5 janvier 2012

« Je peux ? » le docteur Perez attendit l’aval d’Avalon. Cette dernière hocha la tête. « Attention, ça va être un peu froid. » prévint la gynécologue avant d’apposer sa sonde sur le ventre rond de sa patiente.

Immédiatement, sur l’écran anciennement formes, des formes floues apparurent. Le docteur Perez fit quelques réglages, pianota sur les touches de son clavier, tandis qu’Avalon suivait les images des yeux, sans véritablement les voir. Roy, installé à ses côtés, tenait sa main entre la sienne. Il était silencieux, le regard vrillé sur les contours encore confus qui se dessinaient à l’écran.

Le couple était arrivé en début d’après-midi à la clinique, pour une batterie d’examen qui se terminait par une échographie. En parallèle de cela, Avalon avait rencontré un médecin, fait une série d’analyses biologiques et avait dû prendre un rendez-vous pour une consultation de pré-anesthésie. Elle s’était rapidement sentie dépassée par les discours médicaux qui, tout en se voulant rassurants, évoquaient les risques liés à cette tardive découverte de la grossesse. Retard de croissance, malformations… Le regard hagard d’Avalon avait croisé celui, inquiet, de Roy lorsque le médecin l’avait interrogé sur son mode de vie pendant ces cinq derniers mois. Qu’avait-elle mangé ? Avait-elle consommé de l’alcool ? Pouvait-elle estimé sa consommation ? « Ce n’est pas pour vous juger, » avait ajouté le médecin devant la mine fermée d’Avalon, « c’est simplement pour qu’on puisse cibler les principaux risques et orienter votre prise en charge. »

Tous les résultats n’étaient pas encore disponibles mais les premiers semblaient encourageants, lui avait soufflé une sage-femme lorsqu’elle était entrée dans un box de consultation. Elle avait interprété l’expression d’Avalon comme une vive inquiétude ; en réalité, cette dernière se sentait surtout… Engourdie. Présente et absente en même temps. Inquiète et indifférente.

Elle ne réalisait pas encore tout-à-fait ce qu’il se passait.

Elle allait avoir un bébé. Bientôt, dans quatre mois à peine.

Elle ne savait pas exactement comment elle était parvenue à cette décision. Elle n’avait pas l’impression d’avoir eu une révélation, de s’être réveillée un matin en se disant qu’elle était prête à devenir mère, qu’elle désirait ardemment cet enfant. Mais il fallait choisir, alors elle avait fait un choix. Elle ne pouvait pas dire qu’elle n’avait pas considéré sérieusement l’avortement. Elle l’avait fait. Mais les mots de Roy n’avaient pas quitté son esprit et, au fil des conversations qu’ils avaient eu sur le sujet, elle avait abandonné l’idée. Ne restait alors plus qu’une seule alternative.

Avalon avait espéré que prendre une décision lui permettrait de sortir de ce brouillard dans lequel elle était enfermée depuis l’annonce de sa grossesse. Elle attendait le moment où la joie remplacerait l’engourdissement. Mais il ne venait pas. Elle essayait de le convoquer, pourtant, mais c’était comme si elle n’arrivait pas à ressentir quoique soit.

« Ahhh, voilà, sourit la gynécologue en affichant une image plus nette, où on distinguait clairement les contours du bébé. « Regardez, on voit bien ses mains… » Elle pointa l’image où, en effet, une petite main se détachait.

« Il va bien ? » demanda Avalon d’une voix un peu enrouée, bousculée par ce qu’elle était en train de regarder.
« Attendez, je prends quelques mesures… »

La gynécologue pianota rapidement sur sa machine, bougeant la sonde pour afficher diverses images. Un léger silence s’installa.

« Tout va bien. » conclut-elle finalement au bout de quelques minutes. « C’est un petit gabarit, pour le moment, mais rien de dangereux pour sa santé ou son développement. » Elle contempla les futurs parents avec bienveillance. « Vous devez être rassurés. »

Avalon hocha la tête sans rien dire. Elle était effectivement rassurée de savoir que tout se passait bien mais elle n’avait pas ressenti cette vaguement de soulagement qu’elle s’était imaginée que le docteur Perez sembla sous-entendre.

« Est-ce que vous voulez connaître le sexe ? »

Avalon s’arracha à la contemplation passive des images pour trouver le regard de Roy, un peu incertaine de sa réponse.

Sans surprise, Avalon avait demandé à se rendre à l’hôpital moldu, pour y faire son suivi de grossesse. Cette fois-ci, Roy n’avait pas cherché à protester ni à la convaincre de se reposer sur la médicomagie en laquelle il avait pourtant bien plus confiance. Il sentait Avalon toujours très troublée, étrangement absente, comme si elle peinait encore à prendre conscience de ce qui leur arrivait, alors il n’avait pas envie de la perturber davantage. Même si elle lui avait annoncé sa décision de poursuivre la grossesse quelques jours plus tôt, il avait parfois l'impression qu’un rien pourrait brusquement la faire changer d’avis. Alors il voulait bien faire tout ce qu’elle voulait, selon ses règles à elle si cela pouvait lui permettre d’avancer plus sereinement dans l’acceptation de cette parentalité toute nouvelle.

