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Nothing last forever [OS]

Avalon Calder
Avalon CalderChef de la milice
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Profil Académie Waverly
Nothing last forever [OS] Icon_minitimeVen 9 Déc 2022 - 11:30
HRP:

12 février 2012

Alma et Mateo Muñoz vivaient à Leeds depuis plus de trente ans maintenant. Lorsqu’ils avaient fait le choix de quitter le Mexique avant la naissance de leur fille aînée, ils s’étaient d’abord installés dans la banlieue de Londres, pensant que le dynamisme de la capitale leur offrirait plus d’opportunités professionnelles. Pour éviter de gaspiller leurs salaires, ils avaient fait le choix de louer un petit appartement : les filles se partageaient l’unique chambre, tandis qu’eux occupaient le canapé-lit du salon. Forcément, lorsque les sœurs Muñoz avaient grandi, cette configuration avait été source de tensions. Mais Alma et Mateo – qui visaient l’achat immobilier depuis leur arrivée en Angleterre – n’avaient pas cédé à leurs supplications, leurs caprices, leurs pleurs et leurs cris. Ils avaient quitté leur appartement après la majorité de leur aînée, Edith, pour s’établir dans une maison dont ils avaient fait l’acquisition à Leeds, plus au nord de l’Angleterre. Leur cadette, Adele, avait vécu avec eux plusieurs années : elle avait d’abord obtenu son A levels au lycée de Leeds, puis un bachelor de l’université. Edith avait refusé de quitter Londres, malgré l’insistance de ses parents. Elle s’était mariée jeune, juste avant son dix-neuvième anniversaire, alors qu’elle était déjà enceinte de son premier enfant.

Mateo avait refusé d’assister au mariage de sa fille aînée. Une violente dispute les avait opposés quelques jours avant la cérémonie ; le ton était monté et des mots difficilement oubliables avaient été prononcés. Le père trouvait insupportable de voir sa fille gâcher ainsi sa vie, auprès d’un homme qu’il n’avait jamais toléré. La fille ne supportait pas le jugement brutal de son père et son mépris évident envers l’homme avec lequel elle s’apprêtait à fonder une famille. Ils ne s’étaient pas adressés la parole pendant des mois et seules Alma et Adele étaient venues célébrer l’union d’Edith Muñoz et de Dwight Davies.

Edith avait vécu une première grossesse compliquée. Elle s’était éloignée de ses parents et de sa sœur – Alma était persuadée qu’elle refusait de montrer à son père les difficultés qu’elle rencontrait sur ce chemin qu’il lui avait pourtant expressément interdit de prendre. Elle avait dû être alitée les dernières semaines avant son accouchement. La solitude – alors qu’elle était aussi jeune, aussi vulnérable et en proie à un changement majeur – l’avait rongé et avait probablement été une des causes de sa dépression post-partum. Après la naissance de Néro, son fils aîné, Edith s’était retrouvée incapable de prendre soin d’elle ou de son enfant. Alma, inquiète, avait multiplié ses visites pour veiller sur sa fille. Son mari, Dwight, était dépassé par la situation. Il avait vingt-et-un ans, un petit boulot de nuit dans un restaurant et une large tendance à consommer des produits stupéfiants pour calmer l’angoisse. Au beau milieu de tout ça, Néro Davies demandait des soins quotidiens et une attention constante qu’on ne lui donnait pas.

Finalement, Alma avait réussi à convaincre sa fille de venir s’installer quelques semaines à Leeds avec son fils, le temps qu’elle se sente mieux. Dwight n’avait pas été ravi par la situation – lui non plus n’avait pas digéré son conflit avec son beau-père – mais ne s’y était pas opposé. Néro avait passé deux mois à Leeds, essentiellement choyé par sa grand-mère, tandis qu’Edith luttait tant bien que mal pour sortir la tête de l’eau. Evidemment, l’attitude désapprobatrice de Mateo n’aidait en rien – ce qu’Alma n’hésitait pas à lui dire, dans les disputes murmurées qui rythmaient parfois la fin de leurs soirées. Edith était repartie à Londres avec Néro et, si Alma avait poursuivi ses visites, elle avait cru que le pire était passé. Puis, sa fille était retombée enceinte. De jumeaux, cette fois-ci, qui étaient nés au mois de mars 1982. Avalon et Galaad, puis Célice, trois ans plus tard. Avec l’agrandissement de leur famille, les conditions de vie des Muñoz-Davies s’étaient largement détériorées, tout comme la patience des jeunes parents.

Alors, régulièrement, Alma et Mateo avaient accueilli leurs petits-enfants chez eux. Dwight était devenu franchement hostile envers ses beaux-parents qui ne cachaient pas non plus les sentiments négatifs qu’ils entretenaient à l’égard de leur gendre. Ce dernier, après avoir cherché à s’en éloigner dans sa jeunesse, avait rejoint le trafic familial tenu par son frère aîné et travaillait pour lui depuis la naissance des jumeaux. La légalité ne rapportait pas assez, se défendait-il d’un ton bourru, et il avait des couches à acheter. La drogue s’était immiscée partout dans le quotidien d’Edith : dans sa cuisine qui, pendant un temps, regorgeait des délicieuses odeurs des plats qu’elle adorait cuisiner, dans son salon où des joints s’entassaient dans le cendrier. Elle avait fini par céder à son appel, elle aussi, fatiguée par son quotidien, la pression constante et les cris incessants de ses quatre premiers enfants.

Alors, cette large bâtisse avait vu grandir les aînés Davies pendant un temps. Le jardin avait accueilli leurs jeux, le grand arbre n’avait jamais ployé sous leurs poids et les voisins avaient été les témoins de leurs nombreuses disputes. Alma et Mateo, après avoir élevé deux filles, s’étaient replongés dans les changes, les biberons, les bains et les genoux écorchés. Ce système de garde plus ou moins alternée avait duré plusieurs années, avant qu’une énième dispute n’éclate entre Edith et Adele lors du repas traditionnel de Noël. Mateo avait pris la défense de sa cadette, ce que sa fille aînée n’avait supporté. Il y avait eu des cris, des insultes et Edith était repartie avec son mari et leurs quatre enfants. Il semblait à Avalon que c’était la dernière fois qu’elle avait vu sa mère chez ses grands-parents.

Elle avait toujours un pincement au cœur lorsqu’elle revenait à Leeds. La maison – dans ce petit quartier qui ressemblait plus à village – rassemblait tous ses meilleurs souvenirs d’enfance. Des souvenirs lointains, uniquement maintenus vivants par la présence de ses grands-parents qui occupaient toujours la même bâtisse, vivaient selon la même routine et occupaient les mêmes places autour de la table de leur cuisine, comme si le temps était immobile. Depuis que Morgane et Garlan vivaient à Leeds, Avalon veillait à y venir régulièrement. Elle y passait deux fois dans le mois, souvent accompagnée de Vivianne, parfois de Roy. Ce soir-là, Alma avait convié sa petite-fille à dîner pour célébrer l’anniversaire de Morgane, qui avait eu lieu au mois de février. Avalon et Vivianne avaient transplané depuis Bristol aux alentours de dix-neuf heures en direction d’une petite ruelle du quartier de Chapel Allerton. Elles remontaient la rue côte à côte en bavardant, les bras chargés par des paquets. Lorsqu’elles arrivèrent au niveau du numéro 48, Vivianne poussa précautionneusement le vieux portail en fer un peu rouillé et remonta l’allée en faisant crisser les graviers sous ses chaussures. Elle sonna, visiblement impatiente.

