Something growing in me [Andrew & Kat]

12 avril 2012, à Tintagel

« Bonjour, Madame Cavill.
- Oh Kathrina, entre ! Ça me fait plaisir de te voir. Tu viens voir Andrew ? Comment ça va ? »

Kathrina se sentit terne face au visage lumineux de Sarah Cavill et elle dut se forcer à sourire pour donner le change. Elle n’avait pas forcément envie d’éveiller des questions chez la mère de son ami -qui avait d’ailleurs suffisamment de souci à se faire pour son fils- alors elle se contenta de répondre un beau mensonge :

« Très bien, merci.
-C’est joli, la plante que tu as là !
-Oh… Merci. » Elle baissa légèrement les yeux vers la plante succulente en pot qu’elle portait sous le bras, une jolie Voltiflor dont les tiges épaisses se mouvaient avec grâce. « Je l’ai amenée pour Andrew. »

Elle l’avait choisie parce qu’elle ne nécessitait pas d’entretien -elle savait que le jardinage n’était pas la passion d’Andrew. Mais elle croyait au pouvoir réconfortant des plantes et elle se disait qu’une jolie plante sur la table de chevet de son ami en pleine dépression ne pouvait pas lui faire de mal. Quant à elle, s’occuper de ses plantes était l’une des rares occupations qu’elle voulait bien faire en ce moment, elle avait pris le temps de rempoter cette Voltiflor ce matin et aller acheter un joli cache-pot avant de venir.

« Tu es adorable, la remercia Sarah. Attends, je te débarrasse de ton manteau. Tu peux monter, il est dans sa chambre. »

Kathrina prit le temps de saluer Doug assis sur le canapé du salon et Oscar qui était absorbé par son dessin animé à la télévision, avant de se glisser dans le couloir. Elle prit l’escalier en bois quelque peu bancal de la vieille maison en pierre où vivait la famille Gardner-Cavill et se dirigea vers la porte flanquée d’affiches de Flaquemare qui signalait la chambre d’Andrew. Elle fut un peu rassurée de voir ces affiches familières : visiblement, Andrew n’avait pas encore décidé de les arracher, de la même manière qu’il avait décidé de s’éloigner de tout ce qui avait trait à son quotidien de Quidditch. Le moment où il avait cessé d’aller dans les tribunes de Gryffondor, puis celui où il avait donné son balai à sa jeune soeur Susan, avaient beaucoup inquiété ses proches.

Elle s’annonça à la porte avant d’entrer. Son regard balaya brièvement la chambre, fidèle à ses souvenirs, avant de tomber sur Andrew, allongé sur son lit, occupé à faire défiler l’écran de son Pear One sous son regard absent.

« Salut ! » Elle ne lui demanda pas comment il allait, car l’échange Pear One qu’ils avaient eu avant qu’elle n’arrive répondait déjà à sa question : pas très bien, comme globalement ces dernières semaines. A la place, elle lui offrit un sourire et tendit la plante qu’elle portait : « Je t’ai ramené ça. Je me suis dit qu’il était temps de mettre un peu de verdure dans ta chambre de vrai mec. »

Car il était plutôt évident que c’était un garçon fan de Quidditch qui occupait cette pièce aux murs bleus, recouverts de posters de joueurs, avec une bibliothèque garnie de livres et de journaux sportifs, et des meubles décorées de petites figurines mobiles de balais de courses et de ballons. Kathrina s’avança jusqu’au bureau installé près de la fenêtre, où elle trouva une petite place dans le fatras de parchemins et de grimoires délaissés.

« Elle t’embêtera pas en terme d’entretien, il faut juste l’arroser un tout petit peu, une fois par mois à peu près, et la laisser près d’une source de lumière. »

Elle arrangea un peu les branches avant de revenir vers Andrew. Elle s’installa à ses côtés sur le lit et adopta une position familière entre eux, en posant sa tête contre son épaule.

« T’es sur instamag ? »

Le Poudlard Express avait ramené les élèves de Poudlard volontaires dans un Londres bourgeonnant, quelques jours auparavant. Les vacances de printemps étaient traditionnellement un moment qu’Andrew appréciait : il faisait beau, il voyait sa famille, les examens étaient encore assez loin pour qu’il ne s’en inquiète pas. Cette année, comme pour le reste, tout était différent. Sur le quai de King Cross, ses deux parents étaient là pour l’accueillir, accompagnés d’Amanda, sa belle-mère. Sa mère l’avait longuement serré contre elle et, contrairement à d’habitude, il n’avait pas protesté pour la forme.