Et puis, il commençait à se familiariser à l’hôpital moldu, pour y avoir déjà accompagné Avalon plusieurs fois ces derniers temps. Cela lui fit étrange d’y revenir avec un tout autre objectif. Il se sentait un peu anxieux mais pour bien d’autres raisons que la crainte que sa compagne ne soit malade. Il n’y avait pas de doute, il préférait largement se trouver là pour rencontrer leur bébé, aussi étrange cette idée soit-elle, plutôt que pour traquer il ne savait quelle tumeur chez Avalon.

Huit jours s’étaient écoulés depuis l’annonce inattendue que sa partenaire lui avait fait. Huit jours au cours desquels il n’avait discuté de cette situation qu’avec leur amis proches, à savoir Toni, Fergus, Jayce et Isobel. Avalon et lui s’étaient mis d’accord pour ne pas en parler à d’autres personnes pour le moment, préférant d’abord s’assurer que tout allait bien avec le bébé avant d’informer leurs familles respectives. Et surtout, ils avaient besoin de ce temps pour réaliser ce qui se passait, avant de se confronter à leur réaction. Roy n’avait pas du tout envie de penser à comment ses parents pourraient réagir face à cette deuxième grossesse involontaire, si proche de la première. Il n’avait pas envie de se confronter à une éventuelle négativité de leur part, pour le moment. Il voulait d’abord se sentir assuré et stable dans sa décision, un peu plus à l’aise dans cette situation délicate.

Pour le moment, Roy avait la sensation de se tenir sur un fil. Il tanguait entre l’appréhension terrible des prochains jours et l’envie de se projeter plus loin, dans les temps futurs où tout irait bien, où Avalon et lui seraient complètement accoutumés et heureux à l’idée d’avoir un enfant à eux. Un jour, il se levait avec l’angoisse terrible de ne pas avoir fait le bon choix pour lui, pour Avalon, pour leur couple, pour Teresa. Le lendemain, il se réveillait avec l’image idyllique et apaisante d’un bébé dans ses bras et du sourire d’Avalon et il se sentait mieux. Une part de lui avait envie que le temps s’accélère pour les sortir lui et Avalon du malaise qui flottait en eux et entre eux et les projeter vers l’avenir où tout allait mieux. Car tout irait forcément mieux, une fois qu’ils se sentiraient totalement engagés dans cette grossesse impromptue, non ? Il se souvenait comme le sentiment d’étrangeté qui l’avait accompagné au début, au sujet de Teresa, s’était progressivement dissipé au fur et à mesure que les mois passaient, qu’il faisait la connaissance de cette petite fille à travers les imageries médicales, qu’il discutait de son arrivée avec Joséphine. Peu à peu, le malaise et les doutes avaient laissé place à l’excitation, l’attente, l’enthousiasme.

Roy voulait arriver à cette étape avec Avalon. Alors il portait beaucoup d’espoirs sur l’échographie du jour. Il l’avait dit plusieurs fois ces derniers jours à Avalon, d’ailleurs, dans l’espoir de la rassurer. « Tu verras, ça va nous paraître plus réel et moins bizarre, avec le temps qui passe et avec les échographies. »

Mais d’abord, ils devaient passer par une série d’examens pour s’assurer que le bébé et la mère allaient bien tous les deux. Ils furent abreuvés d’informations que Roy s’efforça de retenir. Il fut sans doute plus bavard qu’Avalon, n’hésitant pas à interrompre les médecins à chaque fois qu’il n’était pas sûr de comprendre. Il voulait comprendre. Il voulait faire les choses le mieux possible. Alors il prit le rôle du parent plus actif dans les échanges avec les médecins, parce qu’il sentait qu’Avalon peinait encore à réaliser ce qui se passait. Plusieurs fois, il serra sa main dans la sienne, en l’interrogeant du regard ou d’un murmure pour savoir si tout allait bien. Oui, oui, répétait-elle. Mais son regard absent ne rassurait pas vraiment Roy.

Quand ils parvinrent au moment qu’il attendait tellement, celui où enfin, on leur permettait de voir le bébé qu’il n’avait vu que sur des photos figées, Roy se confronta exactement aux sentiments qu’il espérait ressentir. D’abord du soulagement, parce que le docteur leur confirmait que leur bébé allait bien. C’était une peur qui ne l’avait pas quitté, ces derniers jours, celle que leur enfant soit malade ou malformé pour la seule raison qu’ils n’avaient pas pu déceler sa présence plus tôt. Cette nouvelle apaisa un peu la culpabilité qu’il avait ressenti de n’avoir pas su voir. Tandis qu’il laissait son regard glisser sur la forme de la petite main que leur montrait le médecin, Roy se sentit peu à peu gagner d’un sentiment plus positif qui se mêla au reste. Son cerveau trouvait toujours cela étrange de se retrouver face à une petite chose de cinq mois et demi, fabriqué par Avalon et lui sans qu’ils ne l’aient prévu. Mais son coeur commençait à trouver cette petite chose plutôt belle aussi.

