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Maybe She’s Not Such A Heinous Bitch After All [OS]

Isobel Lavespère
Isobel LavespèreChargée de communication
Messages : 1166
Profil Académie Waverly
Maybe She’s Not Such A Heinous Bitch After All [OS] Icon_minitimeDim 4 Avr 2021 - 17:46
15 mai 2011 - Skopelos, Grèce

Une lumière ocre commençait à teinter les pierres blanches de l’île. Le soleil rougeoyant se rapprochait de l’horizon alors que leur dernière soirée ici débutait. Installée sur la terrasse de leur chambre, Isobel fixait les vagues qui venaient mourir contre les falaises en contrebas. L’air était très doux, un léger vent faisait frémir les épaisses fleurs roses enroulées autour de la balustrade. Une abeille virevoltait un peu plus loin, sûrement attirée par l’odeur sucrée qui se dégageait de leurs verres. Abel et elle venaient de prendre un dernier verre sur leur terrasse, pour profiter de leur vue magnifique. Ils prenaient un Portoloin demain matin, pour retourner à leurs vies en Angleterre. Pour leur dernière soirée en Grèce, ils avaient réservé un dîner sur la plage de l’hôtel pour profiter encore un peu de cet endroit paradisiaque.

Ils avaient encore un peu de temps devant eux avant de descendre. Abel était dans la salle de bains, elle entendait l’eau de la douche qui coulait. Elle, elle goûtait aux dernières lumières hellènes, enfermant quelque part dans son esprit le souvenir de cette soirée, de la journée d’hier, de ce week-end. Le poids qu’elle sentait à son annulaire gauche lui rappelait à chaque instant le moment où Abel l’avait demandée en mariage. Repenser à cela gonflait son cœur de joie. Elle ne pouvait pas empêcher son regard de se poser sur sa bague, son visage de s’illuminer en un grand sourire à chaque fois. Ils allaient se marier. Elle l’avait crié sur tous les toits, littéralement. Elle l’avait annoncé à ses amis, son grand-père, à qui voulait bien l’entendre. Mais pas à sa mère. Hier, tout à son bonheur, elle n’avait pas eu l’envie d’affronter Sophie. Elle n’avait pas eu le courage d’entendre ses médisances alors qu’elle voulait juste profiter de cette joie immense.

Mais elle savait qu’elle ne pourrait pas éternellement repousser cette conversation. Une partie d’elle, moins courageuse, espérait que Sophie l’avait déjà appris, par les ouï-dire du quartier. Une autre, plus adulte, se disait qu’elle ne pourrait pas fuir éternellement sa mère. Son Pear était posé sur la table, elle le saisit entre ses doigts fins, le fit tourner. Elle hésita quelques secondes puis le déverrouilla. Une image d’Abel et elle, saisie hier, la fit sourire. Elle l’avait prise lorsqu’ils étaient arrivés au bout de leur balade, face à la chapelle. Leurs sourires étaient éclatants et, évidemment, elle montrait sa jolie bague. C’était leur première photo de fiançailles. C’était un moment heureux. Elle craignait tellement que l’appel avec sa mère ne gâche cela, que Sophie vienne ternir tout cela.

Après quelques secondes d’hésitation, elle finit par sélectionner le numéro de sa mère. Quelques sonneries retentirent. Elle pouvait imaginer, à des milliers de kilomètres de distance, le vieil appareil fixe délavé sonner dans leur appartement. Peut-être que sa mère n’allait pas décrocher. Peut-être qu’elle pourrait juste lui laisser un message. Encore une sonnerie. Le téléphone était posé sur le comptoir en formica de la cuisine. L’appartement n’était pas grand. Si Sophie avait été là, elle aurait déjà eu le temps de décrocher. Elle était absente, souhaita Isy. 

- Allô ?

La voix rauque de sa mère la fit presque sursauter. Elle sentit son cœur s’emballer.

- Salut maman, c’est moi.

Un silence s’établit. Isobel n’appelait jamais.

- Tu vas bien ? tenta-t-elle.
- Ouais, finit par répondre Sophie.  Ouais, ça va. Et toi ? Pourquoi t’appelles ?

Ce n’était même pas la peine de faire mine qu’elle appelait uniquement pour donner des nouvelles, Sophie n’était pas dupe. Leurs relations n’étaient certes plus les mêmes que lorsqu’elle était adolescente, mais on ne pouvait pas dire non plus qu’elles étaient au beau fixe. Le retour d’Isy  à la Nouvelle-Orléans n’avait pas miraculeusement entraîné une réconciliation entre la mère et la fille. Elles étaient dans une sorte de statut quo, elles n’étaient pas en conflit mais n’étaient jamais revenues sur leurs dissensions. Isobel sentait que, à sa manière, Sophie était contente qu’elle soit en vie et de retour. Quant à elle, elle avait le choix de ne pas accabler sa mère de reproches. C’était dans le passé, tout cela, et elle se satisfaisait de cette relation sans apparente agression.

