«  The world is up for grabs » [Match Gryffondor / Serpentard - ouvert à tous]

La tribune dans laquelle prenait place le commentateur avait l’une des plus belles vues sur le stade. Farès la savourait à chaque fois qu’il prenait place sur son siège alors que la foule s’installait aussi un peu plus bas. Face à lui, les commandes du panneau de score s’étalaient, leur or patiné miroitant sous la lumière des quelques rayons de lumière qui parvenaient à percer les épais nuages. La neige de la nuit s’était transformée en pluie, comme en témoignait le ciel encore sombre. Les gradins en étaient trempés. Les plus organisés avaient pensé à amener leurs capes de pluie, les autres s’étaient résolus à s’assoir sur les bancs humides. Pour autant, la météo n’avait arrêté personne : le match Gryffondor / Serpentard avait lieu aujourd’hui et était très attendu. Les deux maisons occupaient actuellement les deux dernières places du classement et étaient toutes les deux bien déterminées à en sortir. Les supporters étaient au rendez-vous et déployaient actuellement leurs plus belles bannières, ces dernières battant au vent.

Comme d’habitude, le CSS, le Club des Supporters de Serpentard dominait largement l’exercice. La tribune nord était en train d’installer une splendide tenture vert émeraude, parcourue de serpents argentés. À intervalles réguliers, les couleuvres se rassemblaient pour former de leurs corps les noms des joueurs. Il observait avec une certaine fascination le MOORE se transformer en un WILLIAMS étincelant lorsque le professeur Witherington s’assit à ses côtés, lui adressant un sourire. La professeur de sortilèges était toujours en charge de le superviser même si les interventions de l'enseignante pouvaient se compter sur les doigts des deux mains depuis qu’il était à ce poste (si on ne revenait pas sur la fois où il avait failli perdre sa place en cinquième année lorsqu’il avait rageusement évoqué l’idée que la maman d’Hugh Reynolds puisse effectuer un travail de nuit, alors qu’il pensait que son Sonorus était levé. À sa décharge, le professeur Forbes n’avait pas sifflé une faute qui relevait pourtant clairement du hochequeue contre Serdaigle...)

- Les bannières de Serpentard sont toujours aussi impressionnantes ! lança l’enseignante en se penchant légèrement vers la balustrade. Celles de Gryffondor sont plus... artisanales.
- Mais elles sont faites avec du coeur ! répliqua-t-il immédiatement, désireux de défendre sa maison.

Effectivement, les supporters rouge et or s’étaient lancés dans des mélanges audacieux de couleur et des aplats de peinture pour former des lettres. On distinguait également des draps marqués au feutre noir et, à noter, une magnifique affiche de lion qui avait été, de base, ensorcelée. Le problème était que l’animal était resté coincé dans un demi-rugissement, ce qui lui donnait vaguement l’air de bailler. De ce qu’il pouvait percevoir d’ici, ses camarades tentaient de résoudre le problème à grands coups de baguette magique. Il aperçut Dan, l’un de ses camarades de dortoir, en train de déployer le long de la tribune ouest une splendide tenture Gryffondor qui ressemblait en tout point à celles qui pouvaient être exposées dans la Grande Salle lors des victoires de la Coupe des Quatre Maisons. À croire qu’il avait fait un petit tour dans un placard pour un emprunter une, armé de son badge de préfet... Jetant un coup d’oeil à sa montre, Farès put constater que le coup d’envoi n’allait pas tarder à être donné. Il tourna la tête vers son enseignante.

- Professeur ?
- Allez-y monsieur Khouri, répondit-elle avec bonne humeur.

Un frisson d’adrénaline le traversa et lui tira un sourire, comme à chaque fois qu’il se lançait dans l’exercice. Il pointa sa baguette magique sur sa gorge et lança son sortilège, sa voix résonna brusquement dans le stade.

- Bonjour et bienvenue à tous au quatrième match de cette saison, le dernier avant les vacances ! Aujourd’hui, Gryffondor et Serpentard s’affrontent pour tenter de remonter dans le classement ! Rappelons que Poufsouffle est largement en tête, suivie de près par Serdaigle !

Des acclamations retentirent dans les tribunes concernées, l’intégralité de la tribune sud des Poufsouffle se levant pour acclamer son équipe.

- Oui oui Poufsouffle, très bien Poufsouffle mais n’oubliez pas que le classement peut basculer dans quelques minutes ! Si les redoutables Serpentard, menés par Moore... - la tribune des concernés sembla exploser, tapant des pieds et des mains, secouant leurs bannières - ... réussissent à se remettre d’aplomb après un premier match très compliqué, ils ont encore toutes leurs chances ! Les rumeurs qui courent dans les couloirs disent que leur nouvelle attrapeuse pourrait finalement être l’atout qui fait tout basculer ! Quant aux Gryffondor... - Cette fois-ci, ce fut au tour des rouge et or de montrer qu’ils étaient capables de faire plus de bruit. Un rugissement retentit dans tout le stade, signe qu’ils avaient réussi à faire fonctionner leur enchantement - on les a déjà vus remporter la Coupe il y a deux ans après une splendide remontada contre Poufsouffle ! Ils sont capables de tout, alors accrochez-vous à vos chapeaux pointus les amis car voilà la rencontre du mois de décembre !

Les premiers chants retentissaient dans le stade, signe que les élèves étaient déjà bien remontés. Le professeur Witherington, qui était toujours à côté de lui, lui désigna le parchemin qu’elle avait posé devant lui. Hochant la tête - et soupirant intérieurement - Farès prit son ton d’élève modèle.

- Mais avant toute chose, je dois vous dire que les réservations de tickets retour pour le Poudlard Express doivent se faire avant le 7 décembre. Le coupon-réponse est à donner à votre directeur de maison. De plus, la dernière sortie à Pré-au-Lard aura lieu samedi prochain, le 10. Le professeur Von Schwartzberg tient également à dire que le patinage sur le lac ne doit pas dépasser la ligne bleue qui a été tracée. Aller plus loin, c’est prendre le risque de perturber l’hibernation du Calamar géant et personne n’a envie de voir ça. Donc merci de faire vos pirouettes à moins de dix mètres de la rive ! Monsieur Silverster souhaite également vous rappeler qu’il est interdit d’enchanter des bonhommes de neige afin qu’ils poursuivent les premières années dans les  couloirs. Cela met de l’eau partout.

Des rires retentirent dans le stade. C’était la dernière blague à la mode. Les élèves les plus âgés s’amusaient à réaliser des bonhommes de neige assez effrayants à l’extérieur, puis les enchantaient pour qu’ils attaquent les plus petits. Il était devenu fréquent de voir passer en hurlant des premières années, qui tentaient désespérément de fuir l’étreinte glaciale d’un bonhomme-zombie maléfique.

- Mais maintenant, passons aux choses sérieuses... Les Serpentard venaient de sortir du vestiaire pour rejoindre l’aire d’envol au milieu du terrain. Applaudissez bien fort Taylor MOOORE, Hugh REYYYNOOOLDS, Gabriel FOOOORBES, Donovan CAMPBEEEEELL, Blair WILLIAAAMS...

Il enchaîna les sept membres de l’équipe sous les applaudissements nourris de leur maison. À l’autre bout du terrain, les Gryffondor, équipés de leurs robes rouges, étaient sortis également.

- Et évidemment, les meilleurs pour la fin !
- Farès.
- Pardon professeur. Un tonnerre d’applaudissement pour Jarod HOLLOWAAAAY, Ezechiel ZIEGLEEEER, Clara GILLIGHAAAM, Angelina DAVIIIIES, Scott BRAAADLEY, Andrew DUBOIIIS et Colette ANDERSOOOON !

Les deux capitaines s’avancèrent pour se serrer la main sous le regard du professeur Forbes. Ils enfourchèrent ensuite leurs balais, en même temps que leurs équipes respectives. Quelques secondes de tension s’écoulèrent, jusqu’au moment où...

- Le coup d’envoi est donné !

Souaffle:

Il faisait froid dehors, vraiment froid. Un froid humide, désagréable. Une petite bruine collait à la peau, aux cheveux et faisait claquer des dents les Serpentard les plus courageux : les membres du club des supporters. Ils s’étaient levés tôt ce matin, presque aussi tôt que les joueurs. Ils les avaient vu prendre le petit-déjeuner dans la Grande Salle. Susan avait aperçu son frère à la table de Gryffondor, assis avec son équipe. Il avait l’air taciturne des matins de match, semblant manger son scone sans vraiment y prêter attention. Elle lui avait fait plusieurs signes de la main pour qu’il la voit, sans succès. Elle aurait pu aller le voir mais elle n’avait pas trop osé s’approcher de la table toute de vert vêtue. Les autres Gryffondor commençaient à arriver, enthousiasmés et excités à l’approche du match : il valait mieux ne pas traîner.

De toute façon, ils avaient plein de choses à faire avec les membres du club. Il fallait qu’ils installent leurs bannières, leurs décorations, leur sonorisation ; en effet, l’année dernière, ils s’étaient accordés sur le fait qu’il pourrait être bien de diffuser des sons, ou bien des musiques pour accompagner leurs chants. Ils avaient donc mis en place une cagnotte participative au sein de la Salle Commune afin de pouvoir acheter une enceinte assez puissante de chez Vargas. La quasi-intégralité de la maison avait participé alors ils avaient pu investir dans une bonne machine (et avaient en plus racheté plein de fournitures pour leurs créations.) C’était le dernier projet de Sasha Benson en tant que présidente du CSS…

Elle avait démissionné en début d’année, en disant que son alternance au sein de Skye lui prenait trop de temps. Tout le monde savait en réalité que c’était dû au scandale de la vidéo volée… Susan trouvait toute l’histoire dégoûtante. Vraiment dégoûtante. En même temps, un peu fascinante… mais dégoûtante. Elle avait vu la vidéo, un peu de loin, sur le Pear d’un troisième année (elle n’en n’avait pas elle-même, ses parents ne voulaient pas, ils étaient nuls) et cela lui avait fait tout bizarre. Pourtant, elle avait bien conscience que ce n’était pas bien qu’un garçon ait filmé Sasha pendant ça et l’ait envoyé à toute l’école… Le pire étant quand le nom de son frère avait commencé à circuler. Associer Andrew et… ça, c’était complètement horriblement incroyablement dégoûtant. De toute façon, ce n’était même pas lui, il n’était pas méchant !