« Très rassuré » souffla Roy en guise de réponse au médecin.

Il noua ses doigts à ceux d’Avalon, en espérant croiser son regard mais elle le gardait obstinément fixé sur l’écran, dans une expression qu’il ne savait pas interpréter.

« Est-ce que vous voulez connaître le sexe ? »

A ce moment-là seulement, Avalon se tourna vers lui en s’accrochant à son regard, comme si elle lui demandait de résoudre cette question pour elle. Un peu perturbé, Roy déclara :

« Euh… Oui, on s’est dit qu’on aimerait bien le connaître. » Son regard resta dans celui d’Avalon, pour y chercher une confirmation. « Tu veux toujours ? »

Il attendit qu’elle approuve avant de donner l’aval au docteur. Après un bref instant d’observation, la gynécologue eut un sourire.

« Eh bien, vous pouvez dire bonjour à votre fille. »

Avalon avait tant espéré de l’échographie qu’elle ne savait plus quoi en penser, maintenant qu’elle se retrouvait effectivement dans les images mouvantes. Elle aurait aimé ressentir, comme Roy le lui avait répété à plusieurs reprises, cet état d’enthousiasme et d’émerveillement face à cet examen qui leur permettait de rencontrer officiellement leur bébé. Peut-être était-ce effectivement ce dont elle avait besoin, avait-elle songé ce matin, pour prendre conscience de son état, pour visualiser réellement ce qu’il se passait dans son corps. Et peut-être qu’elle allait enfin avoir la… La révélation qu’elle attendait. Elle allait voir son bébé et tout rentrerait enfin dans l’ordre.

Sauf que, face à l’écran de la gynécologue, Avalon ne ressentait pas cette joie incrédule qu’elle s’était imaginée. Elle contemplait les images avec une impression d’étrangeté, comme si elle avait du mal à faire le lien entre ce qu’elle voyait et cet être qui grandissait en elle. Elle observait les formes qui se détachaient : la tête, le nez, la bouche, les mains et elle se sentait comme une étrangère face à ce bébé. Ils étaient liés, mais ce lien n’était pas tangible, pas réel pour elle.

A ses côtés, Roy semblait davantage gagné par des émotions qu’il lui exprimait en serrant doucement sa main dans la sienne. Avalon évitait sciemment son regard, craignait que son trouble intérieur ne soit que bien trop perceptible pour son compagnon. Ses yeux restaient rivés sur l’écran, comme si elle attendait une illumination qui ne venait pas.

« Est-ce que vous voulez connaître le sexe ? »

La question du docteur Perez la tira brusquement de ses pensées, si bien qu’Avalon se tourna vers Roy, incertaine de la réponse à donner. Le voulait-elle ? Il lui semblait qu’ils en avaient discuté la veille, mais dans le brouillard qu’était devenue sa vie, chaque conversation lui paraissait lointaine et un peu confuse. Il y avait tellement de choses à retenir : les rendez-vous médicaux, les examens – ceux qui devaient se faire à jeun et ceux qui, au contraire, exigeaient qu’elle boive en abondance avant de s’y rendre – les vitamines – celles à prendre maintenant et celles à commencer plus tard… Face à cette montagne d’informations, Avalon se sentait dépassée et, inévitablement, devenait plus distraite.

La conversation qu’elle avait eu avec Roy lui revint en tête lorsque ce dernier affirma – bien qu’un peu perturbé par la tournure des choses – qu’ils s’étaient en effet mis d’accord pour connaître le sexe du bébé. En effet, il lui avait dit qu’il préférait savoir – par curiosité d’abord et, avait-il argué, parce que cela leur permettrait sûrement de se projeter plus facilement. Le petit être ne serait plus « le bébé » mais « leur fille » ou « leur fils ». Avalon avait accepté.

Elle réitéra son accord au médecin, d’une voix cependant moins assurée :

« Oui, oui, je veux bien. »

Quelques secondes s’écoulèrent pendant lesquelles la gynécologue observa les images, bougeant doucement la sonde sur son ventre pour avoir un meilleur angle. Elle leur annonça finalement, un sourire aux lèvres, qu’Avalon attendait une petite fille.

Une fille.

« Oh… » fut sa seule réaction, mélange d’étonnement et d’incertitude.

Avalon ne sut dire ce que cette information provoqua chez elle, comme si elle était privée de l’accès aux émotions qui y étaient liées. Elle observait les images, abasourdie, presque surprise par l’idée que ce qu’elle portait dans son ventre avait un genre.

Roy avait raison : l’échographie rendait tout plus concret, plus réel, plus tangible.

Mais pas plus facile.

Au contraire, se confronter aussi directement avec cet être qui avait grandi en elle à son insu, qui était désormais assez grand pour être identifié comme une fille, créait chez elle un profond malaise sur lequel elle ne parvenait pas à mettre de mots.