- Je voulais te dire quelque chose, je ne sais pas si tu l’as entendu mais... Abel m’a demandée en mariage, on va se marier.

Silence à l’autre bout du fil. Nerveusement, le pied d’Isobel s’agitait. Elle n’avait même pas pris conscience de l’abeille qui s’était posée sur sa robe bleue. Elle sentait ses pensées qui s’emballaient. Sophie n’avait jamais apprécié sa relation Abel, elle ne l’avait jamais caché. Déjà quand ils étaient enfants, cela l’agaçait qu’elle passe beaucoup de temps chez lui. Elle détestait Adeline Laveau, une vieille rancune aux raisons inconnues qui n’avait jamais disparu. Isy se souvenait encore des remarques que sa mère pouvait lui faire lorsqu’elle rentrait de chez Abel. « Ces gens nous méprisent, tu sais, hein. Ils se croient meilleurs que nous, comme toujours. » « Ils doivent être contents que leur fils traîne avec toi, hein, ils ont l’impression d’avoir fait de la charité comme ça. » « Si c’est si bien là-bas, t’as qu’à aller planter ta tente dans leur jardin, crois-moi tu me manquera pas. » Quand ils avaient grandi, elle ne manquait jamais de lancer des regards noirs à Abel lorsqu’il venait la chercher chez elles. Elle avait toujours eu ce regard désapprobateur.

Elle allait forcément désapprouver, Isy le savait. Elle allait encore cracher un peu de venin. Cela ne changerait rien, évidemment, elle allait tout de même épouser Abel et en être très heureuse. Elle n’avait jamais laissé l’avis de sa mère compter dans ses choix. Mais elle savait aussi que, dans le fond, cela allait lui faire de la peine. Elle aurait aimé que Sophie, pour une fois dans sa vie, puisse se réjouir pour elle. Elle aurait aimé que sa mère soit contente qu’elle se marie. Le silence au bout du fil devenait de plus en plus pesant. Isobel s’apprêtait à reprendre la parole lorsque la voix râpeuse de Sophie retentit de nouveau.

- D’accord. C’est bien.

Cette fois-ci, ce fut au tour d’Isy de garder le silence, interloquée. Elle ne s’attendait pas à sa réponse. Elle ne s’attendait pas à obtenir un « C’est bien » de la part de la mère qui avait été capable de lui reprocher jusqu’à son existence. Elle en perdit la parole.

- Tu... vraiment ?

Elle entendit une allumette craquer. Sophie venait sûrement d’allumer une cigarette.

- Ouais, c’est bien. Il a toujours été collé à tes basques, c’est bien.

Isobel n’en revenait pas. C’était presque un mot tendre, de la part de sa mère. Elle n’avait jamais pensé qu’elle réagirait si bien, elle s’attendait toujours au pire de la part de Sophie.


I used to think my mother was the worst
That if she didn't kill me, I'd kill her first

Leur relation avait toujours été profondément conflictuelle. Elles s’étaient déchirées pendant son adolescence, elles s’étaient dit tant d’horreurs. Isobel avait toujours dit à sa mère qu’elle était pitoyable, qu’elle méritait tout le malheur qui lui était tombé dessus car elle était une horrible personne. Sophie, quant à elle, lui répétait tous les jours qu’elle était celle qui lui avait gâché la vie en venant au monde, que c’était elle, la pire erreur de sa vie et qu’elle était la responsable de tous ses malheurs. Cette relation si violente avec sa mère était une des raisons principales de sa fugue tant elle était persuadée qu’elle allait en mourir si elle restait dans cet environnement.

But now birds are singing, the flowers are pink
Yes, spring is here, 'cause I'm starting to think
That maybe she's not such a heinous bitch after all


Quand elle était revenue, elles n’avaient jamais discuté de ce passé, elles ne s’étaient jamais excusées. D’un tacite accord, elles tenaient de maintenir une relation qui, si elle n’était pas cordiale, n’était pas non plus agressive. En réalité, elles ne se parlaient que très peu, même lorsqu’elle était à la Nouvelle-Orléans. C’était ce qu’elles pouvaient faire de mieux. Ou du moins, c’était ce que Isobel pensait jusque là. Avec ces mots gentils, elle avait l’impression que sa mère venait de faire un pas énorme envers elle. Peut-être que Sophie n’était pas si mauvaise, dans le fond.

