait dans leur salon, en plein mois d’août et la principale responsable n’en semblait que très peu désolée.

Jusqu’à ce qu’elle s’inquiète d’être envoyée en prison.

“Avant onze ans, on ne peut pas contrôler sa magie alors ce n’est pas vraiment de ta faute.” tempéra Ignacio. Il ajouta toutefois pour faire bonne mesure : “Mais maintenant, tu as vu ce que ça fait quand tu tiens une baguette magique donc tu ne peux pas dire que tu ne savais pas.”

La petite soupira et, à regret, tendit la baguette à sa mère.

“Pourquoi on commence pas l’école plus tôt ? râla-t-elle en secouant ses tresses rousses pour en retirer les flocons de neige.
-Tu vas déjà à l’école, Loulou, intervint son père.
-Non mais l’école de magie.
-Eh bien...” Il échangea un regard avec Joséphine et finit par hausser les épaules. “Peut-être parce que, avant onze ans, tous les enfants n’ont pas encore révélé leur don magique ? Donc si certains commencent à six ans et d’autres à neuf, ce n’est pas très équilibré ?
-Mhhhhh, fit Louise, ses petits sourcils froncés au-dessus de ses yeux. Et moi, j’ai fait de la magie à quel âge ?
-La toute première fois ?
-Oui !
-Tu avais quatre ans” révéla Ignacio.

La fillette se redressa, très intéressée.

“Quatre ans ! Mais j’étais vraiment petite, s’étonne Louise. Et j’ai fait quoi ?”



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I will follow you way down wherever you may go [Joséphine & Ignacio] - Page 2 Icon_minitimeDim 17 Mar 2024 - 15:32
Les doigts d'Ignacio atteignent le verre avant ceux de Joséphine et s'en emparent. Elle ne cherche même pas à lutter quand il l'attire à lui, et sa main retombe mollement sur le bar. Elle voit le verre tomber, pourtant le bruit de verre brisé la fait sursauter. Louise se met aussitôt à pleurer dans son landau et Joséphine sent tous ses muscles se raidirent. Elle ne supporte pas les pleurs de sa fille. Elle entend dans chacun d'eux à quel point elle est une terrible mère. Une mère qui ne sait pas prendre soin d'elle, qui ne la comprend pas et qui n'arrive jamais à l'apaiser. Une mère prête à l'abandonner, pour toujours.

Elle reçoit la colère d'Ignacio avec un certain soulagement. Elle préfère l'entendre formuler des reproches plutôt que les deviner dans ses silences, dans ses yeux fatigués et dans ses soupirs résignés. Ces accusations, elle sait qu'il les a retenues pendant des semaines. Il a été patient, prévenant, il a tout fait pour l'épargner. Il a voulu la préserver, comme si elle ne se rendait pas compte de sa propre défaillance.

Plus il lui jette son angoisse au visage et plus elle se sent coupable. Sa détresse et son inquiétude lui brisent le coeur mais elle est soulagée de le voir craquer, finalement. Il était temps qu'il s'autorise enfin à lui en vouloir pour tout ce qu'elle n'est pas.

"Je suis désolée, répète-t-elle d'une voix tremblante. Mais je peux pas, j’y arrive pas… De son regard suppliant elle cherche à accrocher le sien, vibrant de colère et de peur. Vous serez mieux sans moi."

Il le sait, forcément. Il voit bien les problèmes qu’elle lui cause, la situation insupportable dans laquelle ils se trouvent. Lui aussi doit bien sentir que cela ne peut plus durer, qu'ils ne peuvent pas continuer comme ça plus longtemps. Il faut juste qu’il trouve la force de l’admettre.

Elle aurait aussi pu partir, tout simplement. Attendre qu'Ignacio emmène Louise au parc. Emballer quelques affaires, un peu d'argent, et disparaitre. Quitter le pays, tout recommencer ailleurs. Elle y a pensé, bien trop souvent. Elle n'a jamais pu s'y résoudre. Elle n'a même pas ce courage-là, songe-t-elle avec amertume. Même pas la force d'essayer de se reconstruire autrement. Elle ne veut pas de cette vie mais elle sait qu'elle n'en supporterait aucune autre. Elle passerait le restant de ses jours à s'en vouloir, à regretter, à penser à eux. A se demander pourquoi elle a aimé le fils d'Angus dès qu'elle l'a vue et pourquoi elle a été incapable d'aimer Louise. A laisser la culpabilité la ronger jusqu'à l'os.

Elle a cherché, elle a regardé longuement au plus profond d'elle-même pour essayer de trouver une envie, une ambition, un rêve auquel s'accrocher. Elle n'a rien. Elle ne veut plus rien. Juste que ça s'arrête, que tout s'arrête.

"Mais... Mais t’es complètement malade."

Le mot résonne dans le silence lourd qui s'étire entre eux. Elle est malade oui, elle le sait. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas chez elle. Elle n'est pas la première femme à tomber enceinte sans l'avoir voulu. Pas la première à accoucher d'un enfant qu'elle n'a pas désiré. Des femmes comme elle, elle en a connu plein. Et toutes ont réussi. Toutes se sont adaptées, toutes ont mis de côté leurs doutes, leurs réticences et leurs désirs personnels, balayés par un amour inconditionnel pour cet enfant qu'elles avaient porté. Le fameux instinct maternel, qu'on lui a vendu comme une évidence, comme quelque chose de naturel, mais qui ne s'est jamais réveillé en elle. Il doit lui manquer quelque chose. Elle est cassée. Malade, peut-être, oui.

