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Terrain miné (OS famille Calder)

Roy Calder
Roy CalderPropriétaire d'un haras
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Terrain miné (OS famille Calder) Icon_minitimeMer 12 Jan 2022 - 20:05
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Bonsoir Keur Je vous présente la suite des aventures familiales de Roy, autour de sa future paternité Terrain miné (OS famille Calder) 3590073050 C'est un long OS qui se découpera en plusieurs posts, comme celui avec Jason. Bonne lecture Terrain miné (OS famille Calder) 2774444739

15 mai 2011, dans une cambrousse du Pays de Galles

Le tic-tac régulier de l’horloge vétuste du salon. Le tintement d’une cuillère contre les parois d’une tasse. Le bruissement des pages d’un journal qu’on tourne. Le battement cadencé d’un talon qui s’agitait nerveusement. Le silence n’avait jamais été aussi bruyant, jusqu’à ce que la voix claire d'Elena Calder fasse enfin taire ce raffut :  

« Qué pasa, mi hijo ? »

Roy cessa temporairement de tourner son Pear One entre ses doigts et de battre du pied sous la table. Il n’avait jamais eu de mal à comprendre la langue maternelle de ses parents et pourtant son premier réflexe fut de faire l’idiot :  

« Comment ça ? »

Un haussement de sourcils dubitatif et un sourire en coin s’esquissèrent sur le visage d’Elena, alors qu’elle jaugeait son fils du regard.

« Eh bien… Tu sais que ça me fait toujours plaisir de te voir, cariño. Mais il faut avouer que c’est rare que tu viennes tout seul, sans raison particulière. Que necesitas ? »

Elle reprit une gorgée de son café avec ce talent qu’elle avait pour paraître tranquille et assurée en toutes circonstances. C’était bien la seule dans cette pièce : Roy masquait mal sa nervosité, quant à son père, il était comme d’habitude difficile de dire à quoi il pensait. Pour le moment, il semblait avoir décidé de continuer à lire son journal sur son fauteuil, sans trop se préoccuper de ce qui se passait autour de lui. Roy avait beau chercher son regard, il ne l’obtenait pas. Ce n’était pas comme s’il avait été blessé après cette prise d’otage ratée dans ce foutu bar moldu où il avait eu la bonne idée de retrouver ses frères et soeurs, songea t-il avec une pointe d’amertume. Sa mère, elle, lui avait envoyé plusieurs messages pour s’assurer qu’il se remettait bien, mais son père ne semblait pas s’en inquiéter autant. Pire encore. Il avait l’air de lui en tenir rigueur. Evidemment, c’était toujours de sa faute de toute manière. Encore une fois, son fils raté s’était retrouvé dans une situation dangereuse. Et puisque Jason, le fils parfait Jason, s’était retrouvé mêlé à tout ça, c’était encore plus impardonnable. Roy pouvait bien dire qu’il n’y pouvait rien -pour une fois que c’était vrai- et que ce n’était que pure malchance, le jugement de Victor Calder était rendu et irrévocable.

En vérité, Roy n’était pas du tout venu pour revenir sur ce sujet mais pour une raison qu’il ignorait, il n’arrivait pas à s’empêcher de nourrir ces pensées en boucle maintenant qu’il faisait face à ses parents. Il lui avait fallu du courage et beaucoup de harcèlement de la part de sa sœur pour qu’il accepte enfin de venir. La veille encore, Irina lui envoyait de multiples messages, en le menaçant de tout révéler à leurs parents s’il ne disait rien lui-même. Maintenant que Roy acceptait enfin de leur parler, quelque part au fond de lui, il prédisait déjà que la réaction de son père serait probablement semblable à celle qu’il avait eue en apprenant son implication dans cet incident au bar moldu.

Encore des problèmes.

Brusquement, une bouffée d’orgueil saisit Roy et se mêla à cette colère qu’il taisait, lui donnant enfin le courage de faire ce qu’il était venu faire. Il plongea la main dans la poche de sa veste qu’il n’avait pas retirée comme pour signifier qu’il ne comptait pas rester longtemps. Il posa sur la table, entre sa tasse de café pleine et celle de sa mère, la réplique d’une image qu’il était allé chercher jusqu’aux Etats-Unis, trois jours plus tôt. Elena ne mit que quelques secondes à comprendre de quoi il s’agissait.

« Mais, c’est… 
-Une échographie. » Dans son champ de vision périphérique, Roy perçut un mouvement chez son père qui levait enfin les yeux de son journal. « Je vais avoir un bébé. Une fille. »

Il ne s’habituait toujours pas au fait de le dire, mais des sentiments un peu différents l’habitaient quand il en parlait depuis qu’il avait décidé d’accepter cet enfant dans sa vie, et plus particulièrement depuis qu’il l’avait rencontrée pour la première fois dans cette salle d’auscultation, à travers un écran. Il avait vu cette forme floue sur l’image respirer, il avait vu le ventre de Joséphine gonfler de cette présence soudainement très réelle. Quelques heures plus tard seulement, en parlant avec Avalon au téléphone, il avait identifié le sentiment d’émerveillement qui commençait à prendre plus de place que sa peur.

S’il avait accepté de le laisser voir à sa petite amie, partager cette émotion avec ses parents lui parut bien trop intrusif. Il protégea son intimité en répondant très factuellement au choc que sa mère exprimait :

« Comment… ? Dios mio ! balbutia t-elle en perdant tout son anglais. Quand ? Avec qui ? C’est ta… petite amie ?
-Non. C’est une femme qui vit aux Etats-Unis.
-Aux Etats-Unis ? répéta Elena, incrédule. Mais… Comment ça ? Elle va venir s’installer ici ? Ou c’est toi qui vas aller vivre là-bas ?
-Ni l’un ni l’autre, on a chacun nos vies et ça va rester comme ça » déclara Roy, d’un ton très affirmatif qui réduisit sa mère au silence. Choquée, elle échangea un regard avec son mari. « On va élever ce bébé tous les deux sans vivre ensemble, on a…
-Alors c’était un accident. »

Ce ton brut, qui tranchait l’air en deux côtés, celui du bien et du mal, Roy le connaissait par coeur. Il n’eut même pas besoin de lever les yeux vers son père pour savoir qu’il désapprouvait tout ce qu’il était en train de dire. Tout se déroulait exactement comme il l’avait prédit avant de venir. S’il avait maintes fois enduré des discours moralisateurs de son père par le passé, cela faisait quelques années désormais que Roy n’acceptait plus de les entendre. Mais cette fois-ci, il ne chercha pas à lui rentrer dedans ou à se montrer provocateur, comme il en avait l’habitude. Le sujet était trop sensible, trop important et au fond, Roy ne se sentait pas du tout assez armé pour faire face à un discours qui ne ferait que réveiller ses propres peurs.

Il n’avait vraiment aucune envie que son propre père lui confirme qu’il n’était pas du tout prêt à devenir père à son tour.

Poussé par un instinct de fuite, il se leva de sa chaise et évita consciencieusement le regard de Victor en s’accrochant plutôt à celui d’Elena.

« Elle doit naître en octobre, annonça t-il. Je voulais juste vous tenir au courant. Vous en faites ce que vous voulez. 
-Que… Mais, attends, ne pars pas comme ça !
-Je dois y aller, à plus tard.
-Roy… »

Il referma la porte du salon et pressa le pas jusqu’au vestibule, en laissant derrière lui ses parents avec pour seule preuve de cette conversation délirante, une petite photo d’une forme floue déposée sur leur table.




Roy Calder

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Terrain miné (OS famille Calder) Icon_minitimeMer 2 Fév 2022 - 19:14
16 mai 2011

Allongé sur son lit dans la pénombre, le visage uniquement éclairé par la lumière agressive du Pear One qu’il tenait entre ses mains, Roy relisait pour la troisième fois la conversation qui nourrissait chez lui un dilemme intérieur. La veille, il avait ignoré l’appel de sa mère qui suivait de quelques heures seulement son annonce hâtive. Elle avait retenté de l’appeler tout à l’heure, au coeur de l’après-midi, à un moment où il n’était pas disponible. Il s’en était rendu compte en voyant que son Pear One clignotait d’un message laissé sur son répondeur. Rappelle-moi quand tu peux, avait-elle insisté, en répétant ses messages écrits.

Il connaissait assez sa mère pour deviner qu’elle l’appelait en toute bonne foi, pour tenter d’arrondir les angles, comme elle avait l’habitude de le faire quand des crises agitaient son foyer. Elle essayait toujours d’arranger les choses, en consacrant beaucoup d’énergie à jouer les intermédiaires. A priori, Roy ne prenait pas trop de risques en acceptant de lui parler et pourtant, presser ce bouton de rappel qui le narguait depuis quelques minutes lui paraissait être un effort intense.

« Fuir devant ce que t’as engendré. »

La voix de Fergus qui avait prononcé ces mots sur un ton désapprobateur quelques semaines plus tôt s’imposa dans son esprit en faisant taire ses autres pensées fourmillantes. Engendrer un enfant, c’était aussi engendrer cette situation dans laquelle il devait assumer cet acte face à sa famille. Il avait fui l’autre jour. Et il était en train de fuir, encore, alors même qu’il avait pris la décision inverse. « Pour quel genre d’homme de ce type tu as du respect ? » avait ajouté Fergus.

Rebuté par sa propre attitude, Roy décida enfin de presser le bouton sous son pouce, avant de coller le combiné sur son oreille.

« Allô ?
-Salut maman. Je te dérange pas ?
-Non ! Non pas du tout, cariño. Je suis contente que tu me rappelles. Attends, une minute. » Il s’écoula quelques instants, que Roy interpréta comme le temps nécessaire pour sa mère de trouver un lieu où elle serait tranquille. « C’est bon, je suis à toi.
-Bah… C’est toi qui m’a appelé, je t’écoute.
-Oui, oui, tout à fait. Je voulais qu’on reparle de… ce que tu nous as dit hier. » Un bref silence que Roy veilla à ne pas interrompre marqua cette déclaration. « C’était un choc, tu sais…
-Ouais... J’ai vu.
-Ecoute, je veux juste te dire que… On est là pour toi. Si tu as besoin de quelque chose, on est là. »

Ces mots que Roy n’attendait pas, ou en tout cas pas aussi vite, le laissèrent silencieux un instant. Un fond de méfiance l’empêchait de se sentir pleinement touché par les paroles de soutien de sa mère.

« Quand tu dis « on », c’est papa et toi ?
-Bien sûr !
-Pourquoi il m’appelle pas avec toi alors ? »

Il entendit à travers le combiné un soupir suivi d’un silence.

