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Je deviendre fou [Danielle]

Constantine Égalité
Constantine ÉgalitéDirecteur du Département des Mystères
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Je deviendre fou [Danielle] Icon_minitimeMer 10 Mar 2021 - 19:55

15 Juin 2011

Nous avons poussé les portes d’un jardin où les arbres nus laissent leurs branches tomber le long de leurs troncs malades. L’atmosphère est froide comme un hiver sans pluie, sec et dur, du verglas au sol. Pris en tenaille entre les quatre cloisons d’un des patios du labyrinthe, le jardin s’ouvre sur la voute de ce qui doit certainement être un ciel de nuit mais qui à l’épaisseur du néant. Une couche noire, c’est tout, jette des ombres grise sur la neige entassé sous nos pieds qui y laissent des traces.

Danielle est à mes côtés, la seule source de chaleur paradoxale puisque son être n’est rien d’autre qu’une projection désincarnée d’elle-même. Son corps est ailleurs, au fond d’un canapé, dans mon appartement. On ne sent pas la température pourtant je jurerais que mes os sont glacés. Je n’y prête pas attention, figé sur le seuil alors que Danielle s’est aventurée plus avant entre les arbres.

Le labyrinthe ne veut pas d’elle et je ne sais pas où est l’entrée.

- Ce n’est pas là, dis-je lentement en scrutant le dessous des frondaisons où les bourgeons noirs sortent des nœuds du bois comme autant de boutons purulents de sève. Un frisson glacé me parcourt le corps. « C’est juste un cauchemar. »

Je suis obligé de la suivre : on distingue au-delà du bois une place à ciel ouvert et une autre porte toute similaire à la première, comme une porte d’enclos, basse et pleine d’échardes.

J’ai perdu la notion du temps. Les couloirs insalubres de ma mémoire nous conduisent tour à tour dans des impasses vides de souvenirs, ou vers des scènes sans importance. Ce que nous cherchons devrait être, s’il existe, tout au fond de ce labyrinthe, protégé ou enseveli, pour que je n’y ai jamais accès. J’ai aussi peur de découvrir quelque chose que de réaliser qu’il n’y a rien.

Depuis quelques temps, les crises sont redevenues fréquentes avec pour apex mon coup d’éclat ridicule aux Folies Sorcières qui s’est avéré plutôt dangereux pour ma santé. Je ne sais plus exactement où j’en suis, les choses se confondent, et j’ai à nouveau peur. Travailler est une épreuve. Vivre est une épreuve, un jeu de cache-cache où faire semblant que tout va bien en dissimulant les troubles profonds et la fatigue endurée est devenu un impératif si pesant et établi que j’ai dû prendre les choses en mains.

Danielle s’était engagée et sa parole a tenu. Elle est donc là, à avancer pas à pas dans les relents de ma mémoire, de mes souvenirs et de mes rêves qui se confondent et se transforme en un magma indémêlable, qui la rejette, qui me repousse, et qui nous conduit tous les deux dans des jardins cauchemardesques.

- On devrait peut-être… » La fin de ma proposition meurt dans ma gorge. Danielle m’a jeté un coup d’œil, elle ne fera pas demi-tour.

Elle a compris que j’ai peur de ce qui va apparaître une fois que j’aurais rejoint l’autre bout du jardin. Je ne crois pas que ça l’inquiète, en tout cas elle ne le montre pas. Comme si rien de ce qu’elle pourrait découvrir n’est capable de l’impacter. J’aimerais bien, que son regard sur moi ne change pas, quoi qu’elle apprenne. Car ici pas plus qu’à l’extérieur, je n’ai de contrôle. C’est le labyrinthe qui nous guide et joue avec nous.

Silencieux et tendu, je la rattrape pour cheminer à ses côtés. Nous avons rapidement rejoint l’autre versant et abouti sur le terre-plein bordé du muret où la porte n’est plus qu’à quelque pas. Je sais qu’il va venir. Au moment où je touche du doigt la porte un frisson glacial me saisit l’échine.

J’essaie de ne pas me retourner. Mais c’est impossible. J’ai beau lutter il m’attire comme un aimant. D’un demi-tour en suspens, je fais face. Ma bouche s’assèche. Mon cœur s’arrête. En moi tout devient aussi froid que la neige. Sous le couvert des arbres, les bras le long du corps, une silhouette sombre nous observe. Elle n’est pas menaçante. Elle ne bouge pas. Ses traits sont à peine visibles, comme une photographie floue ou une trace de peinture étalée sur une toile. Il n’y a aucune menace dans cette silhouette qui semble attendre quelque-chose, indéfiniment. Grise sur le noir des arbres et le blanc de la neige. Je suis terrorisé. Je saisis Danielle par le bras et la tire en même temps que je pousse la porte pour échapper aux yeux caves de la présence, referme la porte derrière moi. Mon cœur bat à cent à l’heure mais le souvenir du cauchemar a disparu, nous abandonnant dans un nouveau couloir dont les murs lambrissés s’étalent loin devant nous jusqu’à une intersection. Au mur il ya une énorme horloge magique de style ancien.

- Ça c’est le goût déplorable de mes parents, » dis-je avec un sourire nerveux pour tenter de ne plus penser à la silhouette immobile. « Elle est toujours dans leur salon. » Son tic-tac résonne bruyamment à nos oreilles. « Avec ce même son insupportable… J’espère qu’on ne l’entendra pas sonner. » Je jette un coup d’œil à Danielle. Brave, pourtant je n’en mène pas large. « Toujours aucune idée de la bonne direction à prendre… Ton instinct ? » Aussi bien nous pourrions tirer à pile ou face.


