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Cette conne de lune [Donagh]

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Cette conne de lune [Donagh] Icon_minitimeMer 23 Déc 2020 - 1:13
[Avertissement] Ce topic met en scène un personnage suicidaire et dépressif et peut heurter la sensibilité des plus jeunes.

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Aleksandr Lechevsky, a.k.a Alexander Jefferson, a.k.a Jeff, 35 ans, au chômage
(Oui j'ai tout à fait piqué ce faceclaim à Yves)
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6 juin 2011

L’eau n’est pas si loin, si je pissais dedans d’ici je verrais l’impact troublée des étoiles se déformer en vague circulaires, ce serait probablement très poétique. Une putain d’ode à la nuit, une putain d’ode à l’ironie et à l’hypocrisie du monde, genre, l’eau, la pisse, comment fait-on la différence au fond quand les deux sont mélangés ? Ben tu l’as fait pas. Tu bois les deux indifféremment.

Depuis que j’ai réalisé ça je vous jure que la vie est dure.

Mes mains ont les phalanges blanchies de s’agripper au garde-fou du pont. Garde que dalle. Garde mon cul. Et encore, même pas, puisqu’il a trouvé le moyen de passer de l’autre côté de la balustrade. C’est fascinant, la vue d’ici. Profond et noir, ça me rappel des trucs et surtout mon état d’âme. Excellente scène de film. Un formidable cliché. Si j’avais voulu mettre en scène cette situation pour la faire tourner à quelqu’un script en main je n’aurais pas aussi bien réussi. Solitude totale : pas un passant, ciel étoilé : pas un nuage, un pauvre type suspendu du mauvais côté au-dessus d’une chute mortelle et qui se tape dans l’œil les remous sombre de la nuit abyssale et de son moral sombre aussi.

Vraiment le début d’un mauvais film dramatique.

Entre mes lèvres se fredonne toute seule les paroles et l’air d’une chanson que je déteste. Chanter en russe, c’est bizarre, aussi bizarre que de sentir dans mon dos l’acier glacial et de voir dans ma tête le futur si j’ouvre les mains. Je crois que j’ai envie, mais peut-être pas encore suffisamment pour ne pas me poser la question. Se rater une fois ça laisse en travers de la gorge l’humiliation et une forme de désespoir fascinante que je ne supporte plus vraiment. À quoi bon, d’ailleurs. Peut-être que je ne suis venu ici que pour crever ailleurs que là où tout le monde me connait ? Ça ne change pas grand-chose, au fond, d’avoir déménagé ma vie. Rien n’est réparé. Rien n’est meilleur. L’air n’est pas différent et les gens sont à peu près toujours les mêmes.

Je lève la tête vers le ciel et regarde la lune. Quelle conne, cette lune, on a bien raison de la comparer à une paire de fesses. Qu’est-ce qu’elle imagine recueillir comme genre de confession, à fixer comme ça de son œil pâle, inquisiteur ? Je préfèrerais encore devenir aveugle face au soleil, au moins fermer les yeux, ça aide à parler. Si parler servait encore à quelque chose. J’aimerais bien parler à Nikkie, ce serait sûrement moins con que mon échange silencieux avec la lune et un peu plus productif. Mais il paraît que je n’ai plus le droit de faire ça à cause de son connard de mari. J’aurais pu employer cette rage ? Ça m’aurait donné l’énergie de me pointer chez eux pour lui en mettre une, à ce débile, mais bon, ça supposerait de savoir se battre pour commencer et, franchement, j'ai pas l’énergie.  

Juste l’énergie de me balancer pathétiquement au-dessus de l’eau en chantonnant. Genre, à la fin de la chanson, je lâche.

C’est quoi déjà, après le deuxième refrain ?  

Anya saurait, elle a toujours su, les trucs de propagande russe là, ça la tenait aux tripes, jamais compris. Cette langue ne rime à rien dans ma bouche. Je comprends même plus vraiment mon propre nom de famille. C’était quoi déjà, ce foutu couplet ?

Ok, je recommence. Avec l’enchaînement des phrases, ça va forcément me revenir.
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Cette conne de lune [Donagh] Icon_minitimeMar 19 Jan 2021 - 17:39
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Donagh Avner, 23 ans, petit frère de Fergus

La liberté a un prix et pour Donagh, c’est celui du secret. Par chance, il est né avec une paire de couilles entre les jambes et c’est ce qui lui permet de dire qu’il quitte la maison familiale sans que personne ne lui demande de rendre des comptes. Prendre son indépendance est une signe de virilité, un passage obligé chez les Avner pour un garçon qui a quitté les bancs de Poudlard. Fergus est parti plus jeune encore que lui. Ce que Donagh se garde de préciser à sa famille, c’est qu’il a trouvé son havre de paix dans un quartier parfaitement moldu de Londres et qu’il ajoute à ses revenus perçus grâce à son travail pour les Veilleurs ce qu’il gagne en jouant de la musique un soir par semaine dans un bar tout aussi moldu.

Donagh n’a jamais caché son attrait pour la musique. Sa chambre chez ses parents, recouverte de posters, envahie de vinyles, trahit ses penchants plutôt rock. Lors des événements de famille, c’est le son de sa guitare qu’on plébiscite, et parfois même, ses doigts sur le piano. Même son père, avec qui il échange trois mots par an, sait qu’il aime ça. Il aime ça. C’est ce qu’on retient. Il s’amuse, il décompresse en jouant de la musique, il se divertit et il divertit les autres. C’est bien comme ça. Restés au stade de hobby, ses talents dans ce domaine sont respectés, appréciés.

En revanche, jamais un Avner n’y fera carrière et surtout pas un homme.

Il a très vite internalisé ce principe, sans même qu’on ne le lui expose. L’ex-femme de Fergus, une dizaine d’années plus tôt, s’est déjà heurtée au mépris familial pour le métier qu’elle exerce. Pas un métier, d’ailleurs. Artiste, c’est pas un métier, ça. Et encore, c’est une femme. Elle peut bien se dandiner sur scène dans des tenues paillettées qui font rêver des adolescents et faire partie de ces quelques rares personnes à travers le monde qui parviennent à en vivre complètement. Il l’a observée avec ses yeux d’adolescent, assez grand pour comprendre ce qui se passait, trop jeune pour y contrevenir. Il a appris sa leçon. Pas un métier.

Un métier, c’est ce que fait Fergus et ce qu’a fait leur père avant lui. Ça, c’est du travail. Plus encore, c’est un héritage. La mafia, c’est leur tradition familiale qu’il faut perpétuer. C’est sa voie, s’il la suit, il sera respecté. Alors il la suit et une part de lui se convainc qu’il aime ça. Les billets qui coulent à flots, les machines à sous clinquantes, le frisson du danger, les bras de fer, les duels de rue, les filles à son bras, tout ça, il aime ça. C’est son monde, il y est bien.

Mais c’est avec une guitare entre les bras et un public inconnu face à lui qu’il est libre. La première fois que Donagh en a expérimenté la sensation, il avait seize ans, c’était les vacances scolaires, il s’est laissé entraîner par un ami né-moldu de sa promotion de Poudlard. Il a joué pour relever un défi ce soir-là. Il n’a jamais vraiment arrêté depuis mais ce n’est que récemment qu’il en a fait une habitude régulière et surtout secrète.

C’est ça l’avantage principal à être sorcier, au fond. Pouvoir s’évader dans le monde moldu où il peut mener une double vie sans que personne ne lui demande des comptes.