Tout était difficile, depuis l’accident. L’enthousiasme qu’il avait ressenti en sortant de l’hôpital avait vite été écrasé par toutes les mauvaises nouvelles qui s’étaient accumulées. Il pensait qu’une fois libéré, tout irait mieux. Tout ne pourrait qu’aller mieux, de toute manière, non ? Les examens qu’il avait passé quelques jours avant le nouvel an l’avait détrompé. Les médicomages l’avaient reçu, avec ses parents, mais tout l’entretien lui semblait flou. Ils lui avaient expliqué que les résultats n’étaient pas excellents, ils lui avaient parlé de son traumatisme crânien majeur, de son trouble de l’équilibre, des complications et séquelles possibles à long terme. Son test d’effort n’était pas satisfaisant, il présentait encore des troubles du rythme, de la tension, sa fonction pulmonaire n’était pas encore dans des taux corrects. Toutes ces annonces lui étaient tombées dessus, et il avait été incapable de protester, incapable de les digérer. Les médicomages avaient embrayé sur l’importance de la rééducation, d’y aller pas à pas, des possibilités de traitement à mettre en place pour certains symptômes.

Quand est-ce que je pourrai rejouer ? C’était sa seule interrogation. La seule réponse dont il avait besoin. L’un des médicomages avait entrelacé ses doigts sous son menton. Ce n’est pas vraiment la question, avait-il répondu. La vraie question est de savoir si tu pourras un jour.

Et à cette interrogation-là, il n’y avait pas de réponse. Pas pour le moment, avait tenté de tempérer la deuxième médicomage. Il faudrait voir, attendre, estimer en fonction des évolutions. Il était  jeune, tout était possible mais on ne pouvait s’engager à rien.

Andrew était sorti du bureau étroit avec le cœur au bord des lèvres. Il avait marché sans vraiment attendre ses parents, en remontant les couloirs verts pâles de Sainte-Mangouste, vers la zone de transplanage. La main de sa mère s’était glissée sous son bras pour l’escorter. Ils étaient réapparus tous les trois sur les pavés battus par les vents de Flaquemare.

Et il avait fondu en larmes.

Deux jours après, les Epouvantards avaient mis fin à son contrat. Les rapports médicaux leur avaient été transmis, conformément aux clauses de leur accord. La recruteuse Nina Thorpe l’entraîneur Alfonzo et une sorcière du service juridique l’avaient reçu, accompagné encore une fois de ses parents. Ce n’était rien de personnel, lui assuraient-ils, ses résultats et ses performances n’étaient pas remises en cause. S’ils avaient pu avoir une date de retour sur le terrain, une date de reprise, les choses auraient été différentes, affirmaient-ils. Mais l’équipe des Espoirs était encore jeune, devait faire ses preuves. Ils ne pouvaient pas se permettre de bloquer indéfiniment sa place. Rien de personnel, avaient-ils répété. Ils lui souhaitaient le meilleur. Ils avaient été ravis de travailler avec lui. Ils espéraient qu’il irait vite mieux.

Sa mère avait froncé les sourcils, elle ne comprenait pas, disait-elle. Il était blessé, pouvaient-ils vraiment licencier un joueur blessé ? N’étaient-ils pas censés l’accompagner dans sa rééducation, plutôt ? La juriste avait légèrement soulevé le contrat devant elle. Il n’a pas été blessé dans une rencontre avec les Epouvantards, avait-elle contesté. Cela aurait été différent. Les clauses signées précisent bien que… Sarah l’avait interrompue avec agacement, protestant qu’il ne lui avait jamais été interdit de jouer en dehors, pour Gryffondor. Ils avaient des avocats, aussi, et elle avait tourné la tête vers Olivier, étonnamment silencieux depuis le début de l’entretien. Andrew avait baissé le regard.

Son père – et Steve, son agent – lui avaient dit dès le début, avant même la signature, que l’accord n’étaient pas protecteur. Ils se gardent toutes lesportes de sortie largement ouvertes, avait résumé Steve. Il n’avait pas voulu l’entendre. Après tout, qu’est-ce qui pouvait bien arriver ? Tout irait bien. Un brusque sentiment de honte l’avait envahi à cet instant et il avait enfoncé ses ongles dans la paume de sa main. Son père s’était légèrement redressé et avait soutenu le regard de la recruteuse. Piètre management d’équipe, avait-il simplement déclaré de sa voix grave. Sa tête avait eu un léger recul, immédiatement suivi d’un sourire poli. Il faut savoir prendre des décisions difficiles dans ce milieu, je ne vous l’apprends pas. Les coins de la bouche d’Olivier s’étaient relevés avec sarcasme. Dans le milieu tel que vous le concevez, effectivement. Nina Thorpe avait légèrement froncé les sourcils. Développez votre sous-entendu, n'hésitez pas... Son père était resté silencieux une seconde. Il vaut mieux pour vous et le club que je m'abstienne. Le sourire de Nina Thorpe avait été froid. J'entends que vous auriez peut-être fait les choses différemment chez Flaquemare mais... Olivier l'avait coupée. Non, on aurait fait les choses correctement, chez Flaquemare.

L'entretien ne s'était pas beaucoup prolongé après cela. A quoi bon ? Il était viré. Et très vite remplacé.

C'était d'ailleurs ce qu'il regardait encore aujourd'hui, allongé sur son lit, les yeux absorbés par instamag. Les légers coups à sa porte ne lui firent pas redresser la tête, pensant que c'était sa mère, Doug ou Oscar. Ce fut la voix de Kathrina qui retentit, le poussant à baisser les bras. Son amie était dans l'encadrement de sa chambre, une plante dans les bras. Il aurait dû se lever pour l'accueillir, exprimer sa joie de la voir à l'improviste et la remercier comme il se doit, mais il n'en n'eut pas vraiment le courage. Il força un sourire à sa plaisanterie.