Heureusement, on parlait moins de cette histoire. Les gens étaient un peu passés à autre chose avec les cours et les devoirs. Les examens d’avant les vacances de Noël arrivaient à grands pas et c’était déjà très stressant ! Elle avait plein plein plein de contrôles à venir, à croire que les professeurs pensaient qu’ils n’avaient que ça à faire ! Le match d’aujourd’hui était donc une bonne façon de penser à autre chose, en plus de montrer le talent du CSS.

Ils étaient donc descendus vers le stade, l’herbe encore un peu gelée craquant sous leurs pas. Le parc était encore blanchi par les flocons qui étaient tombés la nuit dernière. Ils s’étaient rapidement répartis les tribunes et avaient monté les volées de marches, faisant léviter devant eux tout leur matériel. Ils avaient attaché les bannières avec leurs doigts engourdis alors que les autres élèves commençaient à arriver, remplissant les gradins au fur et à mesure. Le volume sonore grandissait en même temps que l’excitation de Susan, qui avait hâte que le match démarre. Leur équipe connaissait des débuts difficiles mais elle était certaine qu’ils pouvaient redresser la barre. Ce n’était jamais facile un changement de capitaine : Sandra était expérimentée et Taylor cherchait encore un peu ses marques. Mais ils avaient tellement de potentiel ! Elle le voyait, elle le savait et elle était fière de soutenir l’équipe de sa maison. Car non, elle ne soutenait pas Gryffondor. On lui posait régulièrement la question, les sourcils un peu froncés. « Bah. T’es pas pour Gryffondor, toi ? » Tout ça parce que son frère en était le capitaine ! C’était ridicule. C’était évident qu’elle soutenait sa propre équipe, surtout qu’elle était fière d’être une Serpentard : la maison des gens ambitieux, déterminés, avec des objectifs de vie ! Bien sûr, elle était contente pour son frère quand il gagnait des choses, mais elle était contente pour lui seulement. Ce n’était pas aujourd’hui qu’on allait la voir applaudir Ezechiel Ziegler ou quelqu’un d’autre !

Alors quand les joueurs de Serpentard pénétrèrent sur le terrain, elle fut la première à applaudir bruyamment, claquant avec vigueur ses mains gantées. Suspendue devant elle, une bannière vert émeraude claquait au vent. Les cinquièmes années avaient trouvé un moyen d’ensorceler les couleuvres qui étaient présentes dessus afin qu’elles viennent former régulièrement des lettres, écrivant donc avec leur corps les patronymes des membres de l’équipe. Elle n’avait pas participé à ce projet, c’était une magie trop avancée pour elle, mais elle en était particulièrement fière. Elle poussa un cri d’encouragement lorsque le nom de Blair Williams fut prononcé par Farès Khouri : elle l’aimait bien, même si elle ne lui avait jamais parlé : c’était une batteuse trop douée et en plus, c’était une fille, et il n’y avait pas assez de filles dans le Quidditch, encore moins chez les batteuses (c’était son père qui l’avait dit donc c’était vrai.)

Le coup d’envoi fut donné et les poursuiveurs se précipitèrent pour être les premiers à mettre la main sur le souaffle. Ce fut Clara Gilligham, de Gryffondor qui fut la plus rapide. Elle plongea en chandelle pour s’extraire de la mêlée, remontant rapidement vers les buts de Serpentard. Susan fit un pas en avant, posant ses mains sur la rambarde en métal. Leurs joueurs se lancèrent immédiatement à sa poursuite, un premier Cognard fut frappé en direction de Clara, qui l’évita habilement.

-  Gilligham, avait lancé la voix magiquement amplifiée de Farès Khouri, Ziegler, Gilligham… Davies… Elle fait la passe à Ziegler… GRYFFONDOR MARQUE !

La cloche retentit dans le stade, marquant l’ouverture du score et les acclamations des Gryffondor. Un son de rugissement retentit alors, sorti tout droit de leur bannière animée.

-  Oh non ! s’exclama son ami Virginia à ses côtés.
-   Non mais ce n’est rien, répliqua Suzie en agitant sa main, ça ne veut rien dire ça !
-  Gryffondor fait très fort en ouvrant le score à la deuxième minute de la rencontre ! Le souaffle est repris par Gabriel Forbes qui passe à Reynolds… Il est touché par un cognard de Dubois, le souaffle est récupéré par… Non, Cognard de Williams, Davies le perd ! Forbes à la manœuvre, Reynolds, qui tente une échappée vers les buts, suivi de près par Gryffondor…
- Allez Reynolds ! s’exclama Susan, tandis que le premier chant de supporters commençait à retenir dans les tribunes.

Lancer de dé »:

Rachel Clarke, 17 ans, sixième année, Serdaigle.

« Rachel, ne bouge pas ! lui intima Louise, armée d’un pinceau qu’elle dirigeait précautionneusement vers ses joues.
-Mais je ne bouge pas ! » répliqua-t-elle, les yeux fermés.

Rachel sentit les poils du pinceau tracer plusieurs formes sur son visage et elle dut se contraindre à ne pas rire – ce qui aurait inévitablement ruiné le travail méticuleux de sa meilleure amie. $

« Et voilà ! Une vraie petite Gryffondor ! » Louise se recula d’un pas pour observer son œuvre, l’air très satisfaite d’elle-même. « C’est par-fait. »

Faisant volte-face pour capter son reflet dans le miroir de la salle de bain, Rachel eut un sourire ravi. Ses joues étaient désormais ornées de plusieurs empreintes de pattes de lion dorées, ce qui venait s’accorder parfaitement avec son maquillage bordeaux, spécialement pensé pour l’occasion. Aujourd’hui, les Gryffondor affrontaient les Serpentard et il n’y avait aucun doute sur l’équipe à qui elle apportait son soutien. Elle avait revêtu le blazer rouge et or qu’Andrew lui avait offert l’année dernière et ressemblait, en effet, à une vraie Gryffondor, prête à encourager sa maison depuis les gradins du stade.

Pour sa défense, Rachel se considérait à moitié comme une Gryffondor. Ses deux meilleures amies – Louise et Imogen – étaient à Gryffondor alors elle avait toujours passé beaucoup de temps avec elles. Un jour, elle était allée dormir dans leur dortoir. Désormais, il n’était pas rare de la voir dans la salle commune des rouge et or – malgré les remontrances régulières du professeur Londubat qui, néanmoins, avait cessé de lui retirer des points ou de la mettre en retenue. Evidemment, les Serdaigle ne voyaient pas d’un bon œil cette immense trahison – et encore moins lors des matchs Serdaigle/Gryffondor, où Rachel abordait fièrement les mêmes peintures dorées. Mais quiconque lui faisait le reproche n’avait de toute évidence pas eu à subir le lavage de cerveau en règle de la part d’Andrew Dubois depuis six ans maintenant. Elle n’était qu’une victime dans l’histoire.

« Les filles, vous êtes prêtes ? s’exclama Imogen en rentrant dans la salle de bain, le visage peinturluré et les bras chargés par une affiche. Ah ! Nickel, on va pouvoir descendre. »

Les trois filles dévalèrent les escaliers menant jusqu’à la salle commune qui, bien évidemment, était en effervescence avant le match. Tous les élèves se préparaient activement à encourager l’équipe et certains profitaient de ces derniers instants pour préparer de nouvelles affiches. Dans un coin de la pièce, David était justement penché sur une large feuille cartonnée sur laquelle il pointait sa baguette avec un air concentré.

Quelques minutes plus tard, Imogen, Louise, Rachel et David se dirigeaient vers le parc à grandes enjambées, parlant avec animation de leurs pronostics pour le match à venir. Gowan les suivait, un peu derrière, avec un air morose qu’on ne lui connaissait pas et qu’il refusait d’expliquer. Ils finirent par s’installer dans les gradins, où la foule commençait à affluer.

« Vous savez où il est, Baen ? demanda Imogen en se mettant sur la pointe des pieds pour essayer de l’apercevoir depuis sa place.
-Il va sûrement arriver en retard, comme d’hab’, soupira Rachel. Je lui envoie un message pour lui dire de se bouger. »

Elle rédigea un charmant message à l’attention de son ami, qui ne tarda pas à l’appeler sur son Pear. Avec le bruit, ils peinaient à s’entendre.

« Quoi ? Non, je te dis qu’on est dans la tribune B ! B comme Bébé ! Rachel fronça les sourcils. Non, B ! Oui. Dans la troisième rangée, on vous a gardé des places. Oui, Claire arrive aussi, elle vient avec Henry. Elle ricana. T’es con, Baen. Allez bouge-toi ! »

Il fallut encore plusieurs minutes pour qu’une partie de la petite bande se retrouve dans les gradins. Le match fut lancé à l’instant même où Baen se laissa tomber à côté de Rachel, visiblement essoufflé.