Malaise que la gynécologue sembla en revanche capter en posant les yeux sur elle alors qu’elle relevait la sonde, faisant disparaître les images de l’écran. Ce n’était pas bien compliqué ; Avalon était pâle et ses lèvres tremblaient un peu.

« C’est normal d’être un peu perturbée, lui assura-t-elle avec un sourire bienveillant. C’est beaucoup d’informations à assimiler.
-C’est… Oui, on peut dire ça. Avalon se racla la gorge, cherchant à reprendre contenance.
-Mais regardez, vous allez pouvoir rentrer tranquillement chez vous désormais. Vos examens ont l’air bons, votre fille se porte bien… Tout va rentrer dans l’ordre. »

Quand ? Avait envie de lui hurler Avalon. Au lieu de cela, elle se contenta d’un « Mhhh » aussi peu convaincu que peu convaincant.

« Est-ce que vous avez d’autres questions ? » interrogea le docteur Perez en levant les yeux vers Roy.

Quand Joséphine était encore enceinte de lui, Roy avait pensé qu’il serait plus facile d’avoir une fille, pour plusieurs raisons : elles étaient mieux considérées chez les Lavespère, avaient un meilleur rôle à jouer, mais aussi, il se sentait plus à l’aise avec l’idée d’élever une fille. Dans son esprit, il associait cela avec moins de problèmes, moins de difficultés à se faire aimer et respecter en tant que père, sans doute sur la base de son expérience personnelle avec son propre père. Il n’y avait qu’à voir dans sa fratrie : Irina était sans doute la plus proche de leurs deux parents, celle qui les avait toujours rendus très fiers, celle qui s’appuyait sur eux et avec qui elle s’autorisait à parler de tout, pendant que les garçons menaient une vie un peu plus détachée, voire carrément indépendante dans le cas de Roy. A choisir, il préférait entrer dans la parentalité avec un lien qui n’allait pas systématiquement le ramener à sa relation brisée avec son père à lui.

Mais cette fois-ci, ses volontés étaient ailleurs. Pour cette fois, il n’avait pas d’attente particulière sur le sexe de cet enfant qu’il avait fait avec Avalon. Il n’en avait pas le loisir, lui semblait-il : le plus important était qu’ils parviennent tous les deux à s’attacher à ce bébé, malgré les circonstances bancales dans lesquelles il arrivait. Maintenant qu’il était l’heureux papa d’une petite fille qui grandissait à une vitesse folle et que cela se passait plutôt bien, Roy se faisait un peu plus confiance dans sa capacité à être père qu’il ne le faisait avant que Teresa n’arrive. Alors il se sentait prêt à accueillir un fils ou une fille, peu lui importait.

« Eh bien, vous pouvez dire bonjour à votre fille. »

Cette annonce fut suivi d’un sentiment ambivalent chez Roy. Il y eut d’abord la satisfaction de pouvoir mettre une image plus précise sur cette forme noire et blanche qu’il voyait à l’écran, comme si ce qui se développait dans la chair d’Avalon commençait à prendre une identité et un corps. Une petite fille. Il eut un léger sourire. Les petites filles, c’était familier, il en était entouré : il y avait les deux filles de Jayce, la fille de Fergus, la fille d’Eden dont il était le parrain et bien sûr Teresa. Penser à cette dernière lui provoqua un curieux sentiment, parce qu’une nouvelle pensée se formula dans sa tête. Teresa allait donc avoir une petite soeur. Pour le moment, elle ne s’en rendrait pas compte, elle était bien trop petite. Mais plus tard, comment allait-elle le vivre ? Est-ce qu’elle serait heureuse d’avoir une petite soeur qui avait quasiment son âge ? Ou est-ce que cette Teresa du futur lui dirait qu’elle aurait préféré avoir un frère ? Ou même ne pas en avoir du tout ?

Roy choisit d’écarter ces questionnements sur lesquels il ne pouvait pas avoir de réponse. Cela ne servait à rien de s’en inquiéter pour le moment. Il voulut se concentrer plutôt sur le versant positif de cette nouvelle. Il chercha le regard d’Avalon, dans l’espoir de pouvoir se réjouir avec elle.

Mais elle n’avait pas l’air réjouie du tout.

Sa peau plus pâle que d’habitude, son regard confus, ses lèvres tremblantes ravivèrent chez Roy l’inquiétude tapie au fond de son estomac, celle qu’il essayait tellement de remplacer par des sentiments positifs. Il s’inquiétait pour Avalon, de plus en plus, avec les jours qui passaient, parce qu’il ne la reconnaissait pas vraiment. Elle se murait dans un silence qui ne lui ressemblait pas du tout. La gravité s’était emparée de ses traits habituellement solaires. Il n’aurait jamais pensé se retrouver dans une situation où c’était lui, l’optimiste des deux.