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Danielle Coleman
Danielle ColemanChef de la milice
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Je deviendre fou [Danielle] Icon_minitimeMer 24 Mar 2021 - 13:21
Des mémoires, Danielle en a visité des centaines depuis qu’elle a commencé à exercer en tant qu’Oubliator. Y pénétrer n’est pas toujours un jeu d’enfant ; il y a souvent des défenses qui bloquent, qui repoussent, qui rejettent cette intrusion extérieure dans ce qu’il y a de plus précieux de l’essence humaine. La mémoire est un sanctuaire qui renferme les souvenirs, les rêves, les espoirs ; le temps n’y a pas d’emprise et se confond au détour des bribes de souvenirs qui affluent, qui submergent, et qui filent.

Dans la mémoire de Constantine, Danielle est d’un calme olympien, le visage marqué par la concentration, l’esprit porté sur des détails dont elle se saisit pour comprendre l’endroit où elle avance précautionneusement. Il fait noir, et pourtant Danielle a l’impression qu’un soleil brille dans le semblant de ciel qui se dessine autour d’eux. Il y a une obscurité étouffante, une chaleur glacée, des bruits étouffés ; la mémoire de Constantine semble toute en contradiction et en nuances extrêmes. Et ils n’ont même pas encore atteint le cœur.

Ils ne parviennent pas à y entrer et Danielle sent qu’il ne s’agit pas de barrières que Constantine érige consciemment pour la maintenir à distance. On ne veut pas d’elle ici. Quelque chose la repousse et, en la repoussant, lui indique par la même occasion qu’elle avance sur la bonne voie. Alors, Danielle chemine parmi les plantes épineuses qui ondulent vers elle, malgré les flaques noires qui s’étendent vers ses chevilles, malgré les cris des oiseaux qui déchirent l’air glacé, malgré la brume grise qui ondoie. Elle sent, à ses côtés, que Constantine est nerveux ; la tension qui émane de lui est largement perceptible. Elle peut concevoir que sa présence dans sa mémoire n’est pas la plus apaisante parce que – et il le sait parfaitement – elle ira au bout de la mission qu’il lui a confié, qu’importe les obstacles croisés ou les doutes émis en cours de chemin. Danielle pose sur Constantine un regard décidé, au moment où il s’apprête à lui proposer de faire demi-tour, comme pour conjurer sa peur et son appréhension. Elle s’éloigne seule sur quelques mètres, en direction d’une énième porte qui sera, peut-être, leur entrée. Constantine la rejoint et ils avancent en silence, dans un décor qui n’est pas seulement lugubre, mais qui est surtout fragile.

Cette fragilité, Danielle l’a perçu au moment où, en posant sa main contre la joue de Constantine et en projetant son esprit contre le sien, elle a atteint les méandres de sa mémoire. Ce n’est pas tant le désordre apparent de son organisation mémorielle qui l’a frappé – Danielle a tendance d’ailleurs à penser que les mémoires des individus ne sont que le reflet exact de leur appréhension du monde – mais plutôt cette instabilité, comme si tout est friable, inconsistant, et peut s’effondrer d’une seconde à l’autre.

La main de Danielle se posa sur la poignée d’une porte basse qu’ils s’apprêtent à franchir lorsque, d’un sursaut, Constantine se retourne. Son visage se marque de frayeur et Danielle suit son regard pour découvrir, à plusieurs mètres d’eux, une silhouette humaine grise, floue, qui les observe sans bouger. C’est la première présence humaine qu’ils croisent dans cette infinité de décors qui se succèdent. Si l’ombre ne parle pas, Constantine est terrorisé par sa présence, au point qu’il l’entraîne de force à travers la porte qu’il a ouvert à la volée. Ses phrases respirent la peur, son sourire sonne faux, et Danielle l’observe sans rien dire.

« Je crois qu’on aurait dû… » rester à l’extérieur, veut-elle dire, mais sa phrase meurt au creux de sa gorge lorsque ses yeux se posent à nouveau une silhouette floue, plus petite que celle qu’ils viennent de croiser. Un enfant, de six ou sept ans peut-être, qui les observe depuis le bout du couloir. Danielle pose sa main sur le bras de Constantine, dans un geste rassurant et qui l’invite, dans le même temps, à réprimer ses gestes brusques.

Pendant plusieurs secondes, il ne se passe rien. Les yeux de Danielle, en revanche, ne quitte pas la silhouette fantomatique.

« Bonjour, » lance-t-elle finalement, « je m’appelle Danielle. »
« J’ai six ans. » répond l’enfant d’une voix grave, beaucoup plus grave que celle d’un humain aussi jeune.
« Et toi, » reprend-t-elle sans s’en formaliser, « comment tu t’appelles ? »
« J’ai six ans. » répète le garçon, le regard vide.
« Tu vis ici ? »
« Parfois. » Il hausse les épaules. « Quand il n’y a pas les ombres qui crient. » Il tourne la tête vers Constantine. « Tu es devenu vieux. » déclare-t-il.
« Et toi, tu as six ans. » reprend Danielle. Le fantôme lui accorde un regard intéressé. « Tu pourrais nous guider ? »
« Ça dépend. » un sourire froid éclaire son visage. A nouveau, il observe Constantine. « Tu veux aller où ? »



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Constantine Égalité
Constantine ÉgalitéDirecteur du Département des Mystères
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Je deviendre fou [Danielle] Icon_minitimeLun 5 Avr 2021 - 15:42
Je n’ai pas vu la silhouette minuscule debout à l’angle du couloir, avant que Danielle ne pose une main sur mon bras pour m’empêcher de réagir. Comme face à la vision floue de l’homme adolescent dissimulé sous le couvert des arbres, un grand froid m’envahit, une gelure qui arrête mon cœur une fraction de seconde, raidit mes muscles, et je lutte contre l’instinct soudain qui veut me pousser à fuir. Mes mains tremblent un peu. Je fixe la silhouette, qui s’approche, et tout mon corps se tend vers la direction opposée, mais je le retiens en pensant que derrière moi il y a l’homme au visage salit, silencieux sous les arceaux de neige noire. Dans mes oreilles le bruit de l’horloge s’intensifie.