Une autre chose qu’il adore dans ce nouveau monde, c’est de constater chaque jour un peu plus son immensité et ses multiples possibilités. Côté sorcier, tout le monde se connaît, parce qu’il n’y a qu’une seule putain d’école, que la moitié des étudiants va travailler au Ministère, un quart à Sainte Mangouste et le reste s’éparpille dans d’autres professions plus ou moins intéressantes. Les villes et villages entièrement sorciers se comptent sur les doigts de la main, ils sont plutôt une population qui se cachent dans des artères secrètes, des passages réduits. Les mordus, eux, occupent et colonisent un territoire beaucoup plus grand, se croisent et se recroisent, parfois dans une même rue, sans jamais se reconnaître. Donagh est toujours fasciné de la quantité de personnes qui traversent le métro londonien tous les jours et à la même heure et qui semblent pourtant ne pas du tout se connaître et ne jamais se parler.

Cet anonymat total, c’est sa liberté à lui et il s’y épanouit à chaque instant qu’il vit en dehors du Bristol sorcier. Une des habitudes qu’il a pris, depuis qu’il a déménagé dans son studio, deux mois plus tôt, c’est de changer régulièrement les routes qu’il prend, pour découvrir les quartiers qui l’environnent, entre son appartement et les lieux où il va boire des coups, retrouver des amis moldus ou jouer dans son bar. Il le fait à pied, ça aussi, ça lui plaît. Prendre le temps de traverser des lieux d’une ville infinie, plutôt que transplaner brutalement d’un bout à l’autre du pays.

Londres est pleine de trucs improbables. De gens improbables surtout. La première fois qu’il a vu un artiste de rue à la peau entièrement peinte d’argent, mimer une espèce de fausse statue près du London Eye, il s’est dit que les moldus étaient fous quand même. Il a laissé une pièce dans le chapeau posé par terre. Le type qui est passé de l’autre côté de la rambarde du pont au bout de la rue n’a pas l’air d’un artiste de rue, par contre. Pas de public, pas de chapeau au sol. Seulement les poissons de la Tamise et le regard fixe de cet homme absorbé dans le trou noir d’eau sous ses pieds.

Donagh ne change pas l’allure de sa marche. Il a cette étrange impression qu’il est probablement en train d’avoir une hallucination et qu’en s’approchant, il va se rendre compte que ce n’est pas vraiment un être humain qui semble sur le point de se jeter de l’eau. Il va constater que c’est un épouvantail suspendu aux barreaux de métal et que de loin, ça ressemble vaguement à un homme, mais que de près, ce n’est qu’un amas de chiffons. Pourtant, au fur et à mesure de son avancée, malgré l’obscurité des lieux, ses yeux ne semblent pas toujours pas vouloir lui jouer des tours.

Quand il commence à croire à la réalité de ce qui se passe, Donagh marche un peu plus vite, et son coeur bat un peu plus vite aussi.

« Hé ! »

Le type ne semble pas l’entendre ou en tout cas, il fait bien semblant. Donagh sort les mains des poches de sa veste en cuir, marche un peu plus vite encore et sa voix monte un peu plus haut :

« Hé, toi ! C’est dangereux, ce que tu fais ! T’es bourré ? »

Il y a des gens improbables, à Londres, il y a des artistes, mais aussi des clochards dans les rues, sous les ponts, dans les gares. Mais des suicidaires ? Ça, c’est un vrai truc de taré.
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Cette conne de lune [Donagh] Icon_minitimeMar 19 Jan 2021 - 19:00

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Aleksandr Lechevsky, a.k.a Alexander Jefferson, a.k.a Jeff, 35 ans, au chômage
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C'est sûrement moins désespéré que la première fois, je veux dire que je suis beaucoup moins enthousiaste. Ça a peut-être à voir avec la flaque sombre en contrebas qui ressemble à un mélange de vase et de désespoir, putain, c'est pas propre comme histoire. Ou alors ce sont les poudres légales qu'on me file à bouffer - attention, pas de la drogue, j'ai été sage, j'ai respecté les prescriptions - toujours est-il que je considère mes options avec une vague crainte de la mort que je n'avais pas du tout il y a quelques semaines. Est-ce que je vais mieux ? D'accord. À me voir il paraît peut être insolent de l'affirmer mais il n'y a que moi qui suis témoin du bordel de mon âme - excusez la poésie - et puis je crois qu'au fond je m'en fou.

J'ai une très, très grande fatigue.

Ça m'empêche de penser, de réfléchir, de faire.

La mort ça ressemble à un long sommeil réparateur ou plus personne ne viendrait me secouer et m'emmerder pour me dire ce qu'il y a à cocher dans mon emploi du temps. Ça, c'est une idée reposante. Libératrice. Un genre de soulagement. Plus de mal, plus d'entraves, plus de combat, plus d'épuisement. S'alanguir dans le silence, oublier tous et tout et arrêter de réfléchir pour toujours. Et puis m'oublier moi ce serait tellement incroyable, une première. Je suis sure que l'expérience me plairait.

Pourtant je n'arrive pas à lâcher la rambarde c'est dingue. J'ai peur de regretter mais regretter quoi, sans rire, qu'est-ce qu'on peut bien regretter une fois qu'on est mort ? Qu'est-ce qu'on peut bien regretter dans la vie en général, même, j'irais jusque-là. Tellement d'efforts pour tellement peu de résultats. Je me penche en avant. Mes muscles se tendent la peau aussi et les cicatrices. Hum, hum. Six, sept mètres ? Et si ça ne marche pas ? Et si ça fait l'effet d'un plat réceptionné sur du béton genre, os fracassés, fractures ouvertes, peau lacérée, démembrement, mais toujours en vie ? Légume défoncé aux anxiolytiques c'est possible mais dans un fauteuil, putain, ce serait ironique : il ne me resterait plus qu'à me tuer.

Je ne remarque le type que lorsqu'il est à quelque mètres. Je tourne la tête.

C'est pas vrai.

Non mais c'est pas vrai.

- Parfaitement sobre, merci, bonne soirée.

J'ai détourné les yeux pour fixer la Tamise avec l'intention de lui faire comprendre, mais alors vraiment, qu'il ferait mieux de simplement passer son chemin. C'est facile de faire comme s'il ne m'avait pas vu, dans le noir, comme ça, on confond les ombres et les hommes avec des épouvantails. J'ai à peine vu son visage et j'espère qu'il a à peine vu le mien. Un peu d'égoïsme, garçon. Aucune raison de me laisser hanter tes rêves pour les six prochaines années, je ne te demande rien du tout et surtout pas d'être mon sauveur providentiel.

Il reste planté là.

Il y a d'épaisses secondes qui me rendent dingue, je ne suis plus du tout à ce que je faisais. Ça devient ridicule, en fait, ça perd même un peu de son drame. Je ferme brièvement les yeux avant de me rabattre contre la rambarde et d'accrocher son regard à nouveau :

- C'est pas un putain de film, tu peux passer personne te demande rien. " Dis-je presque poliment. Ça me rendrait dingue qu'il essaie de me faire descendre. " T'inquiète personne pourra témoigner, rentre chez toi. " Ça y est. Je me sens con, de lui parler depuis mon balcon précaire, ça a un goût, comme s'il venait d'interrompre une branlette, en mille fois plus gênant.

