I'm still standing [Kathrina & Ahren]

Les doigts froissant le papier cadeau, Ahren se demandait encore s’il avait fait le bon choix pour Kathrina. Leur relation s’était apaisée avec toutes les épreuves qu’ils avaient traversées, il avait retrouvé une forme d’équilibre avec sa jumelle. Ils pouvaient se parler sans que ça se termine en dispute mais il était loin de tout savoir sur sa sœur. Il n’était pas certain de réellement la connaître, surtout avec toutes les rumeurs qu’il entendait sur son compte. Il ne relevait pas, ne voulait pas savoir, c’était préférable. Il ne voulait pas se montrer intrusif et il savait pertinemment que s’il s’en mêlait, il ne ferait que provoquer une nouvelle dispute et il ne le souhaitait pas. Vraiment pas. Il avait donc fait avec ce qu’il se souvenait ou croyait se souvenir. Elle aimait le rose. Avant. Est-ce que c’était toujours le cas ? Il l’espérait. Sinon le bonnet et l’écharpe qu’il avait pris pour elle finiraient au fond de sa malle sans doute. L’hiver serait bientôt là et il avait trouvé que c’était une bonne idée pour son anniversaire. Mais plus il avançait vers la salle des quatre maisons et moins il était sûr de son choix.

Il poussa un léger soupir et secoua la tête. Pourquoi est-ce qu’il se prenait autant la tête ? Il aurait mieux fait de s’inquiéter d’être encore relégué aux sorts de photocopie pendant ses journées de stage. Il savait qu’il n’allait pas intégrer le département le plus ouvert ni le plus facile d’accès. Le département de la Justice Magique était difficile à intégrer. Il avait eu la chance d’être accepté. Il avait l’impression que peut-être l’appuie de Benedict n’y était pas totalement pour rien, ils en avaient un peu discuté pendant les vacances d’été. Entre autres choses. Il n’avait pas oublié sa volonté de le voir intégrer Skye pour tenter de dénicher des souvenirs de son agression. Il avait refusé catégoriquement. Il ne voulait pas prendre le risque qu’ils trouvent des informations sur la résistance estudiantine. Tout ce qui était dans sa tête devait rester dans sa tête. Même s’il avait parfois l’impression de perdre la raison. Il oubliait des choses, des pans entiers de journées et il ne comprenait pas pourquoi. Il avait eu l’idée de coucher le déroulement de ses journées dans un journal qu’il avait ensorcelé. Il était le seul capable de le lire et parfois ce qu’il y trouvait l’étonnait. Parce qu’il ne se souvenait pas d’avoir vécu ce qui était écrit. Comme si quelqu’un d’autre vivait sa vie à sa place.

Bien sûr, il tentait de se rassurer, se disait que c’était certainement le stress, la fatigue ou juste des effets secondaires du sort d’oubli qu’il avait subi. Il ne savait pas et ça l’effrayait un peu. Beaucoup, pour être honnête. Ça le terrorisait. Mais il faisait bonne figure, faisait comme si tout allait bien. Parce qu’il ne voulait pas qu’on l’interne, ne voulait pas qu’on examine sa boîte crânienne. Encore un secret de plus qu’il cachait à la face du monde et à Kathrina. Il ne voulait pas l’inquiéter, elle semblait avoir ses propres démons à combattre, elle n’avait pas besoin de ceux de son frère en prime. Leur frère avait fait assez de mal, il avait contribué à la rendre malheureuse et Ahren ne voulait pas devenir le nouvel Ulrich. Il avait conscience que l’affection de sa jumelle à son égard ne serait jamais aussi forte que celle qu’elle avait pu avoir pour leur aîné mais il espérait qu’elle l’aimait au moins un peu quand même. Il n’avait plus qu’elle, elle était tout ce qui restait de sa famille, la seule pour qui il donnerait sa vie sans hésiter une seule seconde. Et pourtant… lui parler, parfois, relevait du supplice pour lui. Il ne savait pas comment s’y prendre convenablement, ne savait pas quoi dire pour diminuer sa peine. Il était nul, le pire frère imaginable. Mais il était là. Dans l’ombre.