Danielle parle à l’être étrange. Il garde ses distances, me dévisage comme si nous étions intimes alors que de tout mon être j’aimerais qu’il recule, qu’il s’en aille, qu’il disparaisse. Il a la voix grave d’un adulte, plus grave encore que la mienne mais avec un accent identique au mien, je réalise qu’il s’adresse à nous en français. « Tu es devenu vieux. » Dit-il en me regardant et instantanément, je le hais. Je ne sais pas quoi répondre, j’ai l’impression qu’il s’adresse directement à mon âme. Comme s’il savait tout. Et je comprends que j’ai peur parce qu’il peut tout voir. Tout ce que j’enferme, que je cache, dissimulé au plus profond de moi, tout ce que je ne veux pas voir ou pas comprendre, surtout, lui le perçoit, sait, peut me montrer. Il a le même regard perçant et bleu, les mêmes cheveux auburn taillés courts sur la nuque, le même nez épaté, les mêmes lèvres féminines. Il est moi et pourtant je le perçois comme un une entité terrifiante capable de me faire disparaître.

J’inspire sans pouvoir parler. Danielle a posé sur moi ses yeux que je ne perçois qu’à peine tant mon attention est retenue par le choc de ce garçon bizarre qui me dévisage comme s’il me connaissait par cœur et me jugeait.

- Tu veux aller où ? » Demande à nouveau la voix grave en me fixant cette fois. J’ai un sursaut comme si on venait de me tirer d’une rêverie profonde. Au choc se mélange un sentiment étrange de terreur, d’insécurité, et brusquement je me sens au bord des larmes avec la même intensité que si j’avais six ans moi aussi. « Tu veux lui montrer Camille ? »
- Non ! » J’ai poussé un cris, sorti de ma torpeur. « Non. Pas… Pas Camille, je veux… »

Je me mord la lèvre, je ne sais pas comment s’appelle l’endroit où je veux aller, mais je suis certain d’une chose, c’est que je ne veux pas qu’il nous y emmène. Je ne veux pas qu’il vienne avec nous. Je veux qu’il parte. Pendant que je réfléchis, il s’est détourné pour observer le balancier régulier de l’horloge qui continue son va-et-vient incessant contre le mur. « On peut se débrouiller sans toi, » dis-je d’une voix que je veux ferme, mais qui se heurte au regard brutal qu’il m’adresse. Il sourit, moqueur, et hausse les épaules.
- Impossible, répond-il. Moi je connais le labyrinthe, je sais trouver ce que tu cherches alors que toi tu en as peur. » Il hausse les sourcils vers Danielle, et je jure voir ses yeux s’adoucirent et se parer d’une expression d’innocence glaçante. « Il ment. Si tu l’écoute, tu ne sauras jamais trouver ce qu’il cherche. » Il a un rire mesquin qui me fait honte.  « Il est devenu très lâche, tu as remarqué ? »

Mes poings se serrent. Doucement je me dégage de la prise de Danielle et le regrette aussitôt, mais ne revient pas sur mon geste. De toute ma stature, je surplombe le gamin qui ne bronche pas, et se contente de lever vers moi une expression indifférente.

- Je veux aller à l’origine.
- Quelle origine ? Il y en a des tas, imbécile. L’origine de ton ambition ? L’origine de ton amour ? » Comme le ferait un enfant contrarié, il me pousse. Sa voix grave s’est soudain brisée en sanglots, et il parle de plus en plus fort. « L’origine de ta violence ?! L’origine de ton sadisme ? L’origine de ta folie, sale monstre ? » Ses cris couvrent à peine le bruit tonitruant de l’horloge qui s’est mise à sonner. J’ai reculé, couvert mes oreilles de mes mains. Secoué de sanglots, le gamin s’est glissé jusqu’à Danielle, a enserré ses jambes entre ses bras frêles, enfoui son visage contre son ventre. Lorsqu’il me regarde, il a cessé de pleurer et sourit à nouveau, goguenard. Le silence s’abat sur nous. « Ou celle de ta perversité ? » J’ai reculé, rougit, mal à l’aise. « Tu crois que tu veux qu’elle voie tout ça ? »
- Pourquoi ma mémoire…
- Blabla, je sais. Tais-toi. Tu nous ennuie. Il ment encore, dit-il à Danielle, il ne veut pas y aller. Doucement, il la prend par la main, avec dans le geste quelque chose de sensuel qui me fait frémir de dégoût. Toi, je veux bien te montrer. Mais je ne crois pas qu’il va nous suivre. Il a trop peur.


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Danielle Coleman
Danielle ColemanChef de la milice
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Je deviendre fou [Danielle] Icon_minitimeMar 6 Avr 2021 - 11:26
L’enfant est étrange. Il a un physique juvénile, mais une voix terriblement grave et un regard perçant qu’il pose tour à tour sur les deux adultes qui lui font face. Constantine s’est figé. Il a, sur le visage, une grimace de dégoût qui ne passe pas inaperçue. Danielle peut la comprendre ; elle non plus ne se sent pas particulièrement à son aise. Seul l’enfant semble se délecter d’une situation qu’il dirige, qu’il manie avec une froideur sensuelle immonde. Il parle, évoque le nom de Camille qui fait vivement réagir Constantine, avant de s’adresser directement à Danielle qui, pensive, médite ses paroles.

