Stressed out [Rachel & Gowan]

Rachel Clarke, 17 ans, sixième année, Serdaigle, en PLS depuis ce matin.

La salle commune des Gryffondor n’avait jamais été aussi silencieuse qu’aujourd’hui. Habituellement, le lieu était bruyant, sonore et chaleureux. De cette atmosphère accueillante, il ne restait pas grand-chose et même le feu qui ronronnait dans l’âtre de la cheminée ne suffisait pas à réchauffer les cœurs.

Rachel était installée dans un canapé, le regard figé sur les flammes dansantes. Son visage était tordu par l’anxiété et ses doigts étaient crispés autour de son Pear, qui restait désespérément silencieux. Ils n’avaient eu aucune nouvelle d’Andrew depuis que les urgentistes l’avaient évacué de Poudlard. La dernière information qu’ils avaient reçue venait d’une préfète de Serpentard, qui leur avait dit que Mrs Dubois était venue récupérer Susan, quelques heures plus tôt. Evidemment, les pires scénarios s’étaient esquissés dans l’esprit de Rachel et elle n’avait pas pu empêcher les larmes de rouler sur ses joues, brouillant les dessins savamment dessinés par Louise quelques heures plus tôt.

Imogen et Louise, justement, étaient avachies à côté d’elle. La première regardait son fil d’actualité instamag d’un air vide, tandis que la seconde triturait machinalement son pull en laine, les yeux encore rougis. Rachel avait suivi ses amies dans la tour des Gryffondor après l’évacuation des tribunes, trop sonnée pour suivre les consignes et retourner dans sa salle commune. Le professeur Londubat n’avait rien dit lorsqu’il l’avait trouvé là, en milieu d’après-midi. Alors elle était restée. Sa détresse initiale, qui s’était manifestée par des larmes inquiètes, avait laissé place à une angoisse sourde. Rachel tapotait nerveusement l’accoudoir du canapé, l’estomac tellement serré qu’elle en avait la nausée. Elle revoyait, en boucle, le corps inanimé d’Andrew étendu sur l’herbe du stade, la poitrine enfoncée sous les à-coups d’un massage cardiaque qui n’avait duré que trop longtemps. Elle revoyait les urgentistes prendre la suite du professeur Londubat, puis masquer leurs soins à la vue des élèves. Elle revoyait l’ambulance qui démarrait puis s’arrêtait brusquement, quelques mètres plus loin.

Ce fut un rire sonore qui la tira de ses pensées douloureuses. A sa gauche, deux filles de quatrième année s’étaient lancées dans une partie de cartes, entre deux chuchotements plus ou moins discrets. Il se passa une minute avant que le bruit lui paraisse insupportable, et Rachel haussa les sourcils.

« Excusez-moi, vous pouvez faire un peu moins de bruit ? » demanda-t-elle un peu brusquement en se redressant.

Les deux filles la considérèrent un instant du regard, mais hochèrent la tête avant d’échanger un long regard éloquent. Rachel se laissa retomber contre les coussins du canapé, saisissant le premier magasine qui avait été oublié sur la table basse pour essayer de se plonger dedans, en vain. La peur qui coulait dans ses veines l’empêchaient de se concentrer sur les mots qui, par conséquents, refusaient de former des phrases. La conversation animée entre les deux jeunes filles, qui reprit quelques minutes plus tard, ne l’aida en rien. Agacée – et sur les nerfs – Rachel souffla bruyamment.

« Non mais sérieux ?
-Bah quoi ? se défendit l’une d’elle. On fait rien de mal !
-Oui enfin, on n’a pas besoin non plus d’entendre l’intégralité de votre conversation. » répliqua Rachel, acide.

