Les hommes et les femmes de l'ombre [Resistance]

La plume trembla quelques secondes au dessus du parchemin avant de s'y poser et de former de belles lettres soignées. Voilà, c'était fait. Urban expira profondément avec un immense sourire et posa la plume à côté du contrat qu'il venait de signer. Il était de retour dans la course. Le jour qu'il avait attendu avec impatience depuis presque deux ans venait d'arriver. Il serra la main de son entraîneur et de son sélectionneur avec entrain et sortit du bureau le cœur léger. Ce n'était qu'une simple formalité, un morceau de papier qui affirmait qu'il faisait partie de l'équipe et qu'il était à nouveau lié à eux. L'annonce officielle n'aurait lieu que dans quelques jours dans la presse, il lui restait donc peu de temps pour en parler à sa famille.

La culpabilité lui noua légèrement l'estomac alors qu'il se changeait dans le vestiaire, retirant sa tenue d'entraînement. Il n'avait parlé à personne de sa visite chez les médicomages du sport au début du mois de juin. Il n'avait rien dit quand ils avaient apposé un tampon favorable à sa reprise. Parce qu'il savait, tout au fond de lui, qu'il avait tort de le faire. En apparence tout allait bien, il était parfaitement remis. Il pouvait gérer un effort ponctuel, il pouvait gérer plusieurs entraînements intensifs à la suite. Mais était-il capable de tenir sur le long terme ? Les entraînements qu'il s'infligeait à la maison tous les matins n'avaient rien à voir avec ceux qu'il pouvait avoir quand il jouait à haut niveau. Il ne savait même pas s'il avait réellement conservé ses aptitudes pour un jeu en équipe nationale.

Mais il n'avait pas écouté ses doutes et il avait contacté son ancien sélectionneur en lui demandant de lui laisser l'opportunité de passer des sélections. Il avait eu l'accord des médicomages après tout, il n'était pas totalement cassé contrairement à ce qu'ils lui avaient affirmé quand il avait eu son accident. Il voulait rejouer, c'était sa raison de vivre, il ne voulait pas abandonner avant d'avoir au moins essayé. Et le premier test avait été réussi haut la main. Il ne restait plus qu'à montrer ce qu'il savait faire sur un terrain. Il n'avait pas refait de vrai match depuis quasiment deux ans, il avait dû perdre quelques réflexes et automatismes. Il était même fort probable qu'il ne vaille plus rien et qu'il ait trop perdu pendant son arrêt forcé. Mais on lui avait donné la chance d'essayer et de prouver ce qu'il valait. Contre toutes attentes, il s'était maintenu et avait montré ce dont il était capable. Il avait eu l'impression d'être retourné deux ans en arrière, lorsqu'il était au sommet de sa gloire. C'était agréable et il prenait conscience que cela lui avait encore plus manqué que ce qu'il pensait.

Il avait eu raison de persévérer, aujourd'hui, il venait de signer son retour dans l'équipe des Chauves-Souris de Fichucastel et voyait son rêve reprendre vie. Il était joueur professionnel à nouveau et il avait fait taire tous les pronostics le concernant. Il pouvait prendre sur lui et oublier les vertiges. Il devait le faire. Les premiers entraînements avaient été intenses, mais il gérait. Il n'avait presque pas d'effets secondaires mis à part une légère désorientation quand il posait pied à terre. Autant dire que c'était totalement anodin et il se garderait bien d'en parler à Katrine quand il lui annoncerait sa grande nouvelle. Un sourire se dessina sur ses lèvres alors qu'il rangeait sa tenue dans son placard et qu'il sortait du vestiaire. Il transplana devant chez lui et commença à s'affairer en attendant l'arrivée de Katrine.

Il avait réussi à négocier avec son club de pouvoir rentrer chez lui après les d'entraînements, chose qu'il n'avait pas fait au début de sa carrière. Mais sa situation était différente maintenant, il avait une maison et des animaux à s'occuper et il ne pouvait pas se permettre d'abandonner toutes ses autres activités. Il accueillit sa sœur aînée avec un grand sourire, ils avaient convenu de se retrouver avant pour aller chez leurs parents ensembles pour aller chercher leur jeune sœur. C'était une journée importante pour Blair, il en avait conscience et il avait longtemps hésité avant d'accéder à sa requête. Mais il aurait été ridicule de repousser son intronisation après ce qu'elle faisait au sein de Poudlard. Elle était à la tête de la résistance estudiantine, elle était déjà à fond dans la cause. Le risque qu'elle encourait n'était pas plus élevée si elle rejoignait officiellement le LEXIT maintenant ou plus tard. Il avait donc demandé l'autorisation à Jeremy d'emmener la jeune fille avec eux à l'une de leurs réunions en lui expliquant la situation et sans grande surprise, il avait accepté.