Au fond, l’enfant n’a pas tort. Si elle écoute Constantine, ils ne trouveront jamais.

C’était ce qu’elle percevait déjà dans leurs échanges, dans cet empressement à fuir les scènes douloureuses, à s’éloigner de ce qui est fissuré, abimé, cassé, comme pour mieux s’en protéger. Ce n’est pas totalement de sa faute ; personne n’a envie de faire un examen aussi approfondi de sa mémoire et chaque once de Constantine s’y oppose même franchement. Alors il fuit ; ce n’est pas de la lâcheté, c’est une manière de survivre, et de se protéger. Si elle se contente de suivre Constantine, ils risquent de passer des heures – des jours, des mois, des années peut-être – à naviguer en surface, parce qu’il s’empêchera toujours de plonger, par crainte primaire de se noyer.

L’idée de suivre l’enfant ne plaît pas particulièrement à Danielle. En revanche, elle commence à songer qu’elle n’a pas d’autre choix. Que les réponses se trouvent entre les mains de ce garçon qui crie, qui hurle, qui pleure et qui fond en larmes en courant vers elle pour enlacer ses jambes. Ce contact envahit Danielle d’une curieuse sensation glacée qui fait frissonner sa peau diaphane. Pourtant, un bras se referme autour de la silhouette de l’enfant, qui sanglote toujours contre elle. Elle ne comprend pas exactement pourquoi ; elle sent juste que c’est ce qu’elle doit faire, quand bien même le geste lui donne la nausée. Et en effet, curieusement, en étant ainsi accueilli, l’enfant s’éloigne un peu d’elle, pour interroger à nouveau Constantine avec un sourire qui n’a rien de sain, ni rien d’enfantin.

« On ne peut pas y aller sans lui. » objecte finalement Danielle, dont la main est glacée dans celle de l’enfant, qui la serre entre ses doigts, si fort qu’elle en devient blanche. Il a l’air contrarié par sa réponse.
« Bien sûr que si, tu peux. » répond l’enfant avec un air supérieur.
« Si je vais dans le labyrinthe sans lui, il ne saura jamais. »
« Et alors ? Il ne veut pas savoir, de toute façon. Il fait semblant, mais ça l’arrange bien, de rien savoir, crois-moi. » Il a un mépris dans la voix qu’il ne cherche pas du tout à dissimuler. « Regarde comme il est, il fait l’homme mais ça ne lui va pas du tout. »

Danielle fronce légèrement les sourcils.

« On ne peut pas y aller sans lui. » répète-t-elle d’une voix qui ne souffre pas de contradiction. « Tu peux nous guider tous les deux ? »

Ses mots mettent l’enfant dans une colère noire. Brusquement, il s’éloigne d’elle, commence à taper du pied, les sourcils froncés et le regard sombre.

« VOUS GUIDER VOUS GUIDER, JE VAIS PEUT-ETRE VOUS LAISSER POURRIR DANS CE TROU SANS FOND ET CE SERA BIEN FAIT ! » Sa voix résonne longtemps dans le couloir vide. « Et moi ? » interroge-t-il finalement, ses grands yeux remplis de larmes. « Si j’ai pas envie d’y aller avec lui ? » Il paraît brusquement minuscule. « Je veux pas l’approcher, il me fait peur… » Il renifle, les épaules un peu tremblantes. « Il va me faire du mal… C’est tout ce qu’il sait faire… »

Les sourcils de Danielle se froncent légèrement. Elle a une espèce d’impatience et de nervosité qui viennent marquer les traits généralement sereins et fermés de son visage.

« Tout va bien se passer. » finit-elle par lâcher du bout des lèvres. C’est la main de Constantine qu’elle attrape pourtant dans la sienne. Quelque chose de chaud se dégage de lui et la soulage de la présence glacée de l’enfant qui les regarde avec dédain. « Montre-nous. »

Il hausse les épaules et se détourne d’eux pour avancer dans le couloir. Après un dernier regard échangé, Constantine et Danielle se mettent en marche. Le couloir change de forme, devient une immense pièce à la décoration baroque. Au centre, trois enfants sont installés à même le sol sur un large tapis rouge. Ils ont l’air jeunes – le plus petit a trois ans, les deux autres entre dix et huit ans. Les deux aînés lisent, le plus petit secoue un jouet dans son poing fermé.

« Ils t’ont jamais trop aimé, tes frères. » dit l’enfant en se tournant vers Constantine. « Enfin, c’est peut-être pas plus mal. Le seul qui t’aimait vraiment est mort, alors… » Il repose ses yeux sur la petite scène familiale. « Mais toi non plus, tu ne les aimais pas vraiment. » commente-t-il en regardant l’enfant. « C’est drôle, tous les trois, vous ressemblez à une horloge cassée qu’on laisse dans une pièce pour la décoration. C’est là, on passe devant tous les jours, et on oublie qu’elle ne fonctionne pas et qu’en plus de ça, elle ne donne même pas la bonne heure. »  


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Constantine Égalité
Constantine ÉgalitéDirecteur du Département des Mystères
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Je deviendre fou [Danielle] Icon_minitimeSam 10 Avr 2021 - 18:52
La main de Danielle est chaude dans la mienne et je la sers pour tenter d’oublier à quel point j’ai peur. Les trois enfants sont assis en silence. Saul tourne les pages de son livre avec méthode : d’abord son doigt glisse le long du papier, puis s’insère entre les pages et tourne avec application. Parfois il humecte son doigt comme il a vu les adultes faire. Aujourd’hui encore il a pour tourner les pages d’un livre ce même geste mesuré. Fabre, lui, pose la main à plat et presse le papier entre ses doigts marquant parfois d’un pli malheureux l’ouvrage, il s’en fiche. Il sait que quelqu’un pourra remettre à neuf l’objet s’il l’abîme. Parfois, Fabre appelle l’attention de Saul et lui montre ou lui raconte quelque chose dans lequel il n’inclue pas le dernier enfant, assit par terre, un peu plus loin.