« C’était sûr que t’allais arriver en retard, commenta-t-elle avec un regard en coin vers lui.
-T’abuses, ils viennent à peine de lancer le vif d’or. » maugréa-t-il en observant les joueurs qui s’élançaient à toute vitesse.

L’ambiance était électrice, dans le stade. Le match Gryffondor/Serpentard était toujours l’un des plus attendus de la saison – tradition oblige – et encore plus cette année : les deux équipes avaient mal démarré l’année, ce qui rendait ce match d’autant plus important pour la suite. Il fallait absolument que Gryffondor gagne avec plusieurs points d’avance pour remonter dans le classement – Rachel avait passé une après-midi avec Andrew la semaine dernière, ce qui lui avait clairement laissé tout le loisir d’assimiler tous les enjeux de cette rencontre. Une rencontre qui, d’ailleurs, commençait bien : Gryffondor venait d’ouvrir le score. La tribune explosa en exclamations, en chants et en applaudissements.

« Alleeeeez, comment on va éclater les Serpentard, chantonna Rachel en aidant Louise à agiter sa pancarte.
-Toi t’as vraiment aucune race de supporter une autre équipe que ta maison, commenta Baen – qui, néanmoins, applaudissait chaudement.
-Elle supporte sa maison de cœur, laisse-la tranquille. » argua Louise en sautillant.

Les actions s’enchaînaient très rapidement – les deux équipes étaient visiblement décidés à ne laisser aucun répit à l’autre. Jarod fit un arrêt magnifique ce qui sembla motiver d’autant plus les joueurs. En quelques minutes, Gryffondor avait marqué deux buts supplémentaires.

« Dubois, Dubois, Dubois
Avec une batte il devient roi
Vous pouvez bien voler, un coup suffit à vous faire tomber ! » entonnait la tribune suite au Cognard d’Andrew qui avait permis le dernier but.

L’atmosphère électrique qui agitait la salle commune de Gryffondor n’avait pas de prise sur Gowan. Installé sur l’un des rebords de fenêtre, son pied battait nerveusement la mesure. Il ne cessait de penser à la discussion qui s’était déroulée entre Andrew et lui la veille. Tout avait explosé si vite, alors qu’il ne s’y attendait pas, qu’il pensait encore maîtriser la situation... Tout ça à cause de Clayton ! Cet idiot était incapable de tenir sa langue et les menaces de Sasha avaient eu raison du peu de sang-froid qu’il pouvait posséder. Le Serpentard semblait vouloir pratiquer la technique de la terre brûlée : s’il tombait, il emmenait tout le monde avec lui. Gowan aurait voulu faire tout le contraire : Clayton et lui étaient déjà fichus, cela ne servait à rien d’attirer encore plus de personnes dans ce bazar... À quoi bon incriminer toutes les personnes qui avaient pu diffuser la vidéo ? Cela ne réparerait rien, les dégâts étaient déjà faits.

Mais Clayton était désespéré et tentait de se rattraper à toutes les branches. En le confrontant à Andrew hier soir, il avait espéré que le nom de la personne qui avait diffusé la vidéo dans le train sortirait... Gowan avait failli tout avouer. Face au regard trahi de son meilleur ami, il avait failli tout lui dire. Tout déballer, comme ça, au milieu du couloir, avouer comment il avait récupéré la vidéo auprès de Clayton à la toute fin de l’été, comment il l’avait envoyée à la mauvaise personne, tout en sachant au fond de lui que c’était mal ce qu’il faisait... mais sans pouvoir s’en empêcher. Une part de lui voulait tout dire à Andrew, car cette culpabilité était difficile à porter. Sauf qu’il savait qu’il ne le pardonnerait pas. Ça serait la fin de leur amitié, Gowan en était persuadé.

Ou du moins, il l’était jusqu’à hier soir. Car face à la réaction de son meilleur ami, il ne pouvait pas s’empêcher de se demander si ce n’était pas son silence qui avait mis fin à leur relation. Andrew avait eu l’air tellement blessé, de savoir qu’il avait les clés de tout cela depuis le début... Gowan avait essayé de lui parler de nouveau quand il était remonté au dortoir mais il ne s’était heurté qu’au silence, derrière les rideaux tirés de son baldaquin. Mal à l’aise face aux regards curieux d’Henry et David, il n’avait pas insisté. Il irait lui parler après le match, avait-il décidé. Si Gryffondor gagnait, Andrew serait d’excellente humeur, cela faciliterait les choses...

Il n’avait pas bien dormi cette nuit, il se retournait sans cesse, ce qui avait rendu David dingue. Son ami s’était levé, vers deux heures du matin, pour lui asséner un magistral coup de coussin, l’intimant à l’immobilité. Gowan avait passé le reste de la nuit à fixer le plafond de sa tête de lit, passant en revue de multiples scénarios. Il avait entendu le réveil d’Andrew sonner, ce dernier se lever pour se diriger vers la salle de bains, et il avait dû prendre sur lui pour ne pas provoquer de discussion à ce moment-là. Après le match, s’était-il raisonné.

Même lorsque ses amis l’avaient rejoints, peinturlurés aux couleurs de Gryffondor, enthousiastes, joyeux, il n’avait pas pu les imiter. Il restait quelques pas derrière le groupe, presque agacé par tant de légèreté alors qu’il avait l’impression de s’enfoncer dans ses mensonges. Alors qu’ils s’apprêtaient à entrer dans le stade, David s’arrêta pour laisser passer quelques Serdaigles. Surpris, comme si elle s’était matérialisée par la seule force de son esprit, Gowan croisa le regard d’Abigail. Ils se contemplèrent quelques secondes avant qu’elle ne lui adresse un léger sourire et un petit signe de la main, par lequel il répondit par une sorte de spasme du bras. Perturbé, il mit quelques secondes avant de reprendre sa route, suivant machinalement la pancarte peinturlurée que Imogen tenait à bout de bras.

Lui qui était d’habitude extrêmement impliqué dans les matches (ceux que jouaient sa maison et les autres) peinait à suivre le commentaire de Farès.

- Gryffondor mène trente à zéro pour le moment ! Pour autant, les Serpentard ne lâchent pas de terrain ! Quel début de match ! Le souaffle est repris par Forbes, quelle remontée du terrain ! Williams dévie un cognard... Forbes approche de la surface de buts, Gilligham et Davies sont trop loin pour faire quoi que ce soit ! Bradley plonge pour frapper...

Ils ne pouvaient pas perdre ce match. C’était ce qu’Andrew se répétait en boucle depuis le début de la journée, de la semaine, du mois. Gryffondor / Serpentard, un classique toujours apprécié mais surtout décisif en cette fin de trimestre. Les deux équipes avaient mal commencé la saison, dominées respectivement par Serdaigle et Poufsouffle. Remporter ce match, avec une avance assez importante, leur permettrait de limiter les dégâts et de se remettre dans la course pour la Coupe des Quatre Maisons. Ils devaient impérativement gagner et ne pas céder un pouce de terrain à leurs adversaires. Andrew avait entraîné ses coéquipiers dans cette optique depuis des semaines, après avoir observé avec attention le premier match que leurs compétiteurs avaient joué contre Poufsouffle. Taylor Moore était un nouveau capitaine, avec ses propres techniques, qui différaient de celles que pouvait employer Sandra, sa prédécesseure. 

Aujourd'hui, son esprit aurait dû être complètement dans le match. Pleinement concentré, uniquement tourné vers la partie qu'ils allaient jouer, comme il l'était la majorité du temps. Sauf que ce matin, la conversation qu'il avait eue avec Gowan et Clayton tournait en boucle dans sa tête. Il n'arrivait pas à s'en défaire, à oublier pour un instant ce qui s'était passé. Ainsi, Gowan avait les clés de la sordide histoire qui secouait l'école depuis le début de l'année. Il savait parfaitement qui avait répandu la vidéo de Sasha dans le train, il savait qui était le coupable de toute cette histoire, qui devait être puni et il ne le disait pas. Il choisissait de garder le silence, pour des raisons obscures à Andrew. Son meilleur ami, celui qui était censé être son meilleur ami du moins, lui mentait depuis des mois, lui dissimulait des choses. Il l'avait vu s'enfoncer dans cette histoire, ils en avaient parlé longuement et tout ce temps-là, il lui mentait. 

Ces pensées l'avait tourmenté toute la nuit, il avait à peine trouvé le sommeil. Il venait juste de s'endormir quand son réveil avait sonné. Il s'était levé comme un inféri, en se serinant qu'il ne devait pas y penser, pas maintenant. En descendant à la Grande Salle, accompagné de son équipe, il avait essayé de leur répéter des mots d'encouragement, comme il le faisait toujours, mais sa voix lui semblait presque extérieure. Une partie de son cerveau n'arrivait pas à laisser derrière lui cette dispute avec Gowan et ses implications. Il avait fixé longtemps son bol de céréales, jusqu'à ce qu'elles soient détrempées de lait. C'était la voix de Coco, leur annonçant qu'il était temps d'y aller, qui l'avait sorti de ses pensées. Il avait attrapé un toast pour ne pas partir le ventre trop vide et ils étaient descendus vers le terrain.

Alors qu'il enfilait son équipement dans des gestes familiers, Andrew avait eu l'impression de reprendre le contrôle. Face à son équipe, dans le vestiaire, alors qu'il leur faisait ses dernières recommandations et prodiguait ses encouragements, il s'était senti revenir dans un rôle qu'il maîtrisait sur le bout des doigts. Il se sentait toujours mieux quand il volait. Ils allaient gagner ce match, c'était ce qui était important. Le reste attendrait.