Piquée, la seconde répondit :

« Non mais j’hallucine, on a le droit de vivre quand même ! » S’apercevant qu’elle avait fait une bourde, elle s’empourpra avant de balbutier : « Enfin, c’est une façon de parler. »
« Si c’est pour dire des choses comme ça, ce serait même mieux que vous ne parliez pas du tout. » lâcha Rachel, qui sentait dans la colère un formidable moyen d’expier son angoisse.
« Non mais t’es qui en fait pour dire ça ? » s’empressa de répliquer l’amie de celle dont le teint avait viré au rouge. « C’est bon, on peut être inquiètes et ne pas passer le weekend entier à pleurer comme s’il était déjà mort ! »
« Ouais, renchérit la seconde qui avait reprit contenance, et puis on va pas se mettre à créer un drame autour de ça pour attirer l’attention, nous… » lâcha-t-elle l’air de rien.

Mais Rachel – qui était professionnelle dans l’art de lâcher des piques « l’air de rien » - ne saisit que trop bien le sous-entendu et sauta sur ses pieds.

« Pardon mais tu sous-entends quoi, au juste ? »

Si l’une d’entre elle sembla un peu effrayée par le geste brusque de la Serdaigle qui s’était avancée vers les deux jeunes filles, l’autre ne se laissa pas démonter :

« Bah on sous-entend rien, on constate juste. Et ce qu’on constate, c’est que t’es la seule à faire une scène comme ça… »
« Mais je n’aurais pas à faire de scène si vous étiez capables de vous demander laquelle de vous deux Gabriel Forbes pourrait bien vouloir accompagner en sortie à Pré-Au-Lard sans pouffer de rire toutes les dix secondes ! C’est fou quand même de pas pouvoir se remettre en question deux minutes ! »
« Mais n’importe quoi, on parlait pas du tout de ça ! » fit la Gryffondor, qui avait tout de même un peu rougi. « Et puis, pourquoi t’es là ? T’es même pas à Gryffondor, t’as rien à faire ici ! »
« Laisse, Patty, elle veut juste être là où l’action se passe. » fit son amie en posant une main sur son épaule.

La frustration, l’inquiétude et la fatigue contribuèrent à faire basculer Rachel dans un état de colère qu’elle n’atteignait que très rarement. Elle se baissa pour saisir son Pear abandonné sur la table basse, en pestant.

« Putain mais voilà, c’est ça le problème avec les Gryffondor, c’est que la moitié d’entre vous sont trop cons, et trop aveuglés par leur petit ego et par leur besoin constant d’atten… »
« Rach’, reste, laisse tomber… » intervint Louise en se redressant, avisant que son amie rassemblait ses affaires pour partir.
« Non, non. Je vais prendre l’air, je sais pas comment vous faîtes pour partager votre salle commune avec des personnes comme ça tous les jours. »

Elle traversa la pièce en trombe, et passa le portrait sans un regard vers l’arrière.

Gowan avait l'impression que quelque chose était pincé dans son thorax depuis ce matin. Une petite douleur lancinante, régulière, entêtante. C'était de l'angoisse, lui avait soufflé Claire lorsqu'il lui en avait glissé un mot, tout à l'heure au déjeuner. Enfin, déjeuner... Après le match et l'évacuation des tribunes, une fois l'ambulance partie, ils s'étaient tous retrouvés désœuvrés, à errer dans le hall, en attendant des nouvelles. Ils s'étaient regroupés entre copains sur les marches de pierres du grand escalier, incapables de se séparer. Vers onze heures trente, le déjeuner avait été servi et ils avaient occupé un grand pan de la table de Gryffondor, pas très loin du reste de l'équipe à l'air sombre. Angelina Davies, la poursuiveuse, semblait pleurer silencieusement en mélangeant sa soupe. Une atmosphère morne planait sur l'école, bien loin de l'excitation de ce matin.

Ils n'avaient pas avalé grand-chose et après de longues minutes, Adam avait proposé d'aller s'installer dans la salle des Quatre Maisons en attendant d'avoir des nouvelles. Gowan avait secoué la tête. Il avait envie d'être tranquille. Il était remonté jusqu'à la Salle Commune, sans vraiment prêter attention à qui le suivait. Il s'était laissé tomber dans un fauteuil près d'une fenêtre et avait sorti son Pear de sa poche pour faire semblant d'être occupé. C'est là qu'il avait remarqué que ses mains tremblaient un peu.

