Les sauvages [Ahren & Colette]

Une sextape diffusée dans le Poudlard Express promettait une année placée sous le signe des commérages. Sans surprise, depuis le mois de septembre, on ne parlait que de ça dans la Grande Salle. Si l’identité de Sasha Benson avait été dévoilée dès le premier jour, personne ne savait encore qui était le garçon qui se tenait derrière elle. Andrew Dubois, Casey Forbes, Ethan Higgs ? Les rumeurs allaient de bon train… Malheureusement. Le corps professoral s’était vite rendu compte qu’il ne serait pas possible d’étouffer l’affaire et que le problème ne disparaîtrait pas de lui-même. Evidemment, il y aurait des sanctions – une fois que les coupables seraient retrouvés – mais ce n’était pas suffisant.

Non, il était visiblement important de se concentrer sur la prévention. Colette aurait pu s’en douter : « prévention » étant le maître-mot du professeur Forbes ces dernières années. On se souvenait très bien des bracelets « L’alcool c’est pas lol » et « La Mandragore, c’est la mort » qui avaient été distribués à la suite d’une intervention auprès des élèves de Poudlard. « Maintenant, » avait confié Colette à Ajay, son meilleur ami, « on va le droit à des tote-bags « Qui ne dit mot ne consent pas » ou « filmer, c’est pas kiffer », tu penses ? » Ajay avait soufflé par le nez en secouant la tête (chez lui, c’était l’équivalent d’un fou-rire).

Pourtant, ce n’était pas le professeur Forbes qui était chargé des séances de prévention – enfin, cela s’appelait en réalité des « séances d’éducation à la sexualité » - mais deux sorciers que Poudlard avait recruté à temps partiel comme surveillants. James Carter et Nelly Horrocks – tous les deux préfets-en-chef lors de leur septième année – s’étaient vus confier la lourde tâcher d’organiser ces temps avec les élèves de Poudlard. Lettie soupçonnait fortement Virtanen et Forbes d’être ravis de se débarrasser du sujet.

Elle, en revanche, n’était pas ravie du tout. Une mauvaise langue répondrait à cela qu’elle rarement ravie de quelque chose – ce n’était pas complètement faux – mais elle l’était encore moins aujourd’hui. Comme tous ses petits camarades, elle s’était rendue à son premier cours d’éducation à la sexualité et avait été surprise de ne pas y retrouver seulement les Gryffondor de son année. Visiblement, Carter et Horrocks avaient décidé de mélanger les groupes et les maisons – dans la limite du raisonnable, évidemment – pour lancer ce nouveau module (rendu obligatoire, bien sûr). Déjà peu ravie, l’humeur de Colette ne s’était pas arrangée lorsqu’on l’avait mise en binôme avec Ahren Keller, au milieu de la séance, pour travailler sur les rôles stéréotypes sexuels et les normes sociales. Elle était avec Ahren Keller. Pour parler de féminisme.

Autant la mettre avec Andrew Dubois pour parler couture.

Elle avait envie de fusionner avec la table, avec le sol même, jusqu’à ce que la séance se finisse. Quand Carter avait associé son nom à celui de Keller, elle l’avait fusillé du regard. Il n’avait pas flanché. Elle avait ramassé ses affaires avant de se traîner vers Keller, sans se départir de son regard morose (qui avait bien fait marrer Gowan, cette enflure).

« Alors ! » lança Carter d’une voix forte. S’il pouvait s’étouffer avec sa salive, celui-là. « Vous allez travailler en binôme sur les normes sociales et le poids de ces normes sur la sexualité. On va d’abord commencer par un temps de réflexion en binôme et par la suite on fera un temps de restitution. » Génial. « N’hésitez pas si vous avez des questions ! »

Lettie laissa son regard traîner autour d’elle, avant de baisser les yeux vers sa feuille. Elle fit machinalement tourner sa plume entre ses doigts.

« Alors… C’est quoi une norme sociale d’après toi ? » finit-elle par demander à son binôme – autant travailler rapidement pour pouvoir plus rapidement passer à autre chose.