Une horloge cassée. Un objet de décoration auquel on ne prête pas vraiment attention, c’est le lot des enfants Égalité mais ça leur semble normal. Les parents ne sont jamais si loin, mais jamais assez proche pour s’occuper eux-mêmes de leurs enfants. Je ne saurais dire combien nous avons eu d’hommes et de femmes à notre service toute notre enfance durant, payés pour s’occuper de nous, nous entretenir, pourvoir à notre moindre désir, nous éduquer, parfois nous prodiguer l’amour que nos parents ne nous donnaient pas.

Fabre a huit ans et soudain il se lève en regardant Constantine bébé. Je n’ai pas souvenir de cet événement, bien sûr, mais je m’en rappelle beaucoup d’autres similaires, ces périodes de vacances partagées où nous nous retrouvions tous les trois, ou tous les quatre, dans la salle de jeu. Il nous était demandé de nous occuper calmement mais nous finissions très souvent par nous battre parce que…

Fabre s’approche de Constantine et le toise de toute sa hauteur. L’enfant lève la tête vers son frère. Dans son poing fermé, il tient fermement la figurine de plomb, et sentant que c’est ce que son aîné va lui réclamer, le rabat contre sa poitrine pour le soustraire à la vue de Fabre. Ce dernier grimace. « Donne, » ordonne-il,
- Dit lui s’il te-plaît, fait Saul sans lever les yeux de son livre. Ses parents lui ont expliqué qu’en tant qu’aîné de la fratrie il lui revenait de veiller sur ses frères. Mais Fabre est un garçon têtu qui n’aime pas recevoir des ordres, il lève les yeux au ciel pour montrer son désaccord, mais pour se garantir de la colère parentale, plie :
- Donne, s’il te-plaît, Constantine.
Peut-être que Constantine l’aurait donné à la nourrice, au secrétaire, même au jardinier. Mais pas à Fabre. Il sait que s’il le lui donne, il ne le reverra pas parce que son frère le gardera pour lui. Il sert plus fort le jouet et évite le regard de son frère qui a alors un mouvement imperceptible.

Constantine se met à crier, crier, crier, il hurle, et pleure, mais ne lâche pas le jouet, et Fabre qui le pince, pince plus fort, et plus fort encore, jusqu’à ce que Constantine, en larmes de souffrance, finisse par se laisser faire et donne le jouet.

Les hurlements ont attiré la nourrice qui prend l’enfant dans ses bras en jetant un regard mauvais à Fabre. Elle sait que les deux aînés ont une tendance à martyriser le plus petit. Elle le protège du mieux qu’elle peut.


- Tu t’en souviens, d’elle ? » Demande l’enfant. « Moi je m’en souviens. Elle était gentille avec moi, mais elle est partie. »
- Fabre l’a fait partir, dis-je, comme si j’étais convaincu de quelque chose dont je n’ai aucun souvenir.
- Qu’est-ce que tu en sais ? Peut-être qu’elle aussi elle a fini par être dégoûté de toi ?

Je jette un regard glacial à l’enfant pour lui montrer que sa méchanceté ne m’atteint pas, mais c’est faux. Elle entre en résonnance comme un cri qu’on aurait poussé directement dans mon oreille. Je ne peux l’éviter. Derrière lui, la nourrice continue de me bercer mais on n’entend plus les sanglots du bébé. La porte s’ouvre. « Ha, regardez ! Fait l’enfant avec un sourire en dent de scie, la porte s’est ouverte, on peut continuer. » Il me jette un regard comme s’il me mettait au défi de quelque chose, et passe entre nous. Avec ses bras joints, il sépare brutalement nos mains, à Danielle et moi, et en profite pour me pince durement au travers de ma veste. Je m’écarte avec un sursaut et un grognement de surprise, et l’enfant me renvoie un rire ravi. À nouveau, il s’agrippe à Danielle. « Si tu le touches trop longtemps tu vas être mau-oooo-dite, chantonne-t-il, comme Caaa-mille et comme Jooosie, et comme la peeetite fiiiille et comme Chlooo-oooé, maudite, maudite, lalalala… » Il a déjà entraîné Danielle, passé la porte, et je m’apprête à le saisir pour lui dire de la boucler. Avant même que ma main n’ai effleuré le haut de son crâne il a hurlé en s’écartant. « TU VOIS ! Appelle-t-il Danielle, effrayé, tu vois, il veut me faire mal ! Recule. » Je ne bouge pas et il me montre les dents. « Tu ne veux pas ?
- Non.
- Non ?
- Non. » Je suis mort de peur. Le gamin se remet à serrer les poings, son visage à se tordre. Quand la rage affleure il devient monstrueux.
- NON, NON, NON ? TANT PIS POUR TOI !
Brutalement il lâche Danielle. Court, ouvre une porte à la volée dans les ténèbres. Il s’immobilise sur le seuil, brûlé par une lumière nouvelle qui envahit brutalement l’espace. L’extérieur s’aspire vers nous, lutte au travers de l’ouverture, jaillit comme un pot de peinture jeté sur une toile vierge. Nous n’avons pas bougé, autour de nous les murs se couvrent de lambris, le plafond s’abaisse, des poutres y poussent. Un fauteuil environné de piles de livres, de papiers épars, d’objets jetés sur une moquette tâchée et devant l’âtre une silhouette courbée. Un homme jeune, de profil, scrute les braises rougeoyantes devant lui. Je mets quelques secondes à me reconnaître, à reconnaître dans la cheminée le visage de ma mère, et le souvenir m’assaille.