"On y va à pied ?", proposa Urban à Katrine alors qu'ils s'apprêtaient à partir pour la maison parentale. "On a du temps devant nous et la lande est agréable à cette période de l'année."

Il essayait aussi tant que possible de ne pas transplaner en dehors des entraînements. La sensation n'était pas agréable et son oreille interne n'appréciait pas vraiment ce mode de transport. Il était toujours un peu vaseux et mettait un certain temps à retrouver ses repaires après ça. Il ne voulait pas donner une raison à sa sœur de s'inquiéter avant la grande nouvelle qu'il voulait leur annoncer. Et puis, la maison de leurs parents n'était vraiment pas loin, deux kilomètres tout au plus, ils y seraient vite et ils pourraient discuter de tout et de rien en chemin. Il se doutait que son aînée saisirait l'opportunité pour lui poser des questions sur Florence. Ils étaient plus ou moins ensemble depuis quelques mois, ils se voyaient beaucoup en tout cas et Urban appréciait sa compagnie. Il était plus mitigé sur ses sentiments pour être honnête. Ils passaient de très bons moments ensembles mais le fait de devoir lui cacher tout un pan de sa vie et de sa personnalité le mettait mal à l'aise et l'empêchait de s'attacher pleinement à la jeune femme. Il ne savait pas vraiment quoi penser de tout ça et il ne se donnait pas non plus le temps d'y réfléchir.

Comme il l'avait prédit, ils ne mirent pas longtemps à rejoindre la maison familiale. Urban serra chaleureusement sa mère dans ses bras quand elle sortit pour les accueillir et elle appela Blair qui devait certainement traîner dans la lande. Un sourire amusé s'esquissa sur ses lèvres lorsque l'adolescente se présenta devant eux et qu'elle les inonda de compliments. Comme si les flatteries allaient changer quoique ce soit à la situation et à la décision qu'ils avaient prise. L'impatience de Blair lui tira un nouveau sourire et il secoua doucement la tête pour montrer qu'il n'était pas tout à fait prêt. Il posa les yeux sur leur mère qui pénétrait dans la cuisine suivit de Jannick avec sa planche de surf sous le bras et une serviette sur la tête.

"Papa est dans l'atelier ?", lui-demanda-t-il. "Tu veux bien aller le chercher ? J'ai quelque chose d'important à vous dire."

Il tourna le regard sur Blair et lui adressa un petit sourire désolé, il la voyait déjà commencer à râler qu'ils allaient être en retard et qu'il pouvait faire son annonce plus tard. Mais en réalité, il ne pouvait pas vraiment. La peur que l'information ne fuite était trop grande, cela faisait déjà presque deux semaines qu'il cherchait le bon moment pour leur dire et le fait qu'ils soient réunis presque tous ensemble était une opportunité à ne pas louper. Il écrirait à Ole pour l'informer et il verrait Mia après la réunion.

"On ne sera pas en retard", promit-il. "Je ne serais pas long."

Il lui adressa un léger clin d'œil et évita soigneusement le regard de Katrine. Une information qu'il n'avait dite à personne pas même à elle et dont il voulait parler à tout le monde, c'était quelque chose d'extrêmement rare. D'inexistant même. Il parlait toujours à Kat avant. Pas cette fois-ci. Il accueillit son père avec un grand sourire et une accolade virile et l'appréhension commença doucement à monter en lui. C'était le grand moment.

"J'ai passé des examens médicaux le mois dernier", commença-t-il prudemment. Autant commencer du début. "Et ils étaient bons", les rassura-t-il. "Ils étaient même excellents. Au point que les médicomages du sport m'ont donné l'autorisation de reprendre le Quidditch.", un immense sourire se dessina sur ses lèvres. "Alors j'ai repris contact avec mon ancienne équipe pour qu'ils me fassent passer des sélections et ça s'est super bien passé aussi. J'ai signé mon contrat avec eux ce matin.", conclut-il, le regard brillant d'excitation. "Je suis le nouveau poursuiveur des Chauves-Souris de Fichucastel. Pour toute la saison."