Elle ne sait pas si c'est quelque chose qu'un médicomage pourrait soigner. Son mal lui semble incurable, il n'y a qu'une seule façon de s'en débarrasser. Il est trop ancré en elle, il a pénétré chaque fibre de son corps, chaque recoin de son esprit. Il ne la quitte jamais. Il est dans ce vide qu'elle ressent, dans ces choses monstrueuses qu'elle pense malgré elle. Dans ces pensées qu'elle ne peut pas dire à voix haute et qu'elle ne pourrait certainement pas partager avec un médicomages. On la prendrait pour une folle. Pour un monstre.

"Qu’est ce que tu fais ?" demanda-t-elle d'une voix blanche en voyant Ignacio tirer son Pear de sa poche.

La peur venait de changer de camp.

***

Louise n'était pas vraiment convaincue qu'on puisse envoyer les enfants en prison pour avoir délibérément fait de la magie avant l'âge de onze ans, mais elle préféra tout de même rendre leurs baguettes à ses parents, juste au cas où.

La fillette ne resta pas contrariée longtemps, et ouvrit de grands yeux brillants de curiosité quand son père lui expliqua qu'elle avait réalisé son tout premier acte de magie à l'âge de quatre ans.

"C'était le soir de ton anniversaire et tu ne voulais pas dormir, commença Joséphine. On t'avait lu au moins trois histoires, et il était déjà tard, mais tu voulais absolument continuer de jouer avec le mini-balais que Papi t'avait ramené des Etats-Unis.
- Oh oui je me souviens de mon mini-balais ! s'exclama Louise, qui ne s'en rappelait pas vraiment mais l'avait vu sur des photos.
- On a fini par te mettre au lit quand même, parce qu'il fallait que tu dormes, mais tu avais encore peur du noir alors on laissait la porte de ta chambre un petit peu ouverte...
- J'étais vraiment petite, c'est pour ça ! intervint la fillette, qui n'aimait pas tellement qu'on rappelle qu'elle avait été si peureuse.
- Et quand Papa et moi sommes redescendus dans le salon, on a vu le mini-balais voler jusqu'à ta chambre.
- C'est moi qui l'avait fait venir ?
- Oui, avec la magie.
- Wahou, j'étais trop forte !"

A partir de ce fameux moment, Joséphine avait guetté avec une certaine anxiété d'éventuelles traces de visions chez sa fille. Le don de double-vue était rare, et il n'était pas systématiquement transmis génétiquement, mais Louise avait davantage de chances de se découvrir des dons de voyance que le commun des sorciers. Sa mère avait redouté l'apparition de rêves prémonitoires, de moments d'absence ou d'images inexplicables, mais rien n'était arrivé. Elle était soulagée, de ne pas avoir transmis son pouvoir à sa fille. C'était un don précieux, bien sûr, mais qui lui avait causé bien plus de peines que de joies, et elle était contente que Louise y ait échappé.

"J'ai fait d'autre choses après ?"


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I will follow you way down wherever you may go [Joséphine & Ignacio] - Page 2 Icon_minitimeLun 18 Mar 2024 - 2:46
Ignacio déverrouille son téléphone sans savoir ce qu’il doit faire, ce qu’il peut faire, ce qu’il convient de faire. Il sait juste qu’il doit faire quelque chose et qu’il est incapable de trouver une solution par lui-même. Ça fait des mois qu’il essaye de ramener Joséphine dans son monde ; il l’enlace, il lui laisse de l’espace, il la réconforte, il la brusque, il lui s’occupe de Louise, il la lui dépose dans les bras... Mais rien ne marche. Il est complètement impuissant, condamné à l’observer se noyer sans jamais parvenir à l’atteindre. Et aujourd’hui, il réalise douloureusement que Joséphine ne veut pas qu’il l’atteigne. Elle l’a dit elle-même : elle veut que ça s’arrête.

Et l’odeur qui se dégage du sol engorgé d’alcool le lui rappelle à chaque instant ; elle veut mourir.

Elle ne veut même pas partir, comme Ignacio l’a craint et redouté depuis la naissance de Louise. Elle ne veut pas les quitter. Elle veut mourir.

Ses mains tremblent, son ventre se serre à lui en donner la nausée et les mots de son père lui reviennent en tête. “Joséphine a besoin d’aide.” Elle a besoin d’aide, il ne sait pas comment lui donner alors il ne peut que se résoudre à appeler quelqu’un qui, peut-être, saura mieux que lui. Il n’y a pas le moindre gramme d’ego dans cette décision, juste une peur terrible qui l’empêche de quitter Joséphine des yeux.

Et puis la voix de son épouse s’élève entre eux ; une voix blanche, où il entend une peur qui fait écho à la sienne. Sa question le désarçonne. Il hésite et son pouce se suspend au-dessus de son écran. Puis il lui répond, en s’arrachant à son regard :

“J’appelle les urgences. Tu dois... Il faut que tu voies quelqu’un. Je peux plus...” Sa voix se brise, ses yeux s’embuent.

Il ne peut plus s’occuper d’elle.

Son pouce appuie sur deux touches et l’appel se lance. Derrière eux, dans son landau, Louise pleure toujours.

***

Louise adorait entendre des récits de ses premières années de vie. Elle se montrait toujours très curieuse et bombardait ses parents de questions. Cette fois-ci, ce fut Joséphine qui se chargea de lui répondre et de lui conter l’histoire de son tout premier acte magique. Ignacio se souvenait très bien de ce moment ; il se rappelait en avoir ressenti une certaine fierté, exactement comme lorsqu’elle avait appris à marcher.

