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De la sagesse d'un utérus [OS Irina & Roy]

Roy Calder
Roy CalderPropriétaire d'un haras
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De la sagesse d'un utérus [OS Irina & Roy] Icon_minitimeSam 24 Sep 2022 - 12:01
30 janvier 2012

La partie moldue de Bristol n’avait pas du tout les charmes du quartier sorcier. La ville restait belle mais il y manquait un point de vue sur la mer que Roy affectionnait tant. Il dut se contenter de marcher vers ce qui s’en rapprochait le plus, le port de plaisance où la rivière de l’Avon passait, seul endroit réellement sympathique de cette ville. Le monde moldu avait l’avantage de lui offrir l’anonymat dont il avait besoin à cet instant, peu désireux de croiser une tête connue dans le Bristol sorcier qui était son fief et où on n’aurait pas manqué de commenter la mine sombre et troublée de Roy Calder.

Pendant qu’il marchait, ses réflexions tournaient en rond dans son esprit. Il ruminait toute sa conversation avec Avalon, l’estomac serré et le coeur lourd de la manière dont ils s’étaient quittés. Il se chamaillait souvent avec elle, pour des choses futiles, et ils se réconciliaient tout aussi vite, sans même y penser, parce que ce n’était jamais important. Cette fois, ils venaient de vivre l’une de leurs rares disputes véritables, lourdes de conséquences, comme celle qu’ils avaient eu ce soir où il était rentré défoncé chez elle. Il n’y en avait pas eu d’autre depuis. Mais à chaque fois, ils vivaient intensément leurs émotions, ils laissaient franchement éclater leur colère et ils laissaient voir toutes les insécurités qu’ils s’évertuaient tellement à masquer.

Cette fois-ci était encore pire, lui semblait-il. Pour la première fois, il avait la crainte, logée au fond de son estomac, qu’ils ne puissent pas revenir de ce conflit. Non pas que cela les sépare totalement, ils n’avaient pas été assez loin pour ça, mais Roy craignait que leur relation ne soit plus la même. Jusqu’à maintenant, ils n’avaient jamais accompli quelque chose d’aussi important et lourd de conséquences que de faire un bébé ensemble et choisir de l’élever. S’ils ne parvenaient pas à s’accorder sur la manière d’avancer ensemble, Roy avait peur que, peu à peu, leur complicité déjà émoussée ne s’émiette jusqu’à disparaître, et qu’ils finissent par ne plus du tout se comprendre. Il en était tout simplement terrifié.

Cette perspective le saisit tellement aux tripes qu’il s’arrêta en plein milieu de sa promenade, avec l’impression qu’un rocher chutait au fond de son estomac. Il attrapa son Pear, en faisant défiler ses contacts sous ses yeux hésitants. Par réflexe, il s’arrêta sur Jayce, avant de se raviser. Jayce pourrait le réconforter en tant qu’ami, mais pas vraiment lui apporter le regard extérieur et critique dont il avait besoin. Il ne pourrait pas plus comprendre la situation que lui : comme Avalon l’avait si bien souligné, il n’avait pas d’utérus, lui non plus. Pour les mêmes raisons, il évita Toni et Fergus. Il n’appela pas non plus Isobel, pourtant dotée d’un utérus, mais tout à fait vierge de toute expérience de grossesse. Alors il appela la seule personne de son entourage proche qu’il estimait pouvoir lui apporter de l’aide à cet instant et il remercia le ciel de l’entendre décrocher.

« Irina ? Ouais, salut. T’es chez toi ou pas ? »

Par chance, ce samedi était sa journée de repos. Roy n’attendit pas davantage de temps pour transplaner à Londres, dans le quartier où se trouvait son appartement. C’était le genre de conversation qu’il valait mieux avoir en face, plutôt qu’au téléphone. Quand sa soeur lui ouvrit sa porte, elle lui lança un regard éloquent et une réplique moqueuse :

« Eh ben. J’avais bien senti à ta voix que t’avais ta gueule des mauvais jours mais je pensais pas à ce point. »

Roy ne releva pas la boutade et ne chercha pas à se lancer dans l’une de ses joutes verbales dont il avait l’habitude avec Irina. Celle qu’il venait de mener avec Avalon lui avait largement donné son compte. Il se contenta d’entrer dans le vestibule sans un mot.