Constantine discerne dans les remugles de fumée et de cendre les traits de sa mère, déformés par le biseau des braises et les ombres tranchées. Il est pâle, avec sous les yeux d’épaisses cernes noirs qui lui mangent le visage et lui donnent un air las de fatigue et de tristesse. Il a les mains qui tremblent, malgré qu’il les tiens fermement l’une dans l’autre. Tout son corps, vouté vers l’âtre, se tend vers le portrait silencieux comme un appel à l’aide.
- Mère…
- Que désires-tu, Constantine ?
- Je voulais… Comment allez-vous ? Père et toi… ? » Il est évident que le garçon est déstabilisé par le ton directe et froid du visage de braises. Il a derrière les lèvres quelque chose qu’il ne parvient pas à dire et que son interlocutrice ne saisit pas.
- Bien, répond-elle. Nous avons fort à faire. De nombreuses réceptions, comme tu l’aurais su si tu étais resté en France un peu plus longtemps qu’uniquement le temps de l’enterrement.
- Je sais, je suis désolé…
- Ton aide aurait été appréciable. Ta présence aussi, cela aurait évité toutes ces questions à ton sujet.
- Je sais, mais je ne pouvais pas… Le Ministère... » Ses paroles meurent alors qu’il cherche fébrilement, en fuyant le regard de sa mère, comment échapper à ces remontrances. Il s’y attendait mais pensais bêtement que peut-être cette fois, les choses seraient différentes.

Elles ne le sont pas. Évidemment, Sybil Égalité est la même femme de fer qu’il a toujours connu. Froide, directe, brutale comme une lame d’acier tranchante. D’une rigidité terrible, d’une inaccessibilité absolue. Constantine se demande parfois si cette femme est vraiment leur mère. Comment cela se fait-il que des gens choisissent d’avoir des enfants sans jamais leur donner une once d’affection. Constantine a baissé la tête et se mord la lèvre en silence. Un silence qui dure quelques secondes de trop pour Sybil dont la vie est réglée comme du papier à musique.

- Constantine, as-tu quelque chose à me demander ? Autrement, j’ai des choses à faire. » C’est une remarque absolument neutre. Il relève la tête, fait un effort de volonté énorme.
- Je crois que j’ai besoins d’aide, dit-il précipitamment, je ne vais pas très bien…

Incapable d’en dire plus, il se tait, tremblant. C’est un aveu qu’il a besoins de faire depuis des jours, sans savoir comment le dire. Il sert contre lui ses bras, se replie sur lui-même comme s’il pouvait disparaître. De l’autre côté, Sybil ne répond pas. Et cela dure si longtemps qu’un instant, Constantine pense qu’elle ne l’a pas entendu.
- Mère…?
- Tu oses me dire ces mots à moi qui vient de perdre un fils, Constantine ? » Ce n’était pas la réponse qu’il voulait. Le portrait de Sybil s’agite et suppure la rage et la consternation. « Penses-tu que ce soit facile pour moi ? Mais m’as-tu entendu me plaindre ? M’as-tu vu pleurer ? Cesser de faire mon office ? Personne ne désire voir tes états d’âmes, Constantine. Personne ici ne va mal. Et si c’est le cas il est hors de question que quiconque le sache. Tu m’entends ? » Constantine opine faiblement. Ses joues sont mouillées de larme qu’il essaie de ravaler. « Cesse de pleurnicher. Prends-toi en main. Tu n’es pas le seul à souffrir. » À nouveau Constantine opine, les yeux fermés. « Je ne veux plus en entendre parler. » Et après un silence : « Me suis-je bien fais comprendre ? »
- Oui, mère.
- Bien. » Elle opine, mais sa tension est toujours palpable. « Dans ce cas je te souhaite une agréable soirée. Et nous aimerions que tu sois là le six. Nous prévoyons une soirée de deuil familiale pour Camille. Je ne pense pas qu’aucun de tes projets ne puissent être plus important que la mémoire de ton frère. Au revoir, Constantine. »

Et le visage disparaît.


L’enfant a éclaté de rire, mais il pleure tout à la fois. Moi j’ai sur le visage les mêmes larmes qui coulent ravivés par la précision de ce souvenir que je déteste de toute mon âme.
- Tu vois Da-ni-elle, au fond il est fragile c’est peut-être quelque chose comme ça que vous cherchez, un problème avec sa mamaaaan, ouin ouin.
Cette fois je lève la main pour le frapper. Automatiquement il court se cacher derrière Danielle :
- NE LE LAISSE PAS ! Ne le laisse pas me frapper !