La dispute qu'Andrew et lui avaient eu hier soir tournait inlassablement dans sa tête. C'était sa faute, se répétait-il inlassablement. C'était sa faute tout ça. Ils s'étaient disputés, Andrew en avait été perturbé. Il en avait été déconcentré. Et ce matin, il n'avait pas vu le cognard parce qu'il n'était pas concentré. Il était tombé et il... C'était sa faute. Sa faute, sa faute, sa faute. S'il n'en n'avait pas parlé hier. Si cette enflure de Clayton ne l'avait pas poussé dans le ravin. S'il n'avait pas fait cette erreur cet été, s'il n'avait jamais envoyé cette vidéo, si... Sa faute. Sa faute. Les yeux flous, fixés sur la table de bois sombre, il n'avait même pas réalisé que certains de ses amis étaient également remontés. Il avait senti la main d'Imogen se passer dans son dos pour le réconforter, ce qui l'avait fait sursauter. Elle lui avait adressé un sourire triste.

- Des nouvelles ? avait-il murmuré.
- Rien du tout, j'ai demandé au professeur Londubat en remontant, rien pour le moment...

Il avait hoché la tête et s'était de nouveau absorbé dans la contemplation du vide. Si seulement Andrew n'avait pas été déconcentré... Il voulait en parler après le match, pourtant, il le lui avait dit. Mais Clayton... Et il ne l'avait pas vu hier soir, son meilleur ami s'était enfermé dans son baldaquin. Et ce matin, il l'avait entendu se lever mais il n'avait pas voulu... Juste avant le match. C'était sa faute. Et si jamais Andrew... et si les dernières choses qu'ils s'étaient dites, c'était cette horrible dispute ? Et si la dernière chose de leur amitié, c'était son meilleur ami qui apprenait qu'il l'avait trahi de la pire des manières ? La douleur dans sa poitrine semblait se renforcer et Gowan eut quelques instants l'impression de ne plus pouvoir respirer.

Ce furent des éclats de voix qui lui firent lever la tête. Rachel, qui avait dû remonter avec Imogen et Louise, venait d'entrer en conflit avec Patrice Johnson, une fille de quatrième année. Cette dernière sembla insinuer que son amie n'était là que pour attirer l'attention, ce qui la fit entrer dans un état de rage. Elle eut un coup d'éclat qui fit grimacer Henry et rassembla ses affaires avant de s'en aller à grands pas.

- Mais ! protesta Patty alors que le portrait se refermait. Mais elle n'a même pas à être là, elle n'est même pas de la maison ! Qu'elle rentre dans sa Salle Commune !
- Johnson, s'il te plaît, fit Henry avec lassitude. Tout le monde est fatigué et tendu, d'accord ? N'en rajoutons pas.
- Mais !
- Johnson.

Patty ouvrit la bouche pour répliquer, avant de froncer les sourcils et de croiser ostensiblement ses bras sur sa poitrine pour indiquer son mécontentement. Pris d'une impulsion, Gowan bondit sur ses pieds à la poursuite de son amie. Il ne pouvait pas la laisser seule dans cet état... Il ne fut pas difficile de la suivre, il entendait ses talons fulminants frapper le sol.

- Rach' ! s'exclama-t-il en apercevant sa silhouette. Rach', attends. Rachel.

Il entremêla ses doigts aux siens pour la faire se retourner, faisant face à son visage tendu.

- Hey.

Il ne lui demanda pas si cela allait, il avait déjà la réponse.

Rachel Clarke, 17 ans, sixième année, Serdaigle, en PLS depuis ce matin.