« Bonjour Abuela ! lança-t-elle avec un grand sourire lorsque sa grand-mère ouvrit la porte.
-Ohhh, bonjour querida ! s’exclama Alma en se penchant pour serrer sa petite-fille dans ses bras. Comment tu vas ? Bien ? » Vivianne secoua la tête pour acquiescer et se recula légèrement pour se dégager de l’étreinte. « Oh, Avalon, cariña, tu as bonne mine. » Elle l’embrassa sur la joue. « Comment tu te sens ? Tu n’es pas trop fatiguée ?
-Ça va, abuela, répondit Avalon en souriant. Et toi ?
-Muy bien ! Je suis heureuse de vous voir ce soir. J’ai fait le gâteau préféré de ta sœur, lui expliqua-t-elle en lui prenant le bras pour la guider vers le salon. Je ne te raconte pas comment j’ai remué ciel et terre pour me procurer des fraises à cette période de l’année, et…
-Bisa ? » Une petite voix s’éleva derrière Avalon et Alma. Les deux femmes se retournèrent pour découvrir une petite fille brune, qui les observait avec curiosité. Avalon marqua un temps d’arrêt alors que sa grand-mère répondait tranquillement à son arrière-petite-fille.

« Oui ma puce ?
-Papa cherche son téléphone que tu as pris pour la recette de cuisine.
-Attends, Abuela, Néro est… »

Mais Avalon n’eut pas le temps de finir sa phrase car, derrière la petite Aimee venait d’apparaître Néro. Lui aussi se figea une brève seconde avant que ses sourcils ne se froncent.

« Qu’est-ce que tu fais là ?
-Mais c’est toi qu’est-ce…
-Basta, les enfants. » intervint Alma d’une voix qui ne souffrait d’aucune contradiction. Un sourire éclairait cependant toujours son visage lorsqu’elle se tourna vers Vivianne. « Tu veux bien amener Aimee à ton abuelo, s’il-te-plait ? »

Vivianne, qui observait Avalon et Néro avec une certaine inquiétude, hocha lentement la tête et prit la main d’Aimee pour la conduire vers le salon. L’enfant la suivit docilement, sans se formaliser de la lourde atmosphère qui planait dans le corridor.

Une fois la porte refermée derrière les deux filles, Avalon coula un regard vers sa grand-mère. Cette dernière se tenait droite, les sourcils froncés, sans faillir devant le regard noir de son petit-fils.

« Je me casse, annonça-t-il en faisant un pas vers l’escalier.
-Néro Davies, tu n’as pas intérêt à partir d’ici, le menaça Alma en croisant les bras sur sa poitrine.
-Oh, si, abuela, laisse-le partir, de toute façon il…
-Avalon, ne commence pas. »

Le ton sec de sa grand-mère suffit à la faire taire. Néro n’osa visiblement pas non plus la contrarier car il cessa de s’agiter pour l’observer, l’air résigné.

« Vous vous comportez comme des adolescents, tous les deux, alors que vous avez trente ans, c’est ridicule. » Alma n’avait pas haussé la voix et, pourtant, ni Avalon ni Néro ne protestèrent. « Ça a duré suffisamment longtemps…
-Et on se demande pourquoi, lança Néro avec un regard mauvais.
-Tu arrêtes, Néro. » Alma les considéra longuement du regard. Elle paraissait agacée et, en même temps, elle agissait comme si elle avait eu parfaitement le temps de réfléchir à ce qu’elle comptait dire. « Escucha, niños. Votre abuelo et moi, on ne sera pas toujours là pour faire le lien entre vous tous, d’accord ? Vers quoi ça vous mène, de continuer comme ça ? Vous avez envie de suivre l’exemple de votre mère et de votre tante, qui ne se sont pas adressées un mot depuis vingt ans ? C’est ça que vous voulez ? Vivre vos vies en oubliant que vous avez grandi ensemble ? » Le silence qui suivit ne répondit à aucune question d’Alma. Avalon était raide à côté d’elle, le visage fermé et les yeux résolument fixés sur un tableau qui représentait une nature morte. Néro avait la mâchoire serrée et le regard sombre. « On a besoin de sa famille, vous le savez très bien. Et particulièrement vous deux en ce moment. Alors, je ne vous demande pas de tout vous pardonner, je ne vous demande pas tomber dans les bras l’un de l’autre, mais je vous demande un repas sans que vous ne vous étripiez. Està claro ? » Elle ajouta, en désignant la porte fermée du salon avec son menton : « Si vous ne le faites pas pour moi, faites-le au moins pour les petits. »


Avalon Calder

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Nothing last forever [OS] Icon_minitimeMar 13 Déc 2022 - 16:15
Avalon soupira. Néro et elle ne s’étaient pas adressés la parole depuis le mois d’août, lorsque le conflit avait éclaté entre elle et son père. Ils s’étaient soigneusement évités lors du procès et n’avaient pas repris contact depuis. Leur passif était trop lourd pour qu’ils l’ignorent et se comportent comme on l’aurait attendu d’un frère et de sa sœur. Cela faisait maintenant des années que leur relation était agitée par les disputes, les cris et parfois même les coups. Ils s’étaient mutuellement trop abimés pour espérer un quelconque retour en arrière. Quant à faire un pas vers l’avant… Avalon ne savait pas si elle en était capable, ou même si elle en avait envie. Néro représentait tout ce qu’elle détestait : une image exacte de ce qu’elle aurait pu devenir si, des années plus tôt, elle n’avait pas montré des aptitudes magiques. Ce fut l’insistance de sa grand-mère qui la décida. Elle secoua la tête, haussa les épaules et fit volte-face pour pénétrer dans le salon où régnait un silence inhabituel. Morgane, installée sur le canapé, leva les yeux de son téléphone pour guetter l’apparition de sœur. En voyant Néro apparaître derrière elle et Alma fermer la marche, elle haussa les sourcils, visiblement stupéfaite. Sa surprise dura une poignée de secondes.

« Wow, t’as vachement grossi depuis la dernière fois, Av, commenta-t-elle finalement pour rompre l’atmosphère silencieuse.
-Morgane ! la gronda sa grand-mère en s’avançant dans la pièce. On ne dit pas des choses pareilles à une femme enceinte !
-Bah quoi ? C’est la vérité !
-Le problème, c’est qu’Avalon est sur le point de devenir aussi large que haute, intervint Galaad qui s’était approché pour embrasser sa sœur et échanger un regard avec son frère aîné. Forcément, ça choque.
-Vous parlez trop mal. » s’offusqua Avalon sans sa verve habituelle car manifestement perturbée par la configuration de ces retrouvailles.

Il fallut les efforts combinés d’Alma et de Galaad pour assurer la fluidité du dîner. Avalon et Néro s’étaient installés loin l’un de l’autre et interagissaient ensemble le moins possible. Le repas se passa sous le regard attentif d’Alma, qui veillait à son bon déroulement. On mangea, on trinqua, on chanta « Joyeux anniversaire » et on déposa, devant Morgane, plusieurs paquets qu’elle observa avec un intérêt non-feint. Elle les déballa tous sous les commentaires souvent moqueurs de ses frères et de ses sœurs qui avaient pu se rendre disponibles pour l’occasion. Avalon y participa, tout en ayant l’impression qu’une part d’elle était incapable d’occulter le fil de tension qui la reliait à son frère aîné. Elle se sentait en alerte, sur le qui-vive. Aussi, quand les assiettes soigneusement nettoyées furent débarrassées, Avalon fut presque surprise de constater qu’aucun éclat de voix – ni la sienne, ni celle de son frère – n’avait troublé l’ordre du repas. Morgane, sous ses airs traditionnellement blasés, paraissait ravie.

Avalon s’attarda dans la cuisine auprès de son grand-père, qui remplissait méticuleusement le lave-vaisselle. Elle entendait, dans le salon, la joyeuse conversation entre Vivianne et Morgane, coupée de temps à autre par les commentaires moqueurs de Garlan. Les éclats de voix devinrent plus distincts lorsque la porte de la pièce s’ouvrit sur Alma, les mains encombrées par un large plat. Avalon voulut la débarrasser mais sa grand-mère ignora son geste.