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Spoiler:
Danielle Coleman
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Je deviendre fou [Danielle] Icon_minitimeSam 17 Avr 2021 - 11:57
Danielle s’efforce de garder, face aux souvenirs de Constantine, le sérieux de la chercheuse qu’elle a longtemps été, avant de prétendre à des postes plus politiques. Ce n’est pas évident ; l’enfant l’empêche d’avoir ce recul pourtant nécessaire à l’analyse. Il commente, plaisante, provoque, hurle, prend sa main, pince, tire, rit, pleure. Une parole fait changer son visage rieur en une grimace effroyable ; il chantonne puis brusquement s’écarte pour entourer les jambes de Danielle avec ses bras. Elle baisse vers lui un regard agacé, alors qu’il l’interpelle puis ordonne à Constantine de reculer. Les sourcils de Danielle se fronce d’une contrariété qu’elle peine à dissimuler ; ce n’est pas tant l’enfant qui l’embarrasse que la capacité qu’il déploie pour l’empêcher de réfléchir. Au fond, Danielle se demande s’il ne s’agit pas d’un énième stratagème de l’esprit de Constantine pour la tenir à distance de certaines informations. Car, même s’il les lui montre, quelque chose vient immédiatement briser le processus de réflexion qui aurait pu s’enclencher à ce moment-là. Danielle se retrouve simplement spectatrice de souvenirs qui – en plus – ne la laissent pas indifférente.

Et, si le premier mettait en lumière trois enfants aux liens complexes, malsains même, le second présente une femme dont le visage est en feu et qui, pourtant, paraît aussi glaciale qu’une nuit d’hiver. Ses lèvres se forment avec les braises de la cheminée, deux charbons deviennent ses yeux. Face à elle est agenouillé un Constantine plus jeune mais dont l’attitude voutée lui donne dix ans de plus qu’aujourd’hui. Il l’appelle « mère », la vouvoie, et ce détail sonne étrangement aux oreilles de Danielle, qui a connu avec ses parents des relations radicalement différentes. Elle se souvient d’eux souvent absents, mais chaleureux dans leurs rares moments de présence. Des images floues d’une jeunesse choyée auraient pu lui revenir en mémoire, mais Danielle les bloque pour se concentrer sur l’échange impersonnel qui se déroule sous ses yeux.

Ce n’est pas tant un échange qu’un appel à l’aide – formulé comme tel – qui rencontre un refus d’une violence presque insoutenable. L’estomac de Danielle se serre d’une manière étrange, qui ne lui est pas familière. Depuis qu’elle en entrée dans la mémoire de Constantine, elle sent une sensitivité s’emparer d’elle et épuiser ses ressources psychiques déjà mises à mal. Il lui faut une seconde pour reprendre le contrôle d’elle-même, avant de baisser les yeux sur l’enfant qui pleure et qui rit en proférant des hypothèses vagues et humiliantes. Quand il se remet à crier, la voix de Danielle claque dans les airs :

« Tais-toi. »

L’enfant paraît choqué de cet ordre. A son tour, il fronce les sourcils, et geint :

« Tu n’as pas le droit de me parler comme ça ! Ah ça non, tu n’as pas le droit ! »
« Et pourquoi ? »
« Parce que tu es chez moi ici. » fait l’enfant avec suffisance. Il plante son regard dans celui de Danielle, qui le soutient avec froideur. « C’est chez moi et je refuse qu’on me donne des ordres ! Sinon, je vous fais sortir, tous les deux ! »
« Non, tu ne le feras pas. » contre Danielle.
« Ah bon ? » relève l’enfant. Evidemment, il se met en colère. « AH BON, TU PENSES QUE JE NE SUIS PAS ASSEZ FORT POUR VOUS FAIRE PARTIR, TOUS LES DEUX, D’UN SIMPLE CLAQUEMENT DE DOIGT ? JE SUIS PUISSANT, MOI, ALORS DIS MOI POURQUOI JE… »
« Parce que tu as peur de te retrouver seul. » L’enfant cesse de crier. Il se remet à pleurer, s’accroche à son chemisier désormais froissé par tous ces contacts, puis se laisse tomber aux pieds de Constantine. Avec une certaine hésitation, il finit par entourer ses jambes.

« C’était dur… » lui souffle-t-il. « C’était toujours dur, tout le temps, ça faisait mal, tout le temps, et personne ne faisait jamais rien. Fabre pinçait, criait, faisait mal, et personne ne faisait jamais rien. Saul, ce petit hypocrite avec ses manières de petit hypocrite et sa tête de petit hypocrite… » Il renifle un peu. « Et mère… Mère… » Il tremble, puis se redresse. « ELLE ETAIT HORRIBLE ! ET MOI, MOI, JE DOIS VIVRE AVEC TES SOUVENIRS CASSES TOUS LES JOURS ! »
« On veut les réparer. » le coupe Danielle qui, vraiment, perd patience de ces changements d’humeur aussi rapides qu’incohérents. « On veut les réparer, ces souvenirs cassés, c’est pour ça qu’on vient ici. »
« Tu peux pas. »
« Pourquoi ? »
« Parce que c’est trop loin, c’est trop loin dans le labyrinthe. » Il regarde Constantine. « Il faut lui montrer Camille, pour continuer. Pour qu’elle comprenne. Et puis la petite-fille aussi, et puis Chloé. » Il hausse les épaules. « Il faut qu’elle comprenne ce que ça fait, d’avoir des souvenirs cassés. » Son regard revient sur Danielle. « Ça l’a cassé, lui. Il s’est réparé avec de la colle pour enfant et il détruit tout ce qu’il peut pour se solidifier. Tu ferais bien de faire attention. »


