Avalon avait récupéré Vivianne vendredi soir, à la sortie de l'école élémentaire devant laquelle elle l'avait attendu, parmi les parents attentifs guettant leurs enfants agités. Sa petite-soeur était sortie la première, un sourire lumineux sur les lèvres. Elles s'étaient retrouvées le temps d'une longue étreinte, qui avait réchauffé le cœur d'Avalon ; elle avait l'impression de ne pas avoir vu Vivianne depuis une éternité. Ses parents étaient de plus en plus réticents à accepter qu'elle passe le weekend chez elle. En règle générale, ils protestaient pour la forme, mais ils avaient toujours trouvé leur compte dans ce mode de garde, qui les soulageait de la présence de leur dernière fille. Or, depuis quelques semaines, Avalon avait l'impression qu'ils cherchaient à freiner, voire à supprimer complètement, les moments qu'elle passait seule avec Vivianne.

La jeune femme n'avait pas encore élucidé les raisons de leurs réticences et veillait, pour une fois, à ne pas trop brusquer les choses. Elle avait en effet entamé, avec l'aide d'une assistante sociale et d'une avocate, les premières démarches pour récupérer la garde de sa sœur. Pour l'instant, elle remplissait notamment les formalités administratives ; pour obtenir la garde de Vivianne, Avalon devait d'abord demander à ce qu'on retire à ses parents l'autorité parentale, puis qu'on la nomme tutrice de sa sœur. Elle s'était occupée la semaine dernière de transmettre tous les documents nécessaires pour prouver ses capacités à exercer ce rôle - documents qu'elle avait dû demander au ministère, puisqu'elle ne possédait, de fait, aucun contrat de travail moldu. La démarche prenait du temps, Avalon en avait conscience, mais elle préférait ne pas brusquer le départ de Vivianne, ou risquer à ce qu'elle se retrouver dans un foyer.

Accueillir Vivianne chez elle pour le weekend était donc un moment qu'Avalon avait attendu avec un mélange d'impatience et d'inquiétude, incertaine de l'état émotionnel de sa petite-sœur. Elle l'avait retrouvé plutôt égale à elle-même : lumineuse, douce et plutôt apaisée. Elles avaient passé la soirée du vendredi ensemble, devant une immense pizza qu'elles étaient allées chercher, et un film d'animation. La journée du lendemain avait été consacrée à une longue promenade dans Londres. A la demande de Vivianne, Avalon l'avait également emmené sur le Chemin de Traverse, cette allée magique qui soulevait beaucoup de questions pour elle. Les manifestations magiques avaient beaucoup étonné Vivianne ; certaines l'avaient même réellement effrayé et elle s'était accrochée à la main d'Avalon plus d'une fois. Avalon avait eu, pour elle, des paroles rassurantes et lui avait conté sa toute première venue sur le Chemin de Traverse, alors qu'elle n'avait que onze ans et qu'elle devait acheter toutes ses fournitures sans comprendre à quoi elles pourraient bien lui servir.
« A Poudlard, » lui avait-elle confié, « tu auras des cours de potions par exemple. »
« Comme dans les films ? » avait demandé Vivianne. « Avec le chaudron ? »
« Exactement. »
"Est-ce que je devrais acheter de la bave de crapaud aussi ?" avait interrogé ensuite Vivianne en fronçant le nez. Le sourire amusé de sa sœur ne l'avait pas rassuré.

Cette journée déjà riche en émotions n'était pas tout à fait terminée ; Avalon avait invité Roy pour le dîner. La rencontre entre son partenaire et sa petite-sœur était un moment qui lui tenait particulièrement à cœur et qu'elle avait organisé avec soin. Pour l'occasion, elle avait décidé de préparer elle-même le repas du soir et était d'ailleurs en train de remuer tranquillement le contenu d'une casserole, lorsque Vivianne apparut dans la cuisine.  

« Tu as terminé tes devoirs ma puce ? »
« Presque. Pas la géo mais je finirais demain. C'est pour mercredi de toute façon. » fit Vivianne en haussant les épaules. D'une impulsion, elle grimpa sur une partie dégagée du plan de travail. « Tu veux que je t'aide à faire quelque chose ? »
« Non ne t'en fait pas, j'ai presque fini. »
« Tu fais quoi comme recette ? » demanda la petite-fille, curieuse.
« Le chili d'Abuela. » répondit-elle en parcourant la recette des yeux. Vivianne se pencha pour la déchiffrer.
« Oh, c'est en espagnol... »
« Tu n'arrives pas à la lire ? »
« Non, je sais pas trop le lire... Enfin juste certains mots, mais pas les phrases longues. »
« On pourra réviser ensemble si tu veux ? » proposa Avalon en souriant à sa soeur. « Je t'apprendrai. »
« Carrément ! »

Vivianne s'était emparée de la recette et tentait de déchiffrer les mots qui la composaient. Un léger temps de silence passa, pendant lequel Avalon ajouta une cuillère d'épices dans la casserole.

