Sous ton regard [Angus & Emma]

Le sourire aux lèvres, Emma quitta les Mystères, la journée avait été très productive, elle avait enfin l'impression de toucher quelque chose. Après des mois sans résultats, ils avaient enfin trouvé un début. Une piste à creuser plus profondément dans les méandres de l'esprit. C'était l'effervescence dans le département et si elle n'avait pas promis à Angus de le retrouver après sa journée, elle serait très certainement restée pour confirmer les premiers résultats de sa recherche. Elle avait donc abandonné son travail à contre-cœur, poussée par Niall qui lui avait affirmé que le travail serait encore là le lendemain. Ils avaient un premier résultat brut mais il fallait encore le dégrossir et ils avaient encore quelques jours de travaux devant eux pour le rendre totalement exploitable.

Elle avait remercié son collègue avec un immense sourire et s'était débarrassée de sa robe de travail aux couleurs des Mystères avec le petit emblème représentant la salle de l'Esprit. La salle à laquelle elle était affiliée depuis presque un an désormais. Elle avait énormément progressé, s'était découvert des personnes possédant des esprits critiques élevés. Elle avait beaucoup appris et son esprit s’affûtait de jour en jour en leur présence. Elle était dans son élément, elle comprenait leur façon de penser et de communiquer. Elle parlait leur langage et leurs blagues. C'était parfois déroutant pour les non initiés quand ils sortaient tous ensemble. Chaque salle avait son propre fonctionnement mais les échanges inter salles étaient courant en salle de pause. Même s'ils ne parlaient pas de leurs recherches, il arrivait que certains sujets se recoupent et qu'ils travaillent ensemble même si c'était rare. Marisa travaillait dans la salle du Temps mais cela ne l'avait pas empêché d'inviter Emma à sortir avec elle.

Le département des Mystères était un microcosme où il était facile d'évoluer et d'échanger. On ne jugeait pas sur l'apparence ou les relations sociales. On s'élevait autour de sujets bien plus abstraits, sur des problématiques pointues qui nécessitaient des années de recherches. Elle y était à sa place et son sentiment d'appartenance s'approfondissait de jour en jour. C'était un soulagement pour elle d'avoir un endroit où elle pouvait être elle-même sans qu'on attende d'elle autre chose qu'un travail de qualité. Elle ne se posait pas de questions inutiles, elle n'avait pas besoin de réfléchir avant de parler, pas besoin de peser ses mots. Elle n'avait pas besoin de s'inquiéter de blesser son interlocuteur par des paroles prononcées trop tôt. Elle n'avait pas besoin se demander si ce qu'elle disait avait un double sens puisque personne aux Mystères ne le relèverait de toute manière.

Elle avait retrouvé une forme de cette paix auprès d'Angus. Il n'avait pas les mêmes critères sociaux que sa famille, il n'avait pas les mêmes codes. Mais elle devait faire attention à ne pas le blesser. Elle avait parfois l'impression de le décevoir ou de le blesser involontairement lorsqu'elle mettait une petite distance entre eux lorsqu'ils étaient en public. Elle avait une image à conserver malgré tout et elle ressentait toujours un certain malaise lorsqu'ils étaient en communauté. Pourtant, il était un amant aimant et attentionné. Il lui avait organisé l'anniversaire le plus mignon qui soit quelques jours plus tôt et elle était un peu surprise qu'il veuille qu'ils passent du temps ensemble aussi vite. Mais ce n'était pas pour lui déplaire pour dire la vérité, elle aimait les moments qu'ils passaient ensemble. Elle avait d'ailleurs préparé un petit sac avec quelques affaires qu'elle avait miniaturisés et rangé dans la poche de sa cape printanière.

La fin d'après-midi était déjà bien entamée quand elle transplana devant la caravane de son compagnon. Elle frappa avant d'entrer et constata que l'endroit était vide, elle en déduit qu'il devait être occupé sur le chantier de la maison et emprunta donc le chemin de terre battue. Un sourire se dessina sur ses lèvres quand Angus la salua du premier étage et elle le salua à son tour tout en répondant assez succinctement que sa journée avait été bonne tout en lui retournant la question. Emma était, tout comme lui, tenue au secret professionnel et elle ne pouvait pas se permettre d'entrer dans les détails de ses recherches ni même parler précisément de son sujet d'étude. Elle avait appris à rester vague, elle accueillit avec joie la proposition d'Angus et entra dans la maison avant de commencer à monter l'échelle pour rejoindre le premier étage. Elle s'aida de sa main tendue pour monter les derniers barreaux et s'abandonna à son étreinte.

"Tu m'as manqué aussi", répondit-elle avec un sourire, les joues légèrement rougies.