- Si tu le dis...

Elle pénétra dans la pièce pour y déposer son présent sur le bureau, tout en lui expliquant qu'elle avait juste besoin d'un peu d'eau et de lumière. Il faisait bon vivre d'être une plante... Andrew contempla Kat quelques secondes, alors qu'elle arrangeait les branches avec soin, juste avant de monter sur son lit pour se glisser à côté de lui. Comme d'habitude, elle vint poser sa tête contre son épaule et il sentit la chaleur de son corps contre le sien alors qu'elle se calait. Il tourna le visage pour déposer un baiser sur son front, à la naissance de ses cheveux, reconnaissant de cette étreinte impromptue.

- Ouais, finit-il par répondre à sa question, déverrouillant de nouveau le petit appareil.

Instamag s'ouvrit sur la page des Epouvantards, où la dernière vidéo était un extrait d'entraînement. On y voyait Blair Williams, revêtue du chasuble de l'équipe, au numéro qu'Andrew avait porté. Il tourna son écran vers Kat.

- Regarde ça.

Andrew n’était plus le même garçon depuis l’accident. Impuissante, Kathrina avait assisté à sa longue et impitoyable descente aux enfers, qui avait commencé par les quelques jours qu’il avait passés entre la vie et la mort, dans une chambre de Sainte-Mangouste. Elle s’en souvenait avec un frisson d’horreur dans le dos, parce qu’elle avait cru qu’elle allait peut-être -encore une fois- perdre une des personnes qu’elle aimait le plus au monde. Kathrina n’était pas croyante -trop d’événements malheureux avaient mis à mal sa foi en une quelconque puissance supérieure bienveillante- mais pendant ces jours d’attente, elle avait prié de toutes ses forces. Elle avait prié sans savoir à qui adresser ses supplications. Elle avait simplement répété ces mots.

Par pitié.

La pitié lui avait rendu Andrew. Mais elle ne lui avait pas rendu un Andrew entier. Elle lui avait rendu un Andrew déprimé, désespéré, désoeuvré, un Andrew qui ne savait plus comment naviguer dans toutes ces épreuves. Il perdait dans cette bataille la seule chose qu’il avait désiré avec force et constance pendant toute sa vie. L’interdiction de monter sur un balai jusqu’à nouvel ordre des médicomages l’avait d’abord ébranlé. L’annulation de son contrat avec les Épouvantards avait été le coup de grâce, comme la validation de ce à quoi ils refusaient tous de penser. L’idée que peut-être, Andrew ne pourrait jamais rejouer au Quidditch.

Depuis, il n’y avait plus de Quidditch. Pas même pour venir supporter l’équipe des Gryffondor que le jeune homme avait du laisser entre les mains de Colette. Alors que ses amis pouvaient se moquer autrefois de sa passion déraisonnée pour le Quidditch, plus personne n’avait envie d’en rire désormais. Il n’y avait rien d’amusant à voir Andrew s’enfoncer peu à peu dans un profond sentiment de dépression et de démotivation.

Il n’avait envie de rien et cela se vit dans la manière dont il salua Kathrina, sans entrain. Elle ne lui en tint pas rigueur, parce qu’elle savait qu’il faisait de son mieux, mais aussi parce qu’elle-même n’était pas d’une humeur enjouée ces derniers temps. Elle vint autant offrir du réconfort à Andrew en se blottissant contre lui qu’elle venait en chercher pour elle-même. Elle ferma les yeux, savourant l’empreinte douce de ses lèvres sur son front, avant de les ouvrir mollement sur l’écran que lui tendait son ami. Elle mit quelques instants à comprendre de quoi il s’agissait.

« Oh… » souffla t-elle, en reconnaissant Blair Williams sur l’écran. Elle n’eut pas besoin de davantage d’explications pour faire le lien, car l’amertume sur le visage de son ami parlait d’elle-même. La jeune batteuse des Serpentard avait fini par trouver sa place dans l’équipe des Épouvantards, précisément celle qu’Andrew laissait vacante derrière lui. Contrariée, Kathrina fronça les sourcils. « Bah dis donc, ils perdent pas de temps… Ils sont nuls de gérer les choses comme ça, franchement. »

C’était à croire qu’ils étaient tous des numéros interchangeables pour eux, songea t-elle sans le dire, ne voulant pas faire plus de peine à Andrew. Elle leva la tête vers lui, la joue posée sur son épaule.

« Je suis désolée, ça craint… Tu viens de l’apprendre ? »

La vidéo qui tournait en boucle sur le Pear d’Andrew montrait Blair en pleine accélération sur son balai, vêtue de l’uniforme des EDL. Elle descendait légèrement, brandissait sa batte et venait heurter un cognard d’un revers, pour l’envoyer sur Tiphaine Bunch, revêtue du maillot orange censé représenter l’équipe adverse. C’était la première chose qui était apparue sur son fil d’actualité lorsqu’il avait ouvert Instamag un peu plus tôt.