« Querida, tu devrais aller t’asseoir, au lieu de t’agiter partout dans cet état, la réprimanda-t-elle affectueusement en tendant à son mari les dernières assiettes qui baignaient dans l’évier. Avec ta tension, tu devrais faire plus attention.
-Ça va, abuela, sourit Avalon en secouant la tête. Elle céda cependant à l’ordre de sa grand-mère et recula pour s’appuyer contre le plan de travail en bois.
-C’est vrai ? Qu’est-ce que les médecins t’ont dit ?
-Pour le moment, on continue avec les traitements et la surveillance. Et si les résultats commencent à montrer que poursuivre la grossesse me met en danger… Ils déclencheront l’accouchement.
-Oh, querida… souffla Alma en s’approchant de sa petite-fille pour poser une main réconfortante sur son bras. Je suis désolée.
-Ça va, répéta Avalon, d’une voix un peu enrouée. On me donne des médicaments pour aider le bébé à se développer plus rapidement au cas où ils doivent… Ça va aller. »

Sa grand-mère l’observa un court instant avec tendresse, songeant qu’Avalon avait toujours été ainsi. Elle disait « ça va » quand ses yeux trahissaient sa peur et quand son visage se tordait d’anxiété. Elle disait « ça va » pour ne pas dire « j’ai peur », comme si elle craignait que ces deux mots lui portent malchance. Alma, elle, était très inquiète. Elle s’était longuement renseignée sur la prééclampsie et sur les risques associés, à la fois pour la mère et pour le bébé. Elle en avait parlé à son médecin aussi, le docteur Robinson, mais ses réponses n’avaient pas apaisé ses peurs, bien au contraire. Encore plus qu’à l’ordinaire, Alma guettait les signes de fatigue sur le visage de sa petite-fille, craignant des douleurs qui annonceraient peut-être un épisode dramatique. De ces inquiétudes, elle fit le choix de ne rien dire, respectant le silence d’Avalon qui ne s’ouvrait que très rarement sur ce sujet. Après une dernière caresse affectueuse sur la joue, Alma reprit le plat qu’elle avait déposé sur le plan de travail et le plongea dans l’évier.  

Avalon laissa un moment de silence, pendant lequel elle observa ses grands-parents effectuer cette tâche quotidienne qui rythmait leurs soirées depuis des années. Alma rinçait les assiettes, Mateo les chargeait dans le lave-vaisselle, selon un ordre précis duquel il ne dérogeait jamais. Puis, elle lavait les verres à la main – sinon, ils s’abîmaient trop vite – et enfin les plats. Pendant ce temps, son mari nettoyait le plan de travail sali par la préparation du repas. Observer ce ballet familier apporta à Avalon un certain réconfort, qu’elle finit par abandonner pour interroger sa grand-mère sur une question qui demeurait sans réponse depuis le début de la soirée :

« Comment ça se fait que Néro soit ici avec Aimee ? »

Alma n’eut pas besoin qu’Avalon explicite le sous-entendu derrière sa question : l’ex-compagne de Néro avait, depuis leur séparation, toujours refusé que leur fille demeure seule avec son père. Des visites médiatisées étaient prévues avec une assistante sociale mais il semblait à Avalon que Néro les honorait assez rarement.

« C’est compliqué, soupira sa grand-mère en essuyant ses mains humides sur un torchon coloré. La mère d’Aimee est malade et elle a dû être hospitalisée rapidement. Ton frère a récupéré Aimee il y a quelques jours et il est venu ici hier soir avec elle.
-Ah… Avalon s’appuya contre le plan de travail derrière elle. Mais c’est grave ?
-Je ne sais pas trop. Tu connais trop frère, c’est difficile de le faire parler. Tu devrais essayer, glissa alors Alma en refermant le placard qui, sous l’évier, dissimulait les produits ménagers. Peut-être qu’il te parlera, à toi.
-A moi ? Abuela… »

Avalon eut un rire sans joie, comme pour marquer l’absurdité de cette idée. Sa grand-mère haussa simplement les épaules et se lança dans une conversation en espagnol avec son époux dont Avalon se désintéressa bien vite. Elle quitta la cuisine pour rejoindre le salon, où Galaad, Morgane, Vivianne et Garlan papotaient, installés dans les larges canapés fatigués par les années. Avalon se glissa à côté de son jumeau, qui tourna la tête vers elle.

« Ça va ? lui demanda-t-il à voix basse. Quand j’ai vu que Néro était là, j’étais sûr que t’allais câbler.
-Ouais, ouais, ça va. Elle hésita une seconde avant de lui demander dans un chuchotement : Néro t’a dit, pour la mère d’Aimee ?
-Hein ? Non, il m’a rien dit… Il se passe quoi ? »

Avalon ressentit un profond malaise à se savoir seule détentrice d’une information que son frère aîné n’avait visiblement désiré partager à personne. Une information qui, de surcroît, semblait témoigner d’une situation assez grave. Suffisamment grave, en tout cas, pour que Néro s’enferme dans un long silence qui avait duré la quasi-totalité du repas, puis s’isole sur la terrasse qui était partiellement visible depuis l’endroit où elle se tenait. Avalon se sentait partagée. Une part d’elle refusait d’entamer la moindre conversation avec Néro. Elle conservait des souvenirs bien trop houleux des dernières fois où ils s’étaient retrouvés seuls pour avoir volontairement envie de renouveler l’expérience. En même temps elle ne pouvait ignorer ni ce qu’elle venait d’entendre, ni les mots douloureux mais justes de sa grand-mère. Le parallèle qu’elle avait dressé entre sa mère et elle l’avait profondément heurté par sa véridicité : Edith ne parlait plus à sa sœur et à son père depuis plus de vingt ans maintenant ; Avalon prenait précisément le même chemin. Evidemment, elle pouvait protester, arguer que les situations étaient différentes mais ce constat lui laissait plutôt un goût amer en bouche.

Comme le goût d’un immense gâchis.

C’était comme si les situations se répétaient, comme si quelque chose se rejouait inlassablement au sein de leur famille tordue, cassée, abimée. Edith s’était sentie exclue de son cercle familial ; elle s’était toujours sentie jugée par sa sœur – la belle Adele, la douce Adele qui avait réussi ses études – et par son père qui n’avait jamais approuvé ses choix de vie. Exclusion, mépris, jugement, rejet. Avalon s’était toujours sentie à l’écart au sein de sa famille. Elle était avec eux mais jamais réellement présente, à la fois ici et là-bas. Elle n’avait jamais supporté le mépris de son frère, la violence de son père. Exclusion, mépris, jugement.

Rejet.

Ces sentiments, Avalon ne les découvrait pas subitement aujourd’hui. Ils avaient grandi avec elle, avaient accompagné son adolescence et sa vie d’adulte. Elle avait beau être à l’aube de ses trente ans, elle se sentait parfois toujours comme l’enfant qu’elle avait été lorsqu’elle se retrouvait face au regard accusateur de Néro, qui semblait faire peser toute sa colère sur elle. Elle refusait de l’entendre, de l’écouter et encore moins de la comprendre. Elle s’en défendait et, comme un animal blessé, attaquait en retour. Cela faisait des années qu’ils agissaient ainsi tous les deux et leur relation tumultueuse avait contribué à effacer les souvenirs communs de leur enfance. Car, aussi surprenant que cela puisse paraître, Avalon et Néro avaient été très proches à une époque. Leurs caractères très similaires en avaient fait d’excellents compagnons de jeu – puis, plus tard, un binôme redoutable.

De cette complicité, il ne restait plus rien.

Ce n’était pas tout-à-fait vrai ; il restait l’incompréhension, les blessures et les disputes. Il restait une relation abimée par les années, une famille éclatée par leurs conflits et leur colère.