Rachel fulminait en passant le portrait de la Grosse Dame, sans la moindre considération pour le portrait qui s’enquérait de son état. Elle s’éloigna dans le couloir en direction des escaliers, le visage sombre et les traits tirés. Elle pesta contre cette idiote de Patrice Johnson, trop agacée pour mâcher ses mots ou pour s’embarrasser avec la bienséance. Si ce coup d’éclat avait brièvement masqué l’angoisse qui était logée au creux de son estomac, cette dernière se manifesta à nouveau dès qu’elle fut seule. C’était comme une douleur lancinante, persistante, qui refusait de se tarir ou de diminuer. Rachel avait l’impression d’être suspendue à un fil, prête à basculer dans un cauchemar encore plus sombre que celui dans lequel elle était déjà plongée depuis ce matin.

Andrew pouvait mourir. Voilà ce qu’ils pensaient tous depuis que l’ambulance l’avait emporté loin du château. Il était déjà mort, théoriquement, sur le terrain de Quidditch. Le professeur Londubat et les médicomages l’avaient réanimé mais, théoriquement, il était déjà mort, là, sous leurs yeux. Son cœur avait cessé de battre, il avait arrêté de respirer et il était mort. Et si cela se reproduisait ? Et si cela s’était déjà reproduit ? Et s’il ne revenait jamais ? Cette idée lui faisait mal au cœur – physiquement mal au cœur, comme s’il était pris en étau. Sa gorge se nouait dès que ses pensées s’attardaient sur ce scénario et elle devait se faire violence pour ne pas fondre en larmes à nouveau.

Rachel luttait contre toutes ces émotions – colère, détresse et angoisse – lorsque la voix de Gowan s’éleva derrière elle. Elle ralentit le pas sans tout-à-fait s’arrêter et ne se retourna que lorsqu’elle sentit ses doigts s’entremêler aux siens. Son regard agité croisa celui de son ami et ce contact familier lui apporta un maigre réconfort. Maigre, car les yeux de Gowan semblaient éteints, vidés de tout l’éclat ordinaire qu’on leur connaissait.

Pendant quelques secondes, ils restèrent l’un en face de l’autre sans rien dire. Rachel hésita à poursuivre son laïus colérique contre la jeune Gryffondor qu’elle venait de vilipender mais l’énergie la quitta brusquement. Ses épaules s’affaissèrent légèrement et son menton trembla un peu. Finalement, elle fit un pas vers son ami et le prit dans ses bras autant qu’elle se réfugia dans les siens.

« J’arrive pas à y croire. » lâcha-t-elle à voix basse.

Gowan croisa les yeux flamboyants de Rachel. L’espace d’un instant, il crut qu’elle allait reprendre sa diatribe. Il distinguait ses mains tremblantes, ses doigts crispés, le pli de colère qui assombrissait son visage rond. La seconde d’après, elle s’était effondrée contre lui. Il referma ses bras autour d’elle, posant son menton contre sa tempe. Un bref sentiment d’apaisement parcourut son corps pendant quelques secondes, un soupir lui échappant.

- Moi non plus, répondit-il sans la relâcher.

Il revoyait chaque scène de l’accident. Il revoyait le professeur Londubat descendre les escaliers, traverser le terrain en toute hâte, sa cape derrière lui. L’espace d’un instant il avait cru - ils avaient tous cru - que ça irait. Qu’Andrew allait se redresser, un peu sonné. Peut-être qu’il ne pourrait pas remonter sur son balai. Peut-être qu’il était bon pour un séjour à l’infirmerie, peut-être que le match devrait continuer sans lui. À cet instant, Gowan s’était redressé sur la pointe des pieds, attendant. Patientant. Bien sûr que Andrew allait se redresser. Ils avaient vu le professeur Londubat déchirer son gilet de protection d’un coup de baguette magique et l’espace d’une seconde, il s’était dit que Andrew allait râler. Il était soigneux avec ses affaires de Quidditch, il avait même réquisitionné l’armoire inutilisée dans leur dortoir pour les stocker, ce qui agaçait David et Henry... La minute d’après, le professeur Londubat lui écrasait le torse pour le réanimer.