La joie qu'il éprouvait à prononcer ces mots qu'il avait gardés pour lui était incommensurable. Et il prenait tout juste conscience de ce que ça signifiait. Il allait rejouer. Pour de vrai. Il laissait de côté ses appréhensions et les choses qu'il avait omis de dire. Comme le fait qu'il avait de violents maux de tête certains soirs après les entraînements. Des choses qu'il dissimulait pour pouvoir revivre son rêve. Au détriment peut-être de sa santé. Mais à cet instant précis, il était trop heureux pour s'en préoccuper. Et son euphorie était partagée, la réaction enthousiaste de sa mère et de son père lui firent chaud au cœur. Ses yeux se posèrent alors sur Katrine et Blair et il leur sourit, sa pâleur du mois de mai totalement éclipsée.

"Maintenant, on peut y aller", glissa-t-il malicieusement à Blair. "On ferait même mieux de se dépêcher."

Son sourire se fit narquois alors qu'il s'avançait vers la sortie de la cuisine.

Katrine Williams - 21 ans - Styliste chapelière

Katrine était toujours la première quand il s'agissait d'encourager les jeunes femmes à se réaliser, que ce soit dans leur carrière ou dans des projets plus personnels. Elle militait en faveur de la liberté des femmes et de leur puissance trop souvent bridée par des siècles de patriarcat. Et elle s’était retrouvée prise au piège de son propre discours quand sa petite soeur d'à peine dix-sept ans avait demandé à rejoindre officiellement le LEXIT. Théoriquement c'était une bonne chose, que Blair soit intégrée au sein d’une organisation pour laquelle elle avait oeuvré toute l’année, et qu'elle ne soit pas mise à l'écart du fait de son jeune âge. En pratique, cela lui faisait un peu peur d’imaginer sa petite-soeur entre les murs de St-Agnes, avec tous les risques que cela impliquait. Elle n’avait toutefois pas eu à réfléchir trop longtemps à ce dilemme entre ses convictions idéologiques et son instinct protecteur puisqu’elle avait rapidement craqué sous le harcèlement de Blair, qui pouvait parfois se montrer plus obstinée qu’une Poufsouffle.

Aujourd’hui était le grand jour et elle se sentait remplie à la fois d’un sentiment de crainte et de fierté. Elle avait volontiers accepté de rejoindre Urban chez lui avant d’aller chercher Blair chez leurs parents, en s’imaginant qu’il devait être encore plus inquiet qu’elle. Son frère lui parut en effet un peu nerveux, mais pas exactement dans l’état dans lequel elle avait pensé le trouver. Il se comportait exactement comme d’habitude, sans rien laisser paraitre de doutes éventuels au sujet de Blair, et pourtant elle avait le sentiment qu’il lui cachait quelque chose.

"La lande est agréable à cette période de l’année, répéta-t-elle en imitant la voix grave de son frère. Tu fais guide touristique maintenant ? le charria-t-elle avec un sourire amusé. Ce genre de phrase toute faite confirmait son intuition, Urban était nerveux, mais elle était incapable de dire pourquoi. Peut-être qu’il profiterait du trajet jusqu’à la maison familiale pour lui parler. Va pour marcher !"

Le trajet se déroula pourtant sans révélation. Elle ne résista pas à l’envie de lui poser quelques questions au sujet de Florence et fut ravie d’entendre qu’il appréciait beaucoup sa compagnie et les moments qu’ils passaient ensemble. Elle était heureuse de voir qu’Urban avait finalement trouvé potion à son chaudron, même si elle ne pouvait pas s’empêcher de le trouver étrangement mesuré là où elle avait toujours pensé qu’il serait du genre amoureux transi. Comme quoi, il lui arrivait de se tromper. De façon très exceptionnelle.

Ils s’arrêtèrent un instant sur le chemin pour observer Jannik au loin qui tentait de dompter la houle. Katrine n’avait jamais été une grande joueuse de Quidditch mais elle s’était essayé au surf magique quand elle était plus jeune pour imiter Ole et elle se débrouillait plutôt bien, même si elle était très loin du niveau de son aîné. Elle pratiquait beaucoup moins depuis qu’elle avait déménagé mais elle avait gardé de bonnes bases.