“Oui, répondit Ignacio à la question de sa fille, après ça, tu as fait de la magie plus ou moins régulièrement jusqu’à tes... sept ans, je dirais ? Quand les enfants sont petits, expliqua-t-il, les moments où ils font de la magie sont souvent liés avec leurs émotions. Alors quand tu étais heureuse, ou triste, ou en colère, ça arrivait que tu fasses spontanément de la magie.
-Ah oui, intervint Louise. Un jour, j’étais chez Alma et sa petite sœur s’est fâchée et ça a fait exploser une vitre.
-Oui, voilà, ça arrive.
-Moi aussi j’ai déjà fait ça ? demanda-t-elle avec curiosité.
-Mhhh, pas une vitre, non. Mais une lampe, un jour où on avait oublié ton doudou à la crèche...”

Louise pouffa et se leva de la chaise où elle était assise pour faire quelques pas dans le salon.

“Mais est-ce que je peux décider de faire de la magie juste avec mes mains ? Est-ce que j’ai vraiment besoin d’une baguette magique pour être une sorcière ?
-Les sorciers n’ont besoin de rien pour être des sorciers, Loulou. Mais en Angleterre et dans beaucoup d’autres pays, on utilise une baguette magique pour canaliser la magie d’une personne, en quelque sorte. Ça permet de la maîtriser plus facilement.
-Mais il y a des gens qui font sans, alors ? rebondit la petite qui avait retenu l’élément essentiel du discours de son père.
-Il y a des gens qui font sans, confirma Ignacio.
-Maman fait de la magie sans baguette ! fit remarquer Louise. Quand elle a des visions !
-Oui, c’est vrai. Moi, j’ai essayé d’apprendre un jour.
-A avoir des visions ?
-Non, rit Ignacio. A faire de la magie sans baguette.
-Et alors ? T’as réussi ?
-Un peu. Mais c’est plus difficile une fois que tu as appris à te servir d’une baguette magique.
-Ohhh, montre ! Montre, papa, montre !”

Devant l’excitation de sa fille, Ignacio esquissa un léger sourire. Il fit venir un verre d’eau jusqu’à lui et positionna sa main au-dessus. Son regard se fit plus sérieux et sa mine, plus concentrée. Ce n’était pas un exercice évident car il devait percevoir le flux magique en lui, le guider dans le bout de ses doigts, le plier à sa volonté, le laisser courir en dehors de lui. Pendant quelques secondes, la surface de l’eau resta lisse, puis un léger remous tira une exclamation de surprise à Louise. En bougeant doucement les doigts, Ignacio fit jaillir une petite gerbe d’eau, à qui il fit décrire des arabesques autour de sa main avant de l’envoyer tournoyer autour de Louise puis de la rappeler à lui. Lorsqu’il mit fin à cette petite démonstration, son cœur battait un peu plus vite sous le coup de l’effort. Ce n’était pas bien impressionnant – et Isobel lui aurait probablement fait remarquer que c’était à la portée de n’importe quelle enfant de cinq ans à la Nouvelle-Orléans – mais cela parut ravir Louise.

“Waouh ! Mais c’était trop cool ! Comment t’as appris ?
-C’est ton papy qui m’a montré.
-Papy sait faire, lui aussi ?
-Un peu.
-Moi aussi je veux essayer !” s’exclama la fillette en tendant une main enthousiaste vers le verre d’eau.


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I will follow you way down wherever you may go [Joséphine & Ignacio] - Page 2 Icon_minitimeLun 18 Mar 2024 - 20:35
Quelques secondes de flottement suivent la question de Joséphine, pendant lesquelles seuls les pleurs de Louise viennent déchirer le silence. La réponse d'Ignacio, redoutée, prévisible, fait remonter en elle un pèle-mêle de très mauvais souvenirs. Cette chambre d'hôpital dans laquelle il lui a annoncé qu'elle était enceinte. Cette salle de réveil où elle a appris que sa fille, qu'elle avait cru morte, avait survécu. Cette cellule de Skye où elle a cru perdre la raison sous les assauts répétés de Constantine sur son esprit. Elle ne supportera pas une nouvelle épreuve similaire. Elle n'a plus la force de revivre de tels cauchemars. La perspective d'être de nouveau enfermée la terrifie. Sa peur n'a aucune prise rationnelle, aucune logique, mais elle se diffuse dans tout son corps et paralyse ses membres. Son cerveau s'oppose à cette idée avec toute la force qu'il lui reste et distille en elle un sentiment d'urgence, lui crie qu'elle doit résister.

"Non, proteste-t-elle, d'abord faiblement, avant de reprendre d'une voix plus forte. Non ! Fais pas ça, s'il te plait."

Elle descend du tabouret sur lequel elle était assise et franchit d'un pas la distance qui la sépare d'Ignacio. Elle doit lever la tête pour essayer de croiser son regard. Elle est pieds nus et lui arrive à peine au niveau du torse. Le regard suppliant et le cœur battant frénétiquement, elle lui attrape le poignet, tente de lui faire baisser le bras. Elle parvient à peine à le faire bouger, et a l'impression d'avoir autant de force que leur bébé, qui pleure toujours dans son landau. Il appuie sur une touche et une première sonnerie retentit. Joséphine sent son ventre se tordre d'angoisse.

"Raccroche, supplie-t-elle d'une voix où perce des accents de panique. Raccroche, je t'en supplie !"

