Worse thing I could do [Emma]

C’était à regret que Marlene avait laissé partir James, qui devait aller ouvrir le Hufflepub pour la soirée. Ils avaient passé l’après-midi allongés dans son lit, à se blottir l’un contre l’autre, s’endormant de temps à autres. Cela faisait trois jours qu’elle était sortie de la clinique, après avoir reçu les médicaments pour son protocole d’interruption de grossesse. Médicalement, tout s’était bien passé. Selon ses résultats sanguins et l’échographie qu’elle avait eu, l’implantation était encore récente alors il n’y avait aucune contre-indication à un avortement médicamenteux. James était resté avec elle tout du long. Cela avait été très douloureux, malgré les cachets qu’elle avait pris pour ça, comme d’horribles douleurs de règles. Elle avait passé de longues heures allongée, avec une bouillotte, dans les bras de James. Elle avait alterné nausées et sueurs froides, sûrement à cause de la douleur. Les sages-femmes de la clinique l’avaient averti que cela pouvait se passer comme cela, lui avaient dit qu’elle pouvait rappeler quand elle en avait besoin. Marlene le savait, elle avait même déjà guidé des avortements de l’autre côté de la barrière, elle avait vu que cela pouvait être vraiment douloureux. C’était juste différent quand on le vivait...  

Les choses s’étaient calmées dès le deuxième jour, sur le plan de la douleur. C’était comme si elle vivait un cycle particulièrement pénible. Hier, elle n’était pas allée en cours, avait dit qu’elle était malade, et était restée au lit. James n’était pas allé travailler non plus, Grady avait géré le club tout seul et il s’était fait remplacer à Poudlard. Ils avaient passé la journée au lit, son petit-ami réchauffant régulièrement sa bouillotte et lui frottant le dos. Elle se sentait épuisée. Aujourd’hui, ils avaient rendez-vous à la clinique le matin pour faire une nouvelle échographie. Le médecin avait dit que tout était bien. Il lui avait prescrit une dernière prise de sang à faire pour vérifier que ses taux baissaient bien mais normalement, tout était fini.

Ils étaient rentrés chez elle avec cette information et s’étaient de nouveau allongés sur son lit, discutant à voix basse. Médicalement, tout s’était bien passé. Moralement, elle oscillait un peu plus. Elle était à la fois soulagée, contente que tout soit derrière eux, contente que ça se soit bien passé et dans le même temps, un peu triste. C’était la bonne solution. Et pourtant, elle avait un peu envie de pleurer des fois. James la prenait à chaque fois dans ses bras et ils restaient là, tous les deux. Elle savait que ses hormones lui jouaient des tours, avec la chute induite par la fin de la grossesse... Elle avait décidé de se laisser un peu de lest. Elle ne retournerait en cours que lundi et elle verrait à ce moment-là comment elle se sentait, si ça allait mieux. Mais James ne pouvait pas se permettre de rater tant le travail, de laisser Grady assurer seul le service une nouvelle fois... Il s’était arraché à ses bras après plusieurs baisers et la promesse de revenir dans la nuit.

Après le départ de son petit-ami, son lit lui avait soudainement semblé bien vide alors elle s’était redressée, soupirant. Sa chambre était en bazar mais elle n’avait pas vraiment le courage de la ranger maintenant. Elle se sentait un peu fourbue, sa mine ne devait plus ressembler à rien... Elle s’était traînée jusqu’à la salle de bains, avait pris une longue douche, s’était lavé les cheveux et avait enfilé un nouveau pyjama. Dans la cuisine, elle avait réchauffé une nouvelle fois sa bouillotte et avait attrapé un paquet de pistaches. Elle s’était confortablement installée sur le canapé, sous un plaid blanc, épais et moelleux et avait allumé la télé. Elle était tombée sur ce programme où des femmes essayaient des robes de mariée accompagnées de leurs proches et s’était dit que c’était absolument parfait.  

Il n’était pas très tard mais le soleil s’était couché en cette journée d’hiver lorsque la porte s’était ouverte sur Emma. Marlene n’avait pas bougé de sa place, elle avait juste allumé une bougie à l’aide de sa baguette magique.

- Salut ! lança-t-elle.

Elle ne s’était pas vues ces trois derniers jours, elle était beaucoup restée dans sa chambre et elle avait eu l’impression que Emma n’était pas forcément à l’appartement. Peut-être avait-elle voulu leur donner un peu d’espace... Son amie était au courant de la grossesse, et surtout de l’avortement, Marlene le lui avait dit la semaine dernière, sans vraiment s’attarder dessus. Elle n’avait pas trop eu envie d’en parler alors.

- Tu as passé une bonne journée ?