Une famille qu’Avalon s’apprêtait à agrandir d’un nouveau membre. Instinctivement, elle posa sa main sur son ventre bien arrondi, comme elle le faisait désormais lorsque ses pensées s’égaraient du côté de sa fille. Qu’allait-elle lui transmettre ? se demandait-elle souvent. Pas son nom – Avalon avait finalement renoncé à lui donner le nom de ce père qu’elle ne voyait plus. Une famille, bien entendu. Mais une famille au sein de laquelle on reproduisait toujours les mêmes schémas. Une famille enfermée dans le silence et dans la colère.

Et comment pouvait-elle lui transmettre l’importance des relations familiales si elle-même était incapable d’adresser un mot à son frère ?


Avalon Calder

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Nothing last forever [OS] Icon_minitimeMar 13 Déc 2022 - 18:45
« Avalon ? Av ? » l’appela Morgane en secouant la main comme pour attirer son attention.

Avalon cligna des yeux en prenant conscience que son long silence n’était pas passé inaperçu au sein de sa fratrie. Elle les observa un bref instant avec une expression indéchiffrable sur le visage : Garlan semblait être sorti de sa colère habituelle pour expliquer à une Vivianne très concentrée le nouveau jeu auquel il jouait sur son téléphone et qui consistait à faire sauter un petit extra-terrestre vert de plateformes en plateformes. Morgane – derrière ses commentaires acides – paraissait presque apaisée ; avachie sur le canapé, elle avait entrepris de montrer à Galaad les profils Facebook de ses camarades de classe, qu’elle commentait allégrement avec un humour moqueur qui faisait ricaner son frère aîné. Au milieu de ses oncles et tantes, Aimee dessinait tranquillement sur un vieux cahier à la couverture rouge.

Il sembla à Avalon que c’était la première scène empreinte de normalité à laquelle elle assistait dans son cercle familial depuis un bien trop long moment.

« Mh ? Je reviens. » lança-t-elle en se redressant pour se diriger, sous le regard stupéfait de Morgane et de Galaad, vers la porte-fenêtre du salon qui menait dans le jardin.

Elle la fit coulisser, la referma précautionneusement derrière elle et se retrouva derrière son frère aîné, qui fumait nerveusement une cigarette.

Le silence entre eux fut lourd, comme s’ils sentaient que cette scène n’était pas habituelle. Au contraire, même, elle paraissait décalée, presque gênante. Sans trouver quoi dire, Avalon s’installa sur une chaise en plastique, les yeux rivés sur le dos de Néro qui avait seulement tourné la tête lorsqu’elle l’avait rejoint dans le jardin. Ici, elle fit le douloureux constat qu’elle ne savait pas comment parler à Néro. Les mots qui d’ordinaire lui venaient aisément semblaient coincés dans sa gorge.

« Qu’est-ce que tu veux, Av ? lança finalement Néro sans lui accorder un regard.
-Je sais pas. » répondit-elle honnêtement après un moment de silence.

Il se passa encore quelques secondes avant que son frère aîné ne reprenne, sans pouvoir contenir sa nervosité :

« Abuela m’avait dit que t’étais enceinte.
-Ah, ouais.
-T’as pas perdu de temps, hein. »

Sa remarque piqua vivement Avalon qui sentit une réplique acide lui brûler les lèvres. Elle la ravala difficilement, les mains croisées sur son ventre comme pour protéger son enfant. Néro ne devait rien savoir des circonstances de cette grossesse. Il ne devait rien savoir du déni, du diagnostic de prééclampsie, de la menace, des risques. Il ne savait rien de l’angoisse lancinante qui la rongeait ou de la peur qui ravageait parfois son estomac. Curieusement, constater cette ignorance lui causa plus de tristesse que de colère. Avalon contempla le dos de son frère, observant ses cheveux bruns qui tombaient dans sa nuque et soupira.

« C’est quoi ton projet en fait ? Me détester toute ta vie ? »

La question était partie presque impulsivement, sans même qu’elle ne la réfléchisse au préalable. Néro sembla tiquer, comme perturbé que la dynamique pourtant si rodée entre lui et sa cadette change si brusquement. Il était nerveux, cela se percevait dans sa posture. Avalon, elle, se sentait davantage fatiguée, lasse de ces conversations qui se répétaient inlassablement. Elle avait l’impression de vivre dans une boucle et de la parcourir encore et encore. Ils se disaient les mêmes mots, sur le même ton, avec les mêmes rancœurs et la même colère.

Mais aujourd’hui, quelque chose était différent, cela se sentait dans l’atmosphère qui entourait leur échange. Et, si le discours véhément de leur grand-mère y était pour quelque chose, la petite voix funeste qui l’accompagnait depuis quelques semaines n’était pas en reste non plus. Avalon avait pris connaissance des chiffres, elle avait parcouru les forums et lu les articles qui traitaient de sa pathologie. Elle savait que, si les chances n’étaient pas tout à fait dramatiques, elles n’étaient pas nulles non plus. Elle vivait dans la crainte de sentir une migraine poindre dans ses tempes ou une vive douleur la saisir au ventre, ce qui signerait éventuellement un danger majeur pour elle et son enfant. Des « et si » dansaient parfois devant ses yeux, même lorsqu’elle les fermait fort pour ne pas les voir.

Et si son dernier échange avec son frère n’était qu’une énième violente dispute ?

« Je te déteste pas, répondit finalement Néro d’un ton bourru.
-Tu peux même pas me regarder, Néro. »

L’aîné des Davies dut prendre cette remarque comme un défi, car il fit immédiatement volte-face pour se retrouver face à sa sœur. Ils s’observèrent un long moment, soutenant le regard de l’autre sans faillir. Cela faisait des années qu’ils ne s’étaient pas fait face ainsi, sans crier et sans jurer. Avalon redécouvrit le visage de son frère lorsque ce dernier n’était pas tordu par la colère. Elle retrouva ses yeux si similaires aux siens et la cicatrice discrète sous son sourcil. C’était un visage abimé par les années, abimé par la drogue, mais étrangement familier. Néro, de son côté, constata avec une certaine stupeur la vulnérabilité dans l’attitude de sa sœur qu’il avait toujours perçu très hautaine.

« Tu me casses les couilles, Av, reprit Néro en croisant les bras sur son torse. Tu me casses les couilles comme on me casse rarement les couilles dans ma vie, mais j’ai jamais dit que je te détestais.
-Quel réconfort, ironisa la plus jeune, un peu acide.
-Oh c’est bon, gronda-t-il, l’air mauvais, fais pas semblant de pas savoir pourquoi. »

Avalon sentit une indignation familière parcourir son corps et s’emparer de son cœur. Leurs conversations tournaient toujours autour du même sujet – et cela depuis des années. Néro n’avait jamais pardonné à sa sœur d’avoir quitté leur famille pour faire sa vie loin d’eux ; Avalon ne parvenait pas à lui faire entendre que sa scolarité à Poudlard n’avait pas été un choix pour elle. Et, au fond, les reproches de son frère appuyaient sur un endroit sensible chez elle car, malgré son isolement difficile, malgré son adaptation compliquée au monde magique, Avalon savait qu’elle avait été privilégiée par rapport à l’ensemble de sa fratrie. Elle avait passé des années dans un château où, trois fois par jour, des plats apparaissaient magiquement sur l’immense table où elle s’installait, où ses vêtements étaient soigneusement lavés et repassés et où elle n’avait pas à craindre la colère de leur père.

Et ça, Néro le savait. Evidemment qu’il le savait.