« Dale tiempo. »

Une réponse qu’il connaissait par coeur pour l’avoir entendue de nombreuses fois dans la bouche de sa mère. Donne-lui du temps pour changer d’attitude, Roy. Donne-lui du temps pour digérer tes conneries. Elena dut sentir que cette réponse ne le satisfaisait pas vraiment, car elle s’empressa d’ajouter :

« On ne s’attendait pas à ce que tu nous fasses une telle annonce et puis ta situation n’est pas vraiment… traditionnelle. Disons, dans l'ordre habituel des choses. Mais tu sais, on pense tous les deux que tu as pris la bonne décision en acceptant d’élever cet enfant.
-Ce que tu veux dire, c’est que papa était agréablement surpris que j’en aie quelque chose à foutre d’une femme que j’ai engrossée et que j’assume mes responsabilités, c’est ça ?
-Roy, ce n’est pas ce que j’ai dit… »

En effet, et la vérité c’est que tu as effectivement considéré l’option de ne rien assumer du tout pendant plusieurs semaines, souffla une voix plus honnête dans la tête de Roy. Mais c'était plus fort que lui, il se montrait provocateur sur les sujets où au fond, il se sentait encore fragile. La meilleure défense était l'attaque. Même si les paroles de sa mère étaient encourageantes, il préféra ne rien répondre jusqu’à ce qu’elle reprenne la parole à sa place :

« Tu n’es pas obligé de faire ça tout seul, cariño. On peut t’aider. 
-Ça va aller, maman, je suis entouré.
-Je sais, tu as tous tes amis. Mais… Tu as aussi ta famille. Et tu t’apprêtes à agrandir cette famille, avec la naissance de ta propre fille. Roy, ce bébé sera la nièce de tes frères, de ta soeur. Notre petite-fille à ton père et moi, souffla t-elle. Penses-y, d’accord ? C’est tout ce que j’essaye de te dire. On est là. »

Ces mots restèrent entre deux pendant un long moment. On est là. Des mots qui semblaient une évidence, mais Roy ne les avait pas beaucoup entendus ces dernières années. Un tel éloignement s’était creusé entre sa famille et lui qu’il avait appris à avancer dans sa vie sans eux. Il n’avait pas vraiment considéré la situation sous l’angle que sa mère était en train de lui pointer. Il ne s’apprêtait pas seulement à avoir une fille. Il allait donner une nièce à ses frères et soeurs, une petite-fille à ses parents. Cette perspective lui semblait brusquement vertigineuse, et pas complètement étrangère à la fois. Une part de lui était déjà plus ou moins consciente que s’il avait eu tellement de mal à appréhender l’idée de devenir père, c’était précisément parce que ses liens avec sa propre famille était abîmés. Quel genre de père serait-il en étant un si mauvais fils et un si piètre grand frère ?

Les paroles de sa mère réveillaient cette pensée qu’il s’était efforcé d’enfouir car il n’avait pas très envie d’y réfléchir. Il se contenta de répondre plutôt évasivement :

« D’accord. J’y penserai. Hum... Merci pour l’appel. »

Il sentit au ton d’Elena qu’elle souriait en répondant :

« Tu oublies autre chose. Que le dices a tu madre antes de colgar ? » *

Une autre phrase que Roy connaissait par coeur venant de sa mère. Plus jeune, elle l’interpelait à chaque fois qu’il s’apprêtait à passer le pas de la porte de chez eux ou à monter dans le train en direction de Poudlard : qu’est-ce qu’on dit à sa mère avant de partir ? Elle n’avait réussi que très rarement à lui arracher le « je t’aime » qu’elle réclamait. Un léger sourire perça les lèvres de Roy, alors qu’il répondait à côté pour ne pas changer :

« Buenas noches. »

Il raccrocha sans laisser le loisir à sa mère de le rattraper.



*Que dit-on à sa mère avant de raccrocher ?


Roy Calder

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Terrain miné (OS famille Calder) Icon_minitimeDim 13 Fév 2022 - 21:33

2 juillet 2011

« Je crois que c’est le carton sur la pile de gauche, au fond, attends, recule un peu. »

De son poignet, Elena exécuta quelques mouvements circulaires précis avec sa baguette magique pointée vers des tas de cartons empilés, avant de tirer d’un coup sec en arrière. Celui qu’elle cherchait à faire sortir atterrit à ses pieds en lévitant, tandis que les autres cartons se replaçaient. Ce grenier était à l’image de celle qui le rangeait : bien ordonné et soigné, même s’il s’agissait d’un débarras. Elena se pencha vers le carton pour lire l’étiquette qu’elle y avait collé et qui indiquait « Affaires Irina / 0-5 ans ».

« C’est bien celui-ci ! J’avais tout rangé là-dedans.
-Tu sais que t’es pas obligée de les ressortir, hein, je comptais acheter ce qu’il faut.
-C’est stupide, tu ne vas pas acheter des choses alors que tu peux en récupérer » répliqua t-elle d’un ton sans appel. Personne ne pouvait empêcher Elena Calder de faire de bonnes affaires, elle était passée maîtresse dans l’art de récupérer et recycler des articles pour faire des économies, ce qui était à mille lieues des soucis d’un millionnaire tel que Roy, mais il sentait que protester allait seulement contrarier sa mère. « Regarde tout ce carton, ça fait des années qu’il reste ici à ne servir à rien ! Et comme ta soeur fait la grimace à chaque fois que je lui parle du fait d’avoir des enfants… Tu es notre meilleur espoir de donner une seconde vie à toutes ces affaires ! »

Qui l’eût cru, se dit Roy avec ironie. De tous ses frères et soeurs, il était le premier à enfanter. Quelques mois plus tôt, il aurait ri au nez de celui qui lui prédisait un tel destin.

« Vraiment, vous ne fondez pas d’espoirs sur Jason ? Je suis sûr qu’il sera très content de récupérer tout ça, je m’en voudrais de l’en priver, tu sais comme je suis généreux. » Elena lui jeta un regard en biais, les sourcils levés, signe qu’elle n’avalait évidemment pas ses salades. « Quoi ? Il a bien une copine maintenant, non ? Dans un an, c’est plié, il est marié, il vit dans une maison avec deux chiens et un bébé en route, c’est sûr.
-Je crois qu’il veut prendre son temps, tu sais, et puis ils ne sont pas ensemble depuis si longtemps avec sa petite amie. Allez, laisse-moi passer devant, j’emmène le carton. »

Roy laissa Elena faire léviter le carton devant eux et prendre la tête de la marche vers le rez-de-chaussée. Un peu mollement, car il n’était pas certain de vouloir récupérer des affaires vieilles de vingt-cinq ans, il se laissa tomber sur le canapé face à la table basse du salon, où le carton finit par atterrir. Sa mère, elle, était au contraire surexcitée et s’empressait déjà d’ouvrir la boîte pour en sortir des vêtements soigneusement pliés.

« Oh, j’ai acheté tellement de vêtements à ta soeur quand elle était bébé, c’était une vraie petite poupée ! Je lui mettais des noeuds dans les cheveux, se rappela t-elle avec un sourire attendri, en sortant des petits accessoires. Regarde ça ! N’est-ce pas trop mignon ? Et ce petit body ! C’était celui qu’elle portait à sa naissance.
-J’ai pas besoin de vêtements de nourrisson, fit remarquer Roy.
-Comment ça ? Il faut bien qu’elle ait un trousseau de vêtements pour les moments où tu vas la récupérer, non ?
-Je vais pas la récupérer, c’est plutôt moi qui vais aller la voir. Joséphine aura la garde complète pendant au moins un an, on s’est mis d’accord là-dessus. » Face à l’évidente surprise qui se peignait sur le visage d’Elena, il se sentit obligé d’ajouter quelques explications. « On préfère pas la faire voyager loin la première année, elle sera trop petite et dépendante de sa mère… Je pourrai la ramener ici quand elle sera sevrée et assez grande pour supporter le voyage.
-Oh… Oui, je vois. C’est logique. »

Malgré cette réponse rationnelle, Roy sentit sa mère déstabilisée. Il pouvait deviner à peu près pourquoi : elle semblait contente d’accueillir sa première petite-fille alors apprendre qu’elle ne la verrait pas beaucoup, au moins les premières années, devait la décevoir. Un peu mal à l’aise de provoquer ce sentiment chez elle, il essaya de mettre un peu plus de bonne volonté dans leur discussion :

« Bon. Alors qu’est-ce que t’as là-dedans pour une petite fille de deux ans ? »

Elena ne répondit pas tout de suite, comme si elle n’avait pas entendu la question de son fils. Elle sortait du carton plusieurs vêtements de petite taille, qu’elle posait lentement sur ses genoux, pensive. Elle revint sur le sujet, plus insistante :

« On peut quand même offrir ces vêtements à Joséphine pour qu’elle les mette au bébé, non ? Il y a plein de choses adorables… 
-Bah… Je sais pas, je pense qu’elle a déjà tout ce qu’il faut de son côté.
-Bon, tu sais quoi, je vais trier et faire une pile de ce qui est en bon état, répondit t-elle comme si elle ne l’avait pas entendu. On les apportera à Joséphine quand on ira la voir et elle choisira ce qu’elle veut garder. »

Roy retint un soupir en cédant, parce qu’il n’avait pas forcément envie de contrarier l’une des rares personnes de sa famille qui lui témoignait un total soutien dans cette histoire :

« Ok. »

Cela semblait être le bon compromis, car Elena retrouva un peu de son entrain en demandant :

« Au fait, vous avez choisi un prénom ou pas encore ?
-C’est, euh… compliqué.
-Vous n’arrivez pas à vous mettre d’accord ?
-Nan… J’ai insisté pour lui donner un prénom espagnol, mais Joséphine est plutôt prénom français. Alors pour l’instant, ça bloque.
-Ah oui, c’est compliqué quand il y a plusieurs cultures… Tu sais, ton père a été très têtu sur vos prénoms, c’était difficile aussi de nous mettre d’accord.
-Vraiment, papa têtu ? Quelle surprise, ironisa Roy.
-Bah, tu es pareil visiblement » rétorqua Elena, s’attirant le silence contrarié de son fils. Non, il n’était pas têtu, il savait simplement ce qu’il voulait ! « Il voulait absolument que vous ayez tous des prénoms qui soient à la fois espagnol et anglais, ou en tout cas, qui ne choquent pas à l’oreille pour des anglais. C’était pour que vous soyez mieux intégrés, il disait. Peut-être que tu peux trouver un compromis comme ça avec Joséphine ? Un prénom qu’on retrouve à la fois en français et en espagnol.
-Mouais, non… répondit Roy, en faisant la moue. Je demande pas la lune non plus, déjà qu’elle va porter le nom de famille de sa mère, elle peut bien avoir un prénom espagnol. Je vais pas lâcher sur ça, c’est bon. Je lui proposerai d’autres prénoms, jusqu’à ce qu’elle accepte. »

Amusée, sa mère sourit.