Elle laissa son regard parcourir la pièce qu'il avait entrepris d'aménager et nota avec une pointe de déception que c'était la chambre qu'il réservait à son futur enfant. Elle aurait préféré qu'il avance sur la chambre qu'il se réservait, elle aurait aimé qu'il termine aussi la cuisine ou alors le salon. Qu'il rende l'ensemble habitable et qu'il s'attarde sur cette chambre plus tard. Ce n'était, à ses yeux, pas la pièce la plus urgente. Pourtant, elle prit sur elle et esquissa un sourire presque enjoué.

"C'est génial, Angus", lâcha-t-elle sans pour autant être aussi enthousiaste que lui. "Tu as fait du beau travail.", elle posa son regard sur lui. "Tu penses que la maison sera bientôt habitable ?", demanda-t-elle curieuse. "Tu sais que je suis prête à t'aider si tu en as envie."

Elle l'avait déjà aidé avec la cuisine, elle pouvait recommencer, sur des pièces plus importantes qu'une chambre d'enfant. Ce n'était pas qu'elle n'aimait pas la caravane, mais elle devait bien admettre qu'elle avait hâte de pouvoir profiter du confort d'une vraie maison.

Encore huit ou neuf mois avant qu'il ne termine la maison, elle aurait pensé avant la fin de l'année pour être honnête, même encore avant d'ailleurs. Elle ne se rendait pas bien compte du temps que cela prenait de refaire toute l'isolation et tout l'intérieur d'une maison. Même si celle d'Angus était relativement petite à côté du manoir de ses parents. Elle avait imaginé qu'en deux ou trois mois, en s'y mettant à fond, ce serait terminé. Elle avait clairement surestimé les capacités de son amant ou n'était pas dans les mêmes réalités que lui. C'était sans doute un peu des deux. Elle hocha donc la tête sans rien avouer de ses pensées et laissa son regard parcourir la chambre qu'il venait d'isoler, c'était vrai qu'il restait encore beaucoup de choses à faire avant de la rendre habitable.

"Je crois que j’ai trouvé la mère porteuse."

Le cœur d'Emma rata un battement dans sa poitrine et elle fit tout ce qu'elle put pour arborer le même air joyeux que son compagnon. Elle savait à quel point son projet lui tenait à cœur. Mais elle n'arrivait pas à se réjouir, elle avait l'impression d'étouffer de l'intérieur, tout devenait tout de suite plus concret et sa place dans la vie d'Angus devenait tout à coup beaucoup plus négligeable, facilement effaçable. Et s'il ne voulait plus d'elle une fois son enfant né ? Elle n'arrivait plus à comprendre les mots qu'il prononçait, elle entendait les sons mais ils ne faisaient pas sens dans sa tête. Elle avait l'impression d'avoir perdu pied. Et même s'ils en avaient déjà discuté ensemble, elle n'arrivait toujours pas à réellement comprendre sa démarche.

 
Leur couple résisterait-il à cet enfant qui n'était pas le sien ? Quelle était sa place auprès de lui ? Tant de questions qui se bousculaient dans sa tête et auxquelles elle n'arrivait pas à trouver de réponses. Angus avait été un pilier important pour elle ces derniers temps. Il n'avait pas la moindre idée de tout ce qu'il avait fait pour elle. Elle s'était vue à travers ses yeux et elle avait aimé ce qu'elle y avait vu. Mais cet équilibre qu'il lui avait fourni était encore fragile, elle se cherchait encore, qui était-elle réellement ? Elle devait encore se trouver, elle n'était pas prête à assumer l'avenir qui se profilait et elle avait besoin qu'Angus la réconforte. Elle avait besoin d'entendre que rien ne changerait entre eux. Mais elle savait qu'il ne pouvait pas lui promettre une telle chose. Elle en avait conscience.


Elle s'était appuyée sur lui pour se construire, ou plutôt, pour se reconstruire. Elle croyait ou avait envie de croire tout ce qu'il lui disait. Quand il disait qu'elle était belle et qu'elle n'en croyait pas un mot. Quand il lui affirmait qu'elle était plus forte qu'elle ne le pensait, quand il lui disait qu'elle pouvait affronter sa famille alors qu'elle s'en sentait incapable. Il avait été là avec elle pour les affronter dans un repas qui l'avait terrifié. Ils avaient affronté à deux cet obstacle qui lui semblait insurmontable. Elle se moquait presque du regard des autres sur leur couple. Elle n'était presque plus gênée quand il était un peu trop bruyant ou qu'il sortait des blagues au goût douteux. Elle s'était faite à lui, elle avait commencé à penser à un avenir. Elle avait presque oublié ce projet de GPA. Ou elle avait espéré qu'il l'ait enterré. Elle avait été idiote.


Et pourtant, tout ce qui comptait à ses yeux à présent, c'était ce qu'il allait penser d'elle si elle remettait tout en question à présent. Elle lui avait dit qu'elle acceptait, il lui avait dit qu'il ne mettrait pas ses projets en suspend pour elle. Et elle avait accepté. Parce qu'elle avait voulu essayer avec lui. Elle avait voulu voir ce qu'il avait à lui offrir. Et elle avait obtenu bien plus que ce qu'elle avait espéré. Ils s'étaient trouvés et elle ne voulait pas que tout s'arrête. Pas maintenant. C'était trop tôt. Elle avait eu l'impression que c'était la fin de leur histoire à l'époque et aujourd'hui encore, elle voyait cela comme une sorte de fin. Il avait affirmé le contraire et peut-être qu'aujourd'hui encore, il le lui confirmerait. Peut-être que ce n'était pas fini. Peut-être arriverait-elle à conserver son équilibre.