- Non, soupira-t-il lorsque Kat lui demanda s’il venait tout juste de l’apprendre. Mais avant c’était... moins voyant.

Il l’avait en réalité su assez tôt, grâce à Tiphaine justement. Il n’était même pas encore revenu à l’école mais sa collègue capitaine l’avait appelé pour prendre de ses nouvelles à la mi-janvier. Elle lu avait fait la conversation de façon assez distraite et Andrew avait vite senti qu’elle avait quelque chose à lui avouer. C’est toute gênée qu’elle lui avait annoncé qu’ils venaient d’apprendre que Blair allait rejoindre les Epouvantards, à sa place. « Je préférais que tu l’apprennes comme ça que... autrement. » Quinze jours après, la nouvelle était officialisée sur le compte Instamag de l’équipe, avec une photo de sa camarade. Dessous, la plupart des élèves de Serpentard avaient déposé des emojis serpents pour rendre hommage à leur batteuse. Hugh Reynolds, lui, avaient fait preuve d’un peu plus de poésie avec un enchaînement « Serpent / tête de mort / lion »  Andrew avait apprécié la référence. Par la suite, le compte s’était concentré sur d’autres joueurs mais à l’approche du prochain match de l’équipe, Andrew avait l’impression de voir sa rivale partout. Sa mère avait beau lui dire qu’il se faisait du mal, il ne pouvait pas s’en empêcher.

Pourtant, à la place de Blair, il aurait bien évidemment saisi cette opportunité. Elle n’avait fait qu’accepter la place qu’on lui avait proposée... Mais il lui en voulait terriblement. Ils n’étaient pas amis, elle ne lui devait rien mais quand il la voyait, il avait l’impression qu’elle représentait tout ce qui n’allait plus dans sa vie. Il ne lui adressait pas la parole pour autant mais il s’était déjà surpris à la fusiller du regard dans la Grande Salle, quand ils y étaient en même temps. Encore une raison d’éviter d’y aller... Il pouvait rajouter cela à la liste des choses qu’il évitait à Poudlard : la salle commune de Gryffondor, le terrain de Quidditch, les cours, son équipe, ses amis. Tout.

Il était revenu en classe début février, ses parents l’y avaient déposé un mardi matin, juste avant le début du premier cours. Ils lui avaient fait un long câlin et sa mère lui avait fait promettre d’appeler si quelque chose n’allait pas. De toute manière, il avait encore des rendez-vous et des soins médicaux et allait donc sortir régulièrement. Le professeur Londubat lui avait dit qu’il était très heureux de le revoir et l’avait accompagné jusqu’au cours de DCFM, qui avait déjà commencé. Il avait frappé au battant et avait demandé au professeur Corrigan si elle avait de la place pour un dernier élève. La tête de ses amis lorsqu’il s’était présenté dans l’encadrement de la porte était impayable : il n’avait prévenu personne qu’il était censé revenir ce jour-là. Baen lui avait sauté au cou, Rachel aussi. Les deux premiers jours avaient été une liesse. Il avait été accueilli avec beaucoup de joie et d’applaudissements dans la salle commune, tout le monde le saluait dans les couloirs et tout cela lui avait réchauffé le coeur.

Puis la routine s’était réinstallée, en même temps que le vide. Malgré les notes de Sasha, il sentait qu’il était en décalage avec les cours, il était perdu. Auprès de ses amis, il avait raté des plaisanteries, des échanges, la vie s’était écoulée sans lui. Il ne pouvait plus faire ce qu’il aimait faire le plus au monde. Les médicomages lui avaient interdit de remonter sur un balai pour le moment. Il ne pouvait plus voler, il ne pouvait plus jouer. Les premiers temps, il s’était dit qu’il pourrait entraîner l’équipe quand même, des gradins. Il avait tenu deux séances. C’était trop difficile d’en être exclu alors qu’il crevait d’envie de voler avec eux, de retrouver ces sensations. Il n’avait pas vraiment le coeur de l’assumer face à eux, alors il avait tendance à les fuir. Il ne parvenait plus vraiment à rester concentré, en classe ou ailleurs. Son esprit revenait toujours vers l’accident ou d’autres idées noires. Face à ses copains, qui riaient, s’amusaient, il avait l’impression d’être un détraqueur. Au final, il était mieux seul, quand il n’avait pas à essayer de faire illusion.

Soupirant, il verrouilla le petit appareil et laissa mollement retomber son bras sur le matelas. Kat était toujours calée contre lui et il ferma les yeux.

- C’est parce que je t’ai fait flippée en disant que je ne reviendrais peut-être pas à l’école que tu es venue ? demanda-t-il. 