(Maybe maybe
Maybe maybe baby baby)
Maybe she's not such a heinous bitch after all
(Maybe maybe
She's nicer to her baby)

I don't want to bash her head in with this cup
It may sound harsh, but that's a huge step up
Maybe she's not such a heinous bitch after all

En décidant de faire cet appel, Isy avait été persuadée que cet appel finirait mal. Elle était persuadée que sa mère allait lui dire des horreurs, qu’elles allaient se disputer et que cela allait gâcher son bonheur.

- Je pensais que tu n’allais pas le prendre bien, que tu allais dire que c’était une mauvaise idée, bafouilla-t-elle.
- Bah je pense que c’est une idée complètement conne de t’attacher avec un mec mais...

I still hate her, don't get me wrong
(Really hate her, genuinely hate her)
But it's more like the way normal girls hate their moms
(Every daughter kinda hates their mom)

Cette remarque ressemblait déjà plus à Sophie et permit à Isobel de retrouver un peu ses esprits. La gentille réaction de sa mère à son mariage n’arrangeait pas tout mais elle avait l’impression, l’espoir, que cela amorçait une nouvelle étape dans leur relation. Peut-être qu’elles allaient pouvoir partager un petit peu plus. Peut-être que, le jour de la cérémonie, Sophie serait présente, sobre et à peu près satisfaite. Peut-être que, pour ce jour spécial, Isy pourrait avoir un semblant de normalité dans sa famille.

All I ever prayed for every day
Was to resent my mother in a regular way
Maybe she's not such a heinous bitch after all
(Sit beside her
So weird you lived inside her)

Elles n’allaient sûrement pas faire toutes les choses que les mères et les filles étaient censées faire à l’occasion d’un mariage. Sophie ne viendrait sûrement pas la voir essayer des robes ou ne donnerait pas son avis sur des décorations de mariage mais l’idée qu’elle soit présente et contente réjouissait déjà suffisamment Isobel. Cela lui donnait l’impression qu’elle faisait un effort pour elle ; et si sa mère faisait un effort, c’était sûrement parce qu’elle était un peu importante pour elle. Quand elle était adolescente, elle n’avait jamais voulu faire d’effort. Elle ne lui offrait jamais de cadeau pour son anniversaire, ne lui faisait jamais un gâteau. Elle n’était jamais venue à ses spectacles de danse. Elle n’avait jamais voulu regarder ses devoirs quand elle avait eu une bonne note. Elle n’avait jamais voulu la consoler quand elle pleurait. Elle lui disait d’aller jouer Les malheurs de Sophie plus loin.

- Donc tu viendras au mariage ?
- Ouais, si tu veux, si la bouffe est bonne.

Maybe old age has tamed this witch and made her a doll
(But like one of those evil haunted dolls)
She's being so nice, it fills my soul
Maybe she's not such a heinous bitch after all

- Merci maman, souffla Isobel, ça me fait vraiment plaisir que tu viennes et que tu... que tu sois si contente.

Sophie ricana au bout du fil.

- Ça me fait surtout rire d’imaginer la tronche d’Adeline Laveau, que son fils t’épouses.

I know it sounds like I'm falling in love (In love!)
Well, when we're finding a mate, it's our parents we're thinking of (Thinking of!)
My relationship with her was my first failed romance
And now finally, the cute boy's asking me to dance
Maybe she's not such a heinous bitch after all

- Mais tu... tu es un peu contente pour moi, en dehors de ça ?

Il y eut un soupir.

- Ouais. Il te bave dessus depuis que vous êtes gamins, c’est bien, il restera sage comme ça.

Maybe she's not such a heinous bitch after all

Tout ce qui Isobel retint vraiment, ce fut le « Ouais » de sa mère. Sa mère était contente pour elle. Sa mère était contente qu’elle se marie et venait à son mariage. Elle ne put s’empêcher de sourire.

- Bon, j’y vais moi. À plus tard.
- À plus tard, souffla Isy.

La ligne fut coupée sans trop de cérémonie. Isobel se retrouva de nouveau seule sur la terrasse, la nuit envahissant les recoins de l’île. Elle se sentait soulagée. Elle se sentait même heureuse. Sa mère était contente pour elle. Elle se leva d’un bond de sa chaise pour se glisser dans la chambre, poussant la porte de la salle de bains, un vrai sourire sur les lèvres.

- Ma mère a été super gentille avec moi et est ravie du mariage !

(Since you were born
She never made you popcorn)
Maybe she's not such a heinous bitch after all

FIN DE L'OS


« I never knew you were the someone waiting for me »