Elle attrape le poignet d'Ignacio avec sa deuxième main, tente de lui arracher son téléphone. Elle est pendue à son bras contre lequel elle pèse de tout son poids pour lui faire lâcher prise, en vain. Cette courte lutte suffit à l'essoufler, et lui donne un peu le vertige. Elle a envie de vomir. Elle sait qu'elle n'a pas la moindre chance de l'emporter dans un affrontement physique mais elle refuse d'abandonner. Elle ne peut pas se laisser faire, elle doit se battre, elle doit fuir à tout prix ce sort terrible qui l'attend à l'autre bout du fil.

Ils l'enfermeront. Ils l'enfermeront et quand ils verront ce qu'il y a dans sa tête, quand ils verront les pensées horribles et la noirceur, et ils ne la laisseront plus jamais sortir. Ils ne la laisseront pas mourir non plus. Ils essaieront de la guérir, de la réparer. Ils entreront dans sa tête, comme l'a tant fait Constantine. Ils la forceront à affronter ces peurs qui rongent son existence, à regarder en face l'horrible personne qu'elle est devenue, à contempler ses failles. Elle sait que ce qui l'attend est pire que ce qu'elle cherche désespérément à quitter, et elle ne peut pas s'y résoudre.

"Je ferai des efforts, jure-t-elle avec intensité, toujours accrochée à son bras. Ses yeux cernés brillent d'un regard fou qui cherche celui d'Ignacio.Je peux changer, je te le promets. Je peux y arriver.

Elle n'est pas crédible et elle ne pense pas un mot de ce qu'elle dit, elle ne s'entend même plus réfléchir, elle serait prête à promettre n'importe quoi. Croix de boix, croix de fer, si je mens j'vais en enfer. De toute façon c'est ce qui l'attend, l'enfer.

S'il-te-plait, raccroche. Si tu m'aimes, raccroche."

Elle a conscience d'être ridicule mais elle n'a plus une once d'amour propre et se fiche complètement d'être pitoyable. Elle n'a plus de dignité à préserver ou d'orgueil à flatter. Peu importe qu'il la trouve pathétique, dès lors qu'il l'écoute, et qu'il raccroche.

Une voix s'élève alors du téléphone entre eux et Joséphine s'immobilise.

"Urgence de Ste-Mangouste, je vous écoute."

***

Joséphine avait déjà été témoin d'une démonstration de magie élémentaire par Ignacio et, pour être honnête, elle avait été à peu près aussi impressionnée que Louise, qui observait son père avec des yeux ronds. La fillette laissa échapper un éclat de rire quand la gerbe d'eau vint lui caresser les mains, puis s'attela immédiatement à reproduire le même exploit. La main tendue au dessus du verre d'eau, elle fixait la surface de l'eau avec une concentration intense, les sourcils froncés. Elle reste ainsi plusieurs secondes, sans que rien ne se passe.

"Je crois que ça a bougé un peu ! s'exclama-t-elle finalement. Ah non...C'est mon genou qui a cogné la table, soupira-t-elle, déçue. C'est duuur !
- Ça ne peut pas marcher du premier coup Loulou...
- Peut-être qu'il faut dire une formule ! Comme Aguamenti !
- Je crois que cette magie-là ne fonctionne pas avec des formules, avança Jospéhine en consultant Ignacio du regard, n'étant pas vraiment une experte en la matière.
- Moi j'ai hâte d'apprendre plein de formules, soupira Louise en se désintéressant du verre d'eau. Et je les apprendrai en anglais et en français ! ajouta-t-elle avec détermination.
- Tu sais la plupart des formules magiques sont dérivées du latin, elles sont à peu près pareil dans toutes les langues.
- Pourtant toi et papa vous utilisez pas les mêmes !
- Ah bon ?"

Joséphine n'avait vraiment prêté attention à la langue qu'elle utilisait pour jeter ses sortilèges. Elle vivait en Angleterre depuis quinze ans, et elle aurait pensé que l'anglais était devenu un réflexe, mais sa fille était visiblement plus observatrice qu'elle ne l'était.

"Oui, Papa il dit "Scourgify" pour nettoyer, et toi tu dis "Récurvite" ! expliqua la fillette en exagérant volontairement les accents américains et français de ses parents. Comment ça se fait que ça marche avec plusieurs formules différentes ? Quand on va dans un autre pays, est-ce qu'on doit utiliser leur langue pour pouvoir faire de la magie ? Et si un jour on va en Chine ?"


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Ignacio Walker
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I will follow you way down wherever you may go [Joséphine & Ignacio] - Page 2 Icon_minitimeJeu 21 Mar 2024 - 7:50
La sonnerie retentit. Une fois. Deux fois. Et là, devant les yeux d'Ignacio, Joséphine se transforme. Un élan d'énergie s'empare de son corps ; pas un élan de vie, plutôt une folie désespérée qui charge son regard et tous les mots qu'elle prononce. Elle le supplie de raccrocher, attrape sa main pour le forcer à la baisser, lui promet monts et merveilles. Elle lui promet de changer, de faire des efforts, avec le regard fou, le visage tordu par la peur. Elle s'accroche à lui et il la dévisage sans rien dire. Les mots tournent et tournent encore dans son esprit, se heurtent contre ses lèvres mais c'est comme si leur donner corps était un trop grand effort pour qu'il y parvienne. Joséphine lui fait peur. Il a l'impression qu'elle est possédée ; elle lui parle mais c'est comme si quelqu'un d'autre plaçait des mots dans sa bouche. Des mots désespérés, des mots vides de sens, des mots qu'il a pourtant terriblement besoin d'entendre.