Aussitôt, les doutes assaillirent Roy. Est-ce qu’elle n’était pas heureuse d’avoir une fille ? Est-ce qu’elle aurait préféré un garçon ? Ou pire encore… est-ce qu’elle aurait préféré n’avoir ni l’un ni l’autre ?

Il dut se contenter d’un lourd silence pour le moment. La gynécologue attira son attention :

« Est-ce que vous avez d’autres questions ?
-Euh… Un bref regard vers Avalon confirma à Roy que cette fois encore, elle ignorait quoi dire et préférait le laisser mener l’échange. Oui. Est-ce qu’on peut discuter des prochaines étapes ? »


Même quand Roy avait demandé à Avalon ce qu’elle souhaitait faire entre aller prendre un café ou rentrer directement chez eux, elle n’avait pas su quoi répondre. « Comme tu veux » s’était-elle contenté de dire, avec une apathie qui ne fit qu’accentuer l’inquiétude de son partenaire. Il ne dit rien pour le moment et se contenta de les emmener vers le café le plus proche de l’hôpital qu’il put trouver, dans un silence un peu lourd entre eux.

Eh bien, les choses ne s’étaient pas déroulées comme il l’avait espéré. Cette échographie ne semblait pas avoir aidé Avalon à se sentir mieux. Le silence s’éternisa entre eux jusqu’à ce qu’on leur apporte leurs consommations à la table qu’ils avaient choisie, près de la fenêtre, dans un coin du restaurant. Roy finit par le rompre en posant sa main sur celle d’Avalon et en faisant appel à toute la douceur dont il était capable :

« Ça va, mon amour ? T’as pas dit un mot depuis qu’on est sortis… » Silence. « A quoi tu penses ? »

Il n’avait pas du tout l’habitude de lui poser cette question et pourtant, il avait l’impression de la répéter ces derniers temps. Avalon lui semblait inaccessible, fermée comme une huître, alors que d’habitude, il n’avait qu’à lui jeter un regard pour savoir ce qui se passait dans sa tête. Ce mur invisible entre eux prenait de l’épaisseur de jour en jour et cela commençait sérieusement à le préoccuper.

Avalon avait suivi Roy à l’extérieur de la clinique, toujours enfermée dans un silence qui ne lui ressemblait pas. Elle avait récupéré son dossier médical, écouté les dernières recommandations de la gynécologue, et repris rendez-vous quelques semaines plus tard avec elle. Elle ne se souvenait déjà plus de la date, mais le docteur Perez l’avait noté sur le papier qu’elle lui avait tendu, à la fin de la consultation. Toutes les informations qu’elle recevait semblaient se heurter à une barrière, en empêchant la plupart d’être assimilées par sa mémoire.

L’échographie n’avait pas balayé la sidération qu’elle ressentait depuis l’annonce de sa grossesse. Dans un sens, elle avait même contribué à la majorer. En donnant encore plus de réalité à ce bébé qui se développait en elle, Avalon n’avait que fait creuser un fossé déjà bien profond. Un ravin, même, qui la séparait de tous. Roy était déjà de l’autre côté – tout du moins, il avait déjà effectué une bonne partie du chemin, Avalon le sentait. Elle, elle demeurait coincée sur l’autre rive, ne pouvant qu’observer un endroit qu’elle ne savait pas comment rejoindre. Et, au milieu de tout ça, il y avait sa fille. Leur fille.

Installée à l’intérieur d’un café, les yeux baissés vers la carte du café, les pensées d’Avalon se bousculaient dans sa tête, l’empêchant de se concentrer véritablement. Son regard parcourait le large choix de boissons, sans qu’elle ne parvienne à en choisir une. Qu’avait-elle le droit de boire, déjà ? Ses sourcils se froncèrent légèrement. Une sage-femme lui avait donné quelques conseils nutritionnels un peu plus tôt dans la journée mais elle n’était plus certaine de ce qu’elle lui avait dit. Elle l’avait encouragé à boire en abondance – ça, elle en était certaine – mais quoi ? Avalon se souvenait vaguement qu’elle lui avait déconseillé plusieurs tisanes – parce que certaines plantes avaient un effet néfaste – mais elle ne saurait dire lesquelles. Elle avait également appris que la caféine – donc la théine – n’était pas recommandée en trop grande quantité… Mais comment estimait-on une « trop » grande quantité ? Les apports en fer étaient les bienvenus, mais cela concernait davantage le volet « alimentation » - et encore, il y avait des exceptions. Il fallait aussi qu’elle fasse attention à sa consommation de sucre car il y avait un risque de… De… ? Elle ne savait plus exactement. De diabète, sûrement, déduit-elle en abandonnant à regret son habituel « chocolat chaud, caramel, chantilly et topping au chocolat blanc ». Elle retint un soupir. Un jus ? C’était bien, un jus. C’était sain, non ? Mieux qu’un café dégoulinant de sucre – mais sûrement moins bien qu’une eau minérale sans glaçon, aurait pensé Linda la sage-femme, songea Avalon avec un léger agacement. Allez, un jus. Pas un jus de fruit frais – elle avait vaguement souvenir d’une liste immense de bactéries présentes sur la peau des fruits, la viande crue, le poisson, bref, la vie (et notamment les chats.)