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Cette conne de lune [Donagh] Icon_minitimeMar 19 Jan 2021 - 20:56
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Donagh Avner, 23 ans, petit frère de Fergus

La mort. Donagh a déjà rencontrée cette chienne malgré son jeune âge et sa première fois n’était, contrairement à ce qu’on pouvait penser, pas en lien avec le milieu violent et mafieux dans lequel sa famille évolue depuis toujours. Pas directement en tout cas. Elle a emporté un de ses amis à un âge où on ne pense normalement qu’à faire des soirées jusqu’au petit matin et trouver sa première fille à baiser. Donagh a eu une adolescence comme tout le monde. Pas Liam Doyle. Quinze ans et sa vie basculait suite à la mort violente de son père dans un règlement de compte entre deux gangs de Bristol. Aîné d’une famille de cinq enfants, il était devenu un substitut de papa, à un moment où il aurait simplement dû se concentrer sur le fait de terminer l’école. Sa mère l’avait retiré de Poudlard. La famille d’abord, l’argent à se faire pour se nourrir. Quand Donagh l’avait revu, c’était à son enterrement, à la fin de sa cinquième année, un enterrement où personne n’avait osé dire la vérité, pour ne pas fâcher Dieu et le catholicisme. Malade, disait-on.

Malade de son overdose de médicaments merdiques qu’il prenait pour tenir, oui. Suicide.

Au fond, Donagh ne s’est jamais pardonné d’avoir vécu sa cinquième année dans le huit clos reposant et confortable de Poudlard, en oubliant qu’il avait un ami qui luttait dehors. Mais surtout, il n’en a jamais parlé. Ce n’était pas avec de longues discussions larmoyantes qu’on faisait un processus de deuil chez les Avner. On priait Dieu pour l’âme du défunt, on respectait le silence et on offrait son aide matérielle à la famille, car les Doyle, c’était comme des voisins. Et très rapidement, la vie reprend son cours.

Donagh honore assez bien ses gènes car lui aussi il est très fort pour enfouir ses traumatismes sous des couches de déni et poursuivre sa vie en prétendant que tout est réglé. Jusqu’au jour où une situation particulière ravive ses secrets.

Il ne connaît pas du tout ce mec qui semble attiré par le vide sous lui. Il voit son visage un peu de loin, il ne distingue rien de plus que son ton profondément cynique qu’il utilise pour le rembarrer. Cette scène a quelque chose d’absolument improbable, de presque comique, même, si le fond du sujet n’était pas aussi dramatique. Pourtant, Donagh peut rire de tout. C’est ce qui l’amuse. L’humour noir, borderline, la provocation, titiller les limites. Il s’est taillé une vraie réputation de troll, chez lui. Il aurait pu raconter l’histoire qu’il est en train de vivre en rigolant. J’ai croisé un type sur le point de se jeter à l’eau et tout ce qu’il a trouvé à me répondre c’est bonne soirée, haha. Il aurait pu raconter cette histoire, avec cet humour sale et ce ton goguenard qu’il a, si ça ne parlait pas de suicide.

Non c’est pas un putain de film et c’est bien le putain de problème.

« Arrête, t’es clairement bourré, là » lance Donagh en s’avançant d’un pas supplémentaire. Il est désormais sur le trottoir du pont, à peut-être deux ou trois mètres de l’inconnu. « Ou quelque chose tourne pas rond chez toi, en tout cas. »

C’est peut-être la dernière chose qu’il faut dire à un type sur le point de se suicider. Pourtant, Donagh s’engouffre dans cette forme d’agressivité et de provocation, en se disant que si cet homme est aussi cynique qu’il en a l’air, une espèce de joute verbale est peut-être précisément le genre de conversation qui peut le maintenir en vie.

« Bien sûr que c’est pas un film, alors me joue pas la partition du type qui veut tragiquement mourir dans son coin, hein. Si tu sautes, tu vas juste t’étaler comme une merde dans l’eau et dans trois semaines on va retrouver ton cadavre à moitié bouffé par des poissons. Super. A qui t’essayes de faire croire que c’est ça que tu veux ? Personne voudrait finir comme ça. »
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- Arrête, t'es clairement bourré, là.
- Et alors quoi tu vas me faire souffler ?
- Ou quelque chose tourne pas rond chez toi, en tout cas.

Je lève les yeux au ciel avec un râle exaspéré, il est sérieux ce gamin, à me casser les couilles pour une conclusion aussi pathétiquement convenue ?

- Ben Sherlock, je vois vraiment pas ce qui peut te fait penser un truc pareil.

Nuit noire, pauvre type du mauvais côté du pont sur le point évident - peut-être- de se jeter dans le vide, pas besoins d'être Einstein pour comprendre que rien ne va dans cette situation. Rien. Ne. Va. Sa présence est sûrement le truc le plus détonant. Je suis agité d'un rire nerveux en pensant que cette prédiction infernale s'est réalisée. Il fallait que quelqu'un se pointe, quelqu'un de gentil ou d'égoïste, quelqu'un de concerné qui s'arrête qui regarde, qui œuvre au sauvetage des résidus tristes de la société mon Dieu épargnez moi. Le sens de la vie m'échappe, vraiment. Si je veux vivre tout se ligue pour m'en ôter l'envie. Si je veux mourir on m'en empêche.

Pourquoi ne peut-il pas se contenter de passer son chemin en faisant semblant de n'avoir rien vu ? Est-ce qu'il s'arrête quand un SDF tend la main vers lui en plein hiver ? Putain, des gars comme lui, on en trouve à la pelle et vraiment il n'y que lorsque la mort est sous leur yeux que ça les fait réagir. Qu'est-ce qui t'empêche d'être égoïste comme tu l'es d'habitude, du con ? Ferme les yeux, c'est tout.

J'ai recommencé à regarder l'eau comme si je ne l'écoutais plus en me disant que si je me concentre assez fort j'arrêterai d'entendre sa voix agressive et retrouverais le calme tumulte de mon moi intérieur ( imaginez une cave avec le clown de Ça qui vous accueille c'est globalement chez moi ) mais c'est trop tard. Il a gâché l'instant. Il a tiré un truc qui me fait me sentir presque soulagé de constater qu'on m'interpelle et que le destin ou je ne sais quoi m'envoi un signe pour aiguiller ma décision.

Ok, j'ai toujours été lâche, mais je pensais que je voulais sauter. Tout de suite, je ne sais plus.

Ce type est exaspérant et j'ai l'impression que ça fait longtemps que je n'ai pas été exaspéré. Gravement indifférent, ces derniers mois. Pas mon genre.

Nouveau soupir je me retourne brutalement vers lui. Mais. Quelle. Présomption.

- Excuse-moi, qui es-tu, un genre de recensement de la façon préférés des gens pour crever ? Je comprends pas bien ce qui t'échappe dans le tableau, vraiment je suis pas dans le projet de ressembler à une figure de mode. Ce qui se passera après, en ce qui me concerne, ça en touche une sans faire bouger l'autre. " J'ai passé les bras par-dessus le parapet parce que je sens que je m'agite. " Et alors, si c'est pas un putain de film qu'est-ce que t'es en train de faire, hein ? C'est pas le scénario où tu me parles désespérément pour m'empêcher de sauter et puis quoi, rideau, applaudissement, tu es le héros de l'histoire. Tu sais ce que c'est l'épisode deux ? Tu me ramènes chez toi et on tombe désespérément amoureux ? " Ce serait marrant, tiens. Mais c'est pas ça la vérité. La vérité c'est moi sur ce con de pont à attendre que quelque chose change. Parce qu'une fois qu'il sera parti tout redeviendra comme avant. Pour lui c'est pas grave. Pour moi c'est désespérant.    
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Cette conne de lune [Donagh] Icon_minitimeMer 3 Mar 2021 - 17:43
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Son interlocuteur semble profondément exaspéré. Pour Donagh c’est une victoire. Non pas parce qu’il aime exaspérer les gens -ce qui est vrai- mais parce que c’est un sentiment qui maintient davantage en vie que le désespoir. Ce type peut s’énerver contre lui s’il veut, il peut l’insulter, lui hurler dessus si ça lui chante. La révolte est bon signe, c’est un élan vital. Pendant ce temps, il n’est pas occupé à se repasser les tragédies de sa vie et s’auto-convaincre que seule la mort y mettra fin. Pendant ce temps, Donagh s’avance de quelques pas, jusqu’à pouvoir appuyer sa main sur la rambarde du pont.