Ignacio a très envie de croire Joséphine. De ranger son téléphone, de la serrer dans ses bras et qu'elle lui promette, encore et encore, que l'image terrible qui ne veut pas quitter ses pensées n'est qu'une image et pas une prophétie. Dans son regard, un éclat incertain passe et rencontre les yeux fatigués de sa femme. Et après quoi ? se demande-t-il. L'avenir se dessine devant lui : des nuits à veiller sur Louise, des jours à veiller sur Joséphine et la peur, la peur constante, dès qu'il quitte la maison, de ne pas la retrouver à son retour.
Il ne peut pas. Il ne peut plus.
Joséphine se suspend à son bras mais il ne cède pas, ni au poids de son corps, ni à ses yeux suppliants, ni à ses mots désespérés. Et puis, elle utilise sa dernière arme contre lui. Si tu m'aimes, raccroche. Il l'aime. Il l'aime tellement que son amour est douloureux depuis quelques mois. Il l'aime au point de porter un amour effrayé plutôt que de s'en défaire. Il l'aime à se demander si leur mariage pourra survivre à cette épreuve de plus ou si elle sera celle de trop. Il l'aime à la laisser le détester, à la laisser le quitter, pourvu qu'il puisse aimer son souvenir vivant plutôt que mort.

Lorsqu'une voix émane du téléphone, sa gorge est tellement nouée qu'il n'arrive pas à parler. Il secoue finalement la tête, murmure à Joséphine qu'il est désolé et change son téléphone de main pour pouvoir le coller à son oreille.

“Bonjour, je... Et là, les mots lui échappent à nouveau.
-Allo ? Monsieur, vous êtes toujours là ?
-Oui, oui. Je vous appelle parce que...” Les phrases sont lourdes et il est tellement fatigué. “Ma femme a essayé de mourir.”

Il s’entend répondre à des questions sans retenir les éléments qu’il dévoile. Le nom de Joséphine. Son âge. Sa date de naissance. Les antécédents médicaux qu’il connaît. Oui, elle est avec lui. Non, elle ne veut pas leur parler. Il donne leur adresse et, quelques minutes plus tard, raccroche.

Le silence revient. Ignacio n’a pas quitté Joséphine des yeux. Il ne sait pas si elle veut hurler ou pleurer mais il décèle une lueur accusatrice dans son regard qui le heurte.

“Tu peux pas me demander de te laisser comme ça” se défend-il en restant face à elle.

***

Louise était vraiment adorable, avec sa petite mine concentrée et sa main tremblante au-dessus du verre d’eau. Ignacio la contempla avec un sourire tendre, alors qu’elle fronçait ses sourcils et fixait intensément la surface.

Si la magie ne se pratiquait qu’à la volonté, Louise dominerait probablement des océans.

Malheureusement, elle ne parvint pas à avoir le résultat auquel elle s’attendait et manifesta bruyamment sa déception. Heureusement, elle s’empressa d’affirmer son envie d’apprendre une multitude de sorts et de désintéressa assez rapidement de son échec pour questionner ses parents sur l’utilisation de la magie.

“Qu’est-ce que tu t’en penses, toi ? s’enquit Ignacio alors qu’elle s’interrogeait sur la langue utilisée pour lancer des sorts.
-Baaaaah... Louise haussa les épaules. Que c’est pas pratique si on doit changer à chaque fois ! Ça veut dire qu’il faut apprendre une nouvelle langue dès qu’on voyage ! Ou alors... Ne pas utiliser la magie du tout !
-C’est vrai que ce n’est pas très pratique... admit son père. Et alors ? Comment ça pourrait fonctionner ?
-Euhhh. Bah. Toi, tu arrives à lancer des sorts en français en Angleterre” dit-elle en se tournant vers Joséphine, “donc ça veut dire que c’est possible ?
-Ca a l’air, en tout cas, commente Ignacio en hochant la tête. Tu sais comment ça marche, la magie ?
-Oui, bah euh, c’est, euh, un truc dans le corps et après on l’appelle ?”

Ignacio eut un sourire.

“C’est papy qui t’a raconté ça ?
-Un peuuuu mais je me souviens pas de tout, avoua Louise.
-La magie, c’est comme une énergie dans ton corps. Et cette énergie, c’est vrai, tu peux l’appeler. Et nous, pour l’appeler, on utilise des mots et des baguettes magiques mais c’est juste parce que ça nous permet de canaliser cette énergie, tu comprends ?
-Canaliser ?
-Contrôler, si tu préfères. Mais ce n’est pas le mot qui compte c’est... C’est l’intention qu’on met derrière. L’énergie qu’on utilise et comment on veut l’utiliser. C’est pour ça qu’on peut même faire des sortilèges informulés, tiens, ça veut dire sans utiliser aucun mot.”

Louise hocha la tête. Elle avait l’air très concentrée.

“Et est-ce que ça veut dire qu’on peut échanger les mots ? Par exemple, si maman elle dit “Récurvite” pour nettoyer mais qu’elle pense “Aguamenti”, ça fait de l’eau et pas le ménage ?”


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I will follow you way down wherever you may go [Joséphine & Ignacio] - Page 2 Icon_minitimeVen 22 Mar 2024 - 8:32
Joséphine entend à peine Ignacio échanger avec les urgences de Sainte-Mangouste, ne prête aucune attention à ce qu’il dit. Elle n’arrive plus à penser de façon rationnelle. Son cerveau reptilien a pris le dessus et réveille en elle un instinct presque animal, qui décharge de l’adrénaline dans ses veines et qui lui crie de se battre, ou de fuir. De ne surtout pas se laisser faire.