« Avalon... ? » interrogea finalement Vivianne en reposant le papier.
« Oui ? »
« Roy, c'est ton ami-ami ou c'est ton amoureux ? »

Avalon marqua un léger temps de silence, avec d'étouffer un rire dans son sourire. Elle croisa le regard de sa petite-soeur et répondit :

« Mon amoureux. »
« Ahh, j'en étais sûûûûre ! »
« Comment ça, "sûre" ? » reprit Avalon, un peu amusée.
« Bah, » expliqua Vivianne en haussant les épaules, « tu cuisines jamais pour tes amis. »
« Ohhh, tu exagères Viv’ » rit la jeune femme en secouant la tête.
« Tu cuisines jamais pour tonton Toni. »
« Ah ça, » commenta Avalon, « c'est parce que Toni cuisine bien mieux que moi. »
« Mouais, c’est pas faux. » concéda Vivianne en s’attirant le regard mi-outré mi-amusé de sa grande-sœur. « Non en vrai ça a l’air super bon. » admit-elle en descendant du plan de travail.
« Hum, bien rattrapé… » souffla Avalon en embrassant le front de sa petite-sœur. « Tu m’aides à mettre la table ? »

Vivianne hocha la tête, et se laissa glisser au sol pour s’emparer des couverts, qu’elle alla disposer sur la table, alors qu’Avalon récupérait trois assiettes. Une fois que la table fut dressée, Vivianne reprit sa table sur le plan de travail, de plus en plus intéressée par la recette de sa grand-mère qu’elle ne comprenait pas. Avalon entreprit de lui faire répéter certains mots sur lesquels elle butait.
« Desm… Desmena… »
« Desmenuzándola » reprit Avalon. « Ça veut dire « effriter ». »
« Et… » La phrase de Vivianne fut coupée par la sonnerie de l’appartement, qui retentit à ce moment-là.
« Ah, ça doit être Roy. Tu viens avec moi ? »

Vivianne hocha la tête. Quelques secondes plus tard, elles étaient devant la porte d’entrée, qu’Avalon ouvrit, un sourire aux lèvres.

« Hey, » fit-elle en le découvrant. Elle s’écarta pour le laisser entrer, serrant doucement sa main dans la sienne au passage. Vivianne à côté d’elle, le dévisageait curieusement. « Je te présente Vivianne, ma petite-sœur. » déclara-t-elle en posant sa main sur l’épaule de la petite-fille.

« Bonjour. » fit cette dernière, un peu timidement, avec un léger sourire.

Il y avait quelque chose d’un peu étrange à se faire présenter à la petite soeur de sa copine, parce qu’il ne s’agissait que d’une enfant, et en même temps, c’était la famille d’Avalon. Ce n’était pas la même pression que de rencontrer des parents -chose que Roy n’avait de toute manière jamais fait dans ses précédentes relations- mais il y avait une forme de déstabilisation malgré tout. Le contexte y était pour beaucoup : un enjeu assez particulier pesait sur cette rencontre, à ses yeux. Vivianne n’était pas n’importe quelle soeur d’Avalon, elle était celle avec qui elle allait peut-être vivre au quotidien jusqu’à sa majorité, si ses démarches pour obtenir sa garde aboutissaient. Elle était une soeur, mais peut-être aussi une future filleule.

Cette soirée n’avait donc rien à voir avec celle qu’il avait passée en compagnie de Galaad, le frère jumeau d’Avalon, que Roy avait pu rencontrer, deux semaines plus tôt, à un moment où l’occasion s’était présentée, sans que ce soit vraiment prévu. Ils s’étaient croisés chez Avalon, elle avait fini par leur proposer de rester dîner tous les deux. Galaad avait son âge, c’était un homme qui avait sa vie, ses occupations personnelles, ses fréquentations. Il n’allait le croiser qu’à des occasions ponctuelles, et non potentiellement vivre avec lui un jour, comme il devait se préparer à éventuellement vivre avec Vivianne dans l’avenir.