« Tu vois que tu es têtu toi aussi. »

Cette fois, Roy ne se priva pas de lever au ciel et de changer de sujet :

« Bon y a autre chose que des vêtements dans tes cartons ?
-Eh bien… Je me suis débarrassée de tout ce qui est poussette, landau, c’était trop encombrant. Mais j’ai gardé des jouets, des livres pour enfants. Tu peux prendre ce que tu veux. »

Elle en tendit une pile de livres cartonnés et colorés à Roy qui les passa entre ses mains. Il marqua un arrêt sur le titre « le Roi Lion » qui provoqua chez lui un sourire imperceptible. Il le mit discrètement de côté. Elena fit alors une pause dans son déballage de cartons, pour interpeler directement son fils :

« J’y pensais, tu ne nous as rien dit sur Joséphine. On ne sait rien d’elle, à part son prénom.
-Bah… » Comment dire poliment que lui-même ne savait pas beaucoup de choses sur elle ? Roy préféra biaiser : « Qu’est ce que tu veux savoir ?
-Je ne sais pas, tout ? Qu’est ce qu’elle fait dans la vie ? Est-ce qu’elle a d’autres enfants ? Où est-ce qu’elle habite exactement ? Comment vous vous êtes connus ?
-Mais t’as intégré la Milice ou quoi ?
-Tu exagères, je veux juste en savoir plus sur la mère de ma future petite fille ! C’est normal, non ? »

Roy voulut bien lui accorder ce point et répondit factuellement :

« Elle s’appelle Joséphine, elle vit à la Nouvelle Orléans, elle bosse dans un hôtel. Elle est sorcière elle aussi mais elle pratique une magie… différente. Elle a déjà des enfants, deux filles, qui sont assez grandes. Je l’ai connue parce qu’elle est la cousine d’une de mes amies.
-Et vous avez été en couple… ? »

A cet instant, Roy hésita. Il ne comptait pas mentir mais il pouvait aussi choisir d’éluder. Il n’avait pas forcément envie d’expliquer que la future mère de sa fille était un coup d’un soir de passage. Mais il finit par songer que c’était le genre d’information qu’il ne pourrait pas cacher pour toujours de toute manière, puisque ses parents finiraient forcément par rencontrer Joséphine un jour ou l’autre.

« Non, pas du tout.
-Tant mieux !
-Ah oui ? s’étonna Roy. Je pensais que tu désapprouverais. »

Elena prit un air entendu de maman qui sait tout en regardant son fils par en-dessous et faire l’un de ses commentaires qu’on n’attendait pas, comme elle savait si bien le faire :

-Oh, cariño. Je sais très bien que ça fait des lustres que tu as décidé de ne pas attendre le mariage pour soulever des jupes. Mais cette fois je trouve ça plus simple pour vous si vous n’avez pas eu une relation sérieuse, ça veut dire qu’il n’y a pas eu de rupture ou de ressentiment entre vous. C’est plus sain si vous devez vous occuper d’un bébé à deux, vous aurez moins de problèmes comme ça. »

Entre l’envie de rire et la conscience des paroles tout à fait sensées de sa mère, Roy accepta de lui donner raison :

« Ouais… C’est sûr. C’est pas plus mal comme ça. »

Surtout que Joséphine avait son gros caractère -et Roy aussi-, c’était déjà assez de prises de tête parfois alors il n’avait pas du tout envie d’être en plus son ex avec qui elle partageait la garde d’un bébé. Il s’abstint de le dire pour ne pas lancer d’autres questions de sa mère sur le sujet mais malheureusement elle se dirigea sur un sujet encore plus délicat :

« Et ta petite amie, qu’est ce qu’elle en pense ? »

La petite amie. La fameuse. Roy n’avait pas vraiment pu contrôler l’information à ce sujet, par la force du hasard, ses parents avaient fini par avoir l'information. Il aurait préféré qu’ils ne le sachent pas encore ou en tout cas, que ça se fasse autrement. Mais les choses étaient faites et depuis, sa mère oscillait entre respecter sa discrétion et chercher à en savoir plus par des questions plus ou moins subtiles. Quant à Roy, il se montrait lui aussi assez ambivalent. Sa relation avec Avalon était trop importante pour qu’il n’en parle pas du tout mais il faisait très attention à ce qu’il disait et délivrait des informations bien choisies au compte-gouttes : il n’avait pas du tout envie que ses parents -son père surtout- émettent des commentaires sur qui il fréquentait.

Il ne parlait donc d’Avalon que si c’était nécessaire et si cela pouvait servir sa cause. En l’occurrence, il vit quelques intérêts à répondre sincèrement à la question de sa mère, notamment de pouvoir montrer qu’il n’était pas totalement perdu dans ses relations amoureuses malgré ce bébé surprise qui lui tombait sur les bras, mais aussi qu’Avalon était une personne incroyable et un soutien précieux, car peu de personnes auraient réagi comme elle dans sa situation. Si Elena supposait que le sujet était tabou ou conflictuel entre eux, il la démentit donc aussitôt :

« Elle est au courant et elle l’accepte. Elle me soutient là-dedans.
-Eh bien… C’est très bien. En voilà une qu’il ne faut pas laisser filer, hijo. »

Cette fois, Roy laissa voir son sourire.

« Ouais, je sais. »


Roy Calder

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Terrain miné (OS famille Calder) Icon_minitimeDim 27 Mar 2022 - 19:05
7 septembre 2011

Le mois de septembre démarrait mal. Roy se réveillait régulièrement avec une boule d’angoisse au ventre qu’il s’efforçait de réprimer tout le reste de la journée. C’était évidemment le résultat d’échéances qui arrivaient prochainement : la naissance, bien sûr, mais aussi le procès qui concernait la garde de Vivianne et dans lequel il s’impliquait pour soutenir Avalon dans la construction de son dossier. Ces événements généraient une certaine anxiété qu’il arrivait à gérer jusqu’à maintenant. Jusqu’à cette discussion qu’il avait eue avec Avalon, pour lui proposer de vivre ensemble.

« On ne peut pas faire vivre les enfants ici » avait-elle déclaré, comme une évidence, en parlant de la maison dans laquelle il habitait. Elle l’avait dit sans même y réfléchir, pensant certainement que Roy était déjà arrivé à cette conclusion de son côté. Pourtant, ce n’était pas le cas. Il ne se projetait pas encore vraiment dans l’idée d’accueillir sa future fille chez lui, puisqu’il savait que, pendant la première année au moins, c’était lui qui ferait systématiquement le voyage pour aller la voir. La question de savoir où il l’accueillerait quand elle viendrait ne se posait donc pas encore mais quand il y avait pensé, il ne s’était pas dit que sa maison n’était pas adaptée pour une enfant.

Maintenant qu’Avalon l’avait souligné, il ne voyait plus que ça. Il y pensait quand il n’était pas occupé, un pli soucieux se formait entre ses sourcils et il se renfermait sur lui-même. Peu à peu, il s’était mis à penser qu’il n’était sans doute pas prêt du tout à accueillir une enfant chez lui, ni Vivianne ni son bébé.

Il n’en disait rien, évidemment. Il donnait le change, comme si de rien n’était, comme si une partie de lui-même n’était pas en train de se remettre totalement en question. Il se sentait spectateur de sa propre envie de fuite, celle qu’il avait redoutée pendant des mois, et cela le paralysait.

Et voilà, encore une fois, Roy, tu vas préférer fuir plutôt qu’échouer.

Et il enfouissait, il enfouissait tout. Ses doutes, sa culpabilité face à ses doutes. Il ne disait rien, il faisait face à son entourage sans rien montrer de son ébranlement intérieur. C’était ainsi qu’il avait été éduqué : rester fort, ne pas parler de ses faiblesses.

Face à ses parents, tout particulièrement, Roy renforçait cette garde que certains de ses amis les plus proches pouvaient lui faire baisser parfois. Il revêtait et renforçait symboliquement son armure à chaque fois qu’il allait les voir, tout simplement parce qu’ils étaient les plus à mêmes d’y porter les coups les plus douloureux. Son père, surtout. Son père, dont, après quatre mois à évoquer cette naissance à venir, il ne parvenait toujours pas à cerner ce qu’il pensait.

Sa mère, c’était assez facile. Elena avait toujours été très expressive. Roy l’avait vue d’abord sous le coup du choc, puis elle s’était montrée inquiète pour lui, elle lui avait manifesté sa présence, elle avait voulu l’aider, elle l’avait fait avec sincérité et s’était même prise au jeu. Il la sentait préoccupée, mais aussi contente d’accueillir sa première petite fille.  

Victor Calder, en revanche, c’était une autre histoire. Un mur infranchissable. Un titan de glace dont Roy ne connaissait que deux émotions franchement exprimées : la colère et la déception. Le reste n’était qu’esquissé ; une ombre de sourire s’il était content, un soufflement du nez s’il était amusé, un haussement d’épaules s’il était lassé. Quand il n’était encore qu’un enfant, Roy avait accumulé les bêtises, les frasques, inconsciemment en partie dans l’espoir de provoquer des réactions chez cet homme qui semblait indestructible. A certains moments, il avait réussi, provoquant chez lui des colères monumentales qui figeaient tout le monde sur place. Au fur et à mesure des années, Roy avait tout simplement intériorisé l’idée qu’il était difficile de savoir ce que son père pensait, sauf s’il était déçu ou furieux, tout simplement parce qu’il n’exprimait pas beaucoup le reste. Roy avait continué de se heurter encore et toujours à ce mur de glace, jouant son rôle de fils indomptable qu’il avait toujours joué dans la routine de leurs rapports, comme des scènes sensées se répéter éternellement, engendrant une certaine lassitude, beaucoup de frustration mais aussi des repères rassurants, bizarrement. Entreprendre des actions qui allaient agacer ou faire râler son père, Roy connaissait bien, c’était familier.

Pourtant, cette fois, pour une fois, il était difficile de déceler ce que Victor pensait de cette énième bêtise que son fils aîné avait faite en mettant enceinte une femme qu’il connaissait à peine. Roy s’était attendu à de longs discours moralisateurs de sa part mais il restait étrangement plutôt silencieux sur cette histoire. Pas totalement non plus, il avait eu quelques remarques à des moments, qui trahissaient qu’il n’était pas tout à fait satisfait de la situation. « Il est simplement inquiet pour toi » lui avait expliqué sa mère. Roy était resté sceptique. Il lui semblait déceler du jugement plus que de l’inquiétude chez lui.

Mais pour une fois, Victor n’en faisait pas de grands discours pour souligner que son fils prenait encore une fois les pires décisions et préférait rester dans un silence qui n’évoquait pas grand-chose à Roy. Plusieurs fois, ils se retrouvèrent dans le salon des Calder, avec Elena qui bavardait sans s’arrêter et posait mille questions sur le bébé et sur Joséphine, pendant que Victor ne pipait mot, sans qu’on sache s’il écoutait la discussion ou s’il n’en avait strictement rien à faire. Si Roy s’était senti mal à l’aise, déstabilisé, voire un peu vexé au début, il finit par y trouver son compte et s’en accommoder. Après tout, mieux valait un silence plutôt que des reproches.