La peur palpite entre ses côtes et lui rappelle le traumatisme de ses expériences passées. Elle ravive les images d’une cellule sur l’île de Skye, dont le souvenir la terrifie. Elle révèle aussi une crainte latente, enfouie au plus profond d’elle-même depuis plus longtemps qu’elle ne le pensait. Une angoisse qui date de ses premières visions. A une époque où elle n’était encore qu’une enfant, mais où elle savait déjà qu’elle devait faire attention à ce qu’elle disait. Pour ne pas passer pour une folle, pour ne pas faire peur aux autres avec ses prédictions. Elle a toujours redouté, quelque part, de basculer dans la folie, comme d’autres voyants avant elle. Comme si elle y était prédestinée.

Elle ne se laissera pas traiter comme une folle, quand bien même elle le serait. Elle ne les laissera pas l'enfermer, l'observer, la tester, lui faire du mal. Toute sa vie les autres lui ont fait du mal. Ils ont malmené son corps, malmené son âme. Camille, son père, les Veilleurs, Constantine. Tous l’ont trahie, déçue, blessée. C’est leur faute si elle en arrive là aujourd’hui, malade, cassée, à être incapable de faire la chose la plus naturelle du monde. Et elle ne se laissera pas malmener davantage. Ce n’est pas à eux de décider pour elle. Ce n’est pas à Ignacio de décider pour elle.

Presque inconsciemment, elle repère ses chaussures près de la porte d’entrée, estime qu’il lui faudra moins d’une minute pour attraper un manteau, les enfiler, et sortir.

Ignacio raccroche et la regarde. La douleur dans son regard perce momentanément le voile de peur qui est tombé sur ses pensées, et touche quelque chose au creux de sa poitrine. Son cœur se serre et elle lutte contre l'envie de s'approcher de lui, pour chercher du réconfort dans le contact de sa peau. Elle aurait voulu que les choses se passent différemment. Elle aurait aimé se blottir dans ses bras, profiter des derniers instants, lui dire qu'elle l'aimait. Elle aurait préféré prendre le temps de lui dire au revoir, de s'excuser de l'abandonner, et de lui promettre une meilleure vie, sans elle. Elle aurait voulu s'endormir auprès de lui, sereinement, et ne jamais se réveiller. Mais elle ne peut pas lui imposer ça, elle le comprend. Il a le droit de choisir comment les choses se terminent pour lui, mais elle a le droit de choisir comment elles se finissent pour elle.

"Tu ne peux pas me forcer à rester" répond-t-elle sur le même ton.

Ses yeux sont plein de larmes et son coeur gonflé de culpabilité et de tristesse. En une fraction de seconde, elle brise l'immobilité de la scène et s'agite soudainement. Elle fait trois pas en arrière, se retourne pour attraper son manteau accroché dans l'entrée. Elle ne prend même pas la peine de le mettre et se baisse pour ramasser une paire de bottines qu'elle enfile sans les fermer. Après un dernier regard en direction de sa fille qui continue de pleurer, elle pose la main sur la poignée de la porte.

***

Louise était une petite fille extrêmement curieuse, et il n'était pas rare qu'elle pose des questions auxquelles ses parents n'avaient pas les réponses, ce qui se révélait très frustrant pour elle, qui avait envie de tout comprendre. Cette fois-ci ne faisait pas exception.

"C'est une bonne question, reconnut Joséphine en s'accordant un moment pour y réfléchir. Je ne sais pas trop...On va forcément penser le sortilège qu'on va prononcer, même si on pense aussi aux effets d'un autre sortilège... Tu pourras demander ça à Papi, ou à un de tes professeurs l'année prochaine !
- Sinon on peut essayer ! s'exclama Louise avec enthousiasme. On va faire l'expérience !"

Il y avait une chose que la fillette aimait plus que de poser des questions, et c'était de tester ses hypothèses. Elle aimait se livrer à toutes sortes d'expérimentations plus ou moins scientifiques et, parce qu'elle était fille unique, elle embarquait souvent ses parents avec elle.

"Attendez ! J'reviens !"

Elle quitta la terrasse en courant en direction des escaliers, certainement pour aller chercher du matériel dans sa chambre.

"Je ne sais pas d'où elle tient ça..." commenta Joséphine avec un sourire.

Un instant plus tard, la fillette revint avec un carnet, sa trousse de feutres, et deux bols sales qu'elle avait récupérés dans la cuisine et qu'elle posa sur la table.

"Alors, toi maman tu va jeter un Récurvite sur ce bol, mais en pensant à Aguamenti. Et toi papa tu vas jeter un Aguamenti sur ce bol, mais en pensant à Récurvite, ok ? Et moi, je vais écrire le résultat. Elle ouvrit la couverture de son joli carnet tout neuf -elle en avait des dizaines !- et tira un trait vertical pour séparer la page en deux. On est quel jour ?"


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I will follow you way down wherever you may go [Joséphine & Ignacio] - Page 2 Icon_minitimeLun 25 Mar 2024 - 5:28
Il y a un moment où rien ne se passe. Ignacio et Joséphine s’observent et le silence se fait lourd entre eux. L’odeur de l’alcool qui imbibe le sol le ramène aux regrets qui l’assaillent, à cette culpabilité qui serre son cœur, à cette peur qui lui bouffe les entrailles. Face à lui, le regard de Joséphine oscille entre la tristesse et l’indignation mais il est toujours voilé. Elle est tellement loin de lui, tellement loin de tout ce qu’ils ont essayé de construire pendant des mois. Et elle s’enfuit encore, en lui lançant qu’il ne peut pas la forcer à rester. Elle s’échappe, recule précipitamment, sous ses yeux effarés sans qu’il ne soit capable d’esquisser le moindre geste. Elle enfile des chaussures, attrape son sac et pose sa main sur la poignée de la porte pour sortir.