« Un jus d’orange, s’il-vous-plait. » demanda Avalon à la serveuse qui s’était approchée de leur table.

Voilà, un jus d’orange bien pasteurisé, bien dilué à l’eau.

Jamais un choix – d’apparence aussi simple – ne lui avait paru aussi difficile à faire. Chaque pas qu’elle faisait dans ce chemin semblait requérir d’elle un effort particulier. Rien ne lui semblait facile, naturel, évident. Aussi, lorsque Roy l’interrogea avec douceur, elle eut un sourire un peu désabusé.

« Honnêtement ? Je me disais que j’avais jamais réfléchi aussi longtemps avant de commander un jus d’orange. Roy avait assisté avec elle aux recommandations de la sage-femme – qui avaient pointé plusieurs écueils dans l’alimentation d’Avalon – oui, pardon avait-elle pensé avec acidité, elle n’avait pas vraiment conscience qu’elle aurait dû y prêter attention ces cinq derniers mois. Elle n’avait cependant rien dit, se contentant d’hocher la tête avec lenteur. Ses doigts triturèrent la serviette en papier posée devant elle. Elle savait que Roy ne l’avait pas questionné pour l’entendre parler de sa consommation de fruits mais une part d’elle ne pouvait se résoudre à plonger dans le magma d’émotions (ou plutôt de non-émotions ?) qui l’avait saisi un peu plus tôt. A la place, elle choisit une réponse plus neutre, presque factuelle : « C’était, euh, un peu étonnant comme journée. Comme sa gorge se serra un peu, elle s’empressa d’ajouter, comme pour chasser l’émotion : Mais les médecins ont l’air bien, ici. »

« Les médecins ont l’air bien » et pas un mot sur leur fille.

Roy était si concentré à essayer de comprendre ce qui se passait dans la tête d’Avalon, qu’il ne releva pas tout de suite la commande inhabituelle qu’elle fit. Ce fut seulement lorsqu’elle le souligna qu’il prit conscience qu’elle n’avait pas à la main un chocolat chaud rempli de sucre et de chantilly. Il se rappela alors que tout à l’heure, il avait essayé de noter dans sa mémoire toutes les indications données par la sage-femme sur les restrictions alimentaires que la grossesse imposait. Essayé, parce qu’elles étaient si nombreuses -et parfois contradictoires- qu’il n’était pas évident de les garder en tête. Mais il se souvenait qu’elle avait nommé la caféine, la théine et le sucre dans les substances à consommer le moins possible. Il avait tourné la tête vers Avalon à ce moment-là, pour évaluer sa réaction. Il mesurait tout à fait le sacrifice que devait représenter pour elle le fait de renoncer au sucre, et dans d’autres circonstances, il aurait certainement fait une blague à ce sujet. Mais il avait senti que ce n’était pas le moment.

Ce n’était toujours pas le moment, vu la tête qu’elle tirait.

Roy opta donc pour le choix prudent du silence, le temps qu’Avalon réponde à la question qu’il avait posé. Il attendit encore, après le commentaire qu’elle fit sur les médecins, mais rien ne vint. C’était tout ? Tout ce qu’elle avait à lui dire sur ce qu’ils venaient de vivre ensemble ?

Vraiment, Avalon se trouvait dans un état préoccupant.

Pendant quelques secondes, Roy garda un silence confus. Il observait sa compagne, la tête pleine de questions, sans savoir par quel bout prendre la conversation pour l’amener à s’ouvrir à lui. Les tentatives de communication entre les deux n’étaient pas très probantes, ces derniers temps. Il n’arrivait pas à savoir ce qu’il convenait de faire. La laisser venir à lui quand elle voudrait parler ? Essayer de communiquer malgré ses réticences, pour l’aider à démêler ses émotions ? Faire comme si tout allait bien ? Ou au contraire, dire clairement qu’il s’inquiétait pour elle, au risque de la culpabiliser ?

Après quelques instants de débat intérieur, il convint qu’il ne se sentait pas capable de changer de sujet et prétendre qu’ils ne venaient pas de vivre un moment important, tous les deux. Cette grossesse ne pouvait pas devenir un sujet tabou entre eux, il fallait qu’ils brisent la glace. C’était inconfortable de devoir tirer les vers du nez à Avalon mais il crut devoir le faire pour leur permettre d’avancer ensemble dans la bonne direction.