Il se retient de faire un geste brusque. Malgré sa petite taille, cet homme n’est pas exactement un môme qu’il pourrait tirer en arrière d’un mouvement du bras, en lui mettant quelques claques pour lui faire passer l’envie de refaire une bêtise pareille. A tout moment, il peut se jeter dans le vide. Très conscient de cette possibilité, Donagh plante son regard noir dans celui du gars qui lui répond avec beaucoup de verbiage, pour quelqu’un qui serait sûr de sa décision. Il raconte beaucoup de conneries, décidément. Les sourcils de Donagh se froncent, sa bouche se plisse. Ce mec l’énerve déjà.

« Mais t’es sérieux avec ton cirque, là. Je suis pas désespéré, c’est toi qui est désespéré, putain. Faut être sacrément désespéré pour se dire que sauter du haut d’un pont ça va abréger une quelconque souffrance. Tu sais ce que ça fait la mort par noyade ? »  Le type a parlé de recensement des façons de crever comme une plaisanterie acerbe mais il ignore qu’il y a un peu de fond de vérité là-dedans. Dans son milieu mafieux, Donagh a vu assez de gens mourir, de bien des manières différentes, pour savoir qu’il y en a certaines que personne n’aimerait connaître. « Si t’as de la chance, ta chute va t’assommer. » Il jette un coup d’oeil par-dessus la rambarde. « Mais là, on est pas assez haut pour ça, prétend t-il. Tu vas donc probablement rester conscient. Peu importe ton envie de mourir, ton corps va se défendre. Surtout que tu fais pas les choses correctement, mec, t'as pas eu la bonne idée de mettre un leste à ta cheville, commente t-il en la désignant, avec un haussement de sourcils sceptique, donc le plus probable c'est que tu vas sagement regagner la rive en te sentant comme une merde. Mais dans l'hypothèse où tu faisais au moins les choses correctement... Ton corps paniquerait d'abord. Puis il se mettrait en apnée, par réflexe, pour que l’eau rentre pas. Mais du coup l’air rentre plus non plus, donc tu vas t’asphyxier et te débattre comme un chien qui sait pas nager. Pour s’en défendre, ta respiration va finir par reprendre. C’est le moment où l’eau rentre dans tes poumons. C’est un putain de cercle vicieux, tu piges ? Ça dure quelques minutes mais ça paraît des heures entières avant que ton corps s’épuise et arrête de lutter. Mais si tu te rates et que tu survis, ton cerveau va probablement garder des séquelles. » A la suite de son exposé, il hausse vaguement les épaules. « C’est ça que tu veux ? Ça craint. Franchement, si tu tiens absolument à mourir parce que ta vie est trop dure, respecte-toi un peu et offre-toi une fin douce, plutôt qu’un truc pareil. » Il plante son regard dans celui de son interlocuteur, avec une résolution qui est feinte. Il ne sait pas du tout s’il dit ce qu’il convient de dire pour l’empêcher de sauter. Mais il essaye, un peu désespérément lui aussi. « Tu devrais descendre, rentrer chez toi, réfléchir un coup. Et si t’as toujours désespérément envie de clamser… Je peux te trouver de quoi t’aider à le faire. »
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Il se rapproche, comme un chien qui flaire un os, et moi j’hésite à reculer, plus nerveux qu’un rongeur pris au piège. S’il me touche je ne le supporterais pas, ça je le sais d’avance. Mais au lieu de jouer aux héros en faisant le truc le plus stupide du monde, il s’immobilise et parle.

Il parle.

Il me parle. En me regardant dans les yeux. Wikipédia sur la noyade. Ses mots sont d’une précision vraiment bizarre, vraiment pas adapté à sa bouche d’angelot et à ses joues rondes de bébé. Un instant je le perds de vue fascinée par le paradoxe de ce visage de gamin en train d’expliquer par le menu la terrifiante vérité de l’asphyxie. Mais il n’a pas totalement échoué parce qu’une partie de mon cerveau est très à l’écoute et ne s’accommode pas du tout de ce qu’il entend.

Ok. Je ne suis pas un expert de la mort. De la loose, peut-être, du complexe intériorisé et profané sûrement, mais de la mort, pas trop. Je n’ai jamais regardé un cadavre assassiné dans les yeux et je n’ai pas eu tellement d’occasions dans ma vie d’être moi-même confronté au suicide (directement, je veux dire. Indirectement il y a toujours de jolies formules à Hollywood pour expliquer la disparition de quelqu’un d’important. Un arrêt cardiaque. Un tragique accident de douche. Pas de scandale, et pour ceux qui n’ont pas de nom on peut aussi bien faire croire qu’ils sont morts la tête encastrée dans la cuvette des toilettes publique les plus proches, ça ne fait aucune différence.) Je ne peux pas nier qu’en regardant l’eau beaucoup de questions me sont passées dans le crâne du genre, liées à la douleur, aux statistiques, aux chances d’échecs, tout ça. Des choses en somme très pragmatiques que peut-être j’aurais dû vérifier avant, du style ma vie bien organisée tient en deux onglet firefox. Bon, sauf que voilà, depuis que je suis tombé en dépression, genre, gravement, ça n’a plus rien n’à voir. Je lâche du lest sur l’aspect très control freak de mon tempérament pour laisser mon quotidien se transformer en gigantesque poubelle et encore, je prends le temps de ranger mon appartement. Pas tous les jours la force. Mais vraiment à des kilomètres du dictateur rigoureux que j’ai pu être.

Alors ok, je n’ai pas vraiment fait l’inventaire de ce que je risquais en me jetant d’un pont, aussi parce que c’était un élan spontané. Un peu comme une promenade imprécise et puis aux détours d’une rue on découvre quelque chose qui nous fait lever les yeux et s’exclamer des trucs bidons du style c’est merveilleux olala que c’est émouvant. Mon épiphanie à moi c’est un pont tout sale dans un Londres perdu pas certifié assez de hauteur pour être sur de s’assommer. Est-ce qu’il y a vraiment des gens qui se collent une dalle de béton au pieds pour être sur de bien boire tout son litre d’eau jusqu’au bout ?

Malin.

Je sonde le noir en dessous de mes pieds, maintenant. La vérité, c’est que je fais un peu moins le fier. J’ai compris qu’il a compris, et ça m’énerve de savoir ça. Il me met presque au défi de sauter parce qu’il sait qu’il y a un vrai doute comme une peur que ça mette trop de temps ou que ça fasse trop mal. La vérité c’est que j’ai aussi peur de me rater que de réussir, je crois. Mais que ça fasse mal de me dérange pas.

Quoi que.

Si, bien sûr.

Je suis lâche de nature et il n’y a aucun safe word possible avec une rivière pleine de déchets.

Je suis d’un coup très las. Comme si parler cinq minutes avec ce môme avait aspiré mes dernières forces. Il faut dire que de l’énergie, j’en ai vraiment en grammes, ces derniers temps, marcher jusqu’ici a déjà réduit ma pauvre jauge plus que de raison. Alors prendre l’air énervé, faire du sarcasme et patati et patata… Je soupire lentement et ferme les yeux comme pour me reposer en me laissant vaguement aller contre le parapet humide du pont.