« C’est toujours la même chose, avec toi, finit par répondre Avalon, sur un ton plus dur. C’est quoi ton plan, pour ce soir ? Me refaire un grand discours sur comment je vous ai tous lâché, comment je vous ai laissé dans la merde pour aller vivre ma meilleure vie dans mon monde magique ?
-Mais c’est la vérité Av ! C’est ça qui me rend ouf, c’est que c’est la vérité et que t’es pas capable une putain de minute de la reconnaître ! s’emporta Néro à son tour. Tu vas me dire quoi ? Que t’aurais préféré rester à Londres ? Avec papa ? »
-Mais tu parles comme si j’avais jamais vécu avec vous, Néro. Comme si j’avais jamais foutu un pied chez les parents, comme si j’avais jamais vendu pour eux, comme si papa m’avait jamais frappé non plus.
-Mais bordel Avalon, tu crois que qui prenait pour les autres, quand t’étais pas là ?! »

Cette fois-ci, l’éclat de voix de Néro ne trouva pas son écho chez Avalon. Elle demeura silencieuse, le visage figé dans une expression tordue entre l’agacement et la stupeur. Son frère aîné parut également surpris par sa propre remarque et un éclair sombre passa dans son regard nerveux.

Ils n’en parlaient jamais, évidemment. Ils le savaient, tous les deux, mais ils n’en parlaient jamais. Que dire de la violence, lorsqu’elle atteint les enfants ?

Avalon et Néro avaient été très proches dans l’enfance. Ils se ressemblaient beaucoup, tous les deux – aussi têtus, aventureux et colériques l’un que l’autre. Galaad avait été un enfant plus sage, plus calme, comme pour compenser la fougue de sa jumelle et de son aîné. Célice, qui était née trois ans après les jumeaux, avait toujours préféré louvoyer plutôt que de se confronter frontalement aux autres. Lorsqu’il fallait se plaindre ou crier à l’injustice, c’était Néro et Avalon qui s’en chargeaient. Ils tempêtaient, disaient « non », demandaient plus. Leur père détestait ça – il n’aimait pas les cris, les réclamations, les protestations véhémentes voire parfois franchement odieuses de ses deux enfants. Alors il criait en retour et il les frappait. Jamais avec un objet – il avait été traumatisé, plus jeune, par les coups de ceinture qu’il avait reçu de son propre père – mais avec le revers de sa main. Il fallait bien leur inculquer un peu de respect pour leurs aînés.

Au cœur de cette violence banalisée, Avalon et Néro soignaient leurs blessures intérieures ensemble. Ils n’évoquaient jamais les coups mais la présence silencieuse de l’autre suffisait à les apaiser. Puis, Avalon était partie.

Elle avait mis des années avant de percevoir la violence subie puis perpétrée par son frère. Elle en avait véritablement pris conscience lorsqu’elle avait passé une année scolaire à Londres, au moment de l’ascension de Voldemort dans le monde magique. Elle avait redécouvert le quotidien de Néro, l’avait réintégré au fil des mois et avait retrouvé la violence quotidienne, presque normale, qui s’abattait sur les deux aînés trop bornés, trop fougueux, trop irascibles. Alors elle savait parfaitement ce que sa remarque furieuse signifiait.

Que Néro avait été seul, face à leur père, pendant des années. Qu’en tant qu’aîné, il avait pris les coups pour le reste de leur fratrie parce que, dans la famille Davies, les plus âgés avaient toujours été le rempart des plus jeunes.

Cette pensée créa un profond malaise chez Avalon, qui resta silencieuse sans quitter le regard de son frère. Elle savait. Il savait.

Jamais ils n’avaient été aussi proches d’évoquer la véritable raison de leur conflit perpétuel.

Mais aucun ne savait comment le faire. Les non-dits avaient pris trop de place dans leur relation pour qu’ils puissent crever cet abcès. Tous deux avaient l’impression de tout savoir sur l’autre, alors que la triste vérité était qu’ils ne connaissaient presque rien de leurs vies respectives.

« Tu crois que je suis partie pour quoi ? lui demanda-t-elle finalement après un trop long silence.
-Mais qu’est-ce que j’en sais ? répondit durement Néro. T’as disparu du jour au lendemain. Et même pas pour trouver un taf légal, au début, hein. Non, t’es devenue pote avec tous les mafieux de ton monde. »


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Nothing last forever [OS] Icon_minitimeMar 13 Déc 2022 - 18:48
Avalon accusa le reproche et hocha la tête. Néro n’avait pas tort, c’était factuellement ce qui s’était passé. Elle était partie en quelques jours, sans prendre le temps de récupérer toutes ses affaires. Elle n’avait rien dit à personne des raisons de son départ, leur laissant à tous la possibilité d’inventer des histoires qui ne collaient en rien à la réalité. Et puis, Néro avait raison, elle avait retrouvé une seconde famille dans le monde magique, faite d’hommes qui œuvraient dans le même domaine que son père et ses frères. Elle ne pouvait même pas prétendre qu’elle avait voulu s’éloigner de cet environnement. Pour Néro, c’était simple : elle avait quitté Londres par appât du gain, pour rejoindre ses amis sorciers qui avaient un trafic plus florissant que le leur. Peut-être même était-elle entrée dans la police pour les aider directement depuis l’intérieur. Lui était resté. Il avait grandi dans la violence, il avait pris les coups et les avait rendus en espérant que les choses changent et qu’il puisse enfin tirer son épingle du jeu. Il avait passé des années entières à trimer comme un forcené, à enchaîner les boulots de merde pour essayer de s’en sortir et, finalement, il n’avait rien. Pas un rond. Une fille qu’il ne voyait jamais. Une ex qui le détestait. Une addiction qui le soumettait complètement. Avalon, elle, avait de l’argent à ne plus savoir quoi en faire. Deux appartements dont elle était propriétaire. Un mec richissime qui ne tarderait pas à l’épouser.

Elle était le portrait de ce qu’il avait échoué à être.

Lorsqu’ils s’observaient ainsi, Avalon et Néro voyaient exactement la même chose : le reflet de ce qu’ils auraient pu être.

Avalon réalisa pour la première fois que ce miroir était réciproque en sentant le regard accusateur de son frère la brûler. Elle ne broncha pas, ne se leva pas, n’haussa pas la voix. Elle eut l’impression de faire un pas vers l’arrière, comme pour observer la scène avec un discernement tout récemment acquis. Depuis des années, ils ne faisaient que de s’opposer sur les mêmes sujets, en boucle, incapables de s’entendre, de s’écouter et de se parler autrement qu’en se provoquant avec fureur. C’était toujours la même chose, la même histoire, la même chanson.

Avalon eut l’impression de faire face à un carrefour. Soit elle continuait sur la route qui lui était familière, soit elle bifurquait vers un chemin qu’elle n’avait jamais emprunté. Soit elle faisait le choix de renoncer à l’apaisement au profit d’une certaine sécurité liée à l’habitude, soit elle se risquait à changer brusquement les rapports qui la liaient à son frère. Ce fut sa main sur son ventre qui la poussa finalement à lui demander, d’une voix qui lui sembla lointaine :

« Tu te souviens de ton pote, Wesley ?
-Le roux ?
-Ouais. » Néro avait froncé les sourcils. Il paraissait déstabilisé par cette question qui n’avait rien à voir avec le sujet de leur dispute. Avalon hocha lentement la tête. Il lui fallut le courage d’une vie pour annoncer, sans le lâcher des yeux : « Il m’a violé, quand j’avais dix-huit ans. C’est pour ça que je suis partie. »

Le temps sembla brusquement se suspendre entre le frère et la sœur.

« Attends, quoi ? » Le visage de Néro était défait. Il observait Avalon avec une expression indéchiffrable peinte sur ses traits. Le silence de sa cadette valant pour approbation, il se figea une brève seconde. Ses doigts s’étaient crispés sur le bord de la table. Finalement, il balbutia : « Mais quoi, mais pourquoi… Pourquoi t’as rien dit ? »

Avalon n’eut pas cœur à répondre à cette question. Elle se contenta d’hausser les épaules, le cœur douloureusement serré par cet aveu qu’elle n’avait jamais osé faire à aucun de ses frères ou de ses sœurs. Ils étaient trop proches d’elle et de qui elle avait été. Ils connaissaient l’endroit où elle avait grandi, les personnes qu’elle avait fréquentées, l’effet de la drogue sur son comportement et sa manière de vivre. Ce n’était pas pareil de confier à Toni ou à Roy ce qu’elle avait vécu car elle les avait rencontrés plus tard, à un moment où elle n’avait plus de lien avec ses anciennes fréquentations moldues. Néro, lui, savait.