« C’est vrai que c’était plutôt dingue comme journée. » commença t-il prudemment. Son regard ne quittait pas le visage d’Avalon, à la recherche d’une réaction à laquelle il pourrait s’accrocher. S’il posait des questions plus ciblées, peut-être qu’elle aurait davantage à dire ? « Et ça te fait quoi de… savoir que c’est une fille… ? »

Ce n’était pas qu’Avalon était indifférente, c’était seulement qu’elle ne parvenait pas à associer des émotions aux informations qui affluaient sans cesse. Elle ne pouvait pas dire qu’elle était heureuse, ou triste, ou qu’elle regrettait la décision qu’elle avait prise. Elle se sentait simplement engourdie, assommée, perdue. Et frustrée, un peu, d’échouer aussi magistralement à devenir mère. Elle avait espéré le lien magique, le lien inné qui s’établirait entre elle et son bébé. Elle s’était dit que ce serait peut-être facile ; peut-être suffisait-il de le désirer assez fort. Pourtant, Avalon ne pouvait que contempler l’immense échec qui soldait ce désir. Elle s’en sentait si coupable qu’elle en avait l’estomac serré.

Le long silence qui s’écoula entre Roy et elle n’arrangea rien. Elle baissa brièvement les yeux vers sa boisson orangée avant d’en prendre une gorgée pour se redonner contenance. Elle sentait bien que les réponses qu’elle lui offrait ne le satisfaisait pas entièrement. Avalon se doutait bien que Roy aurait préféré la voir s’émerveiller de l’arrivée de leur fille et qu’elle lui témoigne l’immense soulagement qu’elle avait ressenti lorsque les premiers examens étaient revenus positifs. Mais elle ne parvenait pas à agir avec autant de détachement ; elle ne pouvait pas ignorer cette écrasante culpabilité qui lui enserrait le cœur, ni même la peur dévorante qui pesait sur sa poitrine. Curieusement, elle ne pouvait pas non plus les lui confier, cela aurait été les rendre encore plus réels, encore plus légitimes.

Prise dans ce dilemme, face à son partenaire qui l’interrogeait encore, Avalon sentit les battements de son cœur s’accélérer légèrement. Ce pic d’anxiété la fit légèrement tressaillir, alors que la question de Roy planait entre eux. Qu’est-ce que ça lui faisait, de savoir qu’elle attendait une fille ? Elle n’en savait rien, aurait-elle pu répondre sincèrement. Aurait-elle préféré un garçon ? se demanda-t-elle fugacement. Aucune réponse ne vint. Elle n’avait aucune réponse à donner et, pourtant, elle sentit une pression peser sur ses épaules pour qu’elle dise quelque chose. Quelque chose de normal.

« C’est… Avalon chercha ses mots, en jouant distraitement avec la paille blanche qui flottait dans son jus. C’est bien. Elle força un sourire, peut être un peu trop crispé. Enfin, je pense pas que j’avais de préférence mais c’est bien. Je veux dire, j’ai l’habitude des filles, entre Vivianne, Laoise, Chandra et Meera… Je me dis que ce sera peut-être plus facile. Elle ajouta, après un temps de silence : Et puis, elle a l’air en bonne santé, c’est surtout ça, l’important. »

Cette dernière phrase, bien que sincère, sonna presque un peu trop plaquée, un peu trop attendue. Avalon s’en rendit compte mais ne releva pas, préférant avaler une seconde gorgée de jus qui lui laissa un goût un peu désagréable en bouche.

« Et toi ? » s’enquit-elle finalement, préférant renvoyer la balle à son partenaire plutôt que de s’étendre plus longtemps sur le sujet.

Roy ne trouva pas de sincérité dans les mots d’Avalon. Pourtant, il la chercha obstinément, il partit à la traque du moindre signe de sentiment positif chez elle mais il savait bien trop à quoi ressemblaient les sourires de sa compagne pour pouvoir se faire berner. Il était tombé amoureux d’elle parce qu’elle avait cet incroyable pouvoir d’illuminer toute une pièce juste avec un sourire. Mais à cet instant, il n’en vit qu’une pâle réplique sur le visage d’Avalon, un simple geste mécanique, qui n’avait pas d’émotion particulière.

Il fut frappé par le constat qu’il n’y avait aucune émotion dans le discours qu’elle lui donnait. Elle énonçait simplement des faits, sans y mettre de coeur. Elle avait l’habitude des filles. Le bébé était en bonne santé. Roy resta silencieux, toujours aussi perplexe et inquiet que tout à l’heure, peut-être même plus. Il ne savait pas quoi penser de la réaction d’Avalon. Est-ce que c’était encore trop tôt pour elle ? Est-ce qu’elle était toujours bloquée dans cet état de sidération qui ne la quittait pas depuis une semaine ? Est-ce qu’elle pensait ce qu’elle disait, quand même ?