Cette idée semblait à la fois très hypothétique et tout à fait tangible. Roy ne pouvait s’empêcher d’y penser et de se projeter assez loin, parce que de fait, ils étaient tous les deux en train de vivre de grands bouleversements qui allaient changer leurs vies dans un futur assez proche et les obligeaient à en considérer les conséquences au long terme. Quatre mois seulement séparait Roy de la naissance de sa fille. Quant aux démarches pour la garde de Vivianne, elles prendraient certainement plus de temps, mais si sa relation avec Avalon durait -ce dont il avait réellement envie- alors un avenir où ils vivraient tous les deux ensemble, à s’occuper de Vivianne et d’un autre petit bébé, devenait totalement possible.

Cette conclusion donnait le vertige.

Et pourtant, signe qu’il avait trente-deux ans et non plus vingt, Roy ne cherchait pas à se défiler face à elle. Le tournant que sa vie était en train de prendre, à l’engager dans une relation assez sérieuse avec une femme qu’il aimait vraiment, à lui faire accepter ses responsabilités de futur père, Roy l’acceptait. Il en avait fait le choix, après avoir failli céder à la peur. Tout lui semblait plus simple, depuis cette fameuse soirée où Avalon lui avait précisément posé cette question : de quoi avait-il peur ? Il avait parlé, longuement, il avait vidé un sac lourd de doutes et de traumatismes qu’il portait depuis des années. Ensuite, il avait pris des décisions et depuis, sa vie suivait simplement le cours qu’il avait fixé, ce qui était, malgré l’ampleur du changement, délicieusement reposant.

Ce n’était donc pas tout à fait un sentiment d’anxiété qui habitait Roy à la perspective de ce dîner familial. Il n’était pas stressé, il était curieux mais surtout, il était sérieux. Aussi sérieux que la coloration que prenait sa relation avec Avalon après un mois et demi d’existence. Il ne prétendait pas à une place en particulier auprès de Vivianne, préférant laisser une relation se dessiner naturellement si cela devait se produire. En revanche, il n’avait pas envie de décevoir Avalon, il voulait lui témoigner son soutien dans ce lien particulier qu’elle développait avec sa petite soeur et l’aider à construire cet environnement stable et sécurisant qu’il la voyait essayer de bâtir autour d’elle.

Puisqu’en l’occurrence, il faisait partie de ces alentours, et à priori pour un moment, autant qu’il soit présentable.

Roy se tenait donc sur le pas de la porte de l’appartement d’Avalon, dans son impeccable mise d’homme maniaque -et surtout riche- qui ne laissait un poil dépasser de sa barbe, avec au bras une boîte de pâtisseries contenant ce qui lui avait semblé faire le bonheur de tout Davies qui se respecte -ses seules références étant Avalon et son jumeau qui semblait aussi gourmand qu’elle. Ses calculs approximatifs lui disaient que puisque le visage de Vivianne et celui d’Avalon étaient à peu près identiques à vingt ans près, cela devait en être de même pour leurs estomacs. Il allait très vite pouvoir vérifier cette théorie, car la porte s’ouvrit enfin sur la femme de sa vie, et son mini-elle environ dix fois plus mignonne que sur ses photographies.

Mais comme Vivianne était désormais un peu trop âgée pour se faire saluer d’un « mais elle est trop mignonne ! » et qu’en plus, Roy avait une réputation à tenir, il dut se contenter d’un simple sourire pour saluer les deux hôtesses de la soirée.

« Hey » répondit-il à Avalon, en pressant sa main dans la sienne. Son regard se posa sur la petite fille entre eux. « Salut, moi c’est Roy. »

A dix ans, serrait-on la main pour saluer les adultes ? Il décida que oui et lâcha celle d’Avalon pour la tendre vers sa petite soeur. Le sourire de Vivianne s’agrandit légèrement, laissant Roy tout à fait frappé de sa ressemblance avec son aînée. Vraiment, les sourires lumineux, c’était de famille et de mauvais présage pour l’état de son coeur d’ici la fin de la soirée.

« C’est toi l’amoureux de ma soeur ? » s’enquit t-elle, avec curiosité.  

Ah bah c’était beaucoup trop mignon comme manière de dire les choses.

« Il paraît » répondit Roy, en haussant les épaules, un léger sourire aux lèvres. Il échangea brièvement un regard avec Avalon, le genre de regard qui annonçait la prochaine bêtise qu’il allait sortir, avant de le reporter sur Vivianne en désignant la boîte qu’il portait. « C’est pour ça que j’ai cette boîte. Je lui ramène régulièrement des pâtisseries pour qu’elle continue de m’aimer. Je crois que ça marche assez bien. »