Ils poussèrent finalement la porte de la maison familiale, étrangement silencieuse, ce qui signifiait que Blair devait être sortie. Elle serra sa mère dans ses bras avant que celle-ci ne sorte dans la cour pour appeler leur soeur, qui débarqua aussitôt avec son énergie habituelle. La jeune fille semblait très pressée de partir mais Urban la força à patienter quelques minutes de plus en annonçant qu’il avait quelque chose à leur dire. Katrine fronça les sourcils, un peu soucieuse et voulut interroger son frère du regard mais celui-ci semblait décider à l’ignorer.

Elle sursauta et laissa échapper un cri en sentant des mains glacées se poser brusquement sur ses bras et se retourna pour faire face à un Jannik hilare et encore trempé de sa séance de Surf.

"Je me vengerai !" promit-elle avait d’ébouriffer les cheveux mouillés du benjamin de la fratrie, ce qu’il détestait.

Leur mère ne tarda pas à revenir en compagnie de leur père pour écouter l’annonce d’Urban. Katrine se força à tempérer ses inquiétudes, et essaya de se convaincre que ça ne pouvait pas être quelque chose de grave, sinon il lui aurait dit. Un soupir de soulagement franchit ses lèvres quand il affirme que ses derniers examens médicaux étaient bons. Très bons même. Suffisamment bons pour qu’il puisse de nouveau jouer professionnellement. Un immense sourire s’étira sur son visage et elle ne résista pas à l’envie d’applaudir la nouvelle avec enthousiasme/ Elle était folle de bonheur d’apprendre qu’il allait de nouveau pouvoir vivre de sa passion et réaliser son rêve mais inquiétude a pas complètement disparu. Elle n’en laissa toutefois rien paraitre alors qu’elle se jetait à son cou pour le serrer dans ses bras.

"Félicitations ! Je suis super fière de toi !"

Elle libéra son frère de son étreinte pour laisser les autres membres de la famille le féliciter. Un peu en retrait, elle l’observa en espérant qu’il s’agissait d’une décision raisonnable et qu’il ne prenait pas de risques avec sa santé. Elle se souvenait trop bien de ce que les médecins avaient dit lors de son accident, qu’il lui faudrait peut-être des années avant de retrouver ses capacités d’avant. Elle était sincèrement heureuse pour lui que sa convalescence ait été moins longue que prévue, mais elle ne pouvait pas s’empêcher de s’inquiéter. Son regard passa sur Blair, qui rejoignait officiellement la résistance avant même son dix-septième anniversaire et son coeur se serra. Elle était terriblement fiers d’eux, de leur courage et de leur détermination, mais elle aurait bien aimé qu’ils mettent un peu moins leur vie en danger.

"Toujours sûre de toi ?" s'enquit-elle en s'approchant de l'adolescente, quand Urban annonça qu'il était justement temps de partir pour la réunion.

Le QG de la résistance était généralement plutôt vide, mais il s'animait et se remplissait de plusieurs dizaines de personnes lors de chaque réunions et Nora avait appris à apprécier ces journées particulières qui lui occupait les mains et l'esprit. Elle sautait sur l'occasion pour faire le ménage de chaque pièce, et pour préparer des gâteaux à grignoter pendant le rassemblement. Elle n'aurait jamais le talent naturel d'Irving pour la pâtisserie, mais elle avait toujours l'impression de retrouver un peu de lui quand elle sortait une tarte joliment dorée du four.

Elle était justement en train d'enfourner un plateau de madeleines à la violettes quand un bruit de clochette indiqua que quelqu'un venait de transplaner sur la propriété. Sa plaque de cuisson en lévitation devant elle, elle se tourna vers Priya qui était la première arrivée pour la réunion. La jeune ingénieur s'était installée sur la table de la cuisine et avait ouvert un nombre incroyables d'écrans holographiques devant elle. Elle avait immédiatement rassuré Nora en lui expliquant qu'il s'agissait d'un Pear bricolé avec des pièces volées au S.A.V de Vargas, qui n'avait donc ni numéro de série ni existence officielle. Elle avait ajouté quelque chose à propos d'une adresse IPM qui changeait toutes les 0,014 secondes et le rendait impossible à localiser, puis Nora avait décroché.

"Ça doit être Urban et Katrine avec leur soeur, tu peux leur ouvrir ?"