« Et ce… Ce sale fils de pute a continué à venir chez moi après ça ? » Néro semblait osciller entre la fureur et l’incrédulité. « A me serrer la main ? A… » Il éructait désormais, debout face à sa sœur silencieuse. « J’vais l’défoncer. Putain mais quel sale petit enfoiré, j’vais l’défoncer, j’vais lui faire bouffer sa sale…
-Néro, intervint Avalon en levant la main, c’est bon.
-J’vais l’fracasser, continua Néro sans tenir compte de l’intervention de sa sœur. Mais comme j’ai fracassé l’ex d’Ys pour qu’il se casse de sa vie, en fait. Mais je vais lui niquer sa sale gueu…
-Néro, arrête. Arrête. » Le ton sec d’Avalon sembla faire sortir son frère aîné de ses pensées assassines. Il arrêta de s’agiter pour la regarder, le visage fermé. « J’ai pas besoin que tu fracasses ce mec. C’est bon. »

Ils s’affrontèrent un long moment, sans céder la moindre parcelle de terrain. Néro, plein de rage et Avalon, pleine de fougue. Aucun des deux ne baissa les yeux, ne fit un geste pour trahir une faiblesse ou un doute. Finalement, Néro croisa les bras sur sa poitrine.

« C’est pour ça que tu t’es barrée.
-Ouais.
-Parce que Wesley t’a…
-Oui. » le coupa Avalon un peu trop rapidement.

Néro hocha la tête avec raideur puis la baissa pour observer le sol. Il décroisa un bras pour venir appuyer son front sur une partie de la paume de sa main. Il resta un long moment ainsi, dans un silence terriblement bruyant.

Face à lui, Avalon était toujours assise sur sa chaise blanche un peu bancale. Son cœur battait la chamade, ses jambes tremblaient un peu mais, étonnement, elle ne se sentait pas au bord de l’effondrement, comme cela avait pu être le cas par le passé. C’était difficile, douloureux, mais pas insupportable. Elle se sentait étrangement calme, bien loin de la colère qui pouvait l’agiter jusqu’alors. Elle avait dit « il m’a violé » sans lutter pour que les mots forment une phrase entendable. Les battements de son cœur étaient trop rapides pour parler d’un quelconque apaisement mais elle était en maîtrise.

Néro, de son côté, paraissait vibrer de colère. Il ne disait rien mais ses muscles étaient contractés comme s’il s’apprêtait à bondir sur quelqu’un. Une nouvelle histoire s’écrivait ; une dans laquelle sa sœur, à qui il avait attribué bien des maux, avait été victime d’un homme qu’il avait laissé entrer chez eux. Avalon, la téméraire Avalon, celle que rien n’ébranlait, avait été humiliée, violentée. Ce n’était pas comme si Néro n’avait jamais été confronté à ces sordides histoires qui rythmaient l’existence de tant de femmes dans l’indifférence générale. Ce n’était même pas comme s’il n’avait pas, lui aussi, effleuré à quelques reprises une zone grise dans laquelle il n’y avait ni autorisation ni franc refus. Ce n’était pas non plus comme si certains hommes de son entourage n’avaient pas été condamnés par la justice pour des faits similaires.

Mais ce n’était pas pareil. Avalon – avec tous ses défauts et son insupportable tendance à se croire supérieure à lui – était sa petite-sœur. Et il avait beau nourrir envers elle une rancœur tenace, cette confession avait allumé, chez lui, un vif réflexe de protection. Exactement comme lorsqu’il avait découvert des ecchymoses sur le corps d’Yseut.

« J’ai pas besoin que t’ailles trouver Wesley pour venger mon honneur ou je sais pas trop quelle connerie, insista-t-elle. Si j’avais voulu faire quoique ce soit, j’aurais pu m’en charger moi-même.
-Tu vas m’en empêcher ? » lui demanda-t-il en relevant les yeux vers elle.

Avalon ne répondit pas tout de suite. Elle avait toujours refusé que ses proches se plongent dans cette sordide histoire. C’était pour cette raison qu’elle avait refusé de donner à Roy, Toni ou Fergus l’identité de son agresseur. Elle ne voulait pas qu’ils se mettent en quête de le retrouver pour lui faire payer cette agression subie une dizaine d’années plus tôt. Elle avait les moyens de se venger seule, si elle le désirait. Si elle ne l’avait pas fait, c’était parce que la colère empêchait ses plaies de se refermer. Elle avait eu besoin de temps et de distance pour guérir. Aujourd’hui, elle ne voyait plus de sens à une vengeance. Elle refusait l’idée que cet homme refasse partie de sa vie, d’une manière ou d’une autre. C’était d’ailleurs pour ça qu’elle n’avait pas donné son nom à son compagnon lorsque, sous le coup de sa colère, il le lui avait explicitement demandé. Wesley ne serait jamais introduit dans la vie qu’elle avait construite loin de lui.

Mais, si elle ne s’opposa pas immédiatement à Néro, c’était parce qu’elle sentait que, cette fois, les choses étaient différentes. Elle pouvait tenir son entourage éloigné du monde dans lequel elle avait grandi, des gens qu’elle avait fréquenté, de l’homme qui l’avait agressé.

Néro, lui, était toujours dedans.

« Non, finit-elle par répondre avec précaution. Mais je pense que tu ferais une grosse connerie. »

Néro ne dit rien mais l’ombre ne quitta pas son visage. Le silence se réinstalla entre eux, fiable ami pour ceux qui ne savaient pas comment se parler. Etrangement, Avalon repensa aux moments où, quand elle était petite et que son père venait de la gifler, Néro venait s’asseoir à côté d’elle dans sa chambre. Elle observait fixement le sol pour masquer ses yeux gonflés par le chagrin et il faisait mine de ne rien voir. Il patientait jusqu’à ce qu’elle relève la tête, sans rien dire. Des années plus tard, ce fut Avalon qui brisa cette vieille habitude avec une question :

« Il s’est passé quoi, avec le mec d’Ys ? »

Sa petite-sœur, Yseut, était probablement la plus secrète d’entre eux. Elle parlait peu, ne répondait que rarement à leurs appels ou à leurs questions. Avalon avait vaguement eu connaissance du fait qu’elle était en couple avec un certain Jeff depuis quelques mois, mais elle ne l’avait jamais rencontré.

« Un jour j’ai capté qu’il la frappait, lâcha Néro d’une voix grave. Alors j’lui ai fait passer l’idée d’l’approcher. »

Derrière cette phrase, Avalon décela sans peine la violence de cette rencontre. Elle hocha la tête, les mains crispées sur les accoudoirs de sa chaise. La brusque disparition d’Yseut prenait brusquement un sens nouveau qui lui serra le ventre d’appréhension.

« T’as bien fait. » finit-elle par lancer.

Néro se contenta d’hausser les épaules. Il n’avait jamais aimé le copain d’Yseut, ce mec paumé et pourtant un peu pédant qui la prenait de haut. Ils s’étaient rencontrés au restaurant où elle bossait en tant que serveuse ; il était son manager et ils avaient commencé à se voir après les services. Néro l’avait rencontré quelques fois et il n’avait pas apprécié les regards que Jeff portait sur sa petite-sœur. Il n’avait rien dit – contrairement à Avalon, il ne fourrait pas son nez dans les affaires des autres. Mais, l’été dernier, il avait surpris un bleu presque violacé sur l’épaule d’Yseut, alors qu’elle retirait précautionneusement sa veste. Il avait réagi au quart de tour, sans délicatesse. Yseut avait paru effarée qu’il fasse cette découverte mais elle n’avait jamais excellé dans l’art de mentir. Elle ne lui avait trop rien dit des circonstances d’apparition de cet ecchymose – ni du second, sur sa hanche – mais Néro n’avait eu besoin que d’une seule confirmation pour aller trouver celui qui en était à l’origine. Il l’avait tabassé dans les règles de l’art, jusqu’à lui arracher la promesse de ne plus jamais approcher sa petite-sœur. Après une dernière menace, Néro l’avait laissé, sanguinolant, dans le parking sombre où Jeff avait garé sa voiture.