La légère appréhension que ressentait Avalon à l’idée de ce repas s’évapora au moment où Roy posa les yeux sur Vivianne pour la saluer. Il y avait quelque chose de naturel dans cette rencontre, quand bien même Avalon en mesurait parfaitement l’importance. Ce n’était pas comme faire la connaissance de Galaad ou de Célice ; Vivianne était encore très jeune – elle venait de fêter ses dix ans – et ses repères, déjà profondément instables, venaient d’être complètement bouleversés par la découverte de son gène magique. Avalon aspirait pour elle à un environnement beaucoup plus sécuritaire et stable – et c’était exactement ce qu’elle cherchait à lui offrir en demandant sa garde. Introduire Roy à Vivianne avait été une décision qu’elle avait mûrement réfléchie et, à paradoxalement, prise très rapidement. En l’espace de quelques semaines, Roy avait pris une place majeure dans sa vie et dans son quotidien, et Avalon sentait bien qu’ils s’étaient profondément engagés l’un envers l’autre. Cet engagement – terriblement sérieux en raison de leurs situations respectives – lui apparaissait pourtant comme teinté d’une évidence déconcertante, à l’image même de leur relation.

Aussi, les yeux posés sur Roy, Avalon esquissa un léger sourire, qui s’accentua à la question, curieuse, de Vivianne. Sa petite-sœur partageait avec elle cette franchise parfois désarçonnante, qui l’autorisait à questionner les autres sans craindre leur regard, avec une assurance presque timide qu’Avalon avait toujours trouvé adorable. La réponse de son partenaire fit doucement briller ses yeux, avant de lui arracher un rire franc.

« Hm, c’est un plan plutôt solide. » approuva Avalon en haussant les épaules.
Vivianne esquissa un sourire en levant les yeux vers sa sœur.
« Oui mais, » confia-t-elle à Roy, « Avalon aussi elle te fait à manger pour que tu continues de l’aimer. »
« Tu lui livres déjà tous mes secrets comme ça ? » répondit sa grande sœur en haussant les sourcils.
Vivianne lui offrit un sourire malicieux en haussant les épaules. « Je dis juste la vérité… »
« Ben voyons… » souffla Avalon en déposant un baiser sur le front de Vivianne qui avait levé la tête vers elle.  

La jeune femme entraîna sa sœur et son compagnon vers la cuisine, où elle agita le contenu d’une casserole qui chauffait encore paresseusement sur les plaques de cuisson. Vivianne se réinstalla sur une partie dégagée du plan de travail, les jambes battant doucement dans le vide, des yeux curieux posés sur Roy.

« Tu veux boire quelque chose ma puce ? » s’enquit Avalon, une main posée sur la poignée du réfrigérateur.
« Il reste le jus d’hier ? »
« Hum… Oui ! Tu en veux ? »
« Oui s’il-te-plait. »
Avalon en servit un verre à Vivianne et le lui tendit. Elle tourna la tête vers Roy pour l’interroger du regard : « Tu veux une bière ? » lui proposa-t-elle en examinant le contenu du réfrigérateur. Elle lui tendit une bouteille, avec un sourire en coin : « Je ne m’offusquerai pas si tu la poses sans dessous de verre. »

Elle avisa Vivianne, probablement un peu intimidée, qui sirotait son jus par petites gorgées. Pour lancer la conversation, elle expliqua à Roy :

« J’ai fait découvrir le Chemin de Traverse à Vivianne, aujourd’hui… »
« Oh lala, oui. » réagit cette dernière en haussant les sourcils. « C’était super bizarre. Les choses volent toutes seules. » fit-elle en observant Roy. « Les couteaux pour couper, les cuillères dans les cafés, les livres dans les magasins c’est… Bizarre. »

Avalon esquissa un léger sourire.

« Mais tu m’avais déjà vu utiliser la magie, non ? »
« Oui mais… C’est pas pareil. » fit Vivianne. « Toi, tu fais encore beaucoup de choses comme avant, je trouve. »
« Huuum… » réfléchit Avalon. « Quand tu es là, c’est vrai, mais c’est parce qu’on fait beaucoup les choses toutes les deux. Sinon, j’utilise un peu plus la magie. »
« Ah bon ? Pour faire quoi ? »
« Dans mon travail beaucoup, et puis pour faire la cuisine, ou le ménage… »
« Mais là, t’as pas utilisé la magie pour cuisiner pourtant. » remarqua Vivianne.
« Parce que je préférais suivre la recette comme Abuela me l’a apprise. » confia Avalon avec un sourire.
« Mais tu aurais pu mettre la table avec la magie ? »
« J’aurais pu. » confirma Avalon. « Tiens, regarde. » fit-elle en récupérant sa baguette. Elle la pointa sur le verre de Vivianne, posé à côté d’elle, qui se mit à virevolter dans les airs, pour aller se poser sur la table, de l’autre côté du bar. Cette image parut surprendre Vivianne, puis la fit rire.