C’était donc une nouvelle routine que Roy prenait ces derniers temps. Il se retrouvait dans le salon de ses parents, avec sa mère qui parlait beaucoup et son père qui était simplement présent. Maintenant, il venait prendre le thé chez eux, une fois toutes les deux ou trois semaines à peu près. Il n’avait jamais été chez eux si souvent depuis bien longtemps, mais il avait entendu ce que sa mère lui avait dit, quelques mois plus tôt. Il avait eu le temps d’y réfléchir et parvenir à la conclusion que même si ses liens avec sa famille étaient abîmés, il n’avait pas forcément envie que son futur bébé en subisse les conséquences et soit isolé comme lui. Il avait de bons souvenirs d’enfance avec ses oncles, ses tantes, ses grands-parents, ses cousins alors il souhaitait offrir la même chose à sa fille. Être un bon père lui semblait passer à un endroit par le fait d’avoir une relation fonctionnelle avec sa famille, il essayait donc de faire quelques pas dans leur direction.

Et il se surprenait à y prendre un peu goût. Il y avait quelque chose de plutôt rassurant de sentir soutenu et écouté par sa mère qui débordait de conseils avisés. Il parlait plus souvent avec Irina par messages, ils se charriaient beaucoup, réveillant leur complicité endormie. Même avec Jason, les relations s’étaient un peu détendues, depuis la conversation qu’ils avaient eue tous les deux après la prise d’otage ratée du café. Ils n’en étaient pas à s’envoyer des messages mutuellement, mais quand ils se voyaient chez les parents, ou que des conversations de famille se réveillaient dans leur messagerie Pear, ils se parlaient plutôt normalement, sans s’écharper. Un progrès immense quand on considérait l’état de leurs relations ces dernières années.

En somme, l’arrivée de ce bébé contribuait à le rapprocher de sa famille d’une manière qu’il n’aurait jamais pu anticiper, il s’en trouvait lui-même surpris. Fidèle à lui-même, il se contentait pour le moment d’en profiter, sans y réfléchir outre mesure.

« Mais alors, tu ne nous as pas dit comment vous allez vous organiser avec Joséphine pour la garde, exactement ? »

La question que sa mère posa au milieu de son salon où ils avaient pris l’habitude de prendre un thé éveilla une réaction chez Victor que Roy ne manqua pas. Il sembla intéressé par la question et par la réponse que son fils donnerait, puisqu’il tourna les yeux vers lui. Inconsciemment, Roy se sentit comme face à un test dont il espérait donner la bonne réponse :

« Elle a la garde complète la première année. On s’est dit que c’était mieux d’éviter de faire voyager le bébé sur des trop grandes distances, à cet âge, elle pourra pas rester longtemps loin de sa mère. Et puis un voyage en Portoloin ou en avion, c’est pas adapté pour un bébé. Donc je me déplacerai pour la voir régulièrement. A partir d’un an, je pourrai la prendre avec moi sur des week-ends en restant autour de la Nouvelle-Orléans. On s’est mis d’accord sur le fait qu’à partir de deux ans, elle pourra faire le voyage en Angleterre. »

Cette déclaration jeta un silence qui n’était pas de très bonne augure. Sa mère avait l’air mal à l’aise, quant à son père, un pli contrarié s’était formé entre ses sourcils.

« Elle ne viendra pas ici avant deux ans ? C’est beaucoup… »

Face à ce qui s’apparentait à une critique, Roy se mit aussitôt sur la défensive :

« Bah ouais mais on peut pas faire autrement. Joséphine ne quittera jamais les Etats-Unis, et c’est pas dans mes plans de déménager là-bas.
-Oui, je comprends bien mais… » Elena prenait ce ton précautionneux qu’elle avait quand elle sentait que le sujet était sensible. « Ca veut dire qu’on ne va pas beaucoup la voir, nous. »

Un silence gêné suivit cette remarque. Roy prit conscience qu’il n’avait pas du tout pris en considération ce point quand il avait négocié la garde avec Joséphine, il avait principalement eu en tête l’intérêt du bébé et ses intérêts à lui. Il n’avait pas songé au fait que ses parents pourraient vouloir voir le bébé souvent. Il fallait dire qu’au moment où il avait discuté de la garde avec Joséphine, il n’avait encore rien annoncé à ses parents. Difficile de se projeter dans quoique ce soit les concernant, puisqu’il ne savait même pas comment ils allaient accueillir la nouvelle.

Roy comprit donc à cet instant qu’il avait peut-être fait une erreur de jugement, mais il n’eut pas l’humilité de le reconnaître. Il chercha toutefois à régler la situation autrement :  

« Bah je peux vous payer les billets pour le voyage quand vous voulez, si c’est ça le souci. »

Le silence qui suivit répondit à la place de ses parents et Roy se sentit bête. Evidemment, il était hors de question que son père accepte l’argent sale de son fils, à quoi pensait-il ?

« Peut-être que c’est un peu strict de ne pas du tout la faire voyager avant ses un an, non ? Tenta Elena. Quand tu étais bébé, on t’avait emmené avec nous au Mexique une fois et tu devais avoir neuf ou dix mois, ça s’était bien passé…
-Mais vous étiez ensemble, souligna Roy. Toi tu étais là, précisa t-il en visant sa mère. Je vais pas séparer un bébé de sa mère pour la ramener ici, elle sera trop petite pour ça.
-Et Joséphine ne pourrait pas venir, elle ?
-Mais Joséphine peut pas partir comme ça, elle a d’autres filles qui sont petites aussi.
-Elle est bien venue ici une fois toute seule, de toute évidence, sinon vous n’en seriez pas là » intervint Victor en haussant les sourcils d’un air que Roy jugea réprobateur.

Sous-entendu quand il s’agit de s’envoyer en l’air avec des inconnus, elle veut bien venir la petite dame mais quand c’est pour ramener sa fille, y a plus personne. Merci papa. Roy se fit violence pour ne pas réagir à cette provocation et tenta de mettre fin à ce sujet :

« Ecoutez, je me suis arrangé avec Joséphine en fonction de ce qu’on jugeait bien tous les deux. On a pris notre décision, c’est comme ça, je vais pas revenir dessus. »

Malheureusement, cette déclaration ne suffit pas à retenir Victor Calder de donner le fond de sa pensée. Il déclara de ce ton affirmatif que Roy avait toujours trouvé insupportable :

« Ce n’est pas assez ce que tu as convenu, ce bébé aura aussi besoin de voir son père. Il faut que tu t’impliques plus pour cette enfant. »

Le nouveau silence qui s’imposa fut beaucoup plus lourd et tendu que les précédents, car le regard de Roy s’était brusquement assombri, annonçant l’une de ses légendaires colères. Il n’explosa pas mais il se montra extrêmement froid en s’adressant à son père et en laissant tomber toute tentative de se retenir face à ce qui était pour lui les mots de trop :

« M’impliquer plus ? Tu veux dire comme toi tu t’es impliqué pour cette enfant en me disant en tout trois mots sur le sujet depuis que je vous l’ai annoncé y a cinq mois ? Tu te fous de ma gueule ?
-Roy…
-Quoi ? Quoi Roy ? s’exclama t-il en haussant le ton. T’es sérieuse là, tu vas prendre sa défense comme d’habitude ?
-Tu ne parles pas comme ça à ta mère » le réprimanda fermement Victor.

Habituellement, quand il recevait ce type de réprimande qui lui donnait l’impression d’avoir à nouveau cinq ans, Roy s’énervait encore plus. Mais quand il vit le regard blessé et inquiet de sa mère, les tasses de thé froides entre eux sur la table, il ressentit un malaise qui l’empêcha de surenchérir dans les mots odieux. Tous ces efforts ces derniers mois pour tout envoyer valser de mauvaises paroles ? Alors qu’il commençait à reconstituer des liens avec ses frères et soeurs, avec sa mère ?

Il n’en voulait pas à sa mère, en plus. Plutôt que de se laisser emporter dans une de ses colères aveugles qui n’épargnait personne sur son passage, Roy choisit à cet instant de la diriger sur la seule personne qui méritait son courroux, actuellement, et qui ne lui avait donné aucune raison de faire des efforts. La maîtrise qu’il retrouva sur sa voix ne l’empêcha pas de se montrer cinglant :

« C’est vrai, Maman n’a rien fait de mal. Elle s’implique et elle me soutient depuis le début. Toi par contre, à part pour critiquer ce que je fais, c’est le silence. Ouais, je vais avoir un bébé avec une femme qui vit aux Etats-Unis, c’est pas l’idéal, c’est pas le scénario de rêve, mais c’est arrivé et je fais avec. Je sais même pas ce que tu voulais que je fasse de plus face à cette situation en fait ? »

Loin de se démonter face à la colère de son fils, Victor répliqua avec un regard tout aussi noir :

« Que tu ne te retrouves pas dans cette situation tout court aurait été un bon début. »

Cette remarque, comme la première, fit décoller quelque chose chez Roy qui ne parvint plus à tenir le ton de sa voix.

« Putain mais c’est toujours la même chose avec toi ! explosa t-il. Tout ce que tu sais faire, c’est me dire ce que j’aurais pas dû faire ! Joséphine accouche dans un mois, ça change quoi à la situation de me dire que j’aurais pas du la mettre en cloque ? Tu crois que c’est ce que je voulais, moi ?
-Ce n’est pas une excuse ! » Victor rugissait lui aussi, désormais. Elena, entre les deux, semblait désemparée de la tournure que prenait la discussion, mais ni son mari ni son fils ne firent attention à elle. « A t’entendre, tu subis tout ce qui t’arrive mais non, tu fais des choix, tu fais des mauvais choix, ce qui te place perpétuellement dans des situations impossibles et tu es incapable de le reconnaître !
-Toi t’es incapable de changer de disque en quinze ans, c’est dingue. Putain, tu vois pas que t’es tout seul là ? Je vais avoir un bébé et t’es le seul à faire encore la gueule à ce sujet ! Tout le monde fait de son mieux avec la situation telle qu’elle est, tout le monde fait des efforts pour que ça se passe bien. Même Jason me soutient. Et toi, t’es encore bloqué sur les origines de cette situation. Tu vas lui dire quoi à ma fille quand elle sera là, qu’elle est le résultat d’un mauvais choix et qu’elle devrait pas être là ? »

Chose rare, cette déclaration sembla déstabiliser suffisamment son père pour qu’il ne trouve pas quoi répondre immédiatement. Roy saisit cette opportunité pour donner un dernier coup et regagner un peu de cette légitimité que son père lui refusait :  

« T’es tout seul, papa. Y a que toi qui n’arrive pas à suivre. Alors, remets-toi en question, un peu, pour une fois. »

Sur ces mots, Roy se leva de table et sortit aussitôt de la pièce, ébranlé par ce qu’il avait osé dire. Il n’écouta pas les appels de sa mère qui essayait de le retenir, préférant fuir après cette semi-victoire, plutôt que de prendre le risque que son père réplique et ne le blesse encore plus qu’il ne venait déjà de le faire.