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Nothing last forever [OS] Icon_minitimeMar 13 Déc 2022 - 19:13
« Elle a quoi, la mère d’Aimee ? » reprit Avalon après un temps de calme entre eux.

Cette fois-ci, Néro ne répondit pas. Il baissa la tête pour observer le sol, puis fouilla dans ses poches à la recherche de son paquet de cigarettes. Il l’ouvrit avec un certain empressement, en sortit une qu’il alluma avec un briquet rouge. Il tira nerveusement dessus, sous le regard alerte de sa sœur.

« Néro ? l’appela-t-elle, comme pour le tirer de ses pensées.
-Cancer. »

Elle le lui avait dit quelques mois plus tôt, au téléphone. Il avait été surpris de recevoir un appel de Rebecca car elle évitait généralement d’entrer en contact avec lui ; lorsqu’ils se parlaient, c’était souvent de son fait à lui, parce qu’il essayait de prendre des nouvelles d’Aimee. Alors, évidemment, lorsqu’il avait vu son nom s’afficher sur l’interface de son téléphone, il avait immédiatement sauté aux pires conclusions : Aimee était en danger, ou blessée, ou malade… Mais Rebecca l’avait coupé dans ses questions pleines d’inquiétudes. Elle avait dit « Aimee n’a rien » et Néro s’était tu. Puis, elle avait dit « C’est moi, en fait » et il s’était figé. Elle lui avait dit qu’elle était malade – cancer des ovaires – et que son premier traitement n’avait pas fonctionné. Les médecins voulaient lui faire intégrer un essai clinique « mais bon, avait-elle dit, je crois que ça servira à rien. » Néro était resté muet. Il savait répondre à la violence, à l’injustice. Mais pas à l’impuissance.

« Merde… Elle va s’en sortir ?
-Nan, répondit Néro en évitant le regard d’Avalon. Je crois qu’elle en a plus pour longtemps.
-Merde. » répéta Avalon en se penchant vers l’avant pour poser ses coudes sur ses genoux.

Néro hocha la tête en tirant sur sa cigarette. Oui « merde », c’était le mot qu’il se répétait en boucle depuis des semaines, à chaque fois que ses pensées s’égaraient vers le cancer qui s’apprêtait à emporter son ex. Il se sentait complètement dépassé par la situation ; il ne savait pas quoi dire à Rebecca et encore moins à Aimee qui réclamait sa mère depuis quelques jours. Il lui avait maladroitement dit que « maman était malade » et qu’elle « était avec les médecins », sans pouvoir s’empêcher de ressentir une vague de colère l’envahir. Colère contre les médecins qui ne savaient que se torcher le cul avec l’argent qu’on leur donnait, colère contre Rebecca qui lui laissait gérer une annonce pareille, colère contre cette putain de maladie qui prenait tout. Et colère contre lui, qui était incapable de faire quoique ce soit pour empêcher l’inéluctable d’arriver. Casser toutes les gueules du monde ne lui servirait à rien.

« Il va se passer quoi pour Aimee ?
-J’ai pas envie de parler de ça.
-Néro…
-J’ai pas envie de parler de ça. » répéta-t-il, tranchant.

Avalon l’observa un moment, plus pensive et soucieuse que véritablement agacée. Elle connaissait bien Rebecca – du moins, elle avait bien connu l’enfant qu’elle avait été, puisqu’elles s’étaient retrouvées à plusieurs reprises dans la même classe lorsqu’elles étaient à l’école primaire. Elles s’étaient éloignées lorsqu’Avalon était partie à Poudlard mais se retrouvaient pendant les vacances. Rebecca venait parfois chez les Davies – son père était un ami de Dwight depuis que ce dernier l’avait tiré d’un mauvais pas – et ses visites s’étaient brusquement multipliées l’été de seize ans, lorsque Néro et elle avaient commencé à sortir ensemble. Leur histoire d’amour avait été à leur image : passionnée, chaotique, ponctuée de grands gestes romantiques et de violentes disputes. Ils s’étaient séparés plusieurs fois sans jamais véritablement s’éloigner l’un de l’autre. Ils étaient aussi amoureux qu’incapables de construire quelque chose ensemble.

Sauf que Rebecca était tombée enceinte.

C’était un accident ; Néro et elle n’étaient même plus ensemble à cette époque. Elle avait rompu avec lui plusieurs mois auparavant, excédée par les promesses qu’il ne tenait jamais. Sauf qu’ils avaient continué de se voir, occasionnellement. Et, lors d’une de ces nuits moites, pleine de soupirs et de mots flous, elle était tombée enceinte. Néro, lui, était tombé des nues.

Il avait essayé de s’impliquer, au début. Il avait cherché un travail, il avait promis qu’il changerait, qu’il ferait plus, qu’il ferait mieux. Mais personne ne se débarrasse aussi facilement d’une amie aussi loyale que l’addiction ; Néro était retombé dans ses vieux travers en quelques semaines. L’approche de la naissance de sa fille l’avait même poussé à chercher de quoi endormir l’angoisse tenace qui s’accrochait à son estomac. Il était complètement défoncé lorsqu’Aimee était née ; il avait appris sa naissance quelques heures plus tard, dans un message incendiaire de Rebecca. Si leur coparentalité avait commencé difficilement, cela avait été encore pire les mois et les années suivantes. Rebecca et Néro ne se parlaient presque plus depuis deux ans maintenant. Elle lui avait refusé la garde d’Aimee et, franchement, Néro ne s’était pas battu pour non plus. Un jour, cela l’avait rendu fou, de ne pas voir sa fille. Il s’était réveillé, avait décidé qu’il allait changer pour elle, qu’il allait réussir à tout arrêter pour sa fille qui était encore trop petite pour se rendre compte que son père était un raté. Il avait entamé des démarches, obtenu des visites médiatisées avec une assistante sociale pour la voir une fois par semaine…

Et puis ses belles résolutions avaient été noyées par la drogue. Encore.

De cette histoire, Avalon ne connaissait que les grandes lignes. Néro ne lui avait jamais rien dit et, honnêtement, elle ne lui avait rien demandé non plus.

« Si je te casse autant les couilles, commença-t-elle maladroitement en soutenant le regard sombre de Néro, c’est pas parce que je pense que, euh, que je suis mieux que toi. C’est parce que je m’inquiète pour toi.
-T’es pas ma daronne, Avalon.
-Je sais… Les mots de Toni qui revinrent en tête. Je sais, répéta-t-elle. Mais t’es mon frère. »

Ce n’était pas un « je t’aime », ni même un « je tiens à toi » mais Néro dut saisir la portée de cette déclaration car il resta silencieux. C’était finalement peut-être encore plus forts qu’un mot d’amour car il s’agissait d’un mot d’appartenance. Un mot qui signifiait que les évènements, les disputes et les déchirures n’avaient pas eu raison de ce lien de sang. Un mot qui voulait dire qu’elle n’avait jamais renié cette famille qu’il lui reprochait tant d’avoir quittée. Néro eut une expression qui ressemblait à un sourire un peu tordu.

« T’es sur le point de clamser toi aussi pour me dire des choses comme ça ? demanda-t-il avec une pointe d’ironie pour se protéger de la solennité du moment. Avalon eut un éclat de rire sans joie.
-Pas loin. » Le regard interrogatif que Néro posa sur elle la mit un peu mal à l’aise. « Abuela t’a pas dit ?
-Dit quoi ? »

Il avait froncé les sourcils. Avalon s’agita sur sa chaise.