« Mais, » lança cette dernière, après une seconde de réflexion, « est-ce que parfois ça prend pas plus de temps de jeter un sort que de faire soi-même ? » Elle se tourna vers Roy pour l’interroger, pleine d’une curiosité qu’elle avait toujours exprimé assez directement : « Est-ce que tes parents, à toi, ils étaient sorciers aussi ? Est-ce que tu fais tout avec la magie ou tu fais comme Av’, un peu les deux ? Et puis comment ça fonctionne, en fait, la magie ? »

Ce premier contact semblait bien se passer. Avalon et Vivianne étaient toutes les deux souriantes et Roy découvrit même que la plus jeune avait un certain répondant, car elle ne manqua pas de révéler que sa soeur avait passé du temps à cuisiner pour lui faire plaisir. Roy échangea un regard amusé avec Avalon, avant qu’un sourire taquin qui ne disait rien qui vaille ne se dessine sur ses lèvres.

« Eh bien elle prend des risques, je suis exigeant en cuisine. »

Il partagea un regard équivoque avec Avalon, qui de toute manière, le savait bien. A force de passer du temps ensemble, ils avaient découvert -ou plutôt redécouvert- leurs goûts et leurs habitudes culinaires et Avalon avait pu constater pleinement ce qu’elle connaissait déjà plus ou moins chez lui : il était pénible. Très pénible. Sur beaucoup de choses. Mais Roy préférait employer le mot perfectionniste. Et ce n’était pas la première fois qu’il critiquait les repas peu raffinés et bourrés de sucre et de gras que sa petite amie avait tendance à se concocter.

Pourtant, quand il pénétra dans la cuisine, il fut plutôt conquis par la délicieuse odeur épicée qui émanait de la marmite sur le feu et ne résista pas à s’approcher avec curiosité après avoir déposé sa boîte de pâtisseries sur le plan de travail. Ce fumet évoquait des souvenirs plutôt familiers chez lui, ce qui lui permit de reconnaître assez vite le contenu du repas :

« C’est du chili ? » Surpris et amusé, il échangea un regard avec Avalon. « Mais dis donc, tu sais cuisiner ce genre de plat ? »

Il l’observa remuer la sauce avec intérêt avant de détourner machinalement le regard vers Vivianne. Il capta à cet instant son regard à elle sur lui, plein de curiosité, qu’elle reporta ailleurs comme prise en flagrant délit. Cette petite scène le fit sourire et prendre conscience que sans doute, sa présence devait l’impressionner un peu. S’il fallait être totalement honnête, l’inverse était un peu vrai également. Roy n’avait pas vraiment pour habitude de rencontrer les familles des femmes avec qui il avait des relations, encore moins de manière prévue, dans le but officiel et clairement formulé de les présenter. Cette soirée mettait en évidence l’importance du lien qu’il partageait avec Avalon qui se sentait assez confiance pour l’introduire auprès d’une des personnes les plus chères à son coeur, ce qu’il prenait assez au sérieux. Il mettait alors la même importance dans le fait de paraître sous son meilleur jour auprès de cette petite fille qui comptait tellement pour Avalon.

Heureusement, la tâche n’était pas ardue, et même plutôt naturelle : Vivianne dégageait quelque chose de très doux qui donnait envie de faire attention à elle. Et son apparente réserve ne l’empêchait pas de prendre la parole et de raconter cette expérience qu’elle avait eu au Chemin de Traverse. Roy la regarda interagir avec Avalon avec amusement, sans pouvoir s’empêcher de noter la douceur avec laquelle cette dernière parlait à sa cadette. Il avait rarement vu Avalon dans cette situation, il la voyait plus souvent en présence d’adultes, où elle ne manquait pas d’occuper l’espace en faisant des plaisanteries, en parlant fort et en riant beaucoup. Face à Vivianne, elle lui parut plus posée, très bienveillante et surtout pleine d’une tendresse évidente qu’il trouva tout à fait charmante.