« Tu devrais te désabonner de leur compte » suggéra Kat avec une moue adressée au nom des Épouvantards affiché sur l’écran. « Pour t’éviter de tomber sur des trucs comme ça… »

La dernière chose qu’elle souhaitait pour Andrew était de le voir sombrer dans une espèce de masochisme irrationnel et terriblement humain qui les poussait tous à aller contempler ce qui leur faisait du mal. Comme si cela pouvait changer le cours des événements et leur offrir ce qu’ils enviaient. Elle-même n’avait pu se résoudre à arrêter de suivre le compte d’Owen, elle ouvrait régulièrement leur conversation dans l’attente désespérée de recevoir un message de lui, à la suite des dizaines qu’elle lui avait envoyés sans réponse. Parfois, elle se rendait sur son fil, à la recherche d’un moindre indice qui lui indiquerait son état d’esprit. Elle avait eu envie de lancer son Pear dans le lac de Poudlard en tombant sur son dernier post, publié trois jours plus tôt : la photo d’une petite plante en pot offert par une cliente en remerciement du procès qu’il avait remporté pour elle.

À croire qu’elle était la seule à avoir l’impression que sa vie était dévastée par cette grossesse imprévue.

La question d’Andrew la força à écarter cette brusque mélancolie qui revenait la travailler et à revenir dans la situation présente. Elle se recula légèrement en levant la tête vers lui, comme pour mieux le regarder.

« Tu n’étais pas sérieux pour ça, hein ? Il y a pas moyen que je te laisse rester ici tout seul… » Elle retrouva sa position contre l’épaule d’Andrew, la tête nichée dans le creux de son cou, les yeux fermés comme pour s’extraire de la réalité difficile qu’ils vivaient tous les deux. Si elle s'écoutait, elle aussi, elle voulait passer les prochains jours emmitouflée sous une couette et ne jamais plus en sortir, surtout pas pour croiser d'autres personnes qui la jugeraient forcément pour ce qui lui arrivait. « De toute façon, si tu retournes pas à l’école, j’y retournerai pas non plus. »

Elle avait brusquement envie de pleurer.

Andrew eut un vague haussement d’épaules lorsque Kat lui suggéra de se désabonner du compte des EDL. C’était objectivement une bonne idée mais il ne parvenait pas à s’y résoudre. Il avait l’impression que cela serait vraiment renoncer, cela serait admettre que tout était vraiment fini, qu’il n’avait aucune chance de revenir. Tout avait basculé si vite. Un instant, il était sur son balai, tout allait bien, ils gagnaient le match, il jouait en parallèle en équipe professionnelle et puis brusquement, il n’était plus rien. Il n’avait plus le droit de voler, plus le droit de jouer, les EDL l’avaient renvoyé, il n’entraînait même plus l’équipe de Gryffondor. Tout ce qu’il aimait faire dans la vie lui avait été enlevé d’un coup. Tout ce qu’il pouvait encore faire, il n’en n’avait plus envie.

Il avait cru que revenir à Poudlard lui ferait du bien. Il verrait ses amis, reprendrait une partie de son quotidien, occuperait son esprit. Cela avait marché, les premiers jours. Il s’était installé dans la salle des Quatre Maisons avec ses amis, avait écouté ce qu’il avait manqué. Il avait souri, essayé de rire. Il avait passé du temps avec Sasha, à tenter de rattraper les chapitres qu’il avait manqué, à relire les fiches rédigées pour lui. Il avait essayé. Mais très vite, tout s’était vidé de sens. Il ne parvenait pas à se concentrer en classe. Il avait des migraines, avait dû plusieurs fois quitter le cours pour s’allonger. De toute façon, il n’en retenait pas grand-chose ; le traumatisme crânien affectait encore sa mémoire. Quand il restait en cours, il sentait son esprit dériver de toute manière. Il pensait à l’accident, à l’hôpital. A son avenir. Et cela le rendait terriblement triste.

Il était triste tout le temps. Un chagrin poisseux, envahissant. Il avait l’impression d’avoir sans cesse la tête dans le brouillard, tout lui demandait un effort. Il avait toujours été matinal, parce qu’il allait courir et s’entraîner mais ces derniers mois, il n’en n’avait plus la force. Il avait commencé à rater de plus en plus de cours, surtout dans la matinée. Henry et David avaient tenté de le couvrir au début, ils disaient aux enseignants qu’il était malade et quand Mrs Silverster passait le voir, elle ne semblait pas remettre cela en cause. Elle voulait toujours qu’il lui parle mais il n’avait pas grand-chose à dire. Il ne se sentait pas bien, voilà tout. Il n’avait pas la force de se lever, de s’habiller, de marcher dans les couloirs, d’aller s’assoir huit heures en classe. Pas la force de parler aux autres, pas la force de s’intéresser à ce qu’ils disaient, pas la force d’être là.