Le cœur lourd, Emma passa la porte de l’appartement qu’elle partageait avec Marlene. Cela faisait trois jours qu’elle désertait pour laisser un peu d’espace à son amie, trouvant refuge chez Angus et son bébé. Leur relation était étrange, elle devait bien l’admettre, beaucoup de choses avaient changé et le bébé était désormais la priorité numéro une du milicien. Elle comprenait parfaitement, c’était normal mais d’un autre côté… Elle se sentait délaissée chaque fois qu’il s’échappait de ses bras lorsque l’enfant pleurait pour être nourri, changé ou juste avoir de l’attention. Elle était épuisée, ayant très peu dormi à cause des pleurs ou plutôt des hurlements. Elle avait été surprise de constater la puissance d’aussi petits poumons et avait même fini par se lever elle-même, remplaçant son compagnon qui avait de toute évidence besoin de repos vu qu’il s’endormait dès que sa tête touchait l’oreiller. C’était frustrant pour elle, bien évidemment mais elle ne disait rien, prenait sur elle. Elle s’était donc retrouvée à trois heures du matin avec un poupon et un biberon dans les mains et elle s’était rendu-compte d’une chose, elle n’était clairement pas prête à être mère. Vivre les hurlements nocturnes, les couches, les biberons, le manque de sommeil, l’absence de sortie et de vie sociale, ce n’était pas encore pour elle. Evidemment, elle se laissait attendrir par les sourires et cet adorable petit-être, une fois calmé, le fils de son amant était un véritable petit ange, au point qu’elle était presque prête à vouloir se faire une place dans sa vie et à s’occuper de lui si elle en avait la possibilité quand elle venait. Mais pas à temps plein, elle n’en avait pas encore la force mentale.

La jeune femme comprenait un peu mieux la décision de Marlene et la motivation du choix qu’elle avait fait avec James. Toutefois, elle avait été choquée du détachement avec lequel elle lui avait annoncé la nouvelle en coup de vent, la semaine passée. Elle avait pensé pouvoir en discuter un peu plus en profondeur avec son amie, argumenter sa décision, lui demander si elle était réellement certaine de son choix. Un avortement, ce n’était pas rien tout de même et pour Emma c’était une chose lourde de conséquences. Elle n’était pas anti-avortement, dans certains cas, elle estimait que c’était nécessaire mais… Rien n’empêchait réellement ses amis de mener à terme cette grossesse. C’était vrai, qu’ils étaient jeunes, peut-être pas encore assez matures pour assumer cette responsabilité mais en même temps… N’était-ce pas ce qu’ils voulaient également dans le futur. Elle trouvait cela un peu hypocrite de leur part de mettre un terme à la vie d’un futur être pour leur confort personnel. Mais ce n’était que son avis, qui était-elle pour juger après tout ? Et puis, sa colocataire ne lui avait pas vraiment laissé le loisir d’aborder le sujet plus avant, n’avait même pas eu le temps de digérer l’information que le débat était clos avant même d’avoir commencé. Elle avait donc fait le choix de rester en retrait, évitant le plus possible de se trouver en sa présence pour ne pas dire une parole qu’elle aurait regrettée par la suite. Mais un jour ou l’autre, il allait bien falloir qu’elle rentre mais elle ne s’était pas attendue à trouver l’apprentie Médicomage dans leur salon et elle resta donc un moment immobile dans l’entrée, après avoir entendue sa voix.

“Salut”, finit-elle par se reprendre avant d’avancer de quelques pas après avoir accroché sa cape. “Oui, ça a été.”

Elle se mordit la langue pour s’empêcher de lui demander si la sienne l’avait été également, ne sachant pas vraiment quelle réponse elle finirait par lui donner. Mais en approchant davantage du canapé, elle put constater la mine défaite de son amie et s’en voulut aussitôt d’avoir eu de méchantes pensées à son égard.

“Comment tu vas ?”, demanda-t-elle avec une mine inquiète. “Je ne sais pas si tu désires en parler ou pas vu la façon dont tu me l’as annoncé mais… si tu as besoin de parler, je suis là.”

Même si au fond d’elle-même, Emma ne pouvait s’empêcher de penser que Marlene avait provoqué son état et qu’elle méritait bien de souffrir un peu. C’était mesquin, elle en avait parfaitement conscience mais elle ne comprenait vraiment pas comment sa meilleure amie avait pu faire ce choix. Elle trouvait cela égoïste et presque cruel, le foetus n’avait rien demandé. S’ils ne voulaient pas d’enfants, ils auraient sans doute pu se protéger un peu mieux. Bien évidemment, elle savait aussi que les accidents arrivaient et que les contraceptions n’étaient pas infaillibles mais tout de même. Quand elle se demandait ce qu’elle aurait fait à sa place, elle admettait ne pas avoir la réponse mais il ne faisait aucun doute qu’elle en aurait discuté avec son amie avant, parce qu’elle comptait pour elle et que son soutien aurait été important, peu importait sa décision. L’inverse n’était visiblement pas vrai et c’était vexant. Pire que cela même, c’était blessant et elle remettait tout en question, se demandant même si la jeune femme la considérait réellement comme son amie au final.