Les Williams avait choisi ce jour pour introduire officiellement leur jeune soeur Blair dans la résistance. L'adolescente avait visiblement beaucoup oeuvré pour le Lexit depuis Poudlard mais Nora la trouvait malgré tout un peu jeune pour rejoindre officiellement la résistance. Elle était néanmoins mal placée pour faire le moindre commentaire, elle qui avait commencé à peindre des slogans sur les murs de Pré-au-Lard quand elle avait dix-sept ans. Elle espérait simplement que Blair ne connaitrait pas les mêmes ennuis qu'elle à l'époque.

Elle était toutefois ravie de faire la connaissance de la jeune femme, qui était surement très agréable si elle était à l'image des autres membres de sa fratrie. Et puis, elle avait entendu dire qu'elle était assez proche d'Ahren et avait une faveur toute personnelle à lui présenter. Toute sa famille avait quitté précipitamment le pays pour se protéger. Par sa faute, Ahren et Katrine se retrouvaient une fois de plus livrés à eux-mêmes et elle se rendait malade de culpabilité chaque fois qu'elle pensait à eux. Elle cherchait depuis des semaines un moyen de les contacter et espérait que Blair accepterait de leur faire passer un message.


"Tu peux leur ouvrir ?"

Priya releva la tête de ses écrans, avisa la plaque de cuisson et la pâte à madeleine posée devant Nora et hocha vivement la tête. Bien sûr, elle était clairement la plus disposée des deux à aller accueillir des gens. Ce n'était rien du tout, il s'agissait juste de saluer les nouveaux arrivants. Elle en était parfaitement capable. Elle verrouilla son faux Pear et les projections holographiques disparurent aussitôt. Elle glissa l'appareil dans sa poche et se dirigea vers la porte d'entrée de la vieille bâtisse, qu'elle ouvrit pour découvrir trois silhouettes au bas de l'escalier.

Attendre, debout, sans rien à faire pendant que trois personnes se dirigeaient lentement vers elle. Existait-il vraiment des gens qui ne se sentaient pas mal à l'aise dans ce genre de situation ? Il avait suffit d'une seule seconde pour qu'elle commence à se trouver ridicule. Elle ne savait pas quoi faire de ses mains, ni où regarder. Elle ne pouvait pas s'empêcher de remarquer à quel point Katrine était bien habillée, à quel point Urban était grand et élancé, ou comme leur jeune soeur avait une silhouette athlétique à faire pâlir d'envie n'importe quel sportif. Et elle s'imaginait face à eux, avec son absence totale de maintient ou d'élégance, ses lunettes aux verres épais, son t-shirt Star Wars et ses chaussettes colorées. Ridicule.

N'y tenant plus, elle voulut faire quelques pas dans leur direction -ce qui était parfaitement idiot puisqu'il lui faudrait remonter les marches ensuite. Elle descendit une marche, puis deux, puis son pied droit buta contre son pied gauche qui se trouvait sur sa trajectoire pour une raison obscure, et elle se sentit perdre l'équilibre et basculer en avant. Elle s'étala de tout son long. Ses genoux amortirent un peu sa chute mais son coude heurta violemment le coin d'une marche et elle eut la sensation que son bras venait de se fissurer jusqu'à l'épaule.

"Oh Merlin ! Ça va Priya ?"

Terriblement embarrassée et le coeur battant à mille à l'heure, elle se releva précipitamment -et manqua de perdre une nouvelle fois l'équilibre- et épousseta vaguement ses vêtements.

"Ça va, ça va, répondit-elle précipitamment en ignorant délibérément les larmes qui lui montaient aux yeux sous le coup de la douleur. Tout va bien."

Elle nota mentalement de ne plus jamais accueillir qui que ce soit à St-Agnes. Beaucoup trop dangereux.