Roy Calder

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Terrain miné (OS famille Calder) Icon_minitimeLun 28 Mar 2022 - 19:40
10 septembre 2011


C’était peut-être la première fois que le nom de Jason Calder s’affichait sur l’écran Pear de Roy. Cette nouvelle technomagie n’avait pas suffisamment d’années d’existence pour que Roy puisse se targuer d’avoir reçu un appel de son frère dessus. Il ne se souvenait pas non plus de la dernière fois où il avait personnellement reçu le Patronus en forme de cigogne de Jason. Même si leurs échanges étaient plus apaisés ces derniers temps, les communications directes entre les deux frères restaient rares.

Alors quand il se rendit compte qu’il avait manqué un appel de Jason, Roy songea aussitôt qu’il s’était passé quelque chose de grave et il prit le temps de s’isoler à son bureau aux Folies Sorcières pour lui renvoyer l’appel. Après quelques secondes, le visage holographique de Jason jaillit de l’appareil.

« Allô ? T’as essayé de m’appeler tout à l’heure ? demanda Roy, songeant que c’était soit grave, soit une erreur.
-Ouais. Attends, je vais trouver un coin tranquille. »

C’était donc grave. Roy sentit l’appréhension monter en lui, pendant le temps que mit Jason à trouver un endroit où s’installer.

« Il se passe quoi ? l’interrogea t-il sitôt que son hologramme sembla se stabiliser.
-Bah… Rien que tu ne saches déjà. Je suis passé chez les parents hier. Maman m’a raconté ton altercation avec Papa. »

Roy se sentit aussitôt stupide de ne pas avoir pensé qu’il s’agissait de ce sujet. S’il l’avait su, il n’aurait sans doute pas décroché. Pour sa défense, c’était plutôt étonnant que ce soit Jason qui revienne vers lui pour lui en parler. Il attendait l’appel de n’importe qui d’autre, principalement Adrian, éventuellement Irina ou sa mère, pour revenir sur ce qui s’était passé, mais certainement pas celui de Jason. Pourtant, à une époque c’était bien ce dernier qui s’évertuait à jouer les intermédiaires entre lui et ses parents -Irina et Adrian étaient encore bien trop jeunes à ce moment-là- mais cela faisait bien longtemps que son frère avait cessé d’endosser ce rôle, lassé et agacé de ne voir aucun progrès.

Roy mit donc quelques secondes à réagir, le temps d’encaisser cette nouveauté, face à laquelle il ne savait comment se positionner. Un peu méfiant, il répondit :

« Et… ? »

Jason était ce genre de personne à toujours dire ce qu’il pensait, ou en tout cas, à le faire comprendre, alors Roy n’avait jamais eu besoin de grands discours de sa part pour savoir qu’il soutenait très souvent la position de ses parents. Il s’agissait d’une des raisons pour lesquelles les liens entre les deux frères s’étaient abîmés avec le temps : les désaccords avec ses parents participaient à creuser les leurs. Irina et Adrian, eux, avaient eu la sagesse de prendre moins frontalement parti ou en tout cas de ne pas le faire savoir à chaque échange, ce qui avait sauvé leur entente.

Alors Roy se préparait déjà à raccrocher au nez de son frère s’il s’aventurait à lui adresser des reproches sur le sujet encore sensible de sa dernière dispute avec son père, mais Jason ne dit rien de ce qu’il attendait.

« Et… Papa a mal réagi. Enfin, je pense que vous avez mal communiqué tous les deux mais il n’a pas été juste avec toi. »

Décidément ce jour était à marquer d’une pierre. Roy resta à nouveau silencieux, totalement déstabilisé. Il chercha une explication rationnelle à cette situation inattendue en demandant :

« C’est Maman qui t’envoie me dire ça ?
-En partie, reconnut-il. Mais je le ferais pas si je le pensais pas. »

Là-dessus, Roy ne pouvait le contredire. Il n’avait jamais vu Jason faire semblant de quoique ce soit. Il avait très clairement hérité de l’honnêteté et de la droiture de leur père sur ce point, avec juste un peu plus de diplomatie.

Mais il ne comprenait toujours pas pourquoi Jason avait fait l’effort d’interférer au point de l’appeler en personne, alors qu’il avait décidé depuis un moment qu’il ne dirait plus rien à son frère, parce qu’il ne méritait plus ses efforts. Roy essaya de sonder l’expression de Jason qu’il percevait à travers son hologramme, sans réussir à percer le fond de ses pensées, alors il tenta de provoquer une réaction plus franche :

« Et… tu viens me le dire parce que c’est suffisamment rare pour être signalé ? »

Il ne sut si ce qui tordit ses lèvres de Jason était une grimace ou un sourire forcé.

« Je compte pas les points entre vous, Roy, j’ai pas que ça à faire. Je t’en parle parce que… » Il sembla chercher ses mots un instant, puis soupira. « Vous ne pouvez plus vous permettre de vous étriper à chaque fois que vous vous adressez la parole. Sauf si c’est de ça que tu veux que ta fille soit témoin à chaque fois qu’elle ira voir ses grands-parents. C’est déjà assez insupportable pour nous alors qu’on est tous des adultes. Je te laisse imaginer pour une enfant qui n’a rien demandé. »

Sur ce point, Roy ne trouva rien à redire. Il le savait déjà, il y avait pensé, et c’était l’une des raisons pour lesquelles il avait fait des efforts pour voir ses parents ces derniers mois. S’il arrivait facilement à s’entendre avec sa mère, son père était un morceau beaucoup plus coriace, la communication était véritablement bloquée entre eux et il ne savait pas quoi faire pour changer cela. C’était comme si le moindre échange était susceptible de créer ou de réveiller des blessures et cela n’avait pas manqué la dernière fois. En quelques mots à peine, Victor avait réussi à le déstabiliser très vite et le faire entrer dans une colère noire. Encore aujourd’hui, Roy se crispait à la pensée de ces mots qui avaient fait décoller quelque chose chez lui. « Pas assez ». Ce n’est pas assez. Il faut faire plus. Roy ne l’avait que trop entendu à son sujet, toute sa vie, dans la bouche de son père. Et c’était particulièrement douloureux de l’entendre sur un point où Roy se sentait déjà fragile et en manque de légitimité. Il n’avait absolument pas besoin de s’entendre de dire qu’il ne ferait pas un bon père « assez » bien, « assez » présent, un père assez tout court.

Se confronter de nouveau à son père était prendre le risque de s’entendre dire la même chose, comme il le faisait toujours, car Victor revenait rarement sur ses paroles. Roy se défendit aussitôt :

« Mais c’est pas à moi que tu dois dire ça, puisque c’est pas moi qui suis en tort, tu viens de le reconnaître.
-Je sais. J’ai parlé à papa aussi. Il est prêt à discuter avec toi. »

Roy fronça les sourcils avec méfiance.

« En fait c’est papa qui t’envoie ? »

Jason soupira franchement en levant les yeux au ciel.

« Personne ne m’envoie, Roy, je suis pas un hibou. J’ai pris l’initiative de t’appeler parce que si personne ne le fait, toi et papa vous êtes capables de rester dans votre coin sans vous parler pendant des mois, en croyant que ça suffira à régler le souci. C’est quand la dernière discussion sérieuse que t’as eue avec lui ? » Le silence de Roy, un silence qui allait chercher des souvenirs trop lointains pour être retrouvés, répondit à sa place. « C’est bien ce qui me semblait. Il va falloir que vous le fassiez et crois-moi, mieux vaut régler ça maintenant, avant la naissance du bébé, si tu veux que ça se passe bien après. »

Se laissant le temps de réfléchir à ces paroles, Roy ne répondit pas immédiatement. Il se sentait surtout mal à l’aise, parce qu’il sentait au fond de lui que Jason avait raison, mais la perspective d’avoir une discussion à coeur ouvert avec son père ne l’enchantait pas du tout. C’était beaucoup trop d’exposition pour peu d’espoir que les choses se passent bien. Son regard se posa sur l’hologramme de Jason, dont la forme fantomatique lui semblait à la fois assez proche et suffisamment lointaine pour qu’il parvienne à lui confier une part de ses pensées tumultueuses :

« J’ai pas envie de parler avec lui si c’est pour qu’il me bombarde de critiques, encore, ou qu’il me dise ce que je devrais faire ou ce que j’aurais dû faire, grogna Roy. J’en ai ras le cul de ça. On dirait qu’il en a rien à foutre du bébé.
-Je crois pas que ça soit vrai. Mais c’est l’impression que tu as, parce qu’il baisse pas sa garde avec toi. Et toi non plus. 
-Bah je baisserai ma garde quand il arrêtera de me balancer des sermons à chaque fois que j’ouvre la bouche. Et je te dis qu’il en a rien à foutre du bébé. Pas un seul mot sympa depuis que je lui ai dit. Ok c’est pas les circonstances idéales, mais normalement c’est le genre de nouvelle dont les grands-parents se réjouissent non ? »

A cet instant, Jason eut une exclamation, comme un éclat de rire indigné. Il regardait Roy avec une expression franchement sarcastique.

« Mais mec, même nous, tes frères et soeurs, tu nous as pas laissé l’occasion de nous réjouir de la nouvelle. T’as vu comment tu nous l’as annoncé ? Après une prise d’otage, en plein milieu de la conversation, comme un cheveu sur la soupe ? C’était l’annonce la plus éclatée que j’ai jamais entendue. On aurait dit que tu voulais surtout pas qu’on cherche à comprendre ce qui se passe. Et de ce que maman nous en a raconté, t’as pas fait mieux avec elle et papa. »

Pris de court par cette intervention, Roy ne trouva -pour une fois- pas quoi dire, et Jason en profita pour renchérir :

« Et depuis, tu nous racontes rien de ce que tu prévois pour le bébé ou presque ! La seule qui arrive à avoir des infos, c’est maman, parce qu’elle te tire les vers du nez dès qu’elle te voit. Tu as été à la Nouvelle-Orléans plusieurs fois, on sait même pas à quoi ça ressemble. La mère du bébé, à part qu’elle s’appelle Joséphine, tu ne nous as rien dit d’elle ! Tu veux qu’on se réjouisse mais franchement, tu ne nous donnes pas la matière pour. Tu nous dis pas grand-chose. »

Franchement surpris, Roy fixa pendant quelques secondes l’image de Jason. Il songea aux dernières interactions qu’il avait eues avec ses frères et soeurs, les blagues d’Irina dans leur conversation commune, les commentaires sarcastiques d’Adrian, les questions succinctes de Jason. Tous ces appels du pied qu’il avait esquivés avec des réponses évasives, sans vraiment y penser, simplement parce que pendant des années il avait pris cette habitude de pas raconter grand-chose de sa vie à sa famille, encore moins s’il s’agissait de choses sérieuses. Un réflexe bien ancré chez lui, qu’il avait intégré pour se protéger des critiques, à la base. Un réflexe qui l’avait empêché de voir que cette fois, Jason, Adrian, Irina essayaient simplement de lui témoigner leur intérêt.