« C’est rien. C’est juste que ma grossesse est un peu compliquée.
-Ah. Néro baissa les yeux vers le ventre arrondi de sa sœur. Mais c’est grave ?
-Non. Enfin, se corrigea-t-elle, ça peut. Mais pour l’instant ça va.
-Je comprends pas. T’as quoi ?
-Ça s’appelle la prééclampsie. » Néro haussa les sourcils, visiblement aussi peu expert sur le sujet qu’elle ne l’était il y a quelques semaines. « C’est… C’est mon corps qui fonctionne mal à cause de la grossesse.
-Mais ça peut faire quoi ?
-Ça fait déjà déconner mes reins un peu. Et ça peut atteindre le foie, les poumons, le cerveau… C’est à cause de ma tension artérielle, elle est trop élevée. C’est un peu compliqué, avoua Avalon en triturant les manches de son pull.
-Mais c’est grave ?
-Pas forcément. » Devant le regard insistant de Néro, elle soupira. « Une chance sur dix.  
-Donc c’est grave. »

Elle haussa les épaules en s’appuyant contre le dossier de la chaise sur laquelle elle était assise. Dans un geste presque réflexe, elle posa sa main sur son ventre et caressa la laine épaisse qui le recouvrait.

Face à elle, Néro avait croisé à nouveau les bras. S’il était soucieux, il dissimulait cela habilement derrière un regard sombre.

« Donc, reprit Avalon en s’éclaircissant la gorge pour chasser le nœud qui s’y était logé, si jamais ça doit être la dernière fois que je te casse les couilles, autant…
-Déconne pas avec ça, Avalon, gronda Néro.
-Autant le faire vraiment, acheva-t-elle sans se formaliser de l’interruption de son frère. Tu voudrais demander la garde d’Aimee ? »

Néro soupira. Ouvrit la bouche. La referma. Leva les épaules.

« J’sais pas. Peut-être. » Il s’agita un peu. « J’suis pas sûr que ce soit une bonne idée. »

Avalon acquiesça mais ne répondit pas tout de suite. Elle avançait précautionneusement, bien trop consciente qu’un seul pas de travers pouvait refermer ce moment suspendu qui s’était créé entre eux.

« Mais de quoi t’as envie ?
-J’en sais rien, Av. » répéta-t-il, un peu sèchement. Il leva le visage vers le ciel étoilé, les mains agitées par un tic nerveux. « Mais j’crois qu’imaginer qu’elle soit placée chez une autre famille, avec d’autres parents, ça me fout la rage. Mais qu’est-ce que j’y peux, hein ? Aucun putain de juge va me filer sa garde.
-T’es son père, Néro.
-Et alors ? Les gosses vivent pas toujours avec leurs parents, t’es bien placée pour savoir ça. »

Avalon accusa le coup, renvoya un regard noir à son frère et retint de justesse la remarque cinglante qui lui brûlait les lèvres. La bataille pour la garde de Vivianne, Morgane et Garlan était encore trop proche pour qu’une telle pique ne ravive pas des blessures qui n’avaient pas eu le temps de cicatriser.

« Les gosses vivent avec ceux qui veulent s’occuper d’eux.
-C’est pas aussi facile.
-J’ai pas dit que c’était facile.
-Tu comprends pas. »

Avalon eut un éclat de rire ironique, un peu froid. Elle perdait patience et cela se vit nettement dans la façon dont elle se pencha vers l’avant pour lui parler, ponctuant ses phrases de gestes.

« Si, je comprends. Je comprends Néro. Moi aussi, j’ai été addict. Je suis addict. Tu crois que je connais pas ce truc, dans tes tripes, qui te hurle de prendre quelque chose pour que le putain de monde s’arrête ? Je sais. Mais tu sais ce que je sais aussi ? Qu’on peut arrêter. Qu’il y a des choses qui valent la peine d’arrêter. Que c’est peut-être la chose la plus dure que tu feras de ta vie, mais que c’est possible.
-C’est plus compliqué que ça.
-Mais bien sûr que c’est plus compliqué que ça ! Tu crois quoi ? Qu’on arrête en claquant des doigts ? Non, c’est un putain de combat. Mais ça vaut la peine parce qu’une fois que tu sors de ça, tu peux faire tout ce que tu veux. T’as plus à vivre en flippant que ton associé t’encule parce qu’il veut une plus grosse part que la tienne, ou que le mec que t’as pas eu le temps de rembourser perde patience et commence à chercher un autre moyen de récupérer sa thune. Tu peux te tirer de là-bas, recommencer une autre vie ailleurs… Avec Aimee, si tu veux, ajouta-t-elle sans le lâcher du regard. Et je sais que ça paraît impossible mais t’es pas tout seul dans ce merdier.
-Je veux pas de ta thune, Avalon, réagit vivement Néro en fronçant les sourcils.
-Je t’ai pas proposé de la thune, je t’ai proposé mon aide. » rétorqua Avalon en frottant ses bras avec les paumes de ses mains pour se réchauffer.

A cela, Néro ne répondit rien. Il semblait tendu mais également plus attentif, comme troublé par cette conversation qui n’empruntait pas les chemins auxquels il s’était habitué au fur et à mesure des années. Avalon sentait aussi que ce moment était différent, qu’il était bien plus sincère que tout ceux qu’ils avaient partagé jusque-là. En abandonnant la colère et la rancœur, ils avaient ouvert une brèche dans cet immense mur qui s’était érigé entre eux. Et, soucieuse de ne pas braquer son frère avec ce qu’il interprétait (parfois à raison) comme des ordres de sa part, Avalon ajouta :

« Que tu veuilles récupérer la garde d’Aimee ou pas… Moi, je peux en penser ce que je veux, à la fin c’est toi et ta conscience. J’ai juste… J’ai juste pas envie que toi ou Yvain vous creviez d’une overdose ou d’un règlement de compte qui tourne pas en votre faveur.
-On va pas crever.
-Des gens crèvent tous les jours à cause de ça. » répliqua-t-elle.

Des gens qu’ils connaissaient tous les deux et qui devenaient un fait-divers parmi tant d’autres. Néro le savait bien ; il avait perdu plusieurs personnes ainsi. Il avait bien failli y passer aussi une ou deux fois et avait été sérieusement blessé dans une rixe qui lui avait laissé une belle cicatrice sur le torse en souvenir. Il savait que la mort était omniprésente autour de lui mais il s’était habitué à sa présence menaçante à tel point qu’il peinait à la percevoir maintenant.

Voyant que son frère s’était enfermé dans un silence songeur, Avalon se leva.

« Tu rentres ?
-Nan, j’ai pas fini ma clope. »

Avalon fit un pas vers la porte vitrée qui les séparait du salon éclairé. Elle posait sa main sur la poignée pour la faire coulisser, lorsque Néro l’interpella une nouvelle fois :

« Hé, Avalon ?
-Quoi ? »

Néro s’était tourné vers elle pour lui faire face à nouveau. Il agita sa cigarette pour en faire tomber la cendre incandescente avec l’air de celui qui cherchait ses mots. Une seconde passa, comme si Néro ne parvenait à former les phrases qui se bousculaient pourtant contre ses lèvres. Son visage trahissait une agitation désormais plus inquiète que nerveuse. Il eut une inspiration et lança finalement sur un ton assuré, comme pour déjouer la malchance :

« J'suis sûr que ça va aller pour toi et le bébé. T’es solide. »
-Ouais, fit-elle en esquissant un sourire, merci. »

En pénétrant dans le salon où régnait une douce chaleur, Avalon sentit quelque chose se dénouer au creux de son estomac. Un poids qu'elle n'avait jamais eu l'impression de porter semblait s'être envolé. Le poids des années perdues, des générations qui refusent de s'adresser la parole. Le poids de la répétition, le poids du silence, le poids de la colère.

[OS TERMINE et merci à celleux qui m'ont lu jusque-là Ship ]



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