La réaction de Blair était prévisible et inévitable, il savait parfaitement que c'était un jour important pour elle et il lui volait son moment en faisant une annonce juste avant le départ. Il en était sincèrement désolé, son timing était vraiment mauvais, il en avait conscience et il trouverait un moyen de se faire pardonner. Il voyait bien sa mine boudeuse, mais il ne voyait pas d'autres moments pour être honnête, c'était le meilleur pour lui aussi. Il prenait donc le risque que sa petite sœur lui en veuille. Et puis, il avait vraiment hâte d'annoncer enfin ce qu'il cachait maintenant depuis plusieurs semaines. Ce secret commençait sérieusement à lui peser et n'en parler avec personne avait été vraiment difficile pour lui. Surtout ne rien dire à Katrine. Il fut donc soulagé quand elle lui sauta dans les bras pour le féliciter et son sourire s'agrandit alors qu'il refermait ses grands bras autour de son corps menu. Elle ne lui tenait pas rigueur de son silence et il pouvait pleinement savourer son bonheur désormais. Jannick lui sauta au cou à peine Katrine partit et sa mère eut bien du mal à l'enlacer alors que son père se contentait d'un tapotement rempli de fierté sur l'épaule.  Un sourire s'étira sur les lèvres d'Urban alors qu'il sombrait sous les marques d'affection et les félicitations. Son regard se posa sur Blair alors que leurs parents planifiaient un grand dîner familial le soir même et une vague de culpabilité lui noua l'estomac.

"Il y aura aussi l'intronisation de Blair à fêter ce soir."

Il ne voulait pas qu'elle se sente oubliée ou mise de côté à cause de lui. Il esquissa un sourire amusé alors qu'elle le félicitait non sans le mettre en garde.

"Je n'en attends pas moins de toi", répliqua-t-il. "J'espère bien que tu donneras tout ce que tu as quand on se croisera sur un terrain de Quidditch."

Quand et pas si. La nuance était subtile mais Urban était persuadé que l'adolescente réussirait à intégrer une grande équipe tout comme lui. Et leurs rencontres seraient alors inévitables et il ne serait pas plus tendre non plus avec elle sous prétexte que c'était sa petite sœur. Ce ne serait de toute manière, pas un service à lui rendre. Il mit fin aux réjouissances alors qu'il avisait l'heure quand Blair récupéra son carton à dessin. S'ils s'attardaient trop, ils risquaient de louper le début. Il devança donc ses sœurs après un dernier au revoir à la cantonade et les attendit dans la cour. Kat demanda d'ailleurs à la jeune fille si elle était sûre d'elle et Urban ne put réprimer un sourire à sa réponse. Il lui semblait ne l'avoir jamais vu aussi sûre d'elle qu'en ce jour, la détermination brillait dans son regard alors qu'elle serrait la main de Katrine dans la sienne. Puis sans un mot de plus, ils transplanèrent.

"C'est St-Agnès", affirma Urban avec un sourire avant de plisser les yeux pour tenter de deviner qui les attendait sur le perron. "Je ne suis pas sûr..."

Le visage de la personne se fit plus net alors qu'ils approchaient du bâtiment et il put reconnaître Priya juste avant qu'elle ne perde l'équilibre. Surpris et horrifié à l'idée qu'elle puisse se faire mal, le jeune homme se précipita vers elle pour l'aider à se relever et s'assurer qu'elle ne s'était pas fait mal. Mais cette dernière se releva d'un bond ne lui laissant pas le temps de faire quoique ce soit, il partagea l'inquiétude de Katrine et examina la jeune femme alors qu'elle les rassurait sur son état.

"Tu es sûr que ça va ?", redemanda-t-il par sécurité devant son visage rouge. "Tu as dû te faire mal, ces marches sont dures."

Une ride d'inquiétude se plissa sur son front mais elle assura une nouvelle fois que tout allait bien et il n'insista pas plus longtemps. C'était elle qui savait après tout. Il lui adressa donc un léger sourire et remonta les marches à ses côtés pour pénétrer dans le château. A peine eut-il posé un pied dans la grande pièce qui leur servait de salle de réunion qu'il chercha Nora du regard. Un immense sourire illumina son visage alors qu'il l'apercevait au fond de la pièce, affairée dans la cuisine. Il se précipita à sa rencontre et la serra impulsivement dans ses bras avant de déposer une bise sur sa joue pleine de farine.

"Comment tu vas ?", demanda-t-il avant de la relâcher, prenant à peine conscience de son geste. "J'ai pensé à toi hier", ajouta-t-il sans lui laisser le temps de répondre. "Une de mes chattes a eu une portée, elle a cinq chatons. Je pense demander à certains membres s'ils en veulent un. Je vais avoir moins de temps pour m'en occuper avec les entraînements. Tu penses que Jeremy et Juliet seraient d'accord que j'en donne un à Gabrielle ?"