Il demanda, avec précaution et une certaine incrédulité :

« Tu voudrais savoir plus de choses… ? »

Ce fut au tour de Jason de garder brièvement le silence, comme s’il prenait soudainement conscience qu’il s’était quelque peu enflammé. Roy le vit pincer le lobe de son oreille, un tic qu’il avait quand il était gêné.

« Bah… Ouais. Ça va être ma nièce. » Un autre silence. « Elle aura sûrement ta tête de troll, mais peut-être qu’elle aura aussi ma sagesse, on ne sait jamais. »

Jason avait gardé un ton sérieux. Roy haussa les sourcils. Pendant quelques secondes, les deux frères se regardèrent.

« Ta sagesse ? L’expression sarcastique de Roy se changea en sourire. Ta lâcheté oui.
-Tu as toujours du mal à différencier la prudence de la lâcheté, toi. Oui, la prudence est une forme de sagesse. J’espère que ta fille va pas hériter de ta connerie.
-Ecoute, tant qu’elle hérite de mon charme, mon humour et mon ingéniosité, je considérerai que j’aurai transmis l’essentiel.
-Oh wow, attends pas trop longtemps avant de la ramener en Angleterre quand même. Après deux ans, ça commencera à être trop tard pour réussir à dégonfler sa tête.
-Personne touchera sa tête, toi, t’es fou.
-Tu vas monter la garde comme tu faisais avec Irina ?
-Quoi, Irina ?
-Quand on était petits et qu’elle était tout bébé, tu faisais ça, tu te souviens pas ? Tu me tapais dès j’essayais de la toucher.
-Parce que tu la malmenais avec tes grosses pattes.
-Quoi ! C’est toi qui me frappais et moi qui malmenais les autres ?
-Je rétablissais l’ordre, c’est tout. C’est le rôle du grand-frère.
-Un vrai tyran. N’apprends pas ça à ta fille. »

Son commentaire fut ponctué d’un rire partagé par les deux frères, un étrange rire qu’ils n’avaient pas l’habitude d’entendre au sein de leurs échanges mais qui leur firent indéniablement du bien. A cet instant, Roy songea au déroulé de cette dernière semaine qui avait démarré avec cette conversation déstabilisante avec Avalon, au sujet de l’endroit où ils pourraient vivre ensemble et qui avaient fini par réveiller des angoisses chez lui. Son père avait fini de les entériner en sous-entendant qu’il ne prenait pas assez au sérieux son rôle et qu’il devait s’impliquer davantage pour sa future fille. Deux jours plus tôt, Roy avait fini par craquer, consommer excessivement de la monalisa pour faire taire toutes les petites voix dans sa tête qui lui répétaient qu’il n’était pas à la hauteur et qu’il ferait mieux de laisser tomber.

Face à la perspective d’un échec, Roy pouvait se montrer très doué dans l’auto-sabotage et dans la fuite. Il aurait pu y arriver, si Avalon ne l’avait pas rattrapé la veille, pour lui rappeler que malgré ses casseroles, il avait des choses positives à apporter à une enfant et qu’il n’avait pas besoin d’être parfait pour faire les choses bien.

Mais il ne pouvait plus continuer comme ça. Il ne pouvait plus fuir devant ce qu’il engendrait. Il ne pouvait pas fuir devant sa fille qui allait naître dans à peine un mois. Ce serait son véritable échec : échouer en n’essayant rien du tout. Echouer en partant perdant. Puisque c’était une responsabilité qui lui paraissait immense, difficile à porter, peut-être qu’il devait commencer par demander conseil à ses proches qui semblaient justement attendre qu’il se tourne vers eux, au lieu de tout porter sur ses épaules, ou pire, attendre que des réponses providentielles lui tombent dessus.

Le rire de Roy s’était évanoui, son ton était plus sérieux quand il interpela son frère, en rebondissant sur son commentaire précédent :

« Qu’est-ce que je dois lui apprendre alors ? »

Même à distance, Jason sembla saisir que Roy ne plaisantait plus, car il ne répondit pas immédiatement. Il prit un temps de réflexion avant de dire :

« Hum… Je n’ai pas plus d’expérience que toi à ce sujet, tu sais. S’il y a un sujet dont tu pourrais parler avec papa, c’est celui-ci justement. »

Cette réponse crispa un peu Roy parce qu’il n’était pas certain de vouloir avoir cette conversation avec son père. Avec sa mère, peut-être. Mais son père… Il n’avait pas envie que son éducation ressemble à la sienne. Comme s’il avait suivi le fil de ses pensées, Jason reprit, le regard particulièrement sérieux :

« Même si tu n’es pas d’accord avec lui, ça peut t’éclairer de savoir pourquoi il a fait ou n’a pas fait certaines choses. Pour que toi, tu puisses ne pas répéter le même schéma avec ta fille. C’est bien de te demander ce que tu veux lui transmettre dans ton éducation, mais c’est important de savoir aussi ce que tu ne veux pas. Et qui sait, peut-être qu’il y a des points sur lesquels tu changeras d’avis en discutant avec papa, aussi. »

Face à Roy qui ne réagissait toujours pas et dont le regard laissait voir les pensées bousculées, Jason insista :

« Si tu en as marre que papa te réprimande comme un gosse, alors commence à agir comme un adulte avec lui. Tu te plains qu’il te critique, mais quand il le fait, tout ce que tu fais, c’est te mettre en colère ou le provoquer. Tu réagis comme si toi aussi, t’étais encore son adolescent de fils qu’il peut gronder. » Jason n’était pas tendre ni dans ses mots, ni dans son ton, mais il n’y avait rien de mesquin non plus. Roy l’avait rarement vu aussi sérieux. « Tu sais pourquoi tu l’as déstabilisé l’autre jour ? Tu l’as mis en face de ses responsabilités. Tu lui as demandé de se positionner dans son rôle de futur grand-père. Et c’était légitime. C’était la meilleure réaction à avoir. Vous êtes deux adultes, avec chacun vos responsabilités, alors parlez comme tels. Dans cette situation, c’est toi qui décide, Roy, c’est ta fille. Ton éducation. Tu n’aimes pas ce qu’il te dit à ce sujet ou la manière dont il agit, tu le lui dis. Point. Tu traces tes limites et tu les fais respecter. Et là, vous aurez peut-être enfin un échange constructif. »


Roy Calder

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Terrain miné (OS famille Calder) Icon_minitimeMar 29 Mar 2022 - 22:38
13 septembre 2011

Il faisait exceptionnellement ensoleillé pour un milieu de mois de septembre du pays de Galles. Quand il avait quitté la maison familiale une semaine plus tôt, après s’être disputé avec son père, c’était tout l’inverse, il pleuvait des cordes. Cette fois-ci, un grand soleil brillait au-dessus des champs. Mais la clarté du ciel n’empêchait pas Roy de se sentir dans un brouillard d’incertitudes.

Il ne trouva que sa mère pour l’accueillir à l’intérieur. Elle vint l’embrasser, avec un peu plus de distance que les autres jours, mais sans sembler fâchée pour autant. Elle avait l’air plus préoccupée qu’autre chose.

« Va saluer ton père, il est dans le jardin » finit-elle par lui dire, après quelques minutes où ils n’échangèrent que des banalités.

Ils savaient aussi bien que l’autre qu’il n’était pas venu que pour saluer ses parents et prendre des nouvelles. Roy sortit sur la terrasse, songeant que ce n’était pas plus mal que cette conversation ne se déroule pas entre les quatre murs de la maison. Si cela devait se passer mal et que le ton montait, au moins, sa mère n’en serait pas témoin. Il ne se sentait pas serein en avançant pour autant. Il n’avait jamais -ou rarement- entrepris la démarche de revenir sur un conflit avec son père, pour tenter de dénouer les choses. L’un comme l’autre avait tendance, exactement comme Jason l’avait souligné, à rester en froid pendant un temps, jusqu’à ce que la rancoeur prenne moins de place et qu’ils soient de nouveau capables de se reparler.

Ils ne réglaient rien, finalement. Ils oubliaient, éventuellement. Ils accumulaient, principalement. Roy le sentit, ce poids de rancoeurs irrésolues et rances, vieilles de plusieurs années, faire traîner chacun de ses pas qui le mena jusqu’à Victor, occupé à arracher les mauvaises herbes autour de ses plants de carotte. Il resta à une certaine distance d’abord, contemplant une scène familière qui faisait partie de ses souvenirs d’enfance. Son père avait toujours aimé jardiner, c’était l’un de ses principaux loisirs quand il n’était pas en train de travailler, un loisir qu’il faisait généralement seul car aucun de ses enfants -à part Adrian récemment- ne manifestait d’intérêt particulier pour faire pousser un potager. Alors Roy se souvenait surtout de la silhouette du dos courbé de son père se découpant au loin, dans ce grand jardin où ils faisaient tous leurs jeux d’enfants. Il avait joué à de multiples parties de cache-cache entre les hautes herbes. Il s’était fait engueuler parce qu’il avait abîmé les tomates en marchant dessus par inadvertance.

Même après toutes ces années, il y avait toujours quelque chose d’un peu étrange à voir les mains épaisses de son père saisir avec délicatesse les feuilles de ses plantes, avoir des gestes de soin presque tendres pour ses allées de rosiers. Ce jardin était comme ce cinquième enfant avec qui il passait son temps et se montrait plus vulnérable.

Roy interrompit ce moment de tranquillité en s’avançant suffisamment pour que son père remarque sa présence.

« Salut. »

A genoux à côté de deux seaux pleins de mauvaise herbes arrachées, Victor leva ses yeux cachés par la visière de sa casquette pleine de traces de terre. Sa salopette était tout aussi tâchée. Roy essaya d’éviter le même sort à ses chaussures en cuir et au bas de son pantalon en coton, en ne s’approchant pas trop près.

« Ah, tu es là. » Les efforts qu’il dut faire pour se lever lui tirèrent un grognement bourru. « Tu veux bien me tenir ça ? »

Il lui tendit la pince qu’il utilisait et que Roy attrapa du bout des doigts en retenant une grimace. Puisqu’il ne reçut pas d’autre instruction, il resta d’abord sur place, en songeant que son père allait reprendre l’outil. Mais ce dernier se dirigea vers sa cabane à outils, chargé de ses deux sceaux, alors Roy finit par le suivre, d’un pas plus lent et précautionneux, en tâchant d’éviter les flaques de boue. Quand Victor eut terminé de vider les sceaux dans un grand sac poubelle, il reprit sa pince pour l’accrocher à un clou planté dans une cloison en bois, puis attrapa sa bouteille d’eau posée sur l’établi. Par politesse -ou réflexe- il proposa la bouteille à son fils d’un geste de la main. Roy hocha la tête en négation. Il détestait boire dans les bouteilles des autres. A la limite celle d’Avalon, il acceptait. Seulement s’il n’avait pas le choix.