- T’as qu’à rester pour t’assurer que t’as raison, si je me rate tu te sentira pas responsable. »
- Tu devrais descendre, rentrer chez toi, réfléchir un coup. Et si t’as toujours désespérément envie de clamser… Je peux te trouver de quoi t’aider à le faire. »
- Ho. » Je relève la tête avec très peu de volonté pour le fixer comme si je m’appliquais à lire dans sa tête. « T’es super renseigné sur la noyade et tu t’offres de m’euthanasier personnellement… Qu’est-ce que t’es exactement ? Jésus Christ réincarné en pompier samaritain ? » C’est une vraie question, en fait. Et s’il veut me garder là il a intérêt à continuer de m’intéresser à ses cliffhanguer.

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Cette conne de lune [Donagh] Icon_minitimeMer 3 Mar 2021 - 21:45
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Donagh Avner, 23 ans, petit frère de Fergus

Donagh est assez bon pour se faire passer pour ce qu’il n’est pas, c’est même un art chez lui. Face à cet homme inconnu, il semble presque désinvolte, à énumérer froidement la liste des arguments destinés à le convaincre que non seulement, sauter du pont est une mauvaise idée, mais qu’en plus il s’y prend mal. En vérité, son coeur est gelé dans sa poitrine, son estomac est serré d’une angoisse réveillée par un traumatisme enfoui. Il sait bien que ce type n’est pas Liam, qu’il ne connaît rien de lui, que l’empêcher de mettre fin à ses jours ne changera absolument rien au fait que, quelques années plus tôt, il a perdu un ami dans un tragique suicide. Mais il sait aussi que s’il n’y avait pas cette part de lui stupidement attachée à trouver une espèce de rédemption, il n’aurait pas placé un tel investissement dans le fait d’empêcher ce Patrick, ou peu importe quel est le nom de ce troufion, de sauter dans le vide. Il n’est pas assez altruiste pour ça, il n’est pas Saint Merlin ou SOS Amitié, à tendre la main aux personnes les plus démunies pour leur offrir du soutien. Ce n’est pas tellement lui que Donagh cherche à sauver, c’est plutôt son estime de lui-même vis à vis d’une erreur passée qu’il essaye de reconstruire.

Apparemment, ses mots font effet. Donagh n’est pas certain de quelle partie l’a le plus atteint. La perspective d’une mort plus douloureuse qu’il ne l’avait imaginée, sans doute. Ou la peur de se rater. Une tension dans les épaules de l’homme toujours debout sur la rambarde semble se libérer. Son visage, plutôt que crispé par les nerfs, est désormais las, comme si l’énergie de se chamailler le quittait. Pourtant, son ton reste piquant, chargé d’ironie, tel un maigre rempart face aux assauts de Donagh qui le défie à nouveau du regard à cette question qu’il pose. Sa réponse est tout aussi sarcastique que la sienne :

« Ou un maître nageur ? Ou encore, un médecin urgentiste qui voit tous les jours passer des suicides ratés. Ou juste un camé qui a vu d’autres gars faire les mêmes conneries que toi. Tant de possibilités. Je te laisse choisir. »

Il se fiche bien de la conclusion à laquelle il arrive, tant qu’il rejoint le bon côté de la rambarde. Un silence bizarre tombe, que Donagh sent imprudent d’interrompre. Il ne sait pas ce qui se passe dans la tête de l’inconnu, mais il le sent plus hésitant, plus fébrile et songe qu’il doit le laisser y mettre de l’ordre dans son coin. Il guette toutefois, le moindre signe de sa part en faveur d’une mauvaise décision. Alors quand il le voit faire un mouvement du buste, comme pour essayer de se retourner, Donagh se tend légèrement, à l’affût de ses intentions.

« Va te… »

Impossible de savoir s’il allait lui dire d’aller se faire foutre ou d’aller se quelque chose d’autre. La fin de sa phrase disparait dans un cri étouffé, en même temps que le reste de son corps qui s’arrache au champ de vision de Donagh. Pris d’un élan d’urgence, le coeur battant sous l’effet d’un coup d’adrénaline, il se jette contre la rambarde derrière laquelle l’homme a chuté en arrière, d’une hauteur qui paraît vertigineuse.

Beaucoup plus grande que ce que Donagh a décrit d’un ton désinvolte, quelques minutes plus tôt.
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Cette conne de lune [Donagh] Icon_minitimeMer 3 Mar 2021 - 23:07

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Aleksandr Lechevsky, a.k.a Alexander Jefferson, a.k.a Jeff, 35 ans, au chômage
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Des camés j’en ai vu des quantités à Hollywood, industrielle, il y a un distributeur automatique à l’arrière des studios. Dans une ville où il suffit de demander pour avoir accès à n’importe quel cocktail sur mesure et où les trois quarts des types qui se retrouvent à bosser-là ont de sérieux problèmes d’égos, autant dire qu’on apprend vite à remarquer les différentes dérives. Lui, il a pas la tête de l’emploi. Peut-être celle ok à la limite, à avoir fumé un spliff le jour de ses dix-huit ans et à savoir rouler un joint pour faire mouiller un peu en soirée – la tête de cool kid ça il a – mais pas celle de se piquer à la jugulaire où à lécher la cuvette des chiottes pour ne pas laisser échapper les dernières particules de poudre. De toutes façons, je vois bien qu’il se fou de ma gueule, ça me donne un peu envie de lui hurler dessus ou de le frapper, mais je ne ferais ni l’un ni l’autre parce que je suis épuisé et lâche. Je réprime un rire acide à la moelle fatiguée, avant de lever un bras pour me retourner dans sa direction.

- Va te…

Mon pieds ripe.

Putain.

Je voulais lui faire face, face à lui, face à la balustrade, va te trouver un job à la mesure de ta gueule de bébé, j’abandonnais, en tout cas tomber n’était pas mon intention et là je fais face au ciel et au pont qui s’éloigne comme au ralentit. Sauf que c’est une impression très bizarre, effet Vertigo, ça s’éloigne et ça se rapproche lentement et vite à la fois. Mon cerveau gèle. La silhouette du gosse se penche par-dessus la balustrade.

Faites que je perdre connaissance.

Faites que ce soit rapide.

Faites qu’il ait dit n’importe quoi.

Soudain, tout l’air expire de mes poumons compressés. Un instant je pense que j’ai heurté l’eau mais rien d’autre ne se passe, pas de sensation de froid mouillé, par d’étouffement des sons autours de moi, pas de bruit de voix transformé en glougloutement. Pas d’eau putride filtré par ma gorge et dans mon nez pour remplir mon oxygène. Juste ma respiration qui se bloque et le décor qui s’inverse. Complétement désorienté je mets quelques secondes à comprendre que je ne tombe plus mais que c’est le pont qui se rapproche. Putain, je ne sais pas ce qui est le plus flippant.

Je remonte.

Je vole.

Quelques secondes à peine. Avant de m’échouer sur le sol bétonné, aux pieds du gosse tout pâle mais quand même moins que moi qui pourrait clairement voler la vedette à cet abruti de clown triste lui-même. Absolument tous les os de mon corps sont en train de rejouer la danse macabre. Mon estomac est à la place de ma gorge, mon cœur dans mes couilles et mes couilles dans mes intestins. Je reprends mon souffle avec la peine d’une actrice porno, putain, qu’est ce qui s’est passé ?

- Qu’est ce qui s’est passé ? Je demande dans un croassement de Kermit. Risible mais franchement pas le temps de me sentir plus ridicule que ne peut le supporter la situation. Je suis sûr d’avoir vu ce gamin faire des gestes, des trucs bizarres pendant que je chutais à la rencontre de mon destin tragique et maintenant il me regarde et je sais qu’il sait ce qui s’est passé, mais en même temps ça paraît dingue, pourquoi saurait-il ? Je me suis redressé à quatre pattes. « Qu’est-ce que t’as fais ? Qu’est ce qui vient de se passer ? » Je répète avec un ton à moitié hystérique. J’ai un haut le cœur. J’espère ne pas vomir sur ses pompes.