Et ils avaient fait un excellent début. Ezechiel avait marqué le premier but et toute la tribune de Gryffondor s'était levée dans des acclamations de joie alors que le septième année faisait un tour de parade. Alors que les Serpentard repartaient à l'attaque, Jarod avait tenu la charge et fait un magnifique arrêt, à quoi Andrew avait répondu d'un rapide signe de la main. La dernière fois, contre Serdaigle, il avait perdu ses moyens après avoir encaissé trois buts d'affilée. C'était un bon gardien mais il manquait de confiance en lui, ce qui pouvait lui causer des tours. Il avait tendance à ruminer ses erreurs au lieu de passer à autre chose et de se reconcentrer. Ils avaient beaucoup travaillé là-dessus et Andrew espérait que cela porterait ses fruits. Le souaffle s'était retrouvé entre les mains d'Angelina après un bel échange avec Clara. Le gardien des Serpentard s'était bien positionné - elle allait tirer sur l'anneau droit, c'était assez évident et l'oeil aiguisé de leur adversaire ne l'avait pas manqué - mais Andrew lui avait envoyé un cognard. Il l'avait reçu sur le flanc et, s'il n'avait pas basculé de son balai, n'avait pas pu empêcher la cloche de retentir. Gryffondor prenait l'ascendant et Andrew espérait que cela allait porter un coup suffisant aux Serpentard pour perturber leurs stratégies.

Ils avaient atteint trente à zéro lorsque le cognard de Blair Williams avait frappé Angelina avec précision. Cette dernière l'avait reçu en plein plexus et sembla en avoir le souffle coupé, se penchant immédiatement en avant sur son balai, perdant un peu en altitude. Elle était à une cinquantaine de mètres d'Andrew et il voyait bien qu'elle avait le teint très pâle. Hésitant une seconde, le temps de voir si elle allait se redresser, il finit par lever la main pour demander un arrêt de jeu. Le professeur Forbes, qui arbitrait le match, porta son sifflet à ses lèvres pour suspendre la partie. Angelina n'était qu'en troisième année, elle était encore un peu menue et avait encore du mal à encaisser les chocs. Elle portaot pourtant son gilet de protection mais la frappe de Blair avait été efficace.

Il s'apprêtait à se diriger vers sa joueuse quand il entendit le sifflement. Il ne le vit même pas arriver, n'eut même pas le temps de faire le moindre mouvement avec sa batte. Une douleur terrible qui lui vrilla le crâne, un flash crayeux qui passa devant ses yeux. Le néant.

- Celui a dû faire mal ! s'exclama Farès dans le micro alors que Angelina Davies de Gryffondor se pliait en deux sur son balai.

Elle venait de recevoir un cognard de Blair Williams, en plein dans le thorax, et la jeune joueuse semblait en avoir eu le souffle coupé. Les risques du métier ! comme aimait-il à le dire régulièrement. Le match était intense, les équipes ne voulaient pas céder d'un pouce l'une face à l'autre. Gryffondor menait la danse avec trente points à zéro mais Serpentard ne se laissait pas dominer si facilement, multipliant les tentatives de buts. Jarod Halloway tenait pour l'instant le cap mais jusqu'à quand ? Tout le monde avait pu le voir perdre ses moyens lors du dernier match contre Serdaigle, ce qui avait conduit Gryffondor à une violente défaite. 

Apercevant Andrew Dubois-Cavill lever le bras pour faire signe au Professeur Forbes, Farès guetta le son familier du sifflet, qui ne tarda pas à retentir.

- Temps mort demandé par Gryffondor ! annonça-t-il.

Le match était suspendu. Le souaffle était en possession de Hugh Reynolds, qui le cala sous son bras, et les tribunes se mirent à bruisser de centaines des petites conversations qui reprenaient. Le professeur Witherington gardait un regard un peu inquiet sur Angelina Davies, constata Farès. L'enseignante grimaçait toujours à chaque choc un peu violent. Plein de bonne volonté, il s'apprêtait à lui suggérer que son gilet de protection avait sûrement amorti le choc lorsque plusieurs cris retentirent dans les gradins. Il reporta les yeux sur le terrain immédiatement, juste à temps pour voir que Andrew Dubois avait basculé de son balai et était désormais en chute libre vers le sol, point rougeoyant qui traversait l'air à toute vitesse.

Un premier sortilège, qui semblait venir de la tribune des professeurs derrière eux, traversa le terrain en direction de Dubois. Les étincelles pourpres l'effleurèrent sans le toucher, alors qu'il continuait d'être balloté par le vent, inexorablement appelé par le sol. Le professeur Witherington bondit de sa chaise et dégaina sa propre baguette magique, deux éclairs argentés filant immédiatement dans le vent. L'un le manqua de quelques mètres, le second frappa la pelouse.

Une seconde trop tard.

Le corps désarticulé d'Andrew s'écrasa sur le sol dans un bruit sourd, qui sembla résonner dans le stade.

Instinctivement, avant même de réaliser complètement ce qui venait d'arriver, Farès comprit que le choc avait été terrible. Incapable de détacher ses yeux de son camarade parfaitement immobile en contrebas, il sentit plus qu'il ne vit son enseignante bondir vers les escaliers de bois pour les dévaler. Les secondes s'étaient figées dans un silence sinistre. Les joueurs semblaient pétrifiés dans les airs, leurs souffles et leurs balais suspendus. Derrière lui, les enseignants s'agitaient. Le professeur Londubat s'était lancé à la suite de Witherington dans les escaliers, tandis que le professeur Corrigan lançait qu'elle appelait Sainte-Mangouste, et que quelqu'un aille chercher Rachelle Silverster. A la vue de leurs enseignants qui pénétraient sur le terrain en courant, une vague d'effroi parcourut les tribunes. Des exclamations bruyantes s'élevèrent de tous les côtés alors que le professeur Londubat atteignait Andrew dans de grandes enjambées. Les joueurs de Gryffondor qui étaient restés dans les airs plongèrent immédiatement vers le sol, mais furent écartés de leur capitaine par le professeur Witherington. S'il ne pouvait entendre ce qui se disait, Farès ne pouvait que lire l'épouvante sur les visages de leurs enseignants.

Londubat s'était penché sur Andrew et, brusquement, commença un massage cardiaque. De nouveaux cris déchirèrent le stade, une sensation de panique sembla s'emparer des gradins. Le professeur Smith, qui enseignait l'arithmancie, l'attrapa par l'épaule pour le faire se décaler, saisissant le micro dans lequel, seulement quelques minutes auparavant, Farès annonçait joyeusement le score.

- Mesdames et messieurs les préfets, nous allons faire évacuer le stade. Je vous remercie de guider vos camarades dans le calme afin que chacun rejoigne sa Salle Commune.

Mais l'annonce de l'enseignant n'eut que peu d'effet. Tous les yeux étaient fixés sur le bas du terrain, sur le professeur Londubat, sur Andrew, sur chaque impulsion où son torse était un peu plus écrasé. Une tension anxieuse semblait immobiliser les gradins, les mains gantées étaient crispées sur les balustrades, les visages blêmes. Les pancartes et bannières colorées étaient battues par le vent froid, leur claquement résonnait dans une quiétude morbide.

- Noooon !

Le cri de frustration de Susan ne fut pas le seul à retentir dans les tribunes de Serpentard. Gabriel Forbes avait fait une belle percée vers les anneaux de Gryffondor, mais le souafle était venu s'écraser dans les gants de Halloway. Une moue boudeuse sur le visage, elle ne put s'empêcher d'apostropher l'équipe adverse.

- Bouuuuh !

Le score était pour l'instant à l'avantage de Gryffondor et ce n'était pas faute d'essais de la part de sa maison. Ils avaient tout pour réussir ! Il fallait juste qu'ils parviennent à marquer une première fois pour reprendre un peu d'ascendant psychologique (et physique). Le taux de possession du souaffle par leurs opposants était trop important, il fallait déjà commencer par là. Lorsque Blair décrocha un violent cognard contre Davies, l'une des poursuiveuses, Susan y vit l'occasion pour Serpentard de reprendre la main. La balle était dans les mains d'Hugh, ils étaient encore proches des anneaux, la distraction était trop belle et... Andrew leva le bras pour demander un arrêt de jeu.

- Antijeu ! cria-t-elle en mettant ses mains en porte-voix, s'attirant quelques regards surpris. Rougissant légèrement, elle redressa néanmoins les épaules. Quoi ? se défendit-elle. C'est vrai.
- T'es dure, commenta Virginia à ses côtés, frottant ses mains contre ses bras pour se réchauffer.
- Ca vaaa, elle n'a rien, regarde-la ! répliqua Suzie en la désignant d'un geste la jeune Angelina, pliée en deux sur son balai. C'est du cinéma.

Du cinéma qui arrangeait bien Andrew, évidemment, puisque ce coup de sifflet avait stoppé leur élan. Secouant la tête, elle reporta son attention sur son frère, qui observait sa joueuse en contrebas. Elle vit la légère inclination qu'il donna à son balai pour la rejoindre et surtout, elle vit le cognard qui filait vers lui à toute vitesse. Elle songea, l'espace d'un très bref instant, que c'était étrange, que les cognards se suspendaient lors d'un temps-mort. Un très bref instant. Juste avant qu'elle ne voit Andrew s'effondrer alors que la balle venait de le frapper à l'arrière du crâne.

Elle crut s'entendre pousser un glapissement de surprise, alors que ses petites mains gantées se resserraient autour de la balustrade gelée. Elle le vit tomber. A la fois très vite et en même temps, très longtemps. Elle le vit tomber, ses yeux rivés sur cette forme rouge, aux contours presque flous à cette distance. Elle ne vit même pas les éclats des sortilèges, elle ne vit même pas les tentatives. Elle le vit tomber et elle le vit s'écraser sur le sol. Son souffle resta bloqué dans sa gorge mais quelqu'un dans la tribune sembla crier pour elle.