Emma faisait une drôle de tête, songea Marlene. Peut-être qu’elle avait passé un moment désagréable chez Angus, elle savait qu’elle ne vivait pas très bien l’arrivée du bébé de son petit-ami. En même temps, c’était un peu étrange. Il avait vraiment eu un enfant tout seul alors qu’ils étaient en couple. Emma n’était pas sa mère mais en même temps, elle lui avait dit qu’elle se retrouvait des fois à s’en occuper pendant la nuit. C’était vraiment étrange et elle admirait un peu son amie d’être restée, elle n’était pas certaine du tout qu’elle ait toléré cela de la part de son petit-ami... Etre « belle-mère », avant même d’être mère ! Savoir qu’on passerait toujours en deuxième derrière l’enfant de l’autre, qu’au final, on était finalement moins important que l’enfant dans la vie de son conjoint... Alors c’était sûrement le processus normal mais cela ne devait sûrement pas déranger lorsqu’il s’agissait également de son propre enfant, puisqu’on l’aimait également plus que tout. Sauf que là, la seule personne qui était relégué au second plan, c’était Emma. C’était franchement brutal et elle devait vraiment aimer Angus très fort pour tolérer cela.

Quand son amie lui demanda comment elle allait en s’approchant du canapé, le premier réflexe de Marlene fut de hausser les épaules. Elle avait encore sa bouillotte fermement appuyée contre son bas-ventre, pour calmer un peu les douleurs lancinantes qui la traversaient.

- J’ai encore mal, mais ça va vraiment mieux qu’avant-hier où c’était vraiment vraiment horrible...

Elle ne put s’empêcher de tiquer sur la petite phrase de sa meilleure amie « Vu la façon dont tu me l’as annoncé » et fouilla dans sa mémoire. Elle n’avait pas eu l’impression de l’avoir annoncé d’une manière particulière... Elle avait dit que James et elle venaient de découvrir qu’elle était enceinte, qu’ils ne voulaient pas le garder, qu’elle allait donc aller à la clinique moldue et qu’elle ne serait pas bien pendant quelques jours. Elle avait également sûrement dû dire que James passerait du temps à la maison, en conséquence.

- Bah euh si, on peut en parler, si tu veux... répondit-elle, un peu perdue, en se redressant légèrement. Enfin je te l’ai dit normalement... Mais je ne sais pas s’il y a des manières particulières de dire ça ?

Il n’y avait pas vraiment de carte de voeux « Bonjour, je vais avorter. »

Son regard s’attarda sur la bouillotte, Emma voulait bien croire que la douleur avait été atroce. Ce n’était pas rien après tout. Elle hocha donc la tête silencieusement et serra légèrement les lèvres pour ne pas dire tout le fond de sa pensée. Elle ne voulait vraiment pas se fâcher avec Marlene, encore moins maintenant qu’elle n’allait pas bien. Toutefois, elle fronça légèrement les sourcils à sa question et la fixa un instant, elle ne comprenait vraiment pas de quoi elle voulait parler sérieusement ? La peine et la fatigue se transformèrent en agacement et en colère et sans doute qu’elle s’exprima un peu plus sèchement qu’elle ne le voulait.

“Je ne sais pas Marlene… Je pensais qu’on parlait de tout toi et moi, qu’on se confiait l’une à l’autre. Je pensais qu’on était proche. Je sais que ce genre de décision ne regarde que James et toi mais je pensais sincèrement que vous m’en parleriez avant.”

Elle avait été sincèrement blessée par le silence de ses amis, ils étaient l’un comme l’autre ses plus proches amis, ceux qui connaissaient le moindre de ses secrets, surtout James en réalité. Elle n’avait jamais vraiment parlé d’Ana et du traumatisme qui en avait découlé à Marlene. Elle n’avait pas non plus vraiment parlé de sa dépression mais pour tout le reste, elle se confiait à la jeune femme. Elle lui avait parlé du conflit entre ses parents et elle et même d’Angus et de son choix de vie. Elle lui avait demandé son avis et ce qu’elle ferait à sa place. Elle avait cru avoir ce genre de place également pour eux mais visiblement, ce n’était pas le cas.

“On n’a même pas pu discuter de ce que ça impliquait pour toi, de ce que tu ressentais. J’aurais aimé être là pour te soutenir et au final, tu ne m’as même pas laissé la possibilité de le faire en me le disant en coup de vent. Comme s’il n’y avait rien à dire sur le sujet, c’était froid, impersonnel et sans appel. ”

Emma inspira profondément, essayant de calmer les battements de son cœur qui s’était emballé dans sa poitrine.