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Cette conne de lune [Donagh] Icon_minitimeLun 29 Mar 2021 - 21:20
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Donagh Avner, 23 ans, petit frère de Fergus


Donagh le sait, parmi tout ce qu’il vient de dire à cet homme suicidaire, il y a de la vérité, inspirée de choses qu’il a vues ou entendues. Mais il y a aussi quelques mensonges, quelques exagérations, pour servir son discours. Typiquement, prétendre que le pont n’est pas assez haut pour que ce type s’assomme en chutant et meurt sur le coup. Au fond, Donagh n’en sait rien. Il n’est ni médecin ni ingénieur de pont. Peut être qu’il a dit de la merde. Peut-être que son expertise à deux balles, débité à toute vitesse pour paraître crédible, n’est rien d’autre qu’un pari avec le destin. Peut-être que cet homme va mourir. Peut-être pas.

Donagh n’a pas le temps d’y réfléchir. Un réflexe d’urgence le pousse en avant, par-dessus la balustrade. Il y a certaines gestuelles très ancrées chez les sorciers : un verre se casse au sol ? Un petit Reparo, et il est comme neuf. Même sur les corps humains, des miracles sont possibles. Donagh a déjà vu des os brisés se faire ressouder sous l’effet d’une simple potion. Il a déjà vu des plaies béantes et sanguinolentes se refermer grâce à quelques incantations bien prononcées. Il a littéralement grandi dans un monde où certains retours en arrière sont possibles, où on peut s’éviter les fâcheuses conséquences d’un accident, si on sait bien se servir de sa baguette magique, avec le bon sortilège, lancé au bon moment. Il n’a même pas deux secondes devant lui pour prendre sa décision. Il ne songe même pas à la prendre, en vérité. C’est simplement un réflexe.

Alors il lance son Reparo à lui, celui qui va lui permettre de faire pause, retour en arrière, contrôle Z, appelez ça comme vous voulez. L’homme est trop loin pour apercevoir le bout de bois qu’il a brandi, en tout cas, Donagh l’espère fortement. Il s’empresse de remettre sa baguette dans sa poche quand le corps de l’inconnu rebascule de l’autre côté de la rambarde, puis l’attrape par le col pour l’empêcher de s’étaler complètement au sol. Donagh est essoufflé comme s’il avait lui-même plongé pour le tirer des eaux troubles. Ce n’est pas le cas, mais la brusque montée d’adrénaline lui fait perdre sa respiration. Ses mains tremblent légèrement, sous l’effet de la catastrophe qu’ils viennent d’éviter mais aussi de la situation inquiétante qu’il vient de créer et dont les conséquences arrivent très vite, sous la forme d’une suite de questions paniquées.

Bordel. L’infime chance que ce type ne soit pas un moldu est réduite à néant, vu sa réaction. Donagh prend une grande inspiration, comme pour se préparer au mensonge totalement improvisé qu’il est bien obligé de servir pour expliquer ce qui vient de se passer.

« Comment ça ? Je t’ai tiré de là, crétin ! » Par chance, il n’est pas mauvais acteur, il est capable de mentir sans lever un sourcil, probablement grâce à son sang d’Avner. « T’es con, ou quoi ? » Le faire douter de lui, de ce qu’il a vu ou cru voir pendant ces infimes secondes où tout leur a échappé, à tous les deux, c’est sans doute sa seule porte de sortie. Donagh se jette à corps perdu dans cette stratégie, en priant pour faire le bon pari. Il raffermit son emprise sur le col de son interlocuteur et songe que son essoufflement de panique lui donnera peut-être l’air d’avoir fourni des efforts physiques, finalement. « Je t’ai tiré en arrière avant que tu tombes, putain, tu voulais vraiment sauter ou t’as glissé ?? »
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Cette conne de lune [Donagh] Icon_minitimeLun 5 Avr 2021 - 21:06

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Aleksandr Lechevsky, a.k.a Alexander Jefferson, a.k.a Jeff, 35 ans, au chômage
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A deux doigts de dégueuler proprement droit devant moi et le gosse penché nerveux qui m’insulte comme si j’étais le dernier des crétins que le monde ai porté, un moment là j’ai envie de me mettre en colère. Bon évidement je ne fais rien du tout parce que je suis mal à en crever, et je dois attendre d’interminables secondes que mon cœur arrête de frôler la tachycardie pour pouvoir relever la tête vers lui, et le fixer, furieux.

Il se fou de moi ?

Je me suis vu tomber. Je peux me repasser l’évènement avec une précision de 35mm, tourner la caméra de ma vie avec la régularité d’un pro des années soixante je SAIS que je suis tombé du pont. J’ai encore sous la semelle la sensation du tuyau qui a lardé mes nerfs, et dans la rétine cette image troublante du garde-fou (le fou, c’est moi) au moment où probablement mon corps entier allait exploser sur l’eau comme une vieille crêpe manquée. Je l’ai vu. D’accord, après ça, il y a une espèce de blackout le temps de me retrouver sur les genoux à haleter comme un asthmatique en fin de marathon, sifflants de panique, mais avant ça, vraiment, je suis sur…

Et pourtant le gosse à l’air choqué, autant que moi, peut-être plus. Il a les mains qui tremblent, et je vois enfin sous la lumière crachotante du réverbère ses traits tirés m’apparaître. De beaux yeux au cils longs. Le teint livide de trouille. Vaguement viril, il a un truc effarouché dans la façon dont il se tient au-dessus de moi, manifestement très en colère aussi. Avec une adresse digne d’un alcoolique, je m’assois et me passe une main sur le visage.

- J’ai glissé.

Je me sens vraiment trop con d’avouer ça. D’abord parce que ça fait de moi une véritable dramaqueen, et mon psychiatre serait sans doute ravi de découvrir que je récupère mon égo. Mais surtout parce que ma maladresse a dû lui coller une misère infernale. Rire acide intérieur. Jeff, à deux doigts de se soucier des autres. No. Way.

J’avais pourtant promis de prendre de bonnes résolutions, mais il faut croire que quand on a passé plus de dix ans à gravir un empire et à se construire une élégante carcasse de connard aguerrit, les habitudes finissent par avoir la vie dure.

- Je crois pas que tu m’ai tiré en arrière, je crois que je suis vraiment tombé et qu’il vient de se passer un truc abominablement bizarre. » J’ai la respiration courte. J’imagine que je devrais le remercier, ou quelque chose du genre, mais concrètement je n’ai pas fais ça depuis la dernière fois que quelqu’un me l’a demandé et c’était sans doute plein d’ironie du coup, je n’ai aucune idée de la façon dont je dois agir.

À part, me redresser, me lever en tremblant, trébucher, bien sûr, car . Épousseter mon jean comme si j’en avait encore quelque chose à foutre. Scruter le gamin.

- Maintenant que je suis en vie tu fais quoi ? Tu me prends en charge ?

Reflexe classique, j’attaque parce que je suis absolument à deux doigts de la crise d’angoisse. Ou peut-être que je suis en train d’en faire une ? Peut-être que cette sensation bizarre d’être juste à côté de moi-même prévient la crise de panique ? Aucune idée. Je sais juste que là tout de suite, tout d’un coup, je ne me sens absolument pas capable de rester seul. Que j’ai peur, que je ne comprends rien, ni à ce que je veux, ni à ce qui se passe, et que dommage, ce type qui m’a renommé Con Crétin est le seul dans les parages.

Jackpot, mon pote.