Toutes ces images étaient vives. Pourtant, Gowan peinait à les intégrer comme faisant partie de cette réalité. Cette réalité où son meilleur ami n’était pas quelque part dans le château, où il n’allait pas le retrouver en rentrant dans la Salle Commune. Cette réalité où son lit, qui était juste à droite du sien, serait vide ce soir. Cette réalité, où la dernière conversation qu’il avait eue avec Andrew, c’était sur cette horrible histoire avec Sasha. C’était cette dispute. Cette réalité où c’était sa faute.

Le sentiment de détresse le frappa si brusquement qu’il ressentit comme un coup à l’estomac. Ses doigts se refermèrent sur le pull de Rachel, pressant le tissu. Il ferma très fort les yeux.

- C’est ma faute...

Rachel Clarke, 17 ans, sixième année, Serdaigle, en PLS depuis ce matin.

Lorsque les bras de Gowan se refermèrent dans son dos, Rachel eut l’impression que le nœud de son estomac se déliait un peu. Elle se laissa aller contre lui, épuisée par la tension, par l’angoisse, par la peur. Depuis ce matin, les mêmes images repassaient en boucle devant ses yeux et brouillaient sa vue de larmes. Le match qui commence. Les spectateurs qui crient, qui encouragent, qui applaudissent. Les joueurs qui volent, filent à toute vitesse. Et puis la chute. La chute, encore la chute, jusqu’au sol impitoyable. Les cris de terreur, l’effroi qui s’empare des tribunes.

La peur, la peur, la peur.

La peur qui ne les quittait pas, qui se collait à eux, qui les empêchait de respirer. Contre Gowan, Rachel s’efforça d’inspirer profondément, comme pour chasser le poids dans sa poitrine qui semblait vouloir la priver d’air. Elle aurait pu rester ainsi, dans un silence seulement perturbé par leurs respirations, si elle n’avait pas senti son ami s’agiter légèrement dans leur étreinte. Ce qu’il souffla, au creux de son oreille, en s’accrochant à son pull, lui fit répondre spontanément :

« Quoi ? Mais pas du tout… »

Elle posa une main dans sa nuque, comme pour renforcer leur étreinte. Evidemment qu'ils avaient tous envie de se blâmer de ne pas avoir réussi à secourir leur ami avant l'impact...

« Il est tombé… Ce n’est pas de ta faute. » lui chuchota-t-elle en caressant doucement la racine de ses cheveux.

Gowan ne rouvrit pas les yeux en sentant la main de Rachel se poser sur sa nuque. Ses doigts se crispèrent un peu plus sur la laine de son pull, sa respiration se fit un peu plus rapide. Son coeur se serrait. Elle murmura que ce n’était pas de sa faute et il eut un infime mouvement de la tête. Si, c’était sa faute. Il le sentait dans la culpabilité qui pulsait sous sa peau. Il le savait par son estomac noué, par la nausée qui se tenait en embuscade, par cette douleur qui lui vrillait les tempes. C’était sa faute. Les mouvements tendres que son amie imprima sur sa nuque ne purent pas l’apaiser. Au contraire, ils ne furent que renforcer cette sensation qui lui tordait les entrailles. Elle le consolait, comme s’il était la victime de tout cela, comme s’il était à plaindre, comme s’il était innocent. Il ferma les yeux un peu plus fort.

- On s’est engueulé hier soir, murmura-t-il. Alors qu’il voulait se concentrer sur le match et ce matin... On n’a pas reparlé mais... C’est ma faute, répéta-t-il. S’il avait été plus concentré, s’il n’avait pas été perturbé peut-être qu’il aurait vu le cognard...

Plusieurs fois la nuit dernière, Gowan s’était demandé si Andrew dormait. Ses baldaquins étaient fermés mais leurs lits étaient voisins et il l’avait beaucoup entendu se retourner. À un moment, il avait cru discerner la lumière de son Pear percer les teintures. Il avait hésité, à cet instant. Il avait voulu relancer la conversation, s’excuser de nouveau. Puis il avait renoncé. Il s’était enfoncé un peu plus sous ses couvertures et s’était dit qu’il ferait cela demain. Après le match. Ils auraient le temps. Il pensait avoir le temps.