Andrew était immobile sur le sol. Elle sentit les mains de Virginia se refermer autour de son bras, la serrant soudain très fort.

- Non mais... bégaya Susan. C’est pas grave. Il est juste tombé.

Et cela arrivait de tomber au Quidditch, c’était un jeu dangereux. C’est pour ça qu’on avait inventé les gilets de protection et son frère en portait toujours un. Elle le savait parce que leur père insistait toujours dessus, il leur interdisait de monter sur leur balai sans s’équiper. Et comme Andrew jouait vraiment, il en avait même un avec un enchantement d’amortissement, qui se déclenchait dès qu’on tombait. Alors ce n’était pas grave. Il était tombé mais le gilet avait pris le choc. Il était sûrement un peu sonné. Le cognard avait frappé sa tête, se souvint-elle. Il était sonné. Peut-être un peu plus. Peut-être qu’il était assommé, peut-être, mais son directeur de maison était déjà auprès de lui. Un enervatum et ça irait mieux...

Susan ne comprit pas tout de suite ce qui se passait lorsque le professeur Londubat se pencha au dessus d’Andrew. Lorsqu’elle le vit dépecer son gilet de protection d’un coup de baguette magique et placer ses mains au dessus de son torse, elle eut l’impression que son coeur à elle venait de s’arrêter. Sa tête tournait, ses oreilles fourmillaient, ses pieds semblaient s'enfoncer dans le sol des gradins. Elle ne comprit pas ce qui était dit au micro, les sons qui grésillèrent dans le stade ne firent pas sens dans son esprit. Si personne ne bougea vraiment dans les tribunes, une grande main se referma sur son épaule et la secoua légèrement.

- Hé, petite. La voix était douce. C’était celle du préfet de sixième année, Simon Higgins. Viens, viens on te ramène.

Susan tourna le regard vers lui avant de secouer la tête. Les yeux de Simon allait du terrain à son visage pâle.

- Si, viens, tu ne peux pas rester là, d’accord ? Tu as entendu le professeur Smith ?

Elle secoua de nouveau la tête.

- Non ! s’exclama-t-elle, laisse-moi tranquille !

Des sirènes retentirent plus loin dans le parc. Une septième année blonde, qui était deux rangées derrière, enjamba le banc pour les rejoindre.

- Tu vas rentrer ma grande, c’est mieux, d’accord ? lança-t-elle en posant ses deux mains ses épaules, la tournant dos au stade.
- Non, je... Susan sentit les larmes gagner ses yeux et elle trépigna, sa voix s’étouffant dans sa gorge.
- Si, ma puce, viens, répéta la septième année.

Elle n’avait pas lâché ses épaules et Simon Higgins leur ouvrit la voix, alors que les autres Serpentard se levaient pour les laisser passer, les laisser rejoindre les escaliers. Susan n’avait de cesse de se retourner vers la pelouse, qui lui était désormais dissimulée par les silhouettes debout de ses camarades de maison. Les sirènes étaient plus proches maintenant, c’est comme si elles étaient dans le stade. Le micro grésilla de nouveau.

- Je les répète, nous vous demandons de quitter le stade dans le calme, on va... Il s’interrompit quelques secondes alors qu’une légère clameur retentissait, comme en réaction à ce qui se passait sur le terrain. Susan tenta de se retourner brusquement mais Higgins avait passé un bras ferme autour de ses épaules. Ses yeux embuées croisèrent les regards désolés de certains camarades plus âgés.  Le professeur Smith reprit d’une voix plus forte. On va commencer par les tribunes de Serdaigle, s’il vous plaît, mesdames et messieurs les préfets, guidez vos camarades vers la sortie dans le calme.

Cette fois-ci, il sembla y avoir du mouvement alors que Susan atteignait les escaliers, toujours guidée par Higgins et la septième année. Brusquement, ses larmes redoublèrent, brouillant intégralement sa vue. Elle aurait trébuché si Simon ne l’avait pas retenue par la capuche de sa robe, l’empêchant de se tordre la cheville.

- Viens, souffla-t-il. On va rentrer à la Salle Commune, les médicomages vont travailler et tu auras des nouvelles après, d’accord.
- Il y a des médicomages ? balbutia-t-elle.
- Oui, il y a une ambulance qui vient d’arriver. Mais ça va aller comme ça, ils vont s’en occuper et ça ira mieux.

La septième année, qui avait des serpents pailletés dessinés sur les joues, lui adressa un sourire.

- Gryffondor avait juste besoin d’une excuse pour reporter le match, ils avaient trop peur qu’on les batte. Mais ça va aller...

La présence d’Ahren dans les tribunes n’avait rien de très enthousiaste, il regrettait encore de ne pas être resté dans sa salle commune. Mais il n’aurait pas été très intelligent de sa part d’agir ainsi, il devait jauger la force et les faiblesses des autres équipes. Et son attention était particulièrement tournée vers l’équipe de Dubois que tout le monde annonçait favorite. Il espérait sincèrement qu’elle se prendrait une raclée mémorable contre Serpentard, les grands outsiders de cette année. La tendance n’était pourtant pas à cette perspective, Gryffondor dominait et le préfet de Serdaigle se renfrognait de plus en plus à mesure que le temps passait. Un puissant soupir accueillit le but des rouges et or, se redressant un peu sur son siège quand leurs adversaires semblèrent reprendre l’avantage. Il encouragea mentalement Blair pour que l’un de ses cognards fasse basculer le match et leva les yeux au ciel quand Dubois demanda un temps pour sa joueuse touchée. Mais quel fragile celui-là, c’était pas possible. Elle avait ses protections, elle allait parfaitement s’en remettre. Tout ça pour gagner du temps et permettre à ses joueurs de se replacer avantageusement. Sale tricheur. Il pinça légèrement les lèvres et le fusilla du regard à distance avant d’écarquiller les yeux de surprise en voyant le cognard le percuter en pleine tête.

Ahren retint un léger rire, il n’en aurait pas espéré autant mais il ne put retenir un sourire en le voyant tomber de son balais. Il secoua légèrement la tête et leva les yeux au ciel alors qu’il s’écrasait comme une poupée de chiffon sur le terrain. Tout le monde était à présent rassemblé autour de lui, les professeurs s’étaient tous mobilisés et ils commençaient à faire évacuer les gradins alors que Dubois semblait inconscient au sol. Il fallait toujours qu’il se rende intéressant celui-là, il se demandait bien ce que Kathrina lui trouvait, il se posait la question à chaque fois et il ne trouvait jamais la réponse. Il était certain que tout ceci n’était encore qu’une mise en scène pour le mettre en avant, le faire passer pour le grand garçon courageux et héroïque qu’il n’était clairement pas. Tout ceci était ridicule, parfaitement ridicule. On n’allait pas lui faire croire qu’il était vraiment blessé avec toutes les protections magiques dont ils étaient pourvus pendant les matchs. Il ne faisait aucun doute qu’il jouait la comédie pour se donner le beau rôle et se faire plaindre encore une fois. Pauvre petit chéri blessé. Il renifla dédaigneusement et se leva pour rejoindre son dortoir. Encore du temps perdu, il aurait vraiment mieux fait de rester au château aujourd’hui, cela lui aurait été bien plus utile.

Rachel Clarke, 17 ans, sixième année, Serdaigle.

La tribune des Gryffondor était toujours bruyante, les jours de match. Elle l'était encore plus quand leur équipe était sur le terrain et encore davantage lorsqu'elle dominait le jeu. Rachel, Louise et Imogen brandissaient une pancarte en sautillant et en acclamant les joueurs, emportées par cette atmosphère si particulière qui s'emparait toujours des spectateurs. Les joues recouvertes d'or, les paupières surmontées par un maquillage pourpre, Rachel se fondait dans la masse des Gryffondor - ce que les Serdaigle voyaient évidemment d'un très mauvais œil. Mais son affection pour Andrew dépassait son affection pour les joueurs de sa maison - elle était parfois loyale comme une Gryffondor (en moins bête, comme elle tenait cependant à le rappeler).

Alors les Gryffondor (et Rachel) criaient, scandaient, applaudissaient, chantaient, tapaient des mains et des pieds. La liesse retomba un peu lorsqu'Angelina reçut un Cognard au niveau de l'abdomen et qu'elle se plia en deux, le souffle visiblement coupé. Depuis les tribunes, des « Courage Angie ! » « Allez ! » retentirent, ainsi que d'autres encouragements, qui s'intensifièrent davantage quand Andrew demanda un arrêt de jeu. Rachel abaissa sa pancarte, les yeux rivés sur Angelina, qui essayait de desserrer son gilet de protection.

« Merlin merci je n'ai jamais eu envie de faire du Quidditch. » commenta-t-elle en grimaçant.

« Tu es beaucoup trop précieuse pour faire du Quidditch, Rach'. » la taquina Imogen, s'attirant les rires de Baen et Louise.

« Je ne vois aucun d'entre vous sur un balai non plus, à ce que je sache. » releva-t-elle.

« C'est très différent, » assura Baen. Devant l'air circonspect des autres, il poursuivit : « J'aurais pu passer les sélections mais vous savez, les croisés... »

Rachel secouant la tête en riant. Baen s'était fait une déchirure des ligaments croisés pendant l'été, lors d'un jeu collectif où il avait perdu l'équilibre. La médecine sorcière avait permis de le remettre d'aplomb rapidement mais il gardait une (légère) fragilité sur le genou gauche. Elle s'apprêtait à lui faire remarquer que son argumentaire était bien plus fragile que son genou, lorsqu'un bruit sourd lui fit lever les yeux.