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Cette conne de lune [Donagh] Icon_minitimeMar 6 Avr 2021 - 19:01
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Il a glissé. Formidable. Il était penché au-dessus du vide, trop occupé à débiter des conneries pour faire le fier et visiblement pas assez concentré sur la coordination de ses quatre pattes et voilà, il a glissé. Donagh a presque envie de lui coller un poing dans la figure, pour relâcher tous les nerfs qui le tendent et le choc qui le fait trembler. Ce type aurait pu mourir mais sans même l’avoir voulu, juste parce qu’il aurait glissé. Est-ce que c’était possible d’être aussi con et maladroit ? Donagh se retient de secouer brutalement cet homme qu’il a sauvé et de lui crier d’accorder un peu plus d’importance à sa propre vie. Un peu de décence, non ?

Dans ce contexte, ses remises en question de cette histoire mensongère qu’il vient de servir passent encore moins bien. Il devrait plutôt fermer sa gueule et le remercier de l’avoir sauvé. D’un geste sec, Donagh relâche son col, en le repoussant en arrière. Il peut bien se cogner contre le trottoir, maintenant. Au moins, il est en vie.

« Crois ce que tu veux, mec, je m’en carre. Elle est foireuse, ton histoire. »

C’est plutôt la sienne qui est foireuse et Donagh est contrarié que l’autre l’ait remarqué. Il aurait peut-être mieux fait de prétendre la surprise et le choc, comme lui, comme s’il n’avait pas compris ce qui s’était passé non plus. Mais il doutait d’avoir la patience de faire semblant d’échafauder des hypothèses avec lui sur ce phénomène soi-disant paranormal qu’ils venaient de vivre. Qui que ce type soit, il serait tout seul dans ses élucubrations et c’est bien mieux ainsi.

Pendant quelques secondes, les deux restent ainsi, bras ballants, à ramasser leurs émotions et remettre un semblant d’ordre dans leurs pensées. Donagh a retrouvé un rythme à peu près normal de respiration et commence à penser que sa mission de bon samaritain est terminée. Il s’approche de l’étui à guitare qu’il a balancé sur le côté en se jetant sur le garde corps et s’accroupit pour le récupérer quand l’autre type lui pose la question la plus bizarre, celle à laquelle il ne s’était pas du tout attendue.

« T’es sérieux ? réplique t-il en levant vers lui un regard sceptique, à moitié masqué par une mèche devant ses yeux. Je suis pas ta mère. Maintenant que t’es vie, tu te rappelles comment te servir de tes jambes et tu les utilises pour rentrer chez toi, c’est pas compliqué. T’as bien une piaule, non ? »

Il n’aurait peut être pas dû poser la question, songe t-il un peu trop tard. Si c’est pas le cas, il sera bien emmerdé. Quoiqu’il est capable de lui répliquer d’aller dormir sous le pont, au lieu de chercher à se jeter du dessus.
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Cette conne de lune [Donagh] Icon_minitimeSam 10 Avr 2021 - 15:39

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Le choc passe, à la place je ramasse une tremblote généralisée qui me fait quasi claquer des dents. Putain, je crois que plus ça avance plus le paradoxe absurde de la situation me trouble et me rassure. Je n’aurais probablement pas supporté tomber sur quelqu’un de trop gentil. Quelqu’un qui m’aurait écouté débiter mon histoire avec des regards de compréhensions fabriqués, des hochements de têtes déçus, des moues concernées. Trois minutes d’échanges avec quelqu’un comme ça m’aurait convaincu de me foutre à l’eau. Mais lui, il n’a aucune pitié. Ni douceur, ni patience, ni bienveillance, juste un ton acide qu’il utilise comme une lance comme pour me faire mal et me pousser à vivre. Et c’est idiot, mais ça marche. Il parle mon langage. Ça fait des années que je communique de cette manière et c’est stupide, mais ça me soulage profondément de tomber sur quelqu’un qui n’a aucune envie de me faire du bien ouvertement, qui se dissimule derrière une fierté mensongère pour expliquer le fait qu’il est là, qu’il reste, qu’il est tout blanc de peur. Si je lui disais qu’il a blêmit de m’imaginer englouti par les eaux noires en contrebas, je suis absolument convaincu qu’il nierait en faisant passer ça pour une terreur égoïste. Je me retrouve là-dedans et même sans connaître ce gamin qui m’insulte et m’envoie proprement chier en saisissant sa guitare – pf, bien sur,- je suis totalement certain que c’est quelqu’un comme ça qui peut faire cesser, même pour de faux, mon atroce sentiment de solitude.

Parce que Londres est rempli de silence. Planté au milieu de ce pont, stupide, en pleins milieux d’une nuit qui ne finit jamais, je ne comprends plus ce que je suis venu faire ici. Tenter d’échapper à un quotidien anémié de tout ce qui lui donnait du sens, à fixer mon portable en espérant la résurgence d’une figure intime qui n’appellerait plus. En quelques mois l’empire s’est écroulé et sincèrement j’ai eu beau retourner tous les décombres une à une, je n’y ai trouvé personne. Peut-être que Nikkie avait raison et que c’est ce qui m’attendait et que je n’ai pas su voir, mais dans ces cas-là, pourquoi est-elle parti aussi ? Et maintenant j’ai le bruit de la circulation au lieu de celui du vent sur les hauteurs de Los Angeles, et ma vie n’a vraiment pas l’air moins merdique. J’ai juste perdu mes habitudes. Mais c’est étonnant, on s’en crée rapidement de nouvelles.

Je tremble toujours et je tente de sourire pour faire comme si je n’en n’avais rien n’à foutre qu’il me recale, rien n’à foutre qu’il me renvoie d’où je viens après m’avoir sorti de là, rien n’a foutre qu’il vienne de se passer entre nous un truc absolument inexplicable et que pendant dix pauvres minutes il soit parvenu à me faire oublier qu’en ce moment vraiment, c’est dur. J’aimerais lui hurler dessus. Putain, quel intérêt de m’empêcher de mourir si c’est pour me balancer à nouveau dans le même cycle que je connais par cœur pour en avoir fait le tour mille fois ? J’ai besoins de poursuivre ce qu’on a entamé, de continuer à lui balancer des trucs inutiles et orduriers juste pour avoir l’impression trente seconde que je fais parti de quelque chose.

Je me sens misérable. Pathétique. Moi qui aie toujours mis un point d’honneur à ne jamais m’apitoyer sur mon sort, ne jamais me plaindre, je suis là à le fixer en attendant, en espérant qu’il remarque à quel point je suis perdu. Je sais que si je réponds oui il va me planter là, comme si le fait d’avoir un toit allait changer quoi que ce soit. Ce n’est pas d’un toit dont j’ai besoins. Je peux passer la nuit dehors. J’ai besoins qu’il continue à me parler mal s’il en a envie mais qu’il reste là. Eh merde, il me doit bien ça, après ce qu’il vient de faire.

- Sur, dis-je. J’ai juste pas encore trouvé où. » Énorme mensonge, puisque ma valise est callée dans un hôtel à vingt minutes à pied d’ici à peine. Mais il ne sera pas dit que j’ai perdu mon savoir faire premier qui est d’obtenir des autres ce que je veux d’eux. [color:01e6=BED887]« Enfin, je pensais ne pas avoir trouvé, mais te voilà. Maintenant je peux me contenter de te suivre, j’imagine. » Et puis je prends un air penaud, entre deux spasmes et deux claquements de dents d’échos de trouille : « Promis je me ferais tout petit, tu sauras même pas que je suis là, » ça sonne comme une réplique de film que je ne prends pas au sérieux.