Cette vision d’elle, sur le point de disparaître, fait l’effet d’un électrochoc à Ignacio. Il fait un bond vers l’avant, lui attrape le poignet, l’empêche d’ouvrir la porte.

“Arrête !” Sa voix s’élève, couvre les pleurs de Louise. “Arrête !” répète-t-il.

Il a l’air aussi fou que Joséphine, le regard agité, la mâchoire contractée, les mains tremblantes de cette peur qui le dévore. Il sait que s’il la laisse partir, il ne la reverra jamais.

Il sait que s’il la laisse partir, elle pourrait décider de marcher jusqu’à la Tamise qui contourne Oxford et de se jeter dans les eaux troubles.

Et alors ? Alors il accepte ça ? Il accepte sa tristesse ? Il accepte qu’elle sorte, qu’elle ne revienne jamais et que la police frappe à sa porte quelques jours plus tard pour le prévenir qu’ils ont retrouvé le corps sans vie de sa femme ? Et qu’est-ce qu’il dira à Louise, lorsqu’elle sera en âge de lui demander où est sa maman ? Les mots que son père employait des années plus tôt pour répondre à cette question exacte lui reviennent en mémoire et c’est comme un miroir désagréable, comme une réalisation trop brusque. “Elle est partie, Iggy. Tu sais, elle vivait des choses difficiles alors elle a dû s’en aller pour aller mieux.” Ça fait des années qu’il n’a pas repensé aux paroles de son père. Des années qu’il ne lui a pas demandé de lui parler de sa mère. Mais là, le doute s’immisce en lui, perfide, et la vision de Joséphine le renvoie à une blessure ancienne, lointaine, presque oubliée.

“Tu peux pas faire ça !” Il ne la lâche pas. Il ne la lâchera pas. “Tu peux pas décider de partir comme ça, de... de mourir comme ça, comme si ça n’avait aucune putain d’importance ! Tu peux pas faire ça, Jo’.” Sa deuxième main se pose sur son bras, il ancre son regard dans le sien. “T’attends quoi de moi, au juste ? Que je te laisse partir de cette maison pour que tu te foutes en l’air dans les dix prochaines minutes ?” Il se redresse. Il doit avoir l’air complètement désespéré. Il est complètement désespéré. “Non. Non, tu restes là jusqu’à ce que l’ambulance arrive et tu vas aller dans ce putain d’hôpital pour voir un putain de médicomage parce que je vais pas passer les prochaines années à me demander si t’es encore en vie ou pas, tu m’entends ? Je peux pas faire ça.” Il resserre sa prise sur elle. Il a envie de pleurer. “Je ferai pas ça.”

***

Louise adorait faire des expériences. Elle voulait tester toutes ces hypothèses, surtout lorsqu’elles semblaient impossibles. Elle avait besoin de voir par elle-même, de constater, d’expérimenter. Ignacio et Joséphine la laissaient faire, souvent attendris de la manière dont elle appréhendait le monde qui l’entourait (enfin, ils n’avaient été ravis de la fois où elle avait étalé de la peinture sur le sol du leur terrasse “pour voir comment ça allait rendre avec la pluie” mais bon.)

Elle revint donc quelques minutes plus tard, armée d’un cahier et deux bols. Joséphine et Ignacio échangèrent un regard à la fois amusé et résigné et sortirent tous les deux leurs baguettes.

“On est le 16 août, chérie.
-Ok.” Louise traça la date, très concentrée. “Alors, tu commences, Papa !”

Ignacio hocha la tête. L’exercice n’était pas évident mais il joua le jeu et se plia à la consigne. Il pensa au sortilège de Récurvite, visualisa le résultat, mobilisa son énergie comme s’il s’apprêtait à lancer un sortilège informulé. Mais, lorsqu’il ouvrit la bouche, il prononça “Aguamenti” et la parole le déconcentra. Le flux d’énergie changea de forme, de destination, sans toutefois aller ni dans un sens ni dans l’autre. Une lueur violette sortit de sa baguette, toucha le bol qui se remplit d’une eau savonneuse impropre à la consommation.

“Ohhh.” Louise se pencha pour observer le contenu. “Qu’est-ce qui s’est passé ?
-Je crois que j’ai mélangé les deux sorts, déduit Ignacio en examinant à son tour le résultat. C’est comme si j’étais prêt à lancer le Récurvite mais qu’au dernier moment, je changeais pour un autre sort, sans vouloir vraiment le lancer. Et voilà, fit-il en désignant le bol.
-Mhhhh, donc tu as un peu inventé un nouveau sort ! Hyper cool.” Louise gribouilla quelques mots sur son carnet avant de lancer à sa mère : “Maintenant, à toi maman !”

Joséphine Walker
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I will follow you way down wherever you may go [Joséphine & Ignacio] - Page 2 Icon_minitimeVen 29 Mar 2024 - 15:10
Lâche-moi…supplia-t-elle dans un souffle quand la main d’Ignacio se referme sur son poignet. Lâche-moi !” répéte-t-elle plus fort en tirant sur son bras pour se libérer de sa poigne, en vain.

Joséphine fait volte-face, le visage blême, un regard plein de larmes où se disputent la colère et la terreur. Elle se retrouve confrontée à la peur d’Ignacio, qui est comme un miroir de sa propre angoisse. Il est terrifié qu’elle parte, elle est terrifiée de rester. Le désespoir dans sa voix lui brise le coeur et ajoute à la culpabilité qui pèse déjà trop lourd sur ses épaules, mais elle n’arrive pas à accueillir la peur de son compagnon, à lui faire une place au milieu de ses propres craintes, qui occupent tout l’espace de son cerveau. Elle reste convaincue qu’elle fait le seul choix possible, le meilleur pour eux, et qu’il s’en rendra compte quand elle sera partie.