« Tu veux boire autre chose ? s’enquit tout de même son père. Café ? Thé ? Gobière ?

Roy prit conscience que son estomac était un peu serré, désormais.

« Non merci. »

Un grognement difficile à interpréter émana de son père. Il épongea son front avec la manche de sa chemise.

« Je suis fatigué.
-Tu veux t’asseoir ? »

Ils se dirigèrent vers un banc en bois quelque peu élimé, posé plus loin, près d’un parterre de dahlias qui semblaient très heureux de se trouver sous les rayons du soleil. Roy avait souvent vu son père s’asseoir sur ce banc, quand le temps s’y prêtait. Il comprit pourquoi en restant assis ici, pendant de longues minutes qui lui parurent interminables. Le point de vue sur le jardin, les champs des voisins autour et la lisière de la forêt qui s’esquissait au loin était particulièrement bien dégagé.

Le silence dura un moment, un silence un peu pesant pour Roy qui ne parvenait pas à se repaître sereinement de la vue. Les mots de Jason lui tournaient en tête, il lui avait parlé comme un coach tentant de motiver ses troupes avant un match et cela avait en partie fonctionné puisqu’il se trouvait ici, trois jours plus tard. Maintenant qu’il y était, Roy ne savait pas comment briser un silence qui avait le poids des années derrière lui. Difficile de parler sérieusement avec son père quand il ne lui avait rien dit d’important depuis des années.

Et surtout, une petite voix lui soufflait que c’était plutôt à son père de faire l’effort d’entamer la discussion. C’était lui qui avait lancé les hostilités l’autre jour, c’était à lui de s’excuser. Roy finit par lancer une première perche, les yeux fixés sur l’horizon :

« Jason m’a dit que… tu voulais me parler ? »

Le banc grinça légèrement, à cause des mouvements que fit Victor, comme s’il changeait de position. Roy l’entendit prendre une inspiration, avant que sa voix grave ne retentisse :

« Je ne veux pas que tu penses que je prends ta situation à la légère. »

Les sourcils de Roy se froncèrent. Il ne put empêcher son ton de se teinter d’ironie.

« Cool. Je la prends pas à la légère non plus, tu sais.
-Je sais. J’ai vu » le contra aussitôt Victor, surprenant son fils. « Ce que j’essayais de te dire l’autre jour, c’est que… » Il était évident que Victor peinait à trouver ses mots et Roy savait pourquoi : ce n’était pas dans ses habitudes d’essayer de s’expliquer et de faire part de ses ressentis, encore moins auprès de ses enfants. « C’est difficile d’élever des enfants. Très difficile. Même au sein d’un mariage solide, avec une situation stable, c’est compliqué. J’espère juste que tu as pris la pleine mesure de ça. »

Comme il y eut un silence à la suite de ces mots, Roy ne répondit pas immédiatement, dans l’attente d’une suite qui ne semblait pas vouloir venir.

« C’est tout ce que t’as à me dire ? Que c’est difficile d’élever des enfants ? Tu m’apprends rien, là. »

Et il avait du mal à cacher sa contrariété et la tension nerveuse qui commençait à l’agiter. Il changea de position lui aussi, en posant les coudes sur ses genoux, délaissant la vue paysagère devant eux pour fixer ses yeux au sol.

« Escuchame. »* Victor avait pris une voix plus ferme, son visage était devenu plus sérieux. « Ce ne sont pas des paroles en l’air. On pense qu’on a une idée de ce que c’est avant d’avoir des enfants et quand on y est, la réalité est très différente. Et toi tu vas le faire avec une femme qui ne vit pas avec toi et qui va avoir la garde, ça veut dire que l’éducation sera en grande partie entre ses mains à elle, si tu n’es pas vigilant. » Il marqua une pause. Son ton descendit légèrement. « Je te redis ce que je t’ai dit l’autre jour. Il faut aller voir ta fille autant que tu peux, quand elle est petite. Surtout quand elle est petite. »

Ces mots ramenèrent à Roy des souvenirs de sa propre enfance, comme pour essayer d’y déceler ce que son père voulait lui dire. Qu’est-ce qu’il avait fait de particulier avec lui, son premier fils, quand il n’était encore qu’un tout petit ? Il y avait des photos dans l’album de famille, pour témoigner de sorties dans les champs, de balades sur la plage, de glaces prises à la fête foraine. Des moments immortalisés dont Roy se souvenait pour certains, pas vraiment pour d’autres. Mais il avait beau fouiller dans sa mémoire, la présence de son père lui avait paru toujours un peu lointaine, comme le personnage en fond de toile qui était là, sans trop l’être.  Alors qu’à l’inverse, il avait plusieurs images en tête de sa mère qui lui tenait la main pour l’emmener avec elle, qui s’accroupissait au milieu du salon pour participer à ses jeux, qui lui posait plein de questions quand il rentrait de l’école. Si la figure de sa mère était très rattachée à ses souvenirs d’enfance, celle de son père, lui, avait commencé à se faire plus présente quand il avait été un peu plus grand, autour de ses neuf ou dix ans, quand il commençait à avoir de vraies conversations avec des adultes et se projeter dans sa future scolarité à Poudlard.

« Pourtant t’étais pas beaucoup là, toi, quand on était petits. »

Roy crut que son père allait démentir cette remarque, qu’il allait souligner tout ce qu’il avait pu faire pour lui et ses frères et soeurs comme il avait souvent tendance à le faire quand ils lui paraissaient un peu trop ingrats. Mais Victor hocha légèrement la tête et répliqua :

« Pourquoi tu crois que je te dis ça ? »

Surpris de l’entendre reconnaître à demi-mot un manquement de sa part, Roy se tut, attendant que son père développe sa pensée, ce qu’il fit après un silence pudique.

« Pour moi, mon premier rôle c’était de vous donner un cadre stable. Une maison assez grande, des repas consistants, une bonne école pour étudier. Je me suis concentré là-dessus. »

Brièvement, Roy songea aux premiers réflexes qu’il avait eus en discutant avec Joséphine du bébé, lors de la première échographie. Il avait aussitôt proposé son aide financière et matérielle. Il s’était d’abord et presque uniquement préoccupé de nourrir, vêtir, loger leur futur bébé. Un peu plus tard, elle lui avait parlé de son coven, de la manière dont les jeunes filles étaient éduquées au temple. Elle lui avait dit qu’on leur apprenait à parler français aussi. Il avait vaguement songé qu’il pourrait apprendre l’espagnol à sa fille. C’était à peu près tout. Il n’avait pas été plus loin.

« Tu ne t’en souviens peut-être pas, mais je travaillais beaucoup quand vous étiez petits, Jason et toi. Avec deux bébés à charge de deux ans d’écart, ta mère a du s’arrêter pour s’occuper de vous. On n’avait pas les moyens de vous faire garder. Mais ça nous laissait qu’un seul salaire. Je n’ai jamais autant travaillé qu’à cette époque-là, je doublais quasiment mes heures pour avoir de quoi vous faire vivre et mettre de côté. On voulait arrêter de jeter de l’argent dans une location, ta mère et moi. On a beaucoup économisé pour acheter la maison, ici. Et on l’a eue, un peu avant la naissance d’Irina. Mais la maison, eh bien, tu l’achètes à crédit. Les Gobelins sont pas commodes avec les crédits. Alors, il faut travailler encore pour rembourser le crédit rapidement. »

Les souvenirs de Roy s’éclaircissaient au fur et à mesure que son père parlait. La silhouette du fond de la toile reprenait la forme d’un dos voûté usé au travail qu’on ne voyait pas partir le matin et qu’il fallait laisser se reposer quand il rentrait le soir. Jamais disponible pour les jeux. Un peu pour les câlins, le soir, avant d’aller se coucher, ou les week-end quand il était là.

« C’est ça, être parent. Tu vas devoir tout le temps faire des choix et aussi des concessions. Je ne dis pas que je regrette d’avoir fait les choses comme ça. J’ai fait ce qui me paraissait le mieux et si c’était à refaire, je le referai. »

Il marqua une pause, laissant Roy perplexe sur cette conclusion dont il ne savait pas trop quoi tirer. Il avait cru entendre une forme de remords dans le discours de son père pour n’avoir pas été beaucoup présent pour ses enfants les plus grands, mais il n’en était plus certain maintenant.

« Mais j’ai vu la différence avec Adrian. Toi, Jason, Irina, vous êtes des esprits indépendants. Vite partis de la maison. Concentrés sur leur carrière. Vous vous chamaillez beaucoup entre vous. Adrian est plus… proche de nous. Et de vous. Parce qu’il a reçu l’attention de tout le monde. »

Là-dessus, Roy ne pouvait démentir. Adrian avait six ans d’écart avec Irina -il soupçonnait grandement ses parents de l’avoir conçu par accident et le soulignait quand il voulait embêter son petit frère- ce qui en faisait le bon petit dernier de la famille. A sa naissance, Irina avait été ravie d’avoir un petit bébé frère dont elle pourrait s’occuper, comme elle s’occupait de ses poupées. Roy et Jason, qui avaient respectivement dix et onze ans et se sentaient par conséquent très adultes dans leurs têtes, s’étaient sentis investis d’une mission de grande responsabilité envers ce dernier petit garçon et s’étaient disputés le rôle de meilleur grand frère. Alors Adrian avait été choyé par sa fratrie. Quant à leurs parents, avec trois enfants grands à leur actif, ils avaient plus d’expérience et plus de tranquillité : tout le monde participait à s’occuper d’Adrian, ce qui permettait de mieux répartir les tâches. Si Roy n’avait que peu de souvenirs de son père empilant des cubes en bois avec lui, il l’avait en revanche beaucoup vu lire des histoires à Adrian ou l’emmener dans le jardin avec lui.