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Cette conne de lune [Donagh] Icon_minitimeDim 18 Avr 2021 - 13:37
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Le premier réflexe de Donagh est de balayer un regard sceptique sur l’homme qui prétend ne pas avoir de toit pour dormir pour le moment. Il n’a pourtant pas l’air d’être à la rue. Il a la pâleur d’un cadavre mais c’est plutôt parce qu’il vient de vivre un truc à se pisser dessus. A part ça, il est bien habillé et propre, il ne semble rien transporter avec lui. A moins qu’il ait été jeté à la rue le matin même, c’est peu probable qu’il soit sans domicile. Et pourtant, un pernicieux doute s’installe dans l’esprit de Donagh. Au fond, il ne connait rien de ce type, ni son nom, ni son histoire. Peut-être bien qu’il s’est fait jeter de chez lui le matin même, pour ce qu’il en sait, peut-être qu’il a tout perdu et que c’est pour ça qu’il a eu cette subite envie de se jeter du haut d’un pont. Au fond, il n’en sait rien.

Ce gars, par contre, a l’air de savoir ce qu’il veut. La solution à son problème est toute trouvée, dit-il. Il suffit qu’il le suive chez lui.

Attends, quoi ?

« Hein ? » Ça sort comme un réflexe. Donagh s’interrompt dans ses mouvements pour vérifier que sa guitare est intacte. Il lève le regard. « T’es sérieux ? »

Apparemment oui, il insiste même. Il promet qu’il se fera tout petit, en tremblant comme si le froid de la nuit le prenait tout à coup. Il a déjà l’air d’un petit chiot paumé. Est-ce que Donagh aime les petits chiots ? Oui, mais ce n’est pas la question. Il se renfrogne.

« Je vais pas t’accueillir chez moi, on se connaît pas. Eh, j’ai fait ma part, moi, je t’ai empêché de sauter, maintenant à toi de te prendre en main, mec. »

Il se hâte de ramasser sa guitare et de la hisser sur son dos. Il s’avance dans la direction opposée, celle qu’il suivait avant d’être interrompu, décidé à rentrer chez lui. Il n’est pas Jésus Christ réincarné en pompier samaritain, comme l’a suggéré l’autre. Non, il est juste Donagh Avner, il est sensé choper une livraison de mandragore demain matin première heure au port de Bristol, vraiment il a autre chose à foutre dans sa vie que de récupérer des types paumés au bord de la route, moldus qui plus est. Donagh s’est assez mis en danger comme ça en faisant usage de sa baguette magique en sa présence. Il lui a sauvé la vie, c’est suffisant, non ? Le mieux à faire est de s’en aller et ne plus jamais croiser le chemin de cet homme avant qu’il ne comprenne ce qui s’est vraiment passé.

Oui mais… S’il réessaye de sauter et que cette fois, personne n’est présent pour l’en empêcher ?

Donagh déteste cette pensée qui surgit dans sa tête et surtout il déteste la douleur qu’elle fait naître dans son estomac, comme une angoisse enfouie et réveillée. Ses pas s’arrêtent. Est-ce que lui sauver la vie maintenant aura servi à quelque chose s’il clamse dans quelques heures ? Est-ce qu’il n’y a vraiment personne d’autre pour l’aider ? Il tourne la tête vers l’homme, le ton un peu agressif, car il est contrarié :

« T’as vraiment aucun endroit où aller ? Tu connais personne ou quoi ? »
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Cette conne de lune [Donagh] Icon_minitimeVen 30 Avr 2021 - 17:49

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Sans déconner, tout plutôt que le silence et la solitude. Tout plutôt que le hall miteux du F1 où j’ai callé ma valise, que la chambre impersonnelle en lino qui me rappelle l’hôpital, tout plutôt que la télé comme interaction sociale désespérée. Je le regarde et je reste fière mais putain je suis déchiré. Je donnerais n’importe quoi pour sentir mon cœur se connecter à celui de quelqu’un d’autre, même cinq minutes, même quelques pauvres secondes volées, autre chose, juste, autre chose que la solitude insondable.

Franchement et c’est plus fort que moi, j’ai un rire mauvais qui le repousse salement quand il m’explique ses arguments pour me chasser. Ben, évidemment. Maintenant qu’il a accompli sa bonne action le jeu s’arrête après tout, il a déjà récolté ses points pour entrer au paradis, bravo, belle imagine, dix sur dix pour cette belle preuve d'humanité. J’ai envie de lui dire d’aller se faire foutre, franchement. Qu’est-ce qu’il s’imagine, qu’être de ce côté de la rambarde a soudainement réglé mes problèmes ? Ça me fait gerber. Je ne lui ai rien demandé, à ce gosse, hormis passer son chemin en fermant les yeux. Mais non, il a fallu qu’il fasse je ne sais quoi de dingue, qu’il s’implique pour ne pas se sentir responsable et maintenant qu’il m’a vue en face de lui plutôt qu’en face de l’eau, ça le rassure, il peut reprendre sa petite vie minable l’esprit léger ? Merde. Je ne supporte pas cette parodie d’altruisme égocentré, cet hypocrite façon de se soucier des autres. Instantanément, ça me fou les nerfs en l’air, j’ai envie de le frapper et de lui hurler dessus que s’il ne comptait pas se soucier de moi, vraiment, de moi, pas de lui et de sa petite culpabilité, alors il n’aurait pas dû intervenir. Parce que moi je peux rien en foutre, de ses états d’âmes, je peux juste les regarder de très, très loin et comprendre qu’au fond tout ça ne me concernait pas vraiment, en fait, ça me fait me sentir encore plus seul, encore plus vide.

Sauf qu’à force de ne plus rien dire à personne et de considérer tout échange social intime comme un risque pour ma carrière, j’ai oublié comment parler, ça reste coincé dans ma gorge, tout au plus ça me fait tressaillir avec un méchant haussement de sourcil acide.

- En fait, je me prenais en main nickel avant que t’arrive.

Mourra, mourra pas. Ça m’allait très bien, à moi, de contempler ma vie du haut d’un pont. J’étais plus serein là-haut que je ne lui suis maintenant que je ne cours plus aucun danger direct. D’ailleurs je sens bien que s’il part je vais probablement recommencer, pour voir si ça allège pas un peu la déception d’avoir pensé quelques minutes que tout à coup, ma vie avait de l’importance pour quelqu’un. Même un gamin vulgaire qui se trimballe probablement avec une guitare sèche pour crâner en soirée. Même ça.

Et puis il y a un changement de ton et d’attitude un peu comme si son regard sur moi changeait, je ne comprends pas bien pourquoi, mais il a l’air de se sentir bête, ou triste, ou d’hésiter, et il me demande si vraiment je suis seul au monde, et j’ai un regain d’espoir. Et j’ai peur, mais peur, qu’il le brise encore d’une pichenette négligente. J’imagine bien qu’il s’est passé un autre truc dans sa tête qui n’a rien n’à voir avec de l’empathie pour ce que je ressens et qu’il ne peut pas deviner, mais je m’en fou, je veux y croire.

- Non. » Réponds-je avec aplomb et putain, c’est vrai, absolument vrai que je ne connais personne dans cette ville pourrie où je suis venu m’enterrer comme si la terre n’était pas ronde et les gens semblables partout. « Je suis ici depuis trois semaines. Passeport Américain ? » Trois semaines à errer comme un pauvre fantôme perdu, sans psy, sans rien. Je pense que ça s’entend. J’ai pas grand-chose en commun avec la façon bizarre de parler qu’ils ont sur cette île où on n’a pas encore découvert l’intérêt des lunettes de soleil tellement il y fait moche. Une ville parfaite pour mourir. Ou rencontrer un type qui joue de la guitare sèche en soirée.



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Cette conne de lune [Donagh] Icon_minitime