Il prêta à peine attention à ses sœurs qui les avaient certainement rejoints trop occupé à scruter Nora. Elle avait meilleure mine qu'en mai, il le constatait de jour en jour. Elle ne ressemblait plus à la Nora qu'il avait connu à Poudlard, mais il notait néanmoins les progrès et il devait bien reconnaitre que cela le rassurait énormément. Il attrapa la tarte qui trônait sur la table de la cuisine pour lui faire de la place alors qu'elle sortait une fournée de madeleine du four.

"Tu veux que je la pose sur la table de réunion ?"

Les membres commençaient à affluer et il avait déjà reconnu plusieurs têtes connues, notamment Wolfgang, ainsi que Ann et son frère, Caleb. La jeune femme lui fit un grand signe de la main accompagné d'un grand sourire quand elle l'aperçut et il se pencha vers Blair pour murmurer à son oreille.

"Si tu as une amie à te faire ici", conseilla-t-il. "C'est Ann. Elle est adorable et elle connaît tout le monde. Elle saura te dire qui éviter."

Son regard se posa sur Wolfgang furtivement. Il n'avait jamais réussi à cerner ce type, il avait semblé proche de Lilly, mais il était tellement fermé et silencieux que c'était difficile de se faire un avis sur lui.

Katrine répondit à la grimace gênée de Blair par la même expression, ponctuée d'un bref haussement d'épaules. Priya semblait particulièrement gênée et elle ne préférait pas insister, même si la jeune femme avait dû se faire sacrément mal en tombant dans les escaliers, quoiqu'elle n'en dise. La jeune styliste ralentit un peu le pas en arrivant en haut des marches, pour laisser Urban et Blair passer devant elle.

Elle suivit sa jeune soeur de près alors qu'ils pénétraient dans la pièce principale et observa ses réactions avec un mélange d'inquiétude et d'amusement. C'était assez émouvant de la voir faire ses premiers pas dans la résistance, mais assez effrayant aussi. La plupart des membres du Lexit étaient très jeunes mais ils étaient tous majeurs et sortis de Poudlard. En voyant Blair s'avancer au milieu des autres, Katrine était soudainement frappée par la jeunesse de son visage aux traits encore poupons, et par ses grands yeux innocents qui observaient son environnement avec curiosité. Elle était trop jeune pour ce monde là, c'était indéniable. Mais ne l'étaient-ils pas tous ?

Il lui arrivait parfois, dans des moments comme celui-ci, de se demander si leurs vies ne seraient pas plus simple, loin de ce combat. Elle était très reconnaissante à ses parents de les avoir élevés comme ils l'avaient fait et de leur avoir transmis des valeurs de liberté, d'indépendance et de justice. Comme tous ses frères et soeur Katrine avait été trainée dans des manifestations dès son plus jeune âge. Chez les Williams on ne devenait pas révolutionnaire, on naissait révolutionnaire. On lui avait appris à penser par elle-même, et à ne pas se laisser dicter sa conduite par un ordre établi. On lui avait dit de se méfier des puissants, d'éliminer les privilèges, de lutter pour ceux qui ne pouvaient pas s'exprimer. Elle était très fière de tout ça, mais il lui arrivait de penser que c'était un bagage un peu lourd à porter, et de rêver d'une vie plus simple. De la douceur de l'ignorance.

La jeune femme fut tirée de ses questionnements par une question que Blair glissa à son oreille. Elle suivit le regard de sa soeur jusqu'à Nora et son coeur se serra. Elle avait tendance à oublier que tout le monde n'était pas au courant, mais aux yeux du monde magique Nora Weaver et Irving Whitaker étaient deux criminels en fuite. Elle remarqua au passage qu'Urban s'était précipité pour étreindre longuement son ancienne camarde et semblait avoir oublié le reste du monde autour d'eux.

"Son compagnon, Irving, il... Il n'a pas survécu à l'attaque de la Milice."

C'était aussi ça, intégrer la résistance, c'était accepter de prendre ce risque. Le risque de perdre la vie, ou de perdre ceux qui comptaient le plus. Katrine glissa une main dans le dos sa soeur et lui pressa doucement l'épaule avant de la laisser s'éloigner en direction de Priya, le coeur serré.