Elle ne vit pas l'impact. Elle ne vit pas le moment où Andrew bascula de son balai. Mais elle assista, impuissante, à la fin de sa chute. Les yeux écarquillés par l'horreur, les muscles figés, elle ne put que s'agripper à la rambarde devant elle.

Puis Andrew s'écrasa sur le sol. Des cris retentirent dans tout le stade, mais aucun ne sembla s'élever autour d'elle. Baen avait perdu son air jovial et affichait une expression stupéfaite. Imogen avait reculé de quelques pas. Louise avait posé sa paume contre sa bouche. Gowan paraissait si blanc qu'on aurait dit un spectre. Lorsque le professeur Londubat se lança dans un massage cardiaque, Rachel émit un cri qui ressemblait davantage à un gémissement. Elle s'accrocha à la manche de Gowan, qui se tenait à se droite, sans parvenir à quitter des yeux le spectacle auquel elle aurait préféré ne jamais assister. Elle eut vaguement l’impression qu’on leur ordonnait de quitter les tribunes mais ne put se résoudre à esquisser le moindre mouvement. Elle se dégagea d’une main qu’on posa sur son épaule, puis d’une deuxième.

« Lâchez-moi, putain. » lâcha-t-elle d’une voix sourde.

Elle avait l’impression que plus rien ne l’atteignait, comme si elle évoluait dans une dimension parallèle où le temps s’était arrêté. Son cerveau avait cessé de fonctionner, ses pensées pourtant d’ordinaire foisonnantes s’étaient arrêtées sur une seule idée entêtante : elle devait rester là. Si elle partait, si elle détournait les yeux, alors elle abandonnait la seule lueur d’espoir qui, pour le moment, la maintenait debout.

Pourtant rien ne faisait sens. Ni le choc, ni la chute, ni le corps inerte d’Andrew sur le sol, ni le massage cardiaque qu’il était en train de recevoir. Rien ne faisait sens, rien ne s’associait pour raconter une histoire. Rachel était incapable de songer qu’Andrew était là, à quelques mètres d’elle, et que son cœur s’était arrêté. Elle était incapable de penser aux dégâts internes qui devaient résulter de sa chute. Elle était incapable de penser à la mort qui s’approchait de son ami.

Elle devait simplement rester là.

L’ambulance bringuebalait sur les pavés irréguliers de la grande rue de Pré-au-Lard, en direction des grilles du château de Poudlard. Ils venaient de faire un bond magistral du Yorkshire à l’Ecosse, ce qui avait contribué au malaise de son interne, Ezra Bones. Le teint un peu verdâtre du jeune apprenti trahissait son inconfort. Il n’était pas encore habitué aux déplacements un peu brusques des ambulances magiques. Magnus, lui, y était complètement indifférent, pleinement concentré sur la mission qui les attendait. Ils étaient initialement en route pour porter assistance à un homme âgé avec suspicion de fracture à la jambe lorsqu’ils avaient été redirigés de toute urgence vers Poudlard, pour un traumatisme avec arrêt cardio-respiratoire.

- On y est dans trente secondes, lança Athena Abbott, sa collègue ambulancière.

Magnus tourna la tête vers la fenêtre pour distinguer la silhouette familière du château alors qu’ils remontaient le parc. Un jour, songea-t-il, il faudrait qu’il revienne pour une belle occasion. Pas pour les cérémonies du deux mai ou pour intervenir sur des enfants gravement blessés. Poussant un soupir, il fit rouler ses épaules, craquer légèrement sa nuque avant de jeter un regard vers Athena, qui avait déjà passé la bandoulière de son sac d’intervention sur son épaule. L’ambulance s’arrêta dans un couinement des freins devant l'une des portes du stade de Quidditch. Megan, l’ambulancière qui conduisait, débarqua également pour venir récupérer sa sacoche. Un enseignant qu’il ne reconnut pas les attendait pour les guider. Ils débarquèrent le matériel de quelques coups de baguettes et remontèrent en courant sous les corridors entoilés, jusqu’à atteindre un accès vers la pelouse. Magnus eut un infime temps d’arrêt, tout comme ses collègues.

- On a des spectateurs... souffla Ezra.

Effectivement, les gradins du stade étaient encore remplis de centaines et centaines d’adolescents. Un silence inhabituel planait, complètement différent des souvenirs qu’il conservait de sa propre scolarité. Mais cette pensée s’effaça aussi vite qu’elle était venue, remplacée par l’habituel sang-froid dont il savait faire preuve dans toutes les situations. Il se dirigea vers leur patient, qui était en train de recevoir un massage cardiaque d’un enseignant, alors qu’une autre professeure maintenait des joueurs des différentes équipes à distance.

- Bonjour, je suis le docteur Zabini, on va prendre le relais à partir de là. Megan, tu veux bien masser s’il te plaît ?

L’ambulancière positionna ses mains au dessus de celles de l’enseignant et prirent immédiatement sa suite la seconde où il se recula, l’air particulièrement sonné. Magnus tendit une main vers lui pour l’aider à se relever, afin d’obtenir plus d’informations sur ce qui s’était passé. Pendant ce temps-là, ses collègues mettaient en place les premiers soins.

- Quel âge a-t-il ? Est-ce qu’il a des allergies connues ?
- Il a seize ans et Mrs Silvester a regardé dans son dossier, il est allergique au sésame mais...
- Pas à des potions ?
- Non, pas qu’on sache.
- Et les parents sont prévenus ?
- On cherche à les joindre, oui...
- D’accord, merci. Monsieur, ne vous éloignez pas trop si on a d’autres questions, merci.

Magnus s’agenouilla auprès de leur patient, que Megan s’échinait à masser. Un adolescent, le teint pâle, du sang au niveau de l’arcade sourcilière qui était sûrement dû à la chute. Un peu plus loin, repoussé par Ezra pour installer leur scope ensorcelé, gisait un gilet de protection gonflé et éventré d’un sort. Les enseignants avaient dû lui retirer pour pouvoir masser.

- Est-ce qu’il respirait encore quand vous l’avez trouvé, monsieur ? lança Magnus sans détacher son regard du scope, dont le tracé était artificiellement activé par les mouvements de Megan.
- Non, on a couru tout de suite vers lui et il ne respirait déjà plus, j’ai enlevé son gilet et on a commencé à...
- Très bien. Ezra, tu prends un peu le relais de Megan, Athena, tu peux nous donner un peu d’intimité s’il te plaît ?

Sa collègue hocha la tête et saisit une compresse dans l’un des sacs. D’un mouvement gracile du poignet, elle métamorphosa le petit carré de gaze en un large dais blanc qui vint les abriter des regards.

- Très bien, tout le monde dégage s’il vous plaît, je lance le premier choc. Trois, deux, un...



- SaaAarrRAAAh ! Le téléphone de l’arrière-boutique, Sarah ! Sarah ! lui lança Winnifred, sa petite silhouette cachée quelque part derrière une étagère.

Le « téléphone » de l’arrière-boutique était en réalité la cheminette installée dans la partie sorcière de la librairie qu’elle tenait dans le village perdu de Tintagel, en Cornouailles. 1700 âmes selon les recensements moldus, un peu plus si on prenait en compte les maisons sorcières dispersées dans les falaises et les collines. De nombreux touristes venaient y passer la journée, attirés par la côte et par la légende arthurienne. On disait que le roi Arthur y était né, dans un grand château qui dominait la mer. Ce que les moldus ignoraient était que la légende était vraie et que les restes du château étaient habilement dissimulés à leurs yeux par de puissants enchantements. C’était un lieu touristique également apprécié des sorciers, qui ne manquaient pas de venir s’y promener ou de déjeuner à l’auberge de Morgane, perchée sur des rochers léchés par les embruns. Comme le château, la librairie de Sarah avait donc deux facettes. Une devanture colorée, des vitrines remplies de guides touristiques sur la Cornouailles, de romans policiers à dévorer sur la plage et de best-sellers d’un côté ; de l’autre côté, une petite cour pavée remplie de chaudrons rustiques transformés en pots de fleurs. On y passait la porte rouge qui grinçait un peu, pour y acheter grimoires, manuels de potions, plumes colorées et contes pour enfants où les dragons enflammaient les pages. Les affaires n’étaient pas toujours florissantes mais la boutique tenait la barre depuis quinze ans, la saison de Noël étant toujours un grand moment de l’année. Alors Sarah n’arrêtait pas depuis le début de la journée, faisant des allers-retours entre les deux espaces.

- Et vous n’avez pas d’autres informations que la couleur de la couverture ? interrogea-t-elle avec un sourire.

Face à elle, une dame âgée cherchait un livre qu’elle avait lu « il y a longtemps » et qui était « bien » mais dont elle ne se souvenait plus de l’auteur, du titre, de l’histoire ou d’autres détails que de la couverture. Mais elle souhaitait l’offrir à sa belle-fille pour Noël.

- Le livre était assez petit.
- Et est-ce qu’il y avait une illustration dessus ?
- C’était rouge.
- D’accord, et...
- Le téléphone, Sarah ! Sarah ! Sarah ! Sarah, le téléphone ! lança Winnifred en émergeant de la section « Développement personnel. »
- Je suis avec une cliente, est-ce que tu peux t’en occuper ?
- Non, ça me fait trop mal au dos ce machin.