Un peu trop occupé à les observer toutes les deux, il ne réagit que lorsque Vivianne l’interpela en lui posant plusieurs questions, avec une spontanéité qui ressemblait terriblement à celle de sa soeur aînée. Il commença par rire légèrement face à cette curiosité visiblement insatiable qui caractérisait souvent les enfants de son âge. Elle semblait parfaitement étonnée par ce qu’elle avait découvert au Chemin de Traverse et Roy pouvait supposer qu’il aurait sans doute aussi surpris lui aussi, s’il n’avait pas baigné toute sa vie dans un environnement magique, ce qu’il commença par dire :

« Ouais, mes parents sont sorciers et tous mes frères et soeurs aussi, alors… Ça m'a jamais paru bizarre. Rien ne vole "tout seul", ça vole parce qu’on a posé un sortilège dessus, c’est comme, hum… » Il échangea un regard avec Avalon, comme pour l’appeler au secours. « Toutes vos machines qui marchent à l’électricité, là. » Heureusement, il avait passé assez de temps chez Sundari et Jayce pour être à peu près familier des technologies moldues. « On dirait qu’elles marchent toutes seules aussi, mais non, c’est juste un mécanisme avec de l’énergie. La magie aussi, c’est… comme de l’énergie, je suppose. » Il n’était pas très sûr de ses propos très intuitifs, étayés par aucune science exacte, mais la comparaison semblait faire sens. Il ne put s’empêcher, par pur chauvinisme, de faire la promotion du monde sorcier comme il le faisait souvent quand Avalon arguait que le monde moldu n’était pas si mal : « Après… La magie, ça facilite beaucoup plus la vie quand même. Tu peux faire des tas de trucs plus vite, et surtout, ça permet d’en faire plein en même temps. Quelques coups de baguette magique, et hop, ta vaisselle se fait dans l’évier, tes vêtements se plient et ton lit est fait, ça te fait gagner facilement trente minutes tous les matins ! » Il ne put résister à glisser un tacle en direction d’Avalon : « C’est ce qui permet à ta soeur de faire des grasses matinées même les jours où elle travaille, c’est formidable, non ? »

Il y a quelques mois, les repères de Vivianne avaient été entièrement bouleversés par l’émergence de ses pouvoirs magiques. Au début, elle ne s’était doutée de rien ; parfois, les portes claquaient quand elle se mettait en colère, mais elle pouvait toujours accuser le vent. Un jour, une casserole qu’elle voulait atteindre s’était mise à léviter dans la cuisine. Elle avait eu peur, donc elle n’avait rien dit. Et puis, chez Fergus, elle avait réparé un verre sous les yeux ébahis d’Avalon, et il lui était devenu impossible de nier ce qu’elle avait déjà deviné. Elle était une sorcière, elle aussi.

Le monde magique ne lui était pas totalement inconnu. Vivianne le fréquentait de façon occasionnelle depuis sa toute petite enfance à travers sa grande sœur. Avalon faisait parfois de la magie devant elle, tout comme Fergus et Toni, et elle avait même déjà expérimenté les trajets en transplanage d’escorte. Elle savait qu’un autre monde existait, parallèle à celui dans lequel elle évoluait ; mais il était très différent de brusquement en faire partie. Elle n’irait pas au collège, comme elle l’avait toujours cru, mais à Poudlard. Elle n’étudierait plus les mathématiques ou la géographie, mais les sortilèges et les potions. Son univers serait désormais ponctué de manifestations magiques qu’elle avait pourtant encore du mal à appréhender. A vrai dire, tout cela lui faisait un peu peur. Elle ne le montrait pas trop mais, parfois, une grosse boule se formait au creux de son estomac et l’empêchait de s’endormir correctement.

Ses parents n’avaient pas été ravis d’apprendre qu’elle était une sorcière. C’était Avalon qui leur avait annoncé la nouvelle, à la fin du weekend qu’elles avaient passé ensemble. Son père avait beaucoup répété « c’est pas possible » et s’était rapidement mis en colère. Lorsqu’Avalon était repartie, il était venu la trouver dans sa chambre pour lui interdire formellement d’utiliser la magie ici. Il avait froncé les sourcils, avec l’air de celui qui ne rigolait pas du tout – mais le père de Vivianne ne rigolait pas souvent, et encore moins avec elle. Elle avait obtempéré et essayait de faire attention mais, parfois, elle faisait de la magie sans même s’en rendre compte. Et ça, ça mettait toujours son père dans des grosses colères, et elle était punie. De là, naissait une grosse boule d’anxiété qui occupait son ventre, faite de fatigue et d’une crainte fluctuante.

Lorsqu’elle était chez Avalon, elle se sentait plus calme, plus apaisée. Au moins, elle savait que la magie n’était pas un sujet tabou, alors elle en profitait pour poser toutes les questions qui lui traversaient l’esprit sur cet univers. Emportée par curiosité, elle avait questionné Roy en le dévisageant, les sourcils légèrement froncés comme lorsque que quelque chose lui échappait et qu’elle voulait le comprendre. La comparaison qu’il fit entre la magie et l’électricité lui fit hocher la tête. L’image lui parlait : la magie était une énergie qui permettait de faire fonctionner certains objets, comme l’électricité était capable d’allumer un four ou une télévision. La différence résidait dans le fait que tous les objets étaient susceptibles d’être impactée par la magie, quand une cuillère ne pouvait pas être actionnée par l’électricité.