Il s’accroche au souvenir qu’il a d’elle, mais cette femme qu’il refuse de perdre a disparu depuis longtemps déjà. Elle n’est plus elle-même depuis la naissance de Louise. Elle n’arrive plus à penser, elle ne ressent plus rien, elle ne fonctionne plus. C’est comme si elle était déjà morte.  Souvent Joséphine se dit qu’elle aurait préféré mourir ce jour-là, sur cette table d’opération de Sainte-Mangouste. S’évanouir et ne jamais reprendre connaissance. Dans ses heures les plus sombres elle pense aussi qu’elle aurait préféré que Louise ne survive pas. Elle se déteste, dans ces moments-là.

Mais c’est pas une vie ça ! explose-t-elle finalement. J’y arrive pas, je…je peux pas. J’ai essayé mais j’y arrive pas. Alors quoi ? Je les laisse m'enfermer, me filer des potions pour m’aider à dormir ? Je me drogue pour m’empêcher de penser ces choses horribles ? Mais c’est trop tard, je… Je me le pardonnerai jamais… Je pourrai jamais vivre avec ça…  Sa voix se brise. Son regard se pose sur le landau de Louise, posé dans le salon. Leur file pleure toujours, elle a trop chaud et s’agite dans son manteau. Parfois je…je me dis que j’aimerais mieux être morte, ce jour-là… Et parfois...Parfois je me dis que…que j’aimerais mieux qu’elle ne soit jamais arrivée…

C’était des choses qu’elle n’aurait jamais pensé dire à voix haute. Elle aurait eu trop peur qu’Ignacio lui en veuille, qu’il la trouve monstrueuse, méprisable. Mais c’est ce dont elle a besoin à cet instant, qu’il la déteste assez pour ne pas la retenir. Elle a prononcé ces mots avec l’espoir de le choquer, de le repousser, mais avouer ces pensées secretes à voix haute la paralyse. Entendre ces mots prononcés de sa propre voix, alors qu’une ambulance est en chemin pour venir la chercher, la plonge dans une peur terrible. Ça y est, elle est folle. Elle l’a dit, elle l’a avoué, les mots lui ont échappé et elle ne peut plus les reprendre. Elle est folle et elle n’est plus la seule à le savoir. Il n’y aura pas de retour en arrière.

Sa respiration se bloque dans sa poitrine, l’air ne circule plus dans sa gorge nouée et elle porte instinctivement sa main à son coeur qui bat beaucoup trop vite pour compenser le soudain manque d’oxygène. Prise de vertige, elle sent ses jambes se dérober sous elle et s’effondre contre Ignacio. Elle cherche instinctivement le contact du sol, pose une main moite sur le parquet, l’autre toujours crispée sur sa poitrine. Elle a la respiration sifflante, l’impression de suffoquer. L’impression de mourir. Le regard qu’elle relève vers Ignacio est habité par la panique.

***

Joséphine assista à la première partie de l’expérience de Louise, amusée, avant de se plier elle-même à l’exercice. C’était moins facile qu’il n’y semblait, de jeter un sortilège en prononçant une formule différente. Elle se concentra quelques secondes, visualisa le résultat qu’elle voulait atteindre avec le Récurvite, mais prononça la formule Aguamenti. Un jet de lumière bleutée s’échappa de sa baguette et vint entourer brièvement le bol, qui fut rincé à l’eau claire, sans être vraiment nettoyé. Louise s’approcha de la table et se pencha sur le bol avec un air critique.

Alors ?
- C’est comme si tu avais lancé un Récurvite, mais sans savon… répondit la fillette en posant son carnet sur le coin de la table pour y noter le résultat des deux expériences.
- Et quelles sont vos conclusions, Miss Walker ?

Le regard concentré de Louise passa plusieurs fois d’un bol à l’autre, puis se posa sur ses parents, avant qu’elle ne reprenne la parole.

Je pense que… Que ça doit être possible de jeter un sort en prononçant une formule différente, mais qu’il faut s’entrainer beaucoup ! Là, même si vous vous concentrez sur le “Récurvite”, quand vous dites “Aguamenti” ça gâche tout, mais peut-être que si vous disiez tout le temps “Aguamenti” pour lancer un "Récurvite", ça fonctionnerait, non ? Elle essaya d’accrocher leurs regards en quête d’approbation de leur part. Peut-être qu’au bout de dix ou vingt fois….
- On ne va peut-être pas recommencer vingt fois Loulou… Louise était parfaitement capable de leur demander de consacrer les trois prochaines heures à cette expérimentation.
- Mais ?! Comment on va faire pour savoir si ça marche ?
-Tu auras tout le temps de faire l’expérience toi-même l’année prochaine quand tu apprendras les sortilèges.
-Mais Maman ! Les profs ils vont jamais vouloir que je m’entraine à lancer les sorts en utilisant d’autres formules !
- Non, en classe il faudra que tu fasse exactement ce que te disent les professeurs...
- Mais si c’est pour une expérience ?"

Joséphine avait toujours envisagé sereinement la scolarité de Louise, en s’imaginant que leur fille ne leur causerait aucun problème. C’était une petite fille plutôt sage, bavarde mais obéissante, qui n’avait jamais eu le moindre soucis de comportement à l’école. Mais elle commençait à se dire sa sa curiosité pour tout ce qui touchait à la magie et son goût prononcé pour les expériences pourraient bien lui attirer quelques ennuis.


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