A force de cours ratés, ses parents avaient été prévenus par le professeur Londubat. Ce n’était pas vraiment une surprise, son directeur de maison était venu lui en parler, avec une certaine douceur. Il était dans une mauvaise spirale et il était nécessaire que sa famille le sache. Ils ne s’étaient pas fâchés, comme il l’aurait cru. Ils étaient inquiets. Sa mère avait dit qu’ils en parleraient aux vacances, qu’il fallait tenir jusque là. Elle voulait être certaine qu’il mangeait bien, qu’il passait du temps avec ses amis. Il n’avait pas vraiment eu le coeur à lui dire qu’il n’avait pas très faim et qu’il évitait ses amis. Il n’avait pas le coeur à discuter joyeusement, il se sentait en dehors de leurs rires, de leurs plaisanteries. C’est comme s’il regardait ça de l’extérieur. Il n’avait pas non plus envie de s’épancher auprès d’eux, de décrire les sentiments qui lui oppressaient la gorge. Des fois, il se sentait en colère. Ils n’avaient rien fait et pourtant, des fois, il avait l’impression qu’il allait exploser. Il ne voulait pas s’en prendre à eux, alors il était mieux seul.

Le premier soir des vacances, sa mère l’avait fait assoir dans la cuisine. Son père était arrivé quelques minutes avant par cheminette et se tenait appuyé contre le mur. Ils avaient discuté, lui avait expliqué sa mère, et ils se demandaient si c’était la bonne chose pour lui de revenir à Poudlard, au moins pour cette année. Peut-être qu’il serait mieux à la maison, avec eux. Cela serait plus facile pour ses rendez-vous et il serait plus au calme pour se reposer. Ils pourraient lui payer des cours particuliers pour qu’il continue de préparer ses examens. Andrew n’avait pas protesté, n’avait pas acquiescé non plus. Il avait haussé les épaules. Il ne savait pas trop. Sa mère l’avait embrassé sur les cheveux et lui avait dit qu’ils feraient le point à la fin des vacances.

Alors quand Kathrina lui demanda s’il était sérieux, il ne répondit pas pendant quelques secondes. Il avait senti sa tête bouger, il sentait son regard clair sur lui. Il n’osait pas la regarder dans les yeux.

- Je ne sais pas, souffla-t-il. Mes parents disent que ça serait peut-être mieux, pour me reposer... Il eut un silence. Puis je ne suis pas vraiment bien à l’école non plus, donc...

Ses amis lui manqueraient forcément mais qu’est-ce qu’il leur apportait en ce moment ? Il n’était pas très drôle, il ne parlait pas vraiment, il était souvent en colère. Il avait l’impression d’être un fantôme qui hanterait les couloirs de l’école, si ça n’était pas un détraqueur. Il ferma les yeux lorsqu’il sentit Kat se blottir un peu plus contre lui et eut un soupir. Sa déclaration lui fit légèrement secouer la tête.

- Dis pas ça, les choses sont plus marrantes sans moi en ce moment de toute manière.

Kathrina reconnut sur le visage d’Andrew la mélancolie et l’amertume qui ne semblaient plus pouvoir quitter son visage depuis quelques semaines. Au départ, il avait paru content et soulagé de revenir à Poudlard auprès d’eux, les premiers jours avaient été comme une fête pour tout le monde. Ils étaient tous ravis de voir Andrew après sa longue hospitalisation et lui semblait heureux de retrouver la chaleur familière de leur groupe d’amis. Puis assez vite, Kathrina avait vu l’attitude du Gryffondor changer, son regard se ternir, sa voix s’éteindre et sa présence se faire plus rare. Il ne disait pas grand-chose de ce qui le préoccupait, mais il n’en avait pas vraiment besoin ; il n’était pas très doué à le cacher. Ses sourires forcés quand ils se retrouvaient en grandes assemblées n’échappaient pas à Kathrina. Elle le voyait déstabilisé quand il ne comprenait plus les blagues qu’ils échangeaient, elle le sentait perdu en cours, plus du tout motivé pour ses devoirs. Le mot Quidditch était devenu tabou dans leur groupe, tant il éveillait une lourde pesanteur dans la conversation. Ils s’étaient tous inquiétés en s’apercevant qu’Andrew était totalement absent des tribunes pendant le dernier match des Gryffondor.

A force d’observation, Kathrina avait compris qu’Andrew charriait une immense tristesse que peu de personnes pouvaient comprendre. Il semblait hanté d’une très lourde émotion qui serrait l’estomac de la jeune femme et ravivait de vieux souvenirs chez elle. Elle aussi, elle avait erré comme un fantôme dans les couloirs de l’école pendant des mois, après la mort de son grand-frère, avec la sensation que rien ne pourrait jamais la sortir de son gouffre. Elle s’en souvenait avec un frisson dans le dos, parce qu’elle se rappelait de toutes les pensées très sombres qui la traversaient parfois à cette période.

Tout serait plus simple si tout s’arrêtait.

Elle ne pouvait pas lire les pensées d’Andrew, mais à le voir perdre son habituelle joie de vivre, privé de la passion pour le Quidditch qui l’animait avant son accident, Kathrina ne pouvait s’empêcher de se demander si le même genre de pensées l’habitait.

Et cela la terrifiait.

Elle passa son bras autour du torse de son ami, comme pour s’accrocher à lui. Un silence s’écoula, le temps qu’elle trouve ses mots dans le marasme d’émotions qui l’agitait.  