Roy profita de la question que lui posait Avalon pour opter pour une autre approche : peut-être que s'il parlait de ce qu'il ressentait lui, elle pourrait s'appuyer dessus pour davantage réagir ? Il essaya de se montrer le plus sincère possible :

« Hum… J’avais pas d’attente particulière non plus. Je suis content que ça soit une fille mais j’aurais été content que ça soit un garçon aussi. C’était… un peu étrange. Mais ça m’a fait du bien de la voir à l’écran. Tu sais, pour… ancrer le truc. C’est une chose d’entendre les médecins dire que notre bébé est en bonne santé, c’en est une autre de la voir vraiment, de l’entendre… Elle est là, quoi. »

Roy n’avait pas quitté Avalon du regard, pour voir quelle réaction ses paroles suscitaient chez elle. Il avait conscience de mettre les pieds dans le plat mais il ne voyait pas quoi faire d’autre pour faire réagir sa compagne. Il voulait savoir ce que l’échographie avait réellement créé chez elle. Est-ce qu’elle parvenait à réaliser la présence du bébé ? Est-ce que cela la mettait mal à l’aise ? Est-ce qu'elle se sentait dépassée ? Perplexe ? Abasourdie ? Hésitante ? Rassurée ? Pire qu’avant de venir ou mieux ? Il garda ces questions dans son regard posé sur Avalon.

« Mais ça m’a fait du bien de la voir à l’écran. Tu sais, pour… ancrer le truc. »

Avalon hocha la tête en silence, tendit sa main vers son verre pour l’attraper.

« Elle est là, quoi. »

Puis se figea avant d’accomplir son geste. Les mots de Roy lui firent l’effet d’une gifle. Elle se ressaisit une seconde trop tard mais, pendant ce laps de temps, elle eut tout le loisir d’admirer le ravin qui les séparait dorénavant définitivement. Roy avait réussi quelque chose qu’elle n’avait même pas commencé à entreprendre. Et il l’avait réussi en étant simplement à côté. Ce n’était même pas lui qui portait l’enfant et, pourtant, il parvenait déjà à se la représenter. Cela ne faisait qu’une semaine que leur vie avait été complètement bouleversée et, déjà, il reprenait pied. Il avait vu leur fille et, comme par magie, tout rentrait dans l’ordre.

Avalon sentit ses yeux la piquer. Pourquoi n’y arrivait-elle pas, alors ?

Le sentiment d’échec la saisit à la gorge et elle resta étrangement silencieuse. Après un temps qui lui parut infiniment long, Avalon finit par relever les yeux vers Roy. Elle s’accrocha à son regard et, pour une fois, ne chercha pas à le fuir. Elle voyait bien son inquiétude mais ne savait pas quoi lui dire. Une part d’elle voulait se montrer sincère mais les mots refusaient de sortir. Que pouvait-elle bien dire ? « Je n’ai rien ressenti de particulier, en réalité, c’est comme si ce bébé n’était pas vraiment le mien ? » Qui disait cela, une heure après avoir vu son enfant pour la première fois ? Après l’avoir vu bouger, après avoir entendu longuement son cœur battre ? La réponse qui s’imprima dans son esprit lui donna la nausée. Sa mère, bien évidemment. Sa mère avait dû penser ça, pour elle.

« C’est sûr. » lâcha finalement Avalon avec un pâle sourire. Devant l’air insistant de son compagnon, elle botta en touche, un peu pudiquement : « Je crois que j’ai encore un peu de mal à me représenter tout ce qui nous arrive. » Au moins, c’était une partie de la vérité. « La journée a été un peu longue en plus, avec tous les examens, les rendez-vous… Ça n’aide pas. »  

Un peu naïvement, Roy avait pensé que le fait de porter le bébé devait donner à Avalon une longueur d’avance sur lui. Après tout, elle sentait la présence du bébé en elle, son poids, et bientôt, ses mouvements. Pour elle, une imagerie médicale n’était certainement qu’une simple confirmation visuelle de ce que son corps devait déjà sentir. Pour lui, c’était son seul accès à l’existence de leur enfant, sa seule manière de se le représenter. L’échographie de tout à l’heure avait donc été particulièrement importante et percutante pour lui, pour faire sa première rencontre avec leur enfant.

Mais en voyant les réactions d’Avalon, il eut le sentiment qu’il s’était trompé, que c’était lui qui avait une, voire plusieurs longueurs d’avance sur elle. Malgré les signaux quotidiens de son corps, malgré les discussions avec les médecins, l’échographie, Avalon ne parvenait toujours pas à réaliser qu’ils allaient bientôt devenir parents. Il perçut le malaise que créait ce décalage entre eux à la manière dont sa compagne peina à lui répondre. Elle réagit brièvement, se contentant d’avouer ce que Roy devinait déjà : elle n’avait pas quitté son état de sidération, depuis qu’ils avaient appris la nouvelle, huit jours plus tôt. Son dernier commentaire lui fit comprendre qu’elle demandait un répit. Ce fut ce qui le retint de l’interroger davantage. Il avait sa réponse : elle avait encore besoin de temps et il valait mieux ne pas insister. Alors il prit quelques secondes pour ravaler ses questions et s’efforcer de ne pas trop laisser paraître son inquiétude, pour éviter d’accabler Avalon davantage.

« Ok. » Les bras croisés sur son torse, Roy baissa les yeux sur le fond de café froid, resté dans sa petite tasse. Avalon n’avait pas encore fini son jus d’orange mais elle le sirotait à peine. « On peut rentrer si tu veux. Comme ça, tu pourras te reposer. »