Vivianne voulait bien le concéder ; la magie semblait présenter de sacrés avantages, que Roy ne tarda pas à lui décrire, faisant briller ses yeux de petite-fille encore sensible à ce qui sortait de l’ordinaire. Elle eut un sourire un peu rêveur, en jetant un coup d’œil à la baguette magique qu’Avalon tenait toujours en ses mains.

« Et on peut faire n’importe quoi, avec la magie ? » demanda-t-elle. « Par exemple… Aller à l’autre bout du monde, comme quand tu m’emmènes ? » fit-elle en s’adressant à Avalon.
« Pas exactement. » répondit cette dernière, qui s’était rapprochée de Roy pour lui donner un léger coup de coude en réponse à sa dernière remarque. « On peut transplaner – c’est comme ça que ça s’appelle – dans les limites de notre pays. Par contre, quand on veut aller dans un autre pays, il faut prendre un portauloin. »
« C’est quoi ? »
« C’est un moyen de transport. En fait, on met un sort sur un objet par exemple… Tiens, cette cuillère. » fit Avalon en saisissant une cuillère en bois qui était rangée dans un large pot en verre avec d’autres ustensiles. « Et on décide qu’à huit heures du matin, le vingt juin, cette cuillère partira en destination de… L’Italie. Alors le vingt juin à huit heures, il faut tenir cette cuillère, et on peut partir comme ça. C’est comme si tu prenais l’avion, mais en beaucoup plus rapide. »
« Mais… » Le regard de Vivianne passait de la cuillère en bois jusqu’au visage de sa sœur. « C’est trop bien ! » La magie, comme l’avait souligné Roy, semblait présenter beaucoup d’avantages que Vivianne était ravie de découvrir dans un environnement prêt à les lui partager. « Ça a l’air super chouette, la magie. » décida Vivianne en tournant un regard sérieux vers Roy. Elle corrigea cependant : « Sauf la bave de crapaud. Avalon a dit qu’il fallait faire des potions avec de la bave de crapaud et ça, c’est un peu dégoûtant. »
« Et des yeux de scarabée… » ajouta Avalon, l’air de rien, un sourire amusé aux lèvres.
« Mais beurk ! » réagit Vivianne en secouant la tête. « C’est vraiment bizarre. On mange des choses bizarres aussi, chez les sorciers ? »
« Ah bah, penses-tu, quelques yeux par-ci, par-là dans le chili… »

Vivianne eut une expression un peu interdite, avant de capter le regard moqueur de sa sœur. « Pfff tu dis n’importe quoi Av’ ! » l’accusa-t-elle en jetant tout de même un coup d’œil dans la casserole – on ne savait jamais. « En plus, y a pas marqué « yeux de scarabée » sur la recette d’Abuela ! » fit-elle en secouant le papier.
« Tu es sûre ? »
« Oui ! » Vivianne observa les écritures. En réalité, elle n’était pas certaine, parce qu’elle ne parvenait pas à déchiffrer la recette. Elle ne pouvait en deviner que quelques mots.
« Mhhh… » fit simplement Avalon en tournant le contenu, « tu verras bien quand ce sera dans ton assiette ! »
« Mais… » Vivianne fronça les sourcils, et finit par implorer Roy du regard, avant de lui tendre la recette mystérieuse. « Y a pas marqué ça hein ? »

Voir les deux soeurs échanger avec complicité était un spectacle plutôt attendrissant que Roy prit le temps de savourer. Avalon lui semblait être une remarquable grande soeur -bien meilleure qu’il n’était un grand-frère- et il décida assez vite d’ajouter cette qualité aux nombreuses que possédait sa petite amie. Vivianne semblait débordante de curiosité et de questions et Avalon se faisait un devoir d’y répondre soigneusement… quand du moins elle ne décidait pas de l’embêter un peu. Riant face aux mensonges éhontés qu’elle racontait au sujet de cette recette de chili, il attrapa le papier qui contenait la recette écrite en espagnol.

« Voyons voir ce qu’il y a marqué… Une cuillère de tabasco et trois gousses d’ail.
-Ça, c’est très bon ! Approuva Vivianne.
-Une boîte de tomates pelées…
-Ça aussi !
-Mais que vois-je ? fit-il mine de s’étonner en échangeant un bref regard avec Avalon. Un petit ingrédient secret pour donner toute la saveur à la recette… De la poudre de fée ? C’est très bon ça. »


Cette fois-ci, Vivianne fronça les sourcils, un peu dubitative et piquée dans sa curiosité à la fois.