Le préfet des Serdaigles pénétra dans la pièce chaleureuse après avoir dissimulé le cadeau dans son sac de cours et chercha sa jumelle du regard parmi les nombreuses personnes déjà présentes. Il finit par la trouver dans un coin un peu en retrait et il s’avança vers elle avec un léger sourire aux lèvres, enlevant tout tracas de son visage. La dernière chose qu’il souhaitait, c’était qu’elle remarque quoique ce soit d’inhabituel chez lui. Il s’installa à ses côtés en se demandant encore une fois comment il devait s’y prendre pour paraître naturel. Il n’avait pas la prestance de Dubois pour les relations sociales, si cela avait été le cas, il aurait certainement eu plus d’amis qu’il n’en avait. La vérité était que mis à part Marianne, il n’en avait plus aucun. Mais ça lui convenait comme ça. Il n’avait pas besoin de faire-valoir ou de faux amis, il préférait la solitude à l’hypocrisie. Au moins, il savait à quoi s’en tenir. Il sortit son présent de son sac et le déposa sur les genoux de Kathrina avec un petit sourire.

"Joyeux anniversaire", lâcha-t-il à voix pas trop forte pour n’être entendue que d’elle. "J’espère que ça te plaira, sinon, tu pourras le faire échanger, j’ai gardé le ticket."

Il lui offrit un sourire en coin tout en la fixant. Dix-sept ans. Ils étaient enfin majeurs, la liberté leur ouvrait les portes. Ils ne seraient pas obligés de retourner dans leur famille d’accueil cet été s’ils ne le désiraient pas, pouvaient désormais vivre leur vie sans que personne n’ait quoique ce soit à dire dessus. Et pour commencer, ils allaient pouvoir passer leurs permis de transplanage et récupérer leur manoir ainsi que le contenu de leur coffre à Gringotts. Du moins, ce qui n’avait pas été saisi par la justice magique après la guerre et ce que Ulrich leur avait laissé. Il n’avait pas la moindre idée de la somme qui pouvait se trouver à l’intérieur mais elle ne devait sans doute pas être très élevée. Il laissa néanmoins ses préoccupations pour se concentrer sur sa sœur et l’ouverture de son cadeau.

Dix-sept ans.

Kathrina s’était levée ce matin avec une sensation étrange au creux du ventre, quelque chose entre la peur, l’excitation et le soulagement. Comme beaucoup des jeunes adolescentes, elle avait toujours songé à la majorité comme l’âge de la liberté, celui de pouvoir faire ce qu’elle voulait et d’être enfin considérée comme une adulte capable de faire ses choix de vie. Le mot « liberté » avait toutefois pris un sens très concret et beaucoup plus vital depuis qu’Ulrich avait disparu et qu’elle et Ahren s’étaient retrouvés ballotés par les services sociaux. Elle avait eu la sensation que des étrangers s’emparaient de sa vie, pour décider de l’endroit où ils allaient vivre et des personnes qui allaient s’occuper d’eux. A plusieurs moments, elle avait eu envie de s’enfuir de cette emprise, qu’on les laisse tranquilles, elle et son frère, qu’on les laisse décider, tout en sachant que probablement ils ne pourraient pas aller bien loin tout seuls. Elle avait trouvé une forme de foyer plutôt stable et aimant chez les Weaver, puis ce même Etat, celui qui les avait confiés à cette famille, avait choisi de la traquer et de les emprisonner, pour des activités illicites de résistance ou de terrorisme, on ne savait plus très bien. Il y avait de quoi devenir schizophrène.  Difficile de se montrer reconnaissant dans cette situation.

Puis il y avait eu les Young. Kathrina n’avait rien contre eux, mais elle se méfiait, par mimétisme de l’attitude de son frère qui ne leur faisait pas du tout confiance mais aussi parce qu’elle n’avait pas envie de s’attacher à une famille qu’on allait finir par leur ôter, encore. Elle avait appris à ses dépends qu’Ahren était sa seule et vraie famille, maintenant. Le seul qui serait toujours avec elle, malgré leurs différends.  