« Tu m’excuses, je te propose pas à boire. » Elle agita sous ses yeux ses deux mains dont elle écartait soigneusement tous les doigts aux ongles colorés de rose pétant. « Je viens de poser mon vernis alors si tu as envie de te prendre une gobière, tu vas devoir faire ça tout seul comme un grand. »

Roy venait visiblement de surprendre sa soeur dans un de ses rituels du samedi soir. Elle portait le sweat le plus large et le plus laid de sa penderie, la capuche rabattue sur son crâne, avec ses longs ongles impeccables, dans un parfait mélange de sa capacité à être féminine et débraillée à la fois. Il ne fit pas de commentaire, n’alla pas vers le frigo, se contentant de suivre Irina dans un silence qui finit par l’alerter :

« Dis donc, ça doit être grave pour que tu sois si peu bavard. Qu’est-ce qu’il y a ? »

Elle prit place sur un fauteuil, en position de tailleur, tout en soufflant légèrement sur ses ongles. Roy s’installa face à elle, la mine sombre, le regard fuyant, tandis qu’il cherchait ses mots.

« On s’est embrouillés avec Av’. »

Irina arqua l’un de ses sourcils parfaitement épilés, suspendant ses mouvements d’éventail destinés à faire sécher ses ongles plus vite.

« Ah. Embrouillés gravement ou… ? »

Embarrassé, Roy passa une main derrière sa nuque.

« Bah… Ouais, un peu. Enfin, disons qu’on s’est quittés sur une ambiance un peu bizarre. Un peu lourde.
- C’était à propos du bébé ? » Face au regard perplexe de son frère, Irina ajouta : « C’est pas compliqué à deviner. Ça n’existe pas, les couples qui ne se disputent pas pendant une grossesse, encore moins dans un contexte de déni de grossesse. »

Cette affirmation créa chez Roy un curieux mélange d’émotions. Savoir que son couple avec Avalon n’avait rien de différent de la majorité des couples ne lui faisait pas forcément plaisir car il avait l’impression qu’ils avaient un lien unique, très fort, bien plus solide que n’importe quel couple lambda de passage. Et en même temps, c’était un peu rassurant de savoir qu’ils ne géraient pas plus mal leur situation que la plupart des gens. Il saisit cette occasion de rebondir sur les paroles de sa soeur :

« Justement je viens te voir parce que tu sais ce que c’est, toi. Je veux dire… le déni de grossesse. » Ces mots étaient toujours un peu douloureux à dire pour lui. « T’as sûrement des tas de patients qui traversent ça, non ? »

Irina prit une inspiration en faisant une légère moue.

« Hum… Des tas, non, quand même pas. Ce n’est pas très courant. Mais oui, j’en ai suivi quelques uns. »

Roy se félicita intérieurement d’avoir eu le courage d’appeler sa soeur. Quoi de mieux qu’une gynécomage pour lui donner les réponses que ni lui ni Avalon ne parvenaient à trouver, actuellement ? Peut-être qu’Avalon ne serait pas ravie d’apprendre qu’il parlait de leurs problèmes à sa soeur mais Roy se sentait au pied du mur. Aux grands maux, les grands moyens.

« Bah… C’est compliqué en ce moment avec Av’, reconnut-il. On a du mal à… »

Lui, il avait du mal à parler actuellement, c’était une chose certaine. Il n’avait pas l’habitude de raconter les détails de ses problèmes de couple, encore moins à quelqu’un de sa famille. Il s’efforça de penser à Irina comme une professionnelle et de balayer le reste, pour pouvoir poursuivre :

« Disons qu’on a jamais eu de mal à se comprendre, elle et moi. Mais depuis qu’on a appris la grossesse, tout change, j’ai l’impression. On n’est pas sur la même longueur d’onde, tu vois ? Moi j’essaye d’avancer, de prévoir l’arrivée du bébé. Mais elle, elle a encore du mal à réaliser et à accepter ce qui se passe. Du coup, on parle pas trop du bébé, c’est comme si elle évitait le sujet. Elle travaille beaucoup aussi, elle en fait trop alors que les médecins lui ont clairement dit de lever le pied… Je sais pas, c’est comme si son boulot était son échappatoire un peu. Je sais qu’elle a plein de choses à faire, préparer son départ, notamment, mais quand même. Tout à l’heure, on a commencé à se disputer à propos de ça. Puis elle a fini par me dire que… qu’elle avait besoin de plus de temps. Pour appréhender tout ça. Son corps qui change et tout… Ça fait beaucoup. Je lui ai demandé ce qu’elle voulait qu’on fasse du coup mais elle a pas su me répondre. »

Roy s’arrêta là en levant un regard d’espoir vers sa soeur. Peut-être qu’elle, elle pouvait les éclairer tous les deux. Mais Irina commença par lui poser une question :

« Est-ce qu’elle se rend à ses rendez-vous médicaux à l’hôpital ?
- Euh… ouais ?
- Tous ? Elle n’en a manqué aucun ?
- Non. Non, je crois pas.
- Alors tout va bien. »

Cette conclusion surprit Roy qui eut un mouvement de recul. Comment ça, tout allait bien ? Ne venait-elle pas d’entendre tout ce qu’il venait de lui dire ?