L’ennui était relativement rare chez Ahren, il trouvait toujours un moyen de s’occuper ou de s’instruire, encore plus depuis qu’il avait réussi à obtenir un stage au département de la Justice Magique. Même si pour l’instant son travail consistait principalement à faire des sorts de copie ou à ramener le café, il apprenait beaucoup en laissant ses yeux et ses oreilles traîner auprès des différents avocats du bureau. Ce n’était pas toujours très utile pour les affaires en cours cela dit, surtout de savoir que Brigitte de la compta couchait avec Bob du ménage. Le Serdaigle ne pouvait que constater que sous certains aspects, le monde du travail ne différenciait pas tellement de Poudlard, les ragots y allaient bon train et souvent pour parler des histoires de coucheries des uns et des autres. Et à cause de cela, à cause de cette fichue sextape, il se retrouvait dans une salle de classe bondée, surchauffée et ultra bruyante. Il aurait tout donné pour se trouver ailleurs qu’ici. Pour un cours qui n’avait absolument aucun intérêt, comme si des gorilles décérébrés allaient plus comprendre le concept de consentement après cette intervention dite éducative. Il en soupirait et levait les yeux au ciel très fortement. C’était idiot, inutile, une perte de temps phénoménale. Mais la direction se voulait ouverte au dialogue et à la prévention. N’importe quoi. Virtanen voulait surtout éviter de se retrouver avec tous les parents d’élèves sur le dos. Le jeune homme ne se sentait absolument pas concerné et il fallait le dire comme c’était, il se faisait chier.

Son exaspération fut encore plus grande quand on leur annonça qu’ils allaient devoir faire des exercices en binômes. Et le pire ? Ils faisaient les groupes eux-mêmes. Alors dans un sens, ce n’était sans doute pas une si mauvaise idée que cela, pour éviter que les trolls du groupe à Dubois passent tout leur temps à ricaner et faire tout sauf réfléchir à la problématique qui leur avait été imposée. Mais alors… se retrouver avec Anderson… C’était non. Juste un gros non en fait. Hors de question qu’il se coltine Miss Féministe. Il savait très bien les aprioris qu'elle avait sur lui et si c’était pour en prendre plein la tronche pendant une heure, c’était pas la peine en fait. Il avait assez de Blair pour lui faire la morale quand il disait quelque chose qui ne lui plaisait pas. Il se souvenait encore du regard qu’elle lui avait lancé quand il avait été outré qu’elle puisse insinuer qu’il faisait partie d’un truc tel que l’OFFRE ou un truc du style. Et puis quoi encore ? Écouter une bande de bonnes femmes aigries gueuler pendant des heures à l’injustice et exiger un matriarcat, très peu pour lui. Et Colette, c’était typiquement ce genre de fille. Du moins, selon lui. Alors, il passait son tour pour cette fois, très clairement. Mais en même temps, ce n’était pas comme s’il avait le choix et elle semblait aussi enchantée que lui à l’idée de faire ça avec lui. Il avait comme le sentiment que ça allait être long. Il soupira à sa question en levant les yeux au ciel.

“Comme son nom l’indique, c’est une règle établie par la société. Que ce soit de façon implicite ou explicite. Et si tu ne comprends pas les termes implicites et explicites, je t’invite à regarder dans un dictionnaire.”

Ahren retenait à peine sa condescendance tellement cet exercice était ridicule, il n’avait même pas sorti de parchemin tellement il ne se sentait pas impliqué par toute cette mascarade. Il aurait mille fois plus préféré se pencher sur son journal qu’il tenait quotidiennement et s’interroger un peu plus sur le fait qu’il avait totalement oublié les deux derniers jours. Il n’avait aucune idée de ce qu’il avait bien pu faire, il n’arrivait pas à se souvenir avec qui il avait pu parler, ce qu’il avait mangé ni même de quoi parlait ses cours. Et ce n’était pas la première fois que cela lui arrivait depuis son agression, c’était bien ça qui lui faisait peur d’ailleurs. Il reporta son attention sur Colette et poussa un profond soupir, dédaignant tout de même rendre la chose un peu plus interactive pour elle.

“Et alors ? Selon toi, comment ces règles jouent-elles sur la façon dont on aborde la sexualité ? C’est hyper normé et stéréotypé malgré le fait que ce soit tabou. C’est peut-être ça le fond du problème au final, tu ne penses pas ?”

Il posa le regard sur ses doigts qui tenaient sa plume sans vraiment la regarder directement. Il n’y avait pas que le sexe qui était tabou dans le monde sorcier, le sort des enfants de Mangemorts également était tabou, on ne parlait pas de leur stigmatisation, la haine s’était inversé et aujourd’hui, les victimes, c’était eux. Jugés, pointés du doigt pour les crimes de leurs parents alors qu’eux-mêmes n’avaient rien fait. Ahren était toujours parti du principe que quitte à être accusé de quelque chose autant que ce soit justifié. On voulait faire de lui un monstre, l’enfant d’un monstre ? Et bien, il en serait un. Jusqu’au bout. Mais il s’était un peu essoufflé avec les années, ne croyant plus tellement les idiots néo-mangemort de son frère aîné. Et puis à présent, il n’y avait même plus Ulrich à faire rager avec ses propos, ça n’avait plus vraiment la même saveur. Toutes ces années n’avaient été qu’une pure provocation afin d’attirer l’attention, il en convenait même s’il ne l’avouerait jamais à voix haute, il ne fallait tout de même pas exagérer.