Et elle avait compris que dix-sept ans serait l’âge à partir duquel plus personne ne pourrait lui imposer quoique ce soit. Elle pouvait rester chez les Young si elle le souhaitait. Elle pouvait partir si elle en avait envie, seule ou avec Ahren. Elle avait beaucoup réfléchi à tout ça, à ce que serait l’après-Poudlard mais n'en avait pas vraiment discuté avec son jumeau. Elle savait que lui, il voulait absolument quitter leur famille d’accueil actuelle mais elle ne connaissait pas le détail de ses projets. Cela lui faisait un peu peur de lui demander, de prendre le risque de constater que peut-être ils n’auraient pas du tout envie des mêmes choses, qu’ils seraient en désaccord. Avant, l’idée qu’ils puissent voir leur avenir différemment n’aurait pas eu beaucoup d’importance pour elle. Ils avaient toujours été très différents et ils l'étaient toujours. Ils ne se comprenaient pas, parfois. Ils n'avaient pas ce genre de lien fusionnel qui existait chez beaucoup de jumeaux, à se raconter toute leur vie et à tout faire ensemble. Ils n'avaient jamais eu l'envie ni le loisir de développer ce type de proximité. Les épreuves douloureuses qu'ils avaient traversé ensemble les avait rapprochés d'une autre manière. Ahren était devenu plus que son frère, c’était son repère et son appui. La perspective de ne plus avancer avec lui la terrifiait.

Mais pour le moment, Poudlard les enveloppait dans un huit clos rassurant par certains côtés. Ils n’avaient pas à affronter le monde extérieur tout de suite. Ils pouvaient encore suivre la routine qu’ils avaient adopté ces sept dernières années et prendre le temps de réfléchir à ce qu’ils feraient ensuite. Kathrina avait du mal à sortir toutes ces réflexions de sa tête, assise dans la Salle des Quatre Maisons avec un bouquin à la main qui ne parvenait pas à la distraire. Comme si elle avait finir par l’invoquer, la silhouette d’Ahren se présenta à côté d’elle. Elle sut ce qu’il venait faire au moment où il lui confia un paquet entre les mains.

« Oh ! Merci… »

Elle posa son livre et prit le paquet qui semblait mou. La consistance d’un vêtement ou quelque chose comme ça. Curieuse, elle déballa le cadeau et eut le plaisir de découvrir une jolie laine rose. Un sourire éclaira son visage, alors que le bout de ses doigts appréciait la douceur de l’écharpe.

« C’est très joli » déclara t-elle. Elle noua l’écharpe autour de son cou et essaya le bonnet sur sa tête. « Alors, ça me va bien ? »

Parler chiffons avec Ahren n’était pas vraiment dans ses habitudes -et tant mieux car Kathrina ne tenait pas à savoir ce qu’il pensait de ses tenues souvent un peu provocatrices à escient.

« Merci, répéta t-elle à son frère. Ça me fait plaisir. Et joyeux anniversaire à toi aussi ! Attends, j’ai ton cadeau quelque part dans mon sac… »

Elle mit quelques instants à extirper de son sac rempli de bouquins et de maquillage un paquet qui avait à peu près la même consistance que celui qu’Ahren lui avait offert. Elle le laissa découvrir la cape toute neuve, en velours noir, qu’elle avait choisie pour lui. Elle avait du économiser pour acheter ce cadeau, plus cher que ceux qu’elle lui prenait habituellement. Elle avait voulu marquer le coup de leurs dix-sept ans, qui signifiait beaucoup pour elle.

« On est partis sur la même thématique » plaisanta t-elle. « Ca te plait ? »

Elle n’avait pas pris trop de risques, elle savait que son frère n’avait jamais été adepte de la mode moldue et préférait ses capes et ses robes de sorcier. Mais elle avait passé du temps à chercher quelque chose d’élégant et de chaud pour l’hiver.

Le soulagement s’empara de lui alors que Kathrina affirmait qu’elle aimait son cadeau, Ahren se détendit légèrement et lui offrit même un sourire un peu moins crispé. Il l’observa alors qu’elle passait l’écharpe autour de son cou et hocha la tête avec un sourire amusé quand elle lui demanda son avis.

"C’est parfait ! Tu es très jolie."