« C’est la preuve qu’elle n’est plus dans le déni, expliqua Irina face à l’évidente perplexité de son frère. Il y a beaucoup de femmes qui prolongent le déni, même quand on leur annonce qu’elles attendent un bébé, tu sais. Elles ne vont pas consulter, elles ne font rien qui risquerait de donner davantage d’existence à cette grossesse qu’elles n’ont pas prévue... Le fait de ne pas du tout s’en occuper leur permet de maintenir l’illusion de leur vie d’avant, celle qu’elles ont perdu. De ce que tu me dis, Avalon fait des choses, quand même. Elle va à ses rendez-vous, elle prépare son futur congé maternité... Elle se projette, à sa manière. C’est déjà très bien, tout ce qu’elle fait, au stade où elle en est. »

La surprise s’accentua davantage sur le visage de Roy. Il n’avait pas attendu une telle analyse. Il pensait trouver sa soeur plus préoccupée par la situation mais elle avait tranquillement recommencé à souffler sur ses ongles, comme s’il n’y avait aucun souci à se faire.

« Vraiment ? Tout est normal, alors ? Même si ça fait un mois qu’on sait qu’elle est enceinte ?
-Oh, Merlin, vous voulez toujours aller trop vite, vous les mecs, comme si tout n’était qu’une course ou une performance de je ne sais quoi » soupira t-elle en levant ostensiblement les yeux au ciel.

Elle posa ses deux mains sur les accoudoirs de son fauteuil en croisant les jambes, dans une posture princière.

« Un mois, c’est rien, chouchou. Ce n’est pas étonnant qu’elle ne réalise pas encore ce qui se passe. Tu sais, dans une grossesse plus conventionnelle, la personne enceinte a beaucoup plus de temps pour appréhender son nouveau corps qui change doucement. Les trois premiers mois, on ne voit pas grand chose, à part les nausées, les vertiges et les autres symptômes éventuels qui peuvent faire penser à n’importe quelle maladie, il n’y a pas de changement visible sur le corps. Le ventre commence à enfler vers le troisième ou quatrième mois. Puis il devient de plus en plus gros, jusqu’à peser sur le dos. Et je te passe toutes les joyeusetés d’hormones qui s’affolent dans tous les sens. Mais tout ça, ça s’étale sur neuf mois, tu vois. Tu as le temps de t'habiter à chaque étape. »

Elle haussa les épaules sur cette conclusion. Roy ne dit rien, attendant une suite qu'Irina raconta sous la forme d'une comparaison :

« Imagine te lever un jour et être propulsé directement au centre du processus, sans toute la préparation avant. Brusquement, tu apprends que ça fait cinq mois qu’un autre être humain squatte ton corps et maintenant il a décidé de réclamer toute ton attention et de changer toute ta vie. Tu vois le truc ? »
-Bah... sur le concept, oui, mais c'est un peu...
-Difficile à imaginer pour un mec ? Ouais. Je sais pas quelle métaphore adopter pour que tu comprennes. C’est comme si tu vivais tranquillement chez toi, un jour tu montes au grenier et hop, tu découvres un type qui vit là depuis des mois, il a piqué tes vêtements dans ton placard quand t’étais pas là, il a pris tes restes dans le frigo, il squatte ta salle de bain la nuit, il paye pas de loyer et en plus, t’as aucune possibilité de le dégager avant qu’il décide de le faire lui-même. Crois-moi que tu vas mettre un petit temps à t’en remettre avant de te dire éventuellement que la colocation forcée se passerait mieux si tu essayais de devenir ami avec lui. »

Plutôt fière de l’effet de sa métaphore sur Roy qui avait une expression de gros bêta si on lui demandait son avis, Irina laissa un petit temps s’écouler, le temps qu’il saisisse toute la pertinence remarquable de son propos, avant de poursuivre :

« C’est plus facile pour toi de trouver ce squatteur sympa, d’un oeil extérieur. Pour elle, c’est de son corps qu’il s’agit. Elle a besoin de trouver un moyen de se le réapproprier avant de faire quoique soit d’autre. »

Roy fronça les sourcils. Il comprenait bien ce que sa soeur voulait lui dire mais il n’avait toujours pas obtenu le mode d’emploi qu’il était venu chercher.