« Tu te souviens en troisième année, quand j’allais me cacher dans n’importe quel recoin sombre de l’école pour pleurer pendant des heures ? Tu m’as jamais laissée seule dans ces moments-là. » Un sourire mélancolique s’étira brièvement sur ses lèvres en ajoutant : « Tu m’aimais même assez pour bien vouloir sortir avec moi, alors que j’étais une épave. »

Elle devait beaucoup à Andrew pour la manière dont il l’avait tirée vers la lumière alors qu’elle était au plus bas. Même si leur amourette enfantine n’avait duré que quelques mois, elle lui avait fait un bien fou à un moment où elle en avait désespérément besoin. Elle avait l’impression de ne lui avoir jamais exprimé toute sa reconnaissance à ce sujet. C’était sa chance de le lui montrer, songea t-elle. Elle leva la tête vers lui, son regard retrouva le sien, à quelques centimètres de distance.  

« Je te laisserai pas seul non plus » souffla t-elle comme une promesse.

Sa main se posa sur sa joue en une caresse et elle n’hésita que quelques secondes avant de franchir la distance qui les séparait. L’odeur d’Andrew et la douceur de ses lèvres lui donnèrent la sensation d’un cocon familier et tendre dans lequel elle se blottit avec soulagement. Quand ils avaient commencé à fricoter secrètement, il ne se passait plus un jour sans qu’ils ne savourent cette proximité particulière entre eux. Puis il y avait eu des rumeurs, et ensuite l’accident pour y mettre un frein.

Et dans la foulée, il y avait eu Owen. Owen qui l’avait tant obsédée qu’elle n’avait plus eu envie d’embrasser quelqu’un d’autre.

Alors qu’elle se rendait compte de ce qu’elle était en train de faire, une lourdeur pesa au creux de son ventre, comme pour lui rappeler son amant disparu et la présence indésirable qu’il avait laissée en elle. Elle se détacha d’Andrew, prise d’un mélange confus d’émotions. Retrouvant sa position blottie contre son ami, elle conserva un silence pendant quelques instants.

L’envie de pleurer qui s’était manifestée plus tôt revint comme une brusque et écrasante vague.

Elle finit par articuler d’une voix écrasée, avec la sensation que le secret qu’elle enterrait en elle depuis quelques jours était en train de l’étouffer :

« Je crois que j’ai fait une bêtise… »

Andrew ferma les yeux lorsque Kathrina l'étreignit. Il sentit sa gorge se serrer de nouveau et laissa échapper un soupir, glissant son bras autour de ses épaules pour la serrer un peu plus fort contre lui, reconnaissant. Il avait l’impression que sa présence apaisait un peu la béance qui lui tordait l’estomac. Ils restèrent ainsi quelques secondes, dans le silence, alors qu’il tentait de faire le vide dans son esprit. Il ne rouvrit pas les paupières lorsqu’elle reprit la parole, lui demandant s’il se rappelait leur troisième année, quand elle était très malheureuse après la perte de son grand-frère. Il s’en souvenait très bien, ils étaient devenus amis quelques mois avant et il n’avait pas supporté l’idée qu’elle soit seule dans le château à pleurer et broyer du noir. Il voulait passer du temps avec elle, même s’ils ne parlaient pas, juste pour qu’elle ne reste seule avec son chagrin. Ils avaient passé des heures tous les deux, souvent avec un paquet de chocogrenouilles, à écouter le reste du monde vivre derrière les tapisseries qui les dissimulaient. Il s’en souvenait très bien et en même temps, tout cela lui semblait si loin... Presque comme s’ils étaient d'autres personnes désormais.

- Evidemment que je t’aimais, souffla-t-il.

Il baissa la tête vers elle et leurs yeux se rencontrèrent. Elle était si proche de lui qu’il pouvait distinguer la myriade de tâches de rousseur qui parcouraient ses joues et les différents bleus qui s’entrelaçaient pour former la couleur de ses yeux. Les doigts de Kathrina vinrent se poser sur sa joue, caressant sa peau avant qu’elle ne s’approche pour poser ses lèvres sur les siennes. Andrew ferma les yeux, l’effleura une seconde avant de l’embrasser en retour avec tendresse. L’espace de quelques secondes, il lui sembla qu’il était absorbé dans ce contact. Le temps d’une étreinte, il fut ramené à ces instants d’avant.

Lorsqu'elle s’éloigna de lui, il ne rouvrit pas immédiatement les yeux. Il la sentit se blottir à nouveau contre sa peau et il caressa de sa main son dos, ses doigts balayant ses cheveux longs. Le silence s’immisçât de nouveau entre eux en même temps que la chaleur de leur baiser les quittait. Ce fut d’une voix chevrotante que Kat reprit la parole. Le grain de sa voix fit quelque chose à Andrew qui se redressa pour la première fois, basculant légèrement au dessus d’elle. Leurs yeux se croisèrent de nouveau mais cette fois-ci, un éclat différent brillait dans ceux de son amie. La main d’Andrew vint caresser sa joue, son pouce effleurant sa pommette.

- Non, ne dis pas ça, ça n’était pas une bêtise, j’étais d’accord...