Rachel Clarke, 17 ans, sixième année, Serdaigle, en PLS depuis ce matin.

L’agitation de Gowan était perceptible au creux de leur étreinte et Rachel, malgré les caresses qu’elle apposait sur sa nuque, ne parvenait pas à la contenir. Il s’accusait de l’accident d’Andrew, comme s’il était responsable du Cognard qui l’avait violemment heurté. Rachel fronça les sourcils, s’efforça de le rassurer, mais n’y parvint guère.

Finalement, dans un murmure étouffé duquel transpirait une culpabilité certaine, Gowan lui confia une dispute qui l’avait opposé à Andrew la veille. Il semblait persuadé que ce conflit avait déconcentré son meilleur ami, au point de lui faire perdre ses moyens pendant le match. Rachel resserra légèrement son étreinte.

« Ce n’est pas de ta faute… » répéta-t-elle en appuyant sa tête contre son épaule. « Hé, tu étais dans les gradins avec nous, non ? Il pleuvait, on voyait déjà pas grand-chose… Peut-être qu’Andrew n’a juste pas vu le Cognard arriver. Et puis, c’était un temps-mort, tout le monde était concentré sur Angelina… Ce n’est pas de te faute. »

Elle se dégagea légèrement de leur étreinte pour trouver le regard de Gowan. Comme elle était plus petite que lui, elle leva la tête, mais trouva ses mains et serra ses doigts entre les siens.

« Tu as déjà vu Andrew être déconcentré, pendant un match de Quidditch, toi ? Même l’année dernière, quand Imo a entonné « l’hymne à ses abdos » avec les filles, il a à peine cillé. » rappela Rachel avec un sourire un peu tremblant. « Je suis sûre que votre dispute n’a rien à voir là-dedans. C’est la pluie, le brouillard, l’arrêt de jeu… Pas toi. »

Bien sûr qu’il n’était pas celui qui avait envoyé le cognard sur son meilleur ami, comme le soulignait Rachel. Il n’était même pas certain que quelqu’un l’ait envoyé... Le professeur Forbes avait sifflé un arrêt de jeu, et il n’imaginait pas les Serpentard le transgresser aussi ouvertement. Mais ces balles étaient toujours à la recherche de victimes pendant la partie, lorsqu’elles n’étaient pas contrôlées par les batteurs. Pendant la partie. Pas lors d’une suspension. La balle n’aurait pas dû frapper, il ne comprenait pas ce qui s’était passé... Mais si Andrew avait été plus concentré. Mais s’ils ne s’étaient pas disputés hier. Si Andrew avait mieux dormi. Si... Il pouvait refaire le scénario mille fois. Il n’arrivait pas à étouffer cette sensation de culpabilité.

Rachel se détacha légèrement de lui et vint trouver ses mains, alors que le froid du couloir s’engouffrait entre eux, lui tirant un frisson. Lorsqu’elle lui demanda s’il avait déjà vu Andrew être déconcentré pendant un match de Quidditch, Gowan haussa légèrement les épaules. Rarement... Il prenait les choses tellement au sérieux, il était tellement impliqué, tout le monde le taquinait là-dessus en lui rappelant qu’il ne jouait pas la finale de la Coupe du Monde. Mais c’était important pour lui. Le rappel qu’elle fit de l’année dernière lui tira un léger rire, malgré lui. Les filles s’étaient surpassées avec cet épisode... Les gens avaient chantonné les paroles pendant des semaines après ça, partout où Andrew passait : la Grande Salle, les couloirs, la Salle des Quatre Maisons... Son meilleur ami avait longuement râlé sur les filles, qui n’en riaient que d’autant plus. Elles avaient même rajouté un couplet au match suivant.