« Alors quoi, en gros, elle a juste besoin de temps ? Comment être sûr que ça va suffire ? »

Cette question sembla mettre Irina un peu plus mal à l’aise. Elle gigota sur son fauteuil, avec une légère grimace sur le visage.

« Eh bien… Tu ne peux pas. C’est un risque à prendre. Il est possible que, malgré vos efforts, Avalon se sente toujours étrangère à son propre corps jusqu’au moment d’accoucher. » Voyant la tête que faisait Roy, elle nuança rapidement son propos. « Mais vous avez de bonnes chances que ça n’arrive pas. C’est un déni partiel qu’elle a fait. Il y a des femmes qui font un déni total et découvrent leur grossesse au moment d’accoucher, là, je ne te dis pas l’immense choc psychologique. Cela dit… » Elle parut chercher les bons mots pour expliquer la situation à son frère. « Si tu veux mon conseil de médicomage, Roy, je ne peux que te recommander de vous faire suivre par un psychomage avec Avalon. Je sais que c’est pas ta tasse de thé, tu crois pas en tout ça, mais… Je plaisante avec des métaphores douteuses de squatteur d’appartement, mais la vérité, c’est qu’elle a vécu un traumatisme dont elle est en train d’essayer de se remettre. Elle y arriverait plus facilement avec une aide médicale. Et puisque vous traversez cette épreuve à deux, ce serait très utile que tu y ailles toi aussi ou que vous le fassiez ensemble. »

Cette déclaration plongea Roy dans le silence. Il était un homme d’action alors il avait plutôt espéré obtenir de sa soeur une liste d’actions à faire. Si son seul conseil était d’aller voir un psy pour lui raconter sa vie en étant allongé sur un canapé -car c’était la seule image qu’il s’en faisait- alors oui, il était un peu déçu. Mais les paroles d’Irina avait eu un impact sur lui. Son cerveau répétait ce mot un peu effrayant qu’elle avait utilisé. Traumatisme. Il n’avait pas envie qu’Avalon reste traumatisée de cette grossesse. A vrai dire, il se sentait si désespéré à cet instant, qu’il se sentait prêt à tenter n’importe quoi, même passer la porte d’un foutu psy si cela pouvait lui assurer que sa compagne irait mieux, que leur couple redeviendrait soudé et que leur bébé naîtrait dans les meilleures conditions possibles.

Alors il finit par soupirer, en joignant ses mains sur ses genoux, les yeux rivés sur le sol.

« Ouais… Peut-être, j'en sais rien. Ça peut pas nous faire de mal, j’imagine.
-Disons que ça vous aidera à mieux comprendre ce que vous traversez. Tu disais tout à l’heure que vous aviez du mal à parler et à vous comprendre tous les deux. Une thérapie, c’est justement l’occasion de réparer ça.
-Ouais… Enfin, si j’écoute Av', c’est parce que j’ai pas d’utérus que je peux pas la comprendre, mais… »

Un sourire revint sur le visage d’Irina qui s’esclaffa.

« Elle a raison. Pas d’utérus, pas d’opinion.
-Oh vous êtes chiantes à dire ça, vous les femmes, comme si ça vous donnait un super pouvoir sur nous, là, répliqua Roy en levant les yeux au ciel. Ça veut dire quoi, franchement, on peut plus rien dire sous prétexte qu’on vit pas la même chose ?
-Oh range ta fragilité masculine, s’il te plaît, ça salit mon parquet, là. Et puis, tu comprends rien, ce que ça veut dire c’est que ça nous brise les ovaires quand vous venez nous expliquer ce qu’on est sensées faire alors que effectivement, on ne vit pas du tout la même chose. »

Le ton moqueur qu’elle utilisait fit grommeler Roy dans sa barbe. Il s’apprêtait à répondre mais la vibration de son Pear dans sa poche l’interrompit. Il vit le nom de Fergus à l’écran et son premier réflexe fut de penser au boulot. Il songea à ne pas répondre - il avait clairement dit qu’il prenait une pause pour toute la soirée - mais il se rappela également que Fergus était de repos lui aussi. A s’occuper de sa fille et de Vivianne qu’Avalon avait déposée tout à l’heure.

« Attends, deux secondes » demanda t-il à sa soeur. « Ouais, Fergus ? »

L’hologramme de son ami arborait un air particulièrement grave. Le coeur de Roy cessa de battre dès la première phrase qu’il prononça :

« Il faut que t’ailles à Sainte Mangouste tout de suite, Roy. Avalon est là-bas. »

FIN


Roy Calder

Walking on the sunny side

KoalaVolant