Les bras d’Andrew avait toujours eu quelque chose de doux et de réconfortant pour Kathrina. À cet instant, elle aurait voulu pouvoir s’y réfugier pleinement mais la culpabilité et l’angoisse formaient un tel poids au creux de son ventre que rien ne semblait pouvoir l’apaiser. Les trois semaines qui s’étaient écoulées depuis qu’elle avait parlé à Owen de sa grossesse lui faisaient l’effet d’un brouillard épais et obscur. Elle s’y était enfoncée, piégée par un immobilisme inquiétant.

Isolée avec son secret, elle ne savait plus quoi faire. Et elle avait très bien consciente de l’horloge qui tournait au-dessus de sa tête et lui rappelait que, sans décision de sa part, son corps allait finir par en prendre une pour elle.

Parce que c’était trop lourd, parce qu’elle se sentait un peu protégée dans les bras d’Andrew, Kathrina finit par confier sa souffrance du bout des lèvres. En l’écoutant répondre, elle prit conscience de la confusion qu’entraînait ses mots après leur baiser et elle rectifia en se reculant légèrement :

« Non, je… Je parlais de… »

Comment trouver les mots pour évoquer ce qu’elle refusait même de regarder devant son miroir ? Les larmes qu’elle retenait péniblement finirent par rouler sur ses joues, alors qu’elle balbutiait, le regard baissé vers le matelas :

« Je suis enceinte. » Terrifiée et honteuse, elle se tut l’espace de quelques secondes. Quand elle osa enfin relever les yeux vers Andrew, elle aperçut l’expression sur son visage. Prenant conscience du quiproquo que ses mots pouvaient créer, elle se hâta d’ajouter : « Pas de toi. »

Les tests qu’elle avait réalisés ne laissaient guère place au doute. Sa grossesse datait d’environ deux mois, et elle fréquentait déjà Owen exclusivement à cette époque. Malheureusement, sous la pression de son amant, elle n’avait parlé de leur idylle à personne, pas même à ses amis proches. Ses épaules étaient voûtées par la culpabilité, ses joues étaient roses d’embarras et mouillées de chagrin face à Andrew, alors qu’elle essayait de trouver le courage de s’expliquer.

« Quelqu’un que je fréquentais… Pas un élève de l’école, c’est… Un homme qui s’appelle Owen. On s’est rencontrés à Pré-au-Lard. »

Kathrina avait l’air perturbé et Andrew l’observa se redresser avec un peu de surprise. Il en fit également de même, ramenant ses jambes sur son matelas. Elle semblait peiner sur les mots, ses joues étaient rouges et il eut brusquement un mauvais pressentiment. Inquiet, il tendit la main pour attraper ses doigts entre les siens. Elle parlait de bêtise, mais qu’avait-elle pu faire comme bêtise ? Elle n’avait pas pu tuer quelqu’un, non ? Il s’apprêtait à faire cette plaisanterie, pour tenter de la faire sourire, pour tenter de dénouer la situation, lorsqu’elle finit par parler.

Elle était enceinte.

Andrew sentit l’intégralité de son corps se glacer. Sa respiration se bloqua, ses yeux s’écarquillèrent et le sang quitta son visage. Ses doigts, entrelacés à ceux de son amie, se figèrent.

Enceinte, comme quand on attendait un bébé. Enceinte, c’était un mot terriblement adulte et qui semblait complètement inadapté à cet instant dans la bouche de Kat. Enceinte. Quelque chose sembla se coincer dans sa gorge alors que lui revenaient à l’esprit la multitude de moments qu’ils avaient eu tous les deux. Il les revoyait s’embrasser, il se revoyait glisser ses mains le long du corps de Kat, le contact de sa peau nue contre la sienne puis...

- Pas de toi.

Il eut l’impression de prendre une grande bolée d’air. Il inspira brusquement et un mot se décida enfin à sortir.

- Oh.

C’était un « oh » de soulagement qu’il n’avait pas pu retenir. Ses doigts se détendirent, sans pour autant lâcher la main tremblante de son amie. Pas de lui. Pas de lui. Il n’avait pas mis Kathrina enceinte. Pas lui. Mais quelqu’un.

- Oh.

Le sens se fit complètement dans son esprit et ses yeux s’écarquillèrent de nouveau, posant un regard aussi incrédule qu’inquiet sur Kathrina. Ses joues étaient trempées de larmes, son regard éperdu, sa voix chevrotante alors qu’elle balbutiait qu’elle était enceinte d'un certain Owen de Pré-au-Lard. Andrew comprenait les mots qu’elle prononçait et dans le même temps, cela lui paraissait tellement... incroyable. Kathrina, enceinte ? C’était un concept tellement lointain. Mais sa détresse était tellement perceptible. Et elle lui brisait le coeur.

Andrew se redressa complètement et passa ses deux bras autour d’elle, l’attirant contre lui. Il la serra fort, de longues secondes, caressant son dos et ses cheveux. Qu’est-ce qu’on disait dans ces moments-là ? Quels étaient les bons mots ? Il se sentait pris au dépourvu, il avait peur de mal faire, il ne savait pas.

- Ça va aller, finit-il par souffler, ses bras toujours autour d’elle.