- Abigail a failli vous passer par dessus les gradins, elle était furieuse et scandalisée, rappela-t-il alors que l’image amusante lui revenait. Un éclat de temps, pendant lequel il se sentit un peu plus léger... Avant que son cerveau ne se rappelle à lui. Abigail. Andrew. Clayton. La dispute au sujet de Sasha. Il en eut un coup au coeur. Il sentit ses yeux s’humidifier malgré lui et il passa le dos de sa main sur ses paupières pour les essuyer. Il n’avait pas envie de pleurer, pas devant Rachel. Comme pour disparaître de nouveau, il l’attira contre lui, baissant la tête pour enfouir son visage dans son cou. Tu penses qu’il va... Il n’osa pas le dire, comme s’il allait jeter un maléfice par ce simple mot. Tu penses que ça ira ?

Rachel Clarke, 17 ans, sixième année, Serdaigle, en PLS depuis ce matin.

« Bien sûr. J’ai dû dormir avec Louise et Imo au moins trois jours après ça, le temps qu’elle se calme. » lui rappela Rachel avec un sourire.

Abigail ne l’appréciait pas beaucoup. Enfin, elle n’appréciait pas beaucoup qu’elle soit amie avec Andrew et qu’ils passent du temps ensemble, juste tous les deux. Elle trouvait que ce n’était pas très correcte envers elle, qui était la petite-amie d’Andrew et l’amie de Rachel. (Sa camarade de dortoir, avait corrigé mentalement Rachel). Elle ne demandait pas à ce qu’ils arrêtent de se voir, pas du tout, mais elle voulait pouvoir être inclue aussi, se sentir la bienvenue dans les moments qu’ils partageaient…

Autant dire que Rachel non plus n’appréciait pas beaucoup Abigail et que la voir bouillir de rage pendant ce fameux match avait été une douce revanche.

Ce souvenir la fit sentir un peu plus légère le temps instant. Pendant une brève seconde, le temps fit un bond en arrière et effaça le douloureux présent. Puis, Gowan l’attira dans une nouvelle étreinte et Rachel sentit sa gorge se serrer à nouveau. Elle le sentait lutter contre les larmes lui aussi, et ferma les yeux pour retenir les siennes. Sa question resta un long moment sans réponse, alors qu’elle caressait doucement son dos à travers son pull.

Rachel n’était pas comme Louise, une éternelle optimiste. Son esprit rationnel l’empêchait d’ignorer les conséquences d’une telle chute ou celles d’un arrêt cardio-respiratoire. Elle opta pour une réponse en demi-teinte, incapable d’assurer à son ami que tout irait bien alors que son ventre était tordu par l’angoisse.

« Je pense que, si quelqu’un doit se remettre de ça, c’est bien Andrew. Il est en bonne santé, sportif, solide… C’est une bonne chose. Et puis, » ajouta-t-elle en se raclant la gorge pour chasser l’émotion qui y était logée, « il ne va pas tolérer que son dernier match joué soit un forfait contre Serpentard. Il faut que ça aille, qu’il se remette, qu’il revienne à l’école… » murmura Rachel avec force. « Sinon, t’imagine ? On le connait, il risque de revenir sous la forme de fantôme et d’hanter le stade. Non, Dieu ne laissera pas ça arriver, je te le dis, il va martyriser des générations d’enfants, sinon. » Un rire qui ressemblait à s’y méprendre à un sanglot lui échappa. « Il faut qu’il aille bien. »  

Respirer Rachel lui faisait du bien. Le visage enfoui dans son cou, ses mains serrant sa taille, Gowan avait l’impression que la réalité était un peu plus supportable. Il avait fermé les yeux et bougea légèrement la tête pour acquiescer les propos de son amie. Si quelqu’un devait se remettre de cela, c’était bien Andrew. C’était le seul de leur classe de Gryffondor à arriver en haut de la tour sans être essoufflé... La mention du forfait de leur maison lui tira un léger souffle, qui pouvait s’apparenter à un rire.