« C’est vrai ça ?
-Bien sûr, c’est délicieux.
-Toi aussi tu me fais marcher ! protesta t-elle. Parce que c’est la recette d’abuela, et abuela eh bah c’est pas une sorcière alors il peut pas y avoir des ingrédients sorciers !
-C’est vrai, mais qui sait, c’est peut-être l’ingrédient secret que ta soeur rajoute.
-Alors moi je veux voir à quoi ça ressemble de la poudre de fée.
-Et des yeux de scarabée aussi ? la taquina Roy, amusé par la moue que fit Vivianne. C’est pas aussi dégoûtant que ça a l’air, tu sais. Et ça permet de faire des super potions comme… Une potion pour faire dire la vérité aux gens !
-Eh bah je vais apprendre à la faire et comme ça, je vous la ferai boire et vous pourrez plus dire qu’il y a des yeux de scarabée dans le chili, annonça Vivianne avec cette fierté propre aux enfants qui pensaient être plus malins que les adultes.
-On peut pas t’entourlouper toi hein, fit Roy, bon joueur. Il prit place sur la chaise haute du bar, à côté de Vivianne pour continuer la conversation avec elle, pendant qu’Avalon surveillait la casserole. « Tu sais, les potions c’était ma matière préférée à Poudlard. » Mais il ne précisa pas ce qu’il en avait fait dans sa vie.
-Moi, ma matière préférée, c’est les maths !
-Eh bien les potions c’est un peu des maths, parfois. Pour calculer les bons dosages, mesurer les doses produites. On fait des petites équations. Tu sais faire des équations ? »

Vivianne souriait, emportée par la conversation qui s’était établie facilement autour de ce monde magique encore si mystérieux pour elle. Elle était plutôt rassurée de pouvoir évoquer si aisément cette nouvelle composante de sa vie, sans se sentir obligée de la réprimer et de l’étouffer pour ne pas déranger ses frères et ses parents. Depuis que Vivianne avait appris qu’elle était une sorcière, elle ne s’était jamais vraiment débarrassée de ce lourd poids qui pesait au creux de son estomac. Ce soir, il semblait un peu léger. C’était souvent le cas, lorsqu’elle était chez Avalon : tout lui semblait plus facile, plus léger. Avalon se chargeait toujours de tout, l’aidait à faire ses devoirs, l’emmenait au cinéma, préparait le repas et discutait avec elle le soir jusqu’à ce qu’elle s’endorme dans le lit qu’elle lui réservait.

Tout semblait plus facile, alors Vivianne s’ouvrait aussi plus facilement. Elle souriait volontiers, riait avec plaisir, comme en témoignait la discussion qu’elle entretenait avec Roy sur ces étranges potions aux ingrédients répugnants. Elle n’était toujours pas convaincue par ses arguments – on parlait des yeux d’insectes morts – mais sa dernière remarque retint particulièrement son attention. Vivianne s’apprêtait à entrer dans une école dont elle ne connaissait rien, et savoir que certaines matières reposaient sur des enseignements qu’elle avait suivi à l’école élémentaire la rassurait un peu.

« Les équations ? Non. » admit-elle avec honnêteté. « On fait pas encore ça à l’école, là on fait les divisions à deux chiffres mais c’est trop facile. » annonça-t-elle en haussant les épaules. « Même que la maîtresse elle me donne des exercices plus difficiles à faire parce que je vais trop vite. » expliqua Vivianne à Roy, sans masquer la fierté sur son visage. Dans son dos, Avalon l’observait en souriant, et finit par s’approcher d’elle pour poser ses mains sur ses épaules.

« Tu vas pouvoir continuer à faire des maths en étant à Poudlard. Ce sera juste pas sous la même forme que dans ton école. » lui assura-t-elle.
« Vous faîtes des problèmes aussi ? » s’enquit Vivianne en levant les yeux vers sa sœur.
« Oui, souvent même. »
« C’était quoi toi tes matières préférées ? »
« Mhh… Les potions, la botanique… »
« Et le truc contre les forces du mal là ? » devina Vivianne.
« C’est ça. » sourit Avalon. « Tu verras, je suis sûre qu’il y a plein de matières qui vont te plaire. »
« Peut-être, si c’est un peu comme les maths… Tu sais encore faire les équations toi ? » demanda Vivianne à Roy, avant d’ajouter : « Parce qu’Avalon elle sait plus faire les divisions, elle a oublié et elle dit que c’était pas pareil quand elle était petite. » La jeune femme s’étouffa dans la bière qu’elle avait porté à ses lèvres. « Tu pourras m’apprendre comment on fait ? Pour faire les potions. »