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Constantine Égalité
Constantine ÉgalitéDirecteur du Département des Mystères
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Je deviendre fou [Danielle] Icon_minitimeSam 8 Mai 2021 - 15:37
Nerveusement j’ai essuyé les cernes humides de mes yeux pour faire disparaître l’oppression de mon cœur, comme si purifier mon visage pouvait faire s’éteindre les sentiments dérangeants qui m’étreignent. J’ai honte de ces larmes autant que de toutes les autres car je respecte ce que l’on m’a appris malgré moi, ce que l’on m’a inculqué au point de paralyser l’expression de ces émotions inavouables, que je pense placer dans des écrins verrouillés quand je ne fais rien de plus que les balayer maladroitement dans le coin mal isolé de mon intérieur. L’enfant vocifère encore, tombé à mes pieds, contrarié par le rejet de Danielle qui s’échauffe malgré elle sur ces incessantes inconstances. Il s’est roulé en boule près de mes pieds et me raconte combien c’était dur et j’hésite entre deux envies puissantes, celle de le serrer dans mes bras ou de le rouer de coups à même le sol.

Plus les minutes s’écoulent, suppurantes de tous les aspects effroyables de ce dissimule les profondeurs de mon esprit, plus cet enfant me ressemble. Quand nous sommes arrivés il se déplaçait, furtif, comme un renard cherchant près d’une clôture l’ouverture d’un poulailler. Désormais il a quand il agite les bras cette même détermination maladroite que la mienne et sa colère jette des éclairs foudroyants et cyniques qu’il m’arrive de surprendre lorsque je croise un miroir. Il fait partie de moi, il est moi et il est autre. Il s’exprime comme jamais je ne m’exprimerai mais parle avec des mots qui sont à moi et qu’il extirpe péniblement d’un endroit inconnu de mon être. Ce pouvoir me tétanise. Il connaît intimement les dédales de mes souvenirs et de mon âme quand je n’en suis qu’à la surface, et pourtant j’ai l’intime conviction de partager avec lui la connaissance intrinsèque de ces routes défendues. Je sais qu’il a raison lorsqu’il affirme que nous n’y arriverons pas parce que je sais déjà que je ne veux voir aucune des vérités qui existent tout là-bas, indépendamment.

Peut-être que c’est mieux comme ça et que ne pas savoir est mon salut ? Je considère cette faiblesse un moment en tremblant face à ses imprécations. Je ne peux pas lui montrer Camille. Je l’ai fait voir à Joséphine, qui savait déjà, et ce que ça a créé chez moi était déjà trop dur. Je ne veux pas de son regard objectif sur moi. Je n’ai pas peur de ce qu’elle pourrait penser de mon acte, je ne supporte simplement pas que quiconque puisse me donner cette impression de savoir. Je frisonne jusqu’au creux de mes os en secouant lentement la tête.

- Pas Camille. »

Pourrais-je supporter qu’elle voie mon âme sale et noire, qu’elle comprenne pour Chloé ou pour Lou ? Serais-je capable d’assumer la violence de mon intrusion dans l’esprit d’une enfant probablement à jamais détruite par le ravage brutal que j’ai fait de la construction à peine esquissée de son psychisme ?

- Quelle image tu as de toi, dit l’enfant en s’approchant de moi comme une ombre nauséabonde, c’est ta question, et c’est drôle. » Son expression dément la moindre trace d’humour dans cette affirmation. Il a gardé ses proportions mais quand je lui rends son regard, les lèvres plissés dans un début d’ironie amer, je me confronte à des traits qui ont vieillit de dix ans. « Tu te trouves sans arrêt des excuses, Constantine. »
- Ça, c’est faux.
- Ha, mais ça ne peut pas l’être, parce que je suis toi et que tu es moi. C’est forcément ce que tu penses.
- Il y a des choses que je n’ai pas envie de montrer. » Il éclate de rire.
- Danielle, tu entends ? Il y a des choses qu’il ne veut pas montrer. Il t’invite ici, dans la pire des tourmentes, dans la saleté, dans l’angoisse, et après il dit, ho noooon il y a des choses dont j’ai hoooonte… BOU-HOU, » fait-il en mimant de ses poings un geste comme s’il essuyait des larmes. « Dommage que ce ne soit pas toi qui choisisse. »

J’ai à peine le temps de comprendre, mon visage de se tordre d’horreur. Je saisi le vieil enfant par le col mais il se retourne, m’échappe, frappe mon bras et s’écarte d’un bond rieur et tout tourne autour de nous. Dans un tourbillon ininterrompu j’aperçois Lou et nous revivons en accéléré mon esprit qui éclate contre le sien, Chloé fuse vision aussi brève qu’un reflet de lumière réverbère contre une fenêtre, pour la première fois alors que je ne maîtrise rien je me révolte contre cette absence de contrôle dont le paroxysme est atteint lorsque dans un éclair qui nous fais trébucher, ivres de visions, le décors s’immobilise sur le Département, face à Camille qui tient sa baguette avec dans le regard un appel désespéré.

Je pousse un cri de rage et me rue sur l’enfant. J’agrippe ses cheveux et le gifle. Ma main ouverte devient un poing qui éclate contre son nez, sa mâchoire et ses yeux défigurés. La sensation familière revient, je saisis la brèche, pousse brusquement. Nos esprits se déchirent dans un hurlement aigu.

J’expire avec un cri et ouvre les yeux sur le salon désordonné de mon appartement. Les os glacés, le front couvert d’une sueur moite je tremble à grands spasmes, haletant. Mes mains sont contractées contre mes cuisses et je sais que je ne parviendrais pas à les ouvrir. Les yeux écarquillés et le visage plus blanc qu’un linceul, je cherche mon souffle sans le trouver.



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