- Et laisser dire en plus qu’il a été battu par Taylor Moore, « le mec qui ne sait pas lire un planning ? » C’est vrai qu’il ne peut pas tolérer ça...

Ce match était tellement important pour son meilleur ami, après la contre-performance qu’ils avaient fait contre Serdaigle... Il était prêt à tout pour rattraper leur place au classement. Battre largement Serpentard était nécessaire et ils avaient bien commencé, avant l’accident. La mention d’Andrew qui revenait en fantôme pour finir ce qu’il avait commencé était à la fois drôle et terrible, l’amusa et lui serra le coeur d’un même mouvement. Sa propre plaisanterie sembla faire cet effet à Rachel puisqu’elle laissa échapper un son qui ressemblait à un sanglot. N’y tenant plus, Gowan se recula légèrement pour attraper son visage entre ses mains, venant déposer un baiser sur ses lèvres.

Ce n’était ni le premier ni le dernier, même s’ils réservaient d’habitude ce genre d’élan à leurs soirées entre amis, après plusieurs verres. Ils s’effaçaient dans les couloirs, dans les jardins, pour échanger quelques embrassades fiévreuses. Il ne savait même plus quand cela avait commencé. Ils n’avaient jamais cherché à y réfléchir plus que ça. Ils en avaient envie, voilà tout. Et à cet instant, il en avait besoin.

Lorsqu’il s’éloigna d’elle, il vint poser son menton contre sa tempe, fermant les yeux quelques instants. Il sentait toujours cette douleur nerveuse dans sa poitrine.

- Mes parents ont eu le numéro moldu de la mère d’Andrew, finit-il par murmurer, peut-être que je peux leur demander d’appeler pour avoir des nouvelles ?

Rachel Clarke, 17 ans, sixième année, Serdaigle, en PLS depuis ce matin.

Rachel ne se souvenait plus vraiment du premier baiser qu’elle avait partagé avec Gowan, à l’issue d’une soirée un peu trop arrosée. L’alcool lui avait volé la précision de ses souvenirs, mais elle se rappelait très nettement s’être sentie bien, dans les bras de son ami. Il n’était pas rare, désormais, de les voir fuir ensemble vers un endroit calme pour se perdre dans des baisers fiévreux. Ils n’étaient pas particulièrement discrets et s’attiraient souvent les commentaires taquins de leurs amis qui n’étaient plus surpris de constater qu’ils s’étaient éclipsés après quelques verres. On les embêtait, on leur demandait souvent s’ils étaient enfin décidés à officialiser leur couple mais Rachel et Gowan se montraient toujours assez désinvoltes face à ces remarques. Ils s’embrassaient, oui, mais ce n’était que des baisers volés au cœur de nuits trop arrosés. Ce n’était pas comme s’ils s’embrassaient en plein milieu des couloirs de Poudlard.

Presque pas.

Rachel accueillit le baiser de Gowan avec un mélange de surprise et de soulagement. Elle posa une main à l’angle de la mâchoire de son ami, retrouvant la sensation familière de ses lèvres sur les siennes. Elle s’autorisa à se perdre dans ce baiser, qui chassa momentanément ses préoccupations anxieuses.

Lorsqu’ils se séparèrent, elle fit un pas pour retrouver le confort de leur étreinte. Sa gorge lui semblait toujours aussi serrée.

« Bonne idée, ça ne coûte rien d’essayer… » lui souffla-t-elle en réponse. « Ma mère travaille à Ste-Mangouste, je l’ai appelé mais elle ne sera pas à l’hôpital avant demain matin… Elle m’a dit qu’elle me tenait au courant. Et qu’elle demanderait à son église de faire une prière pour lui. » ajouta-t-elle sans parvenir à masquer son ton dubitatif. Elle se sentit un peu coupable et corrigea, avec une petite voix :  « Enfin, ça peut pas faire de mal. »

Une cloche l’empêcha de poursuivre. Rachel baissa les yeux vers sa montre et grimaça.

« C’est la sonnerie du couvre-feu… »