Nora venait à peine d’enfourner sa dernière plaque de madeleines quand les grands bras d’Urban se refermèrent autour d’elle dans une étreinte réconfortante. La présence de son ancien camarade à ses côtés avait été très précieuse ces derniers mois, et c’était en partie grâce à lui si elle ne passait plus toutes ses journées à pleurer. Elle ne savait pas vraiment si la douleur s’était apaisée ou si elle avait simplement appris à vivre avec, mais elle reprenait tout doucement vie après des mois à n’être que l’ombre d’elle-même. Elle répondit par un sourire timide au baiser que son ami déposa sur sa joue, et son regard s’illumina quand il évoqua les petits chatons qu’il avait à donner.

"Je ne suis pas certaines qu’ils soient fan de l’idée, avoua-t-elle avec une grimace. Mais si tu les mets devant le fait accompli je pense qu’ils ne pourront pas résister. Personne ne pouvait résister à un bébé chaton. Et je veux bien t’en prendre un aussi ! Jack avait l’habitude de vivre avec d’autres chats à Poudlard, ça lui fera de la compagnie. Et à elle aussi. Attends, quels entrainements ?" s’étonna-t-elle avec un temps de retard.


Aux dernières nouvelles, Urban n’était plus joueurs professionnel depuis sa blessure et ne s’entrainait que sur son temps libre, ce qui à priori ne devrait pas l’empêcher de s’occuper de quelques bébés chatons.


Priya en était à se demander si elle ne s’était pas cassé le coude contre une marche de l’escalier, mais essaya de garder la face -sans succès- et s’acharna à prétendre que tout allait bien. Et tout irait certainement mieux quand l’attention se porterait sur autre chose que sa personne. Elle profita de ce qu’ils rejoignaient la salle de réunion pour fausser compagnie aux trois nouveaux arrivants et regagner sa place autours de l’îlot central de la cuisine.

Elle aimait beaucoup assister aux réunions du Lexit, au cours desquelles elle apprenait toujours énormément de choses. Elle écoutait avec grand intérêt les autres membres s’exprimer avec passion mais elle ne prenait jamais la parole. Elle restait généralement en retrait, à moitié cachée derrière ses écrans, la plus silencieuse possible. Ce rôle d’observatrice lui convenait parfaitement bien et était généralement respecté par les autres membres du Lexit qui venaient rarement lui parler. Pourtant, une jeune femme venait de s’installer sur le tabouret juste à côté du sien. En tournant la tête vers elle, Priya reconnut la petite soeur de Katrine et Urban Williams et lui adressa un sourire.

"Vous êtes informagicienne ? Quelqu’un d’autre aurait peut-être rectifié « Ingénieur technomagique » -pas la même formation, pas exactement le même métier- mais Priya se contenta de hocher la tête.
- On peut se tutoyer, assura-t-elle à la jeune fille. Enfin, si ça te va !" Elle ne voulait pas la forcer au tutoiement juste parce qu’elle était jeune, c’était comme elle préférait

Priya marqua un temps d’hésitation quand l’adolescente la questionna au sujet des différents hologrammes ouverts devant elle. A priori si elle se trouvait là c’était parce qu’elle faisait partie de la résistance mais elle ne l’avait jamais vue auparavant et elle lui semblait un peu jeune pour recevoir ce genre d’informations. Elle croisa toutefois le regard de Katrine, qui suivait leur conversation d’un peu plus loin et qui l’invita à répondre d’un bref hochement de tête.

"Ça, c’est la base de données secondaire de Vargas, expliqua-t-elle en désignant un premier écran à sa droite sur lequel se trouvait plusieurs répertoires aux noms de friandises sorcières. Ici, elle pointa du doigt l’hologramme sur sa gauche, c’est le dossier Poudlard, que l’on a réussi à infiltrer en utilisant les caméras magiques placées dans l’école. Et là au milieu c’est un algorithme qui tente de rentrer dans les autres dossiers en proposant à peu près trois cent cinquante mots de passe possibles par seconde, ce qui pourrait prendre des jours entiers, voire des semaines, mais c’est notre seule piste pour l’instant… Elle aurait eu beaucoup plus de faciliter à forcer l’accès en utilisant ses identifiants officiels Vargas mais le risque de laisser des traces était trop grand et elle devait se contenter d’agir comme n’importe quel hacker. Et toi, qu’est-ce que tu as amené ?" s’enquit-elle en posant les yeux sur le carton à dessin que l’adolescente avait glissé sur le plan de travail en s’installant à côté d’elle.