“Je pensais que nous étions amies mais je me rends compte que ça ne va que dans un sens.”

La rancœur était présente et lui faisait dire des mots qu’elle regretterait certainement pas la suite. Et encore, elle n’avait pas exprimé la totalité de ses pensées, elle ne lui avait pas demandé pourquoi elle avait ça, elle ne lui demandait pas de se justifier sur la vie qu’elle venait de tuer. Et pourtant… elle aurait pu et elle était convaincue que si Marlene lui en avait parlé avant peut-être que les choses auraient été différentes ou elle ne se serait pas sentie aussi isolée et mise de côté.

Heureusement que Marlene était assise car les propos d’Emma étaient en train de lui scier les jambes. Les yeux écarquillés, une main crispée sur sa bouillotte, elle s’était figée. Lui en parler avant ? Que James et elle lui en parleraient avant ? Qu’ils iraient tous s’assoir autour d’une table pour discuter de ce qu’ils allaient faire de cette grossesse imprévue ? Comme si la décision concernait également Emma, comme si c’était elle qui allait également en assumer la conséquences et pas juste eux ? En discuter avec elle comme s’ils étaient sur un pied d’égalité dans leur couple ? Il y avait tant de choses que Marlene aurait aimé dire mais les mots restaient bloqués dans sa gorge. Lorsque sa meilleure amie lança qu’elle lui avait annoncé « comme s’il n’y avait rien à dire », « comme si c’était sans appel », elle eut envie de crier ! Mais bien sûr qu’il n’y avait rien à dire, bien sûr que c’était sans appel ! C’était sans appel à partir du moment où James et elle en avaient pris la décision. Ils avaient choisi. Ils n’allaient pas en plus aller en débattre avec Emma, comme si leur avenir nécessitait son vote ! Sa dernière phrase sur le fait qu’elle pensait qu’elles étaient amies lui fit avoir un mouvement de recul de la tête. Elle aussi elle pensait qu’elles étaient amies ; pas dans un trouple où ils allaient discuter joyeusement de son avortement ! Marlene se sentit balbutier alors qu’elle reprenait la parole :

- Mais... Mais ça n’a rien à voir ! Tu... Tu agis comme si tu avais ton mot à dire dans l’histoire ! Tu n’avais rien à dire, on n’avait pas à te demander ton avis ! Ça n’a rien à voir avec le fait d’être amies ou pas ! Ce n’était pas un débat, Emma !

Elle ne revenait pas des reproches qu’elle était en train de lui faire. La phrase qui l’avait particulièrement marquée lui revint à l’esprit et elle se redressa légèrement.

- Oui, c’était « sans appel » parce que James et moi, on a choisi, ça ne te concernait pas ! Tu ne peux pas me reprocher de ne pas avoir pris la décision de mon AVORTEMENT - elle avait crié - AVEC TOI !

La colère et l’agacement de Marlene ne firent que la blesser davantage avant de comprendre qu’elle s’était sans doute mal exprimée sur ce qu’elle avait réellement ressenti. Le rejet et la solitude qu’elle ressentait furent exacerbés par cet éclat de voix qui la figea sur place et lui fit écarquiller les yeux de surprise alors qu’elle secouait la tête.

“Ce n’est absolument pas ce que je te reproche, Marlene. Bien sûr que je n’ai pas mon mot à dire sur cette décision. Et que c’est à toi et à James uniquement de la prendre. Ce que j’essaye de te dire c’est que j’aurais aimé que tu partages un peu plus avec moi. Je ne suis pas là uniquement pour parler des bonnes nouvelles, des garçons et des gossips. Je peux aussi entendre que tu vas mal, que tu as besoin d’une soirée chocolat chaud et pop corn. Que tu as besoin de pleurer et de te confier. Comme quand je te dis qu’avec mes parents la relation est compliquée ou qu’avec Angus, je ne sais pas où on va. Je te partage mes doutes et mes peurs. Mais toi, tu t’es renfermée. Alors peut-être que j’aurais dû insister un peu plus quand je te demandais si ça allait ou si tu avais besoin d’aide. Mais… tu ne m’as pas parlé.”

Elle haussa les épaules avec un léger soupir, ses doigts se croisant nerveusement sur sa robe.

“Mais tu as raison, ce sont tes choix, je n’ai pas mon mot à dire ni même à m’inquiéter pour toi. Je ne suis pas dans ton couple. Excuse-moi.”

Le cœur battant la chamade à cause de cette dispute qui lui comprimait la poitrine, des mots qu’elle gardait en elle pour ne pas envenimer la situation. Revenant légèrement en arrière en comprenant que la situation était réellement délicate et qu’elle ne voulait pas perdre l’amitié qu’elle avait avec Marlene. Même si elle n’était que superficielle.