Winnifred était une ancienne secrétaire médicale à la retraite. Elle avait travaillé pendant quarante-deux ans pour le cabinet local de médicomagie et cela avait été difficile pour elle de se retrouver désoeuvrée. Elle travaillait à mi-temps à la librairie mais choisissait précautionneusement ce qu’elle voulait bien faire (c’est-à-dire, pas grand-chose.) Des fois, Sarah se disait juste qu’elle faisait cela pour voir du monde. Elle n’avait jamais le coeur de la reprendre, alors elle s’en accommodait.

- Très bien. Est-ce que tu peux t’occuper de la dame ? Elle cherche un petit livre rouge.
- Vous êtes communiste ? interrogea Winnifred d’un ton suspicieux, sourcils froncés, ce qui déclencha des cris d’orfraie de la part de la cliente.

Les abandonnant, Sarah poussa la lourde porte indiquée « privée » pour passer dans l’autre espace de la librairie, qui était désert. Elle eut le temps d’apercevoir l’éclat vert de la cheminée s’éteindre avant qu’elle ne puisse l’atteindre. Si c’était important, ils rappelleraient. Le père Noël enchanté, qui traversait la librairie sur son balai volant, s’était écrasé entre deux grimoires de divination et elle le fit repartir d’un coup de baguette magique. Elle en profita pour remettre à leur place quelques ouvrages qui avaient été déplacés, passa un coup de chiffon sur le comptoir, lorsque les cris de Winnifred retentit de nouveau.

- Sarah ! Sarah ! SAaaRrRaah !

Retenant un soupir, elle bascula de nouveau dans la partie moldue, se tournant vers sa collègue.

- Tu n’es pas obligée de crier tu sais, tu peux venir me cher...

Elle s’interrompit dans sa phrase en distinguant la silhouette devant la porte vitrée. On sentait encore l’air froid qui s’était engouffré à son passage. Olivier avait les joues rougies par l’hiver, son bonnet noir à la main. Il ne passait que rarement la voir ici, surtout pas le samedi matin, sans s’annoncer, sans appeler. Elle croisa ses yeux bruns et une sourde d’angoisse s’empara d’elle. Il fit un pas vers elle et elle eut l’impression que tout l’air s’échappait de ses poumons.

- Sarah...


- Ça fait combien de temps ? interrogea Magnus.
- Sept minutes, répondit Megan, qui avait repris le massage à la place d’Ezra.
- C’est la troisième poche de potion de régénération sanguine que je passe, avertit Athena.
- Il a l’abdomen très distendu, répéta le médicomage en pressant le ventre de son patient de ses mains gantées. Il saigne plus vite qu’on ne le remplit. Il faut qu’on bouge le plus vite possible.

L’échographie rapide qu’ils avaient fait quelques minutes auparavant était très claire : il y avait du liquide partout.

- Merde, je crois que j’ai cassé une côte, murmura Megan.
- C’est pas grave, tu continues, c’est le dernier de ses problèmes pour le moment.
- Il est de plus en plus cyanosé, remarqua Athena. La poche est passée, c’est bon.
- Ok, on rechoque. Tout le monde s’écarte, merci...

Il plaça sa baguette magique en contact avec la peau de l’adolescent, de qui on avait découpé l’uniforme. L’éclat argenté jaillit brusquement, alors que tous les yeux étaient tournés vers le scope. Une seconde. Deux secondes. Toujours en fibrillation.

- On dégage.

Deuxième éclair, tout aussi vif. Un bref instant, tout sembla se suspendre. Une seconde. Deux secondes. Un éclair sur le tracé.

- On a un rythme ? suggéra Athéna, ses mains suspendues au dessus du patient. Une seconde. Deux secondes. Trois secondes. On a un rythme.
- Ok, on bouge alors, asséna Magnus, on bouge tout de suite.
- Tu as peur que ça ne tienne pas ? s’enquit Ezra.
- Non, il a une hémorragie interne, sûrement des lésions au niveau du thorax, la rate était en très mauvais état à l’écho’ et il est en état de choc. J’ai peur que ça nous claque entre les doigts et je préfère que ça nous claque entre les doigts au bloc qu’ici. Donc on remballe.  

Athena était déjà en ligne avec la régulation de Sainte-Mangouste, alors que Magnus, Megan et Ezra installaient leur jeune patient pour le transport.

- Attention au bassin, vous le sanglez bien, je ne veux pas aggraver d’éventuelles lésions à la colonne. Monsieur, lança-t-il au professeur qui était resté pour les fixer avec anxiété. On part nous, vous direz à la famille de nous rejoindre à Sainte-Mangouste. Megan, tu nous rapproches le camion au plus proche, on le fait léviter jusque là.

Ils sortirent de l’ombre protectrice du dais de fortune, le brancard de leur jeune patient entre eux. Magnus était complètement ignorant des bruits de la foule au dessus d’eux, dans les gradins, concentré sur le visage exsangue de l’adolescent. Allez, petit, songea-t-il. Un peu de courage.


Courage, Sarah. C’est ce que lui avait dit Winnifred d’un ton désolé alors que Sarah rassemblait ses affaires les mains tremblantes, attrapait son manteau et son sac à main pour suivre Olivier. Il se tenait devant la cheminette de l’arrière-boutique, silencieux, les sourcils froncés, sa main battant impatiemment la mesure sur le linteau. Ses yeux sombres étaient absorbés par les noeuds du parquet mais elle le prit comme un reproche pour elle.

- Je fais au plus vite, balbutia-t-elle, la voix tremblante.

Son ex-mari leva un regard surpris vers elle.

- Je sais, répondit-il d’une voix douce, qui contrastait avec son air ombrageux.

Il s’effaça pour la laisser passer en premier, alors qu’elle attrapait une poignée de poudre verte de ses doigts fébriles. L’instant d’après, elle était dans le sas d’accueil de Sainte-Mangouste, ses yeux cherchant frénétiquement les panneaux d’indication des urgences. Elle accéléra le pas dès qu’elle sentit la présence d’Olivier derrière elle, se précipitant dans les couloirs, évitant des soignants, des patients au pas plus lent, des chariots de matériel. Il y avait du monde en ce samedi matin et ses yeux clairs se posèrent avec désespoir sur la queue qui serpentait jusqu’au guichet d’accueil. Ils ne pouvaient pas attendre aussi longtemps ! Il devait bien y avoir un guichet pour les familles, quelqu’un pour leur dire, quelqu’un pour... L’impatience d’Olivier avait pris le pas sur la sienne. Il avait alpagué quelqu’un en blouse blanche, qui leur avait dit qu’il allait se renseigner. Sarah était déjà au bord des larmes lorsqu’elle sentit la main du père de son fils passer dans son dos. Elle ferma les yeux, soufflant lentement pour essayer de retrouver contenance.

- Ça va aller, affirma Olivier. Il a fait une grosse chute. Il s’est fait très mal. Mais ça va aller... Il porte toujours son gilet, il sait qu’il n’a pas le droit de jouer sans. Même si c’est un petit traumatisme crânien, ça va aller... Rappelle-toi, à mon premier match, j’ai pris un cognard dans la tête et je me suis réveillé trois jours plus tard !
- Ce n’est pas vraiment ce que j’ai envie d’entendre, murmura-t-elle en frottant ses yeux.

Il passa son bras autour de ses épaules.

- Ça va aller, répéta-t-il. Il est solide, ton fils.

De longues minutes s’écoulèrent avant que le premier soignant ne revienne, accompagné d’un grand homme en blouse verte, qui leur tendit une main ferme.

- Bonjour, je suis le docteur Zabini, je suis le médico’ qui est intervenu sur votre fils. Vous me suivez ?

Il les fit amener dans un petit box de consultation, où ils étaient tous les trois un peu serrés. Sarah scrutait le visage du médecin alors qu’il s’installait, sans parvenir à y lire quelque chose.

- Il va bien ? finit-elle par demander d’un ton suppliant. Ça va aller ?

La demie seconde qu’il prit pour répondre lui donna l’impression qu’elle allait s’étouffer.

- Votre fils a subi un traumatisme extrêmement important et ses blessures sont très graves. Lorsque nous sommes arrivés sur place, il était déjà en arrêt cardio-respiratoire...
- Non... balbutia Sarah alors que les larmes humidifiaient complètement sa vue.
- Nous avons récupéré un rythme une première fois sur place mais son coeur s’est arrêté une nouvelle fois dans l’ambulance, avant que nous puissions repartir, continua le docteur Zabini.
- Non... répéta-t-elle d’une voix étranglée, comme si elle pouvait conjurer le sort.
- Nous avons fait repartir son coeur une nouvelle fois pour pouvoir l’amener jusqu’ici et qu’il soit pris en charge au bloc opératoire. Je ne vais pas vous mentir, fit le médecin en se penchant vers eux, il n’est pas sorti d’affaires. Son pronostic vital est engagé.

Elle sentit les doigts d’Olivier se refermer autour de sa main.

- La prochaine étape, c’est qu’il soit stabilisé en chirurgie. Après... on verra. Je vais demander à un collègue de venir vous indiquer où attendre à l’étage, d’accord ?

Sa voix s’était largement adoucie sur les derniers mots alors qu’il se levait. Ni Olivier ni Sarah n’acquiescèrent ou ne refusèrent sa proposition. Ils restèrent là, figés, pétrifiés. Elle ne parvenait pas à comprendre ce qui était en train de se passer. Arrêt cardio-respiratoire. Faire repartir le coeur. Pronostic vital engagé. On était samedi matin. Ça n’avait pas de sens. On était samedi matin et Andrew était à Poudlard. Ça n’avait pas de sens. Ça ne pouvait pas être en train d’arriver. C’était un cauchemar. Le sang vrillait à ses oreilles, elle avait l’impression qu’elle allait vomir. Ce n’était pas en train d’arriver, ce n’était pas réel. Ce n’était pas réel. Son fils avait seize ans, il était à l’école. Pas en arrêt cardio-respiratoire. C’était un enfant. Elle inspira bruyamment de l’air, mais cela ne dénoua pas sa poitrine. La voix du médicomage retentit derrière eux.