Il admettait ne rien y connaître du tout en mode et ne s’y intéressait d’ailleurs pas vraiment mais il savait reconnaître une jolie fille quand il en voyait une et sa sœur était indéniablement très belle avec ou sans bonnet. Quand elle le remercia à nouveau en affirmant que son cadeau lui faisait plaisir, son sourire s’agrandit, réellement heureux d’avoir pu lui offrir quelque chose qui lui plaisait vraiment. Il savait très bien qu’il n’était pas celui qui était le plus doué pour ce genre de choses. Il était d’ailleurs souvent à côté de la plaque dès que ça touchait aux relations sociales. Même avec sa jumelle. Il avait toujours peur de dire ou de faire quelque chose qui la mettrait en colère et romprait définitivement le faible lien qu’ils avaient réussi à conserver. Il attrapa le paquet qu’elle lui tendit à son tour avec un air intrigué. C’était mou également. Il ne mit pas longtemps à ouvrir le papier pour découvrir une magnifique cape en velours. Il resta un moment à l’admirer avant de relever la tête vers Kat avec un grand sourire.

"Merci Kat ! Elle est magnifique."

Ce cadeau tombait plutôt bien en réalité puisqu’il avait encore grandi durant l’été et son ancienne cape commençait à être trop petite. Toutefois, cela avait dû coûter une fortune à sa sœur et il s’en voulait un peu qu’elle ait dépensé autant juste pour lui.

"Elle a dû te coûter une fortune", remarqua-t-il avec une moue embêtée. "Je n’en mérite pas autant."

Il releva son regard clair sur elle et l’observa un long moment avant d’esquisser un léger sourire en coin et de hocher la tête à sa question.

"Je l’adore. Merci encore."

Ahren ne savait pas encore vraiment comment aborder la suite, il y avait tellement de choses dont ils devaient discuter maintenant qu’ils étaient majeurs et en même temps, il n’avait pas envie de rompre tout de suite la sérénité de l’instant. Il inspira profondément et prit néanmoins un air un peu plus sérieux.

“Kat ?”, commença-t-il un peu hésitant. “Je me demandais où tu comptais passer Noël cette année ? Comme nous sommes majeurs maintenant, nous ne sommes pas obligés d’aller chez les Young cet été ou même dès les prochaines vacances d’ailleurs. Et je me disais que… on pourrait le faire ensemble ? Juste tous les deux, hors de Poudlard. Le manoir est vraiment à nous maintenant et… je ne sais pas trop ce qu’on doit faire pour être honnête. Je n’ai pas vraiment envie de le garder.”, il tourna la tête et la fixa avec une légère appréhension. “Je me disais qu’on pourrait peut-être le vendre, si tu es d’accord bien sûr et avec l’argent, on pourrait se trouver un appartement dans la ville de ton choix pour avoir un chez nous. Un qui ne serait pas peuplé de souvenirs lugubres où on pourrait repartir sur de bonnes bases. Tous les deux.”

Son regard resta fixé sur sa jumelle, attendant avec une certaine angoisse sa réponse, il savait que c’était relativement soudain comme proposition et ils n’étaient pas particulièrement proches. Il comprendrait qu’elle refuse, qu’elle préfère vivre sa vie sans lui ou même qu’elle veuille garder le manoir. Elle y avait de bons souvenirs avec Ulrich, elle. Ce qui était loin d’être son cas, il ne voyait que les murs sombres, le visage sadique de son aîné sur lui, les cris, les pleurs étouffés et ravalés sans jamais rien montrer de ses souffrances, de ses traumatismes. Ahren avait tout enfoui au plus profond de son être dès le plus jeune âge, attaquant avant qu’on ne le fasse comme ultime moyen de défense. Il savait très bien que cette façon d’agir lui avait causé du tort et avait contribué à sa solitude actuelle. Tout comme le manque de communication l’avait éloigné de Kathrina. Il regrettait bien évidemment mais il ne pouvait pas revenir en arrière tout ce qu’il pouvait faire à présent c’était tenter de recoller les morceaux de leur relation fêlée et tout faire pour lui donner ce qui ressemblait le plus à une relation frère-soeur normale. Ou du moins, pas trop bancale. La normalité avait quitté leur quotidien depuis trop longtemps pour qu’ils puissent ne serait-ce qu’y songer. Mais pour le reste, tout espoir n’était peut-être pas perdu. Il l’espérait de tout son cœur en tout cas.