Mais quelque chose dérangeait Roy dans le tableau dressé par son père. Il ne pouvait pas admettre que la résultante de leurs relations actuelles ne s’expliquait que par le temps qu’il leur avait accordé et il finit par trouver le courage de le dire :

« Y a pas que ça. Tu lui mettais beaucoup moins la pression, à Adrian. »

Voyant que Victor tournait la tête vers lui sans rien dire, Roy développa sur un ton un peu brusque :

« Tu l’as laissé faire des trucs que tu nous aurais jamais laissé faire. Partir en Argentine pour étudier des plantes ? » Roy eut un rire ironique. Le Victor Calder qu’il connaissait aurait pourtant dit qu’il ne s’agissait là que d’un hobby et pas d’un vrai métier, comme ce que lui-même faisait dans son propre jardin le week-end. On ne gagnait pas sa vie en faisant pousser des patates, enfin. « Moi quand j’ai commencé à parler d’être apothicaire, t’as eu l’air de trouver ça minable.
-Parce que tu visais médicomagie avant. Et tu n’as fait ni l’un ni l’autre. »

Roy se fit violence pour retenir un soupir agacé. S’ils commençaient à aller dans cette voie-là, cette conversation se terminerait en une minute.

« Non, c’est pas pour ça. C’est parce que tes exigences n’étaient pas les mêmes. Même Irina, tu l’as plus laissée choisir et par chance, elle aimait la médicomagie et elle a réussi là-dedans. Mais Jason et moi, tu attendais beaucoup plus de nous et tu nous comparais tout le temps.
-Je vous comparais pour vous encourager à faire mieux.
-Ah bah ça a super bien fonctionné dis donc, ironisa Roy. Tu t’es jamais dit que ça allait nous pousser à nous détester ?
-Vous ne vous détestez pas. Et ce n’était pas l’objectif !
-Non, pardon, ton objectif c’était qu’on soit tous les deux parfaits. »

Et en l’occurence, Jason avait presque réussi. Jason, le fils parfait, celui qui ne prenait presque jamais de réprimande. Le fils raisonnable, responsable, obéissant, travailleur, bon élève. Le fils qui cochait toutes les cases de la longue liste de qualités et d’aptitudes que Victor attendait de ses enfants. Le fils préféré, en somme. Celui qui aurait dû être l’aîné, même, celui qui pouvait donner le bon exemple à suivre aux plus petits. Et son père ne manquait d’ailleurs pas de le comparer à son vrai aîné, l’autre fils, le bon à rien, le fainéant, le rebelle. Celui qui ne faisait jamais ce qu’on attendait de lui.

« Ce n’est pas ce que je vous demandais » démentit Victor. L’atmosphère s’était tendue entre les deux hommes. « Je voulais que vous fassiez de votre mieux, je vous ai toujours poussés à ça, à aller au bout de votre potentiel.
-Non, tu voulais qu’on soit ce que toi tu voulais être ! »

La phrase résonna durement dans l’air. Quand elle sortit, Roy fut incapable de retenir ce qu’elle charriait d’autre, malgré l’expression heurtée qu’affichait son père, et il se mit à citer de mémoire toutes les phrases qu’il l’avait entendu dire :

« Soyez les meilleurs à Poudlard, c’est une école très renommée qui va vous ouvrir des portes, nous au Mexique, on n’avait pas ça. » « Si j’avais été à votre place, avec toutes les opportunités que vous avez, j’aurais fait de la médicomagie ou la magistrature. » « Ne fais pas ci, ne fais pas ça, je suis passé par là. » « Vous ne savez pas la chance que vous avez. »  
-Eh bien, oui ! se défendit son père. Vous êtes privilégiés au point que vous ne vous en rendez même pas compte, il faut bien vous le dire !
-Mais tu ramènes tout à toi ! Il faut qu’on fasse tout ce que toi tu n’as pas pu faire, parce que tu n’en as pas eu l’occasion. Mais c’est pas ça la vie, on est pas là pour régler tes frustrations à ta place ! »

Ce reproche, que Roy n’avait jamais formulé à haute voix, le surprit autant lui que son père qui eut comme un mouvement de recul. Malgré le soleil toujours brillant au-dessus d’eux, l’air semblait glacial. Roy crut pendant un moment que son père allait s’emporter et mettre fin à la conversation mais il se heurta à un long silence presque plus difficile à supporter que des cris. Quand enfin, son père ouvrit la bouche, ce fut pour lui poser une question qu’il n’attendait pas :

« C’est ce que tu penses ? »

Roy ne parvint pas à comprendre les émotions qui s’agitaient chez son père, il avait toujours été difficile à lire pour lui et cette fois-ci, l’amertume, la colère, la tristesse et la déception se confondaient dans son regard. Alors il préféra botter en touche :

« C’est la première fois qu’on te le dit ? »

Après un silence, Victor admit, en détournant les yeux de son fils :

« Non. Ta mère me le dit aussi. »

Le coeur de Roy battait à toute vitesse face à cette conversation qu’il n’aurait jamais pensé avoir avec son père. Il était à la fois soulagé et surpris de se savoir soutenu par sa propre mère sur cette question car il lui avait toujours semblé que ses parents restaient solidaires. Mais ce n’était pas si étonnant, au fond. Comme beaucoup de mères, Elena était celle qui les comprenait tous le mieux, faisant d’elle l’architecte des réconciliations familiales. Elle avait maintes fois fait les intermédiaires et si elle était déjà souvent venue auprès de Roy pour lui expliquer que si son père agissait ainsi, c’était pour telle et telle raison, sans doute faisait-elle le travail inverse également.

Mais Victor semblait avoir du mal à accepter ces mots. Son visage s’était fermé, un malaise évident s’installa entre les deux hommes, un malaise lourd des blessures mutuelles qu’ils s’infligeaient depuis des années et qu’une simple conversation -ou même des dizaines- ne suffiraient à guérir. Roy se sentait dans un étrange état, entre une forme de soulagement et de mal-être, car même si cela pouvait être assez libérateur d’exprimer une part de ses souffrances d’enfant, il sentait bien qu’il y avait des choses qui resteraient définitivement cassées entre lui et son père. Le silence entre eux qui s’épaississait et se chargeait de pensées douloureuses en était la meilleure preuve.

« Tu peux considérer les choses comme ça, si tu veux. Je ne prétends pas avoir été parfait avec toi et tes frères et soeurs. Tout ce que j’ai fait, c’était ce que je pensais être le mieux pour vous. Et je me suis beaucoup sacrifié dans ce sens-là. » Quelque chose de lourd pesa sur le coeur de Roy face à cette déclaration qui semblait troubler son père. « Mais tu constates par toi-même que ça ne suffit pas. Alors… C’est ce que je te disais au début. Elever des enfants, même avec la meilleure volonté du monde, c’est plus difficile que ça n’en a l’air. Réfléchis bien à ce que tu veux faire pour ta fille. »

Victor posa brièvement sa main sur l’épaule de Roy, dans un geste paternel qu’il n’avait pas souvent avec lui. Il eut l’air d’hésiter à continuer. Il ouvrit la bouche, se ravisa. Roy voulut parler également, sans savoir quoi dire. Son père finit par prononcer les mots qui se bousculaient aux portes de ses lèvres :

« Lo siento, hijo. » **

Il se leva du banc et marcha lentement vers la porte arrière de la maison, laissant son fils sur une note aussi douce qu’amère.  


******


(Quelques heures plus tard, dans la soirée)


Le Pear que Roy faisait tourner entre ses mains émettait une lumière qui éclairait de bleu sa chambre plongée dans l’obscurité. Ses yeux fixaient un point invisible du plafond, tandis que ses pensées, elles, s’éparpillaient dans toutes les directions dans un bruit incessant. Une gigantesque conversation entre toutes les personnes auprès de qui il avait demandé conseil, depuis le début de cette grande aventure de sa paternité.

« Y a pas de truc de la paternité, Roy. Tu prends tes responsabilité et tu décides de devenir père. » assénait Fergus.

« Je sais que tu ne sais pas encore ce que tu veux faire mais je crois qu’un bébé aurait de la chance de t’avoir comme père. C’est toujours une bonne chose de t’avoir de son coté, Roy. » soufflait Isobel.

« Je ne pense pas qu’il y ait des pères parfaits, il y a juste ceux qui essaient, et ceux qui n’essaient pas du tout. » lançait Avalon.

« Le sang, Roy, c’est la relève. On est fort à plusieurs, tu le sais très bien. » rappelait Fergus.

« Moi non plus, avec l’enfance que j’ai eue, je n'imaginais pas qu’un jour je pourrais devenir père. Parfois on n’est pas très stable mais ça n'empêche pas d’élever des gosses, ça reste un apprentissage… Personnellement je te confierais mes filles les yeux fermés. » déclarait Jayce.

« Je t’aime et cet enfant fait partie de toi » soufflait Avalon.

« C’est sûrement un des trucs les plus difficiles que j’ai eu à faire dans ma vie jusqu’à présent » avouait Fergus.

« Moi je vois très bien ce que tu pourrais apporter à Vivianne… Et ce que tu apporteras aussi à ta fille. » affirmait Avalon.

« T’as pas à subir tout ça. Je pense que tu as ton mot à dire pour la suite, pour l’impact que ça aura sur ta vie. Tu n’es pas impuissant. » assurait Isobel.

« C’est toi qui décide, Roy, c’est ta fille. Ton éducation. » insistait Jason.

Et dans cette cacophonie, la voix de son père couvrait toutes les autres.

Lo siento. Je suis désolé.

Roy se redressa brusquement sur son lit. Pendant des années, il avait espéré ces mots. Maintenant qu’il les avait obtenus, le sentiment qui l’agitait le plus n’était pas le soulagement, mais une frustration terrible. Il ne voulait jamais avoir à s’excuser auprès de sa future fille, après trente-deux ans de sa vie. Cette pensée fut celle qui le poussa à ouvrir ce Pear qu’il tripotait depuis des heures, pour ouvrir le carnet de contacts. Quelques secondes plus tard, on décrocha à l’appareil.

« Allô, Joséphine ? Ça va ? » Une voix lointaine de milliers de kilomètres au combiné retentit dans la pièce. « Je te dérange pas là ? Je voulais te parler de… notre fille. Je pense qu’il y a des sujets qui sont… enfin, qu’on a pas trop abordés. T’as un peu de temps devant toi ? »
****

*Ecoute-moi.
**Je suis désolé, fils.



Citation :
Cet OS était si long que je me sens obligée de le clôturer d'un petit discours de remerciements, pour être arrivés au bout de la lecture Terrain miné (OS famille Calder) 1317810029 13921 mots, un record ! Terrain miné (OS famille Calder) 2222602150 Merci pour m'avoir encouragée et fait des retours Ship Ca me tenait beaucoup à coeur d'écrire cet OS car c'est une grande étape dans l'évolution de Roy et de ses liens avec sa famille et je suis très contente d'avoir réussi à le mener jusque là Terrain miné (OS famille Calder) 1696967229 Je me faisais la réflexion l'autre jour que le dernier long OS que j'ai écrit sur lui, c'était y a 8 ans, c'était son ascension dans la mafia. Et maintenant il devient papa. J'ai l'impression d'avoir vu grandir un gamin rebelle qui devient un papa presque responsable Terrain miné (OS famille Calder) 1317810029
Bref, j'espère que vous avez apprécié la lecture et à bientôt pour la suite What a Face


Roy Calder

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