- Sally va vous mener jusqu’au service de chirurgie, d’accord ? Bon courage.

Courage.

Ça non plus, ça n’avait pas de sens.

Il n’y avait pas plus loyal à sa maison qu’un Poufsouffle, aussi même en un jour de match qui concernait deux autres maisons, les joues dans les tribunes des blaireaux étaient grimées de jaune et noir. Kathrina avait toutefois ajouté un petit dessin de tête de lion à l’encre noire, en soutien, sur le dos de sa main qu’elle levait en l’air à chaque fois que Gryffondor marquait un point. Cette journée n’aurait dû être qu’une journée de fête, certes pluvieuse et humide, mais ponctué d’un beau match de Quidditch qui venait mettre du baume au coeur des fans.


Et pourtant, elle vira au cauchemar très vite, trop vite pour que l’assemblée d’élèves prennent pleinement conscience de ce qui se passait.

Tout comme le corps d’Andrew qui chutait dans le ciel orageux, le coeur de Kathrina plongea jusqu’au fond de son estomac. Un cri strident qu’elle n’eut même pas conscience de pousser s’échappa d’elle au moment où la silhouette de son ami rencontra le sol dans une secousse sinistre. De l’angle où elle se trouvait, Andrew semblait être une poupée disloquée, inanimée, maltraitée par les massages brutaux que le professeur Londubat infligeait à sa poitrine. Étrangement, ce fut en voyant la violence de ses gestes presque désespérés que Kathrina comprit la gravité de la situation : préserver les côtes d’Andrew ne semblait plus du tout faire partie des priorités.

Effarée, Kathrina ne parvenait pas à détacher ses yeux de cette scène morbide, qui rappela à elle une étreinte glacée et familière qu’elle avait trop souvent croisée. L’empreinte insidieuse que la Mort avait laissée en elle en lui prenant père, soeur et frère lui sembla de nouveau l'engloutir. Est-ce que sa dernière année à Poudlard allait être celle où, après avoir perdu une famille d’accueil, elle allait également perdre l’un de ses plus proches amis ? Cette éventualité que beaucoup auraient refusé de seulement imaginer émergeait déjà dans un coin de sa tête, comme une faible et tremblante lueur, dans son esprit tristement habitué à voir ses proches la quitter. Pendant quelques secondes, il n’y eut que cette pensée en elle tandis qu’elle restait immobile.

A ses côtés, Gillian dut la secouer par les épaules pour qu’elle revienne à la réalité.

« Kat ? Kat ? Il faut qu’on s’en aille ! Kat ? Ils sont en train d’évacuer le stade, on doit partir. »

Le vent lui parut particulièrement glacial sur son visage et Kathrina n’en comprit qu’à cet instant la raison : ses joues baignées de larmes retenaient tout le froid. Elle les essuya du dos de la main, laissant sans le savoir une traînée de noir sur son visage. Le lion n’était plus qu’un brouillard gris sur sa peau.

« D’accord. »

Elle n’eut de toute manière pas d’autre choix que de suivre les mouvements de la foule qui commençait à s’agiter autour d’elle. Elle n’osait plus regarder dans la direction d’Andrew, percevait seulement les lueurs de l’ambulance et les exclamations des médicomages qui s’affairaient autour. La main accrochée à celle de Gillian, elle se mit plutôt à chercher dans la foule d’élèves ses autres amis, confuse face au bruit et aux mouvements désordonnés. Rachel, Louise, Imogen, Baen, Gowan… Où étaient-ils ?

La bibliothèque de Poudlard était plus calme que jamais, en ce jour de match. L'absence des joueurs de Quidditch n'était pas inhabituelle -on les croisait rarement entre les rayonnage- mais celle de leurs supporters se faisait remarquer. Sasha n'avait croisé personne depuis son arrivée, une heure plus tôt. Elle était installée à une longue table, seule, et avait étalé plusieurs manuels de métamorphose autour d'elle. Le bout de sa plume qui grattait le parchemin à un rythme régulier était le seul bruit à venir troubler le silence absolu des lieux.

C'était la première fois qu'elle loupait un match Serpentard/Gryffondor. Elle avait fait partie du club des supporters de sa maison pendant cinq ans avant de le quitter cette année, officiellement par manque de temps. En réalité, elle avait cherché à limiter ses interactions sociales au maximum ces derniers mois, ce qui n'avait pas été très difficile. On avait beaucoup parlé d'elle, mais peu de gens avaient cherché à lui parler. A l'exception d'Andrew. Andrew qui était la deuxième raison pour laquelle elle n'avait loupé aucun match de Gryffondor depuis le début de sa scolarité. Autant parce qu'elle voulait le voir jouer que parce qu'elle voulait s'épargner un récit détaillé de chacune des actions du match (bien que le fait qu'elle ait assisté à la rencontre ne semblait pas empêcher Andrew de la lui raconter comme si elle l'avait manquée).  

Son meilleur ami n'avait pas cessé d'engager la conversation, ces derniers temps, mais elle n'était pas prête à oublier ce qui s'était passé et à retrouver leur relation d'avant. Elle lui en voulait toujours de ne pas l'avoir prévenue pour la vidéo, mais au fond elle savait que ce n'était pas la seule raison de son ressentiment à l'égard du Gryffondor. Elle lui en voulait aussi de l'avoir repoussée, ce soir-là. Elle était encore blessée par ce rejet et avait besoin d'un peu plus de temps pour panser son égo meurtri.

Sasha chassa ces pensées de son esprit et s'efforça de se concentrer sur son devoir de métamorphose, qui n'avançait pas aussi vite qu'elle l'aurait voulu. Des bruits de pas et de conversations, qui semblaient venir des grands escaliers, lui firent rapidement relever la tête. Les murs épais du château étouffaient les sons, mais on devinait que les élèves étaient de retour. Le match n'avait vraiment pas duré longtemps. Sasha tendit l'oreille, pour tenter d'intercepter un indice qui lui donnerait l'identité des vainqueurs, mais elle ne perçut pas le moindre chant de victoire. Pas de cris enthousiastes, pas d'applaudissements. Les supporters paraissaient étrangement silencieux.

Intriguée, elle quitta sa chaise et se dirigea vers la porte de la bibliothèque, qu'elle entrouvrit pour jeter un oeil à l'extérieur. Ce qu'elle vit ne fit qu'accroitre son incompréhension. Des visages blêmes, certains baignés de larmes, des murmures agités, des regards inquiets. Elle fronça les sourcils et chercha dans la foule les membres de l'équipe de Serpentard mais elle n'y trouva que Cindy, qui capta son regard et se précipita vers elle. Elle avait le nez rougi par le froid mais le visage anormalement pâle, et on voyait qu'elle avait pleuré. Elle recommença d'ailleurs à la seconde où elle ouvrit la bouche, pour lui livrer des explications confuses et entrecoupées de sanglots.

"C'est Andrew... Il... Il est tombé et..."

Sasha ne réagit pas. Il tombait tout le temps. Il fonçait vers le sol et redressait son balais à la dernière minute, ou semblait partir en chute libre avant de se rattraper à son manche d'une seule main. S'il était tombé, il s'était forcément rattrapé.

"Ils ont essayé de le réanimer, mais...
- Quoi ?"

D'un seul coup, le discours de Cindy n'avait plus aucun sens. Réanimer, comme s'il avait été mort.

"On ne sait pas s'il va s'en sortir..."

Sasha eut l'impression que son coeur tombait jusque dans ses talons, et emportait son estomac avec lui. Non. C'était la seule réponse que son cerveau était capable de formuler. Non, elle ne voulait pas l'entendre. C'était n'importe quoi. Elle fut brusquement submergée par une violente envie de s'en prendre à Cindy, de l'étrangler, pour la faire taire. Elle voulait détruire cette vérité qui s'était échappé de ses lèvres gercées par le froid, et qui s'écoulait encore par ses yeux remplis de larmes. Elle la détestait d'être l'incarnation de cet incident qu'elle refusait de comprendre. Elle ne voulait plus la voir.

Elle referma ses bras autours de son corps pour empêcher ses mains de s'attaquer à l'écharpe de Cindy, et réalisa qu'elle tremblait. Elle se pinça la peau à travers son pull, avec l'envie d'enfoncer ses ongles entre ses côtes, d'arracher ses propres entrailles, de se faire mal. La main de Cindy effleura son épaule et elle recula instinctivement d'un pas en poussant un hurlement de douleur et de désespoir qui fit se retourner plusieurs visages. Elle ne leur accorda aucune attention. Qu'ils la prennent pour une folle, elle n'en avait rien à faire.

"Laisse-moi", articula-t-elle d'une voix rauque.

Elle devait faire peur à voir car Cindy n'essaya même pas d'insister et se détourna en éclatant de nouveau en sanglots.

Sasha recula encore d'un pas jusqu'à se glisser par la porte de la bibliothèque restée entrouverte, qu'elle referma derrière elle. Elle s'y adossa et attrapa sa tête entre ses mains. Elle empoigna ses cheveux comme pour les arracher, retint un nouveau cri en serrant les dents. Elle était folle de rage. Contre Andrew et son stupide Quidditch. Contre elle même et cette rancoeur qu'elle avait gardée trop longtemps. Contre cette conversation qu'ils n'auraient peut-être jamais, et ce pardon qu'elle aurait dû lui accorder plus tôt. Contre ce temps qu'elle avait cru avoir en abondance et dont elle était brusquement privée.