Mais était-elle prête à le partager ? Le voulait-elle ? La réponse était clairement non. Il ne lui laissait pas le choix. Elle ne pouvait que l'accepter. Elle savait qu'il ne reviendrait pas en arrière. Pas alors qu'il avait trouvé une mère porteuse et qu'ils allaient commencer les premiers essais très bientôt. C'était son rêve à lui. Elle ne pouvait pas le briser, elle ne pouvait pas lui demander de faire marche arrière. Ce serait égoïste de sa part et ce n'était pas parce qu'elle ne comptait pas pour lui. Elle le savait aussi. Ce n'était pas parce qu'elle n'était pas assez importante. C'était simplement qu'il y avait des choses qu'il ne pouvait pas sacrifier pour elle.


C'était à son tour à elle de lui prouver qu'elle pouvait faire des efforts. Que même si elle ne comprenait pas, elle acceptait son choix. C'était ce qu'il avait fait, depuis les débuts de leur relation. Il avait fait des concessions et c'était à son tour d'en faire. Elle savait que si elle voulait que leur couple ait une réelle chance de fonctionner elle devait à son tour prendre sur elle, faire l'effort. Et peut-être que finalement, la nouvelle place qui lui serait attitrée lui plairait.


Elle voulait croire ce qu'il lui avait promis quelques mois plus tôt. Elle voulait croire qu'ils pourraient continuer comme avant. Même avec cet enfant. Même s'il n'était pas d'elle. Pouvait-elle affronter les regards et les murmures des gens sur son passage, le cas échéant ? Elle voulait croire que si Angus était à ses côtés, elle y arriverait. Il la rendait plus forte sans qu'elle ne s'en rende compte. Elle avait ce qu'il fallait en elle pour réussir. Elle en était convaincue. Ce n'était qu'un début et non une fin. Le début d'une vie qu'ils se construisaient. Parce que l'avenir était incertain et qu'Angus ne pouvait pas tout laisser entre les mains du hasard et du destin. Il se créait son propre avenir et elle devait le respecter. Elle pouvait le soutenir. Elle espérait avoir la force et la résilience nécessaire. Même si elle aurait préféré que cet enfant arrive plus tard, même si elle aurait espéré qu'il ne se sente pas dans l'obligation de procéder à une GPA pour obtenir un enfant. Elle aurait aimé qu'il croit un peu plus en eux deux et qu'il patiente. Qu'il attende qu'elle soit prête. Elle aurait aimé tout cela mais malgré tout ses doutes. Elle croyait en eux.

"Je suis contente pour toi", finit-elle enfin par lâcher dans un souffle. "Qui est-elle ?"

Son regard s'accrocha à celui de son compagnon alors qu'elle lui souriait timidement. Elle saisit sa main et la serra doucement dans la sienne. Elle le soutenait. Elle était là pour lui. Mais ses doutes persistaient malgré tout. Elle pouvait prendre toutes les bonnes résolutions du monde, elle ne pouvait pas rester dans le doute.

"Je sais que tu as dit que ça ne changerait rien entre nous", commença-t-elle. "Mais je ne peux pas m'empêcher d'avoir des questions et de m'interroger sur ce que l'arrivée de cet enfant va impliquer pour nous deux."

Emma baissa les yeux et ramena sa main contre elle, croisant les bras sur sa poitrine dans un signe de protection. Elle ne voulait pas montrer que l'annonce l'avait fragilisé mais elle ne pouvait pas non plus ignorer l'insécurité dans laquelle la plongeait cette annonce.

"Quelle place souhaites-tu que j'occupe pour cet enfant ?", demanda-t-elle. "Je... Même si tu me dis aucune, j'aurai forcément un rôle à jouer. Il va grandir et... poser des questions. Je ne suis pas sa mère mais peut-être voudra-t-il que je le sois ? Est-ce que tu es prêt à me laisser l'être si je le désire ? Si je décide que je suis d'accord pour occuper ce rôle de mère pour lui, est-ce que tu me laisserais le faire ?"

Elle releva le regard sur lui, elle voulait être certaine de savoir ce qu'il voulait ou au moins qu'il écouterait ce qu'elle souhaitait elle. Pour le moment, elle ne savait absolument pas ce qu'elle voulait. Mais peut-être qu'un jour, elle le saurait.

"Je ne dis pas que c'est ce que je veux", trouva-t-elle bon de justifier. "Je ne sais pas encore exactement la place que je peux lui donner. Peut-être que je te laisserai t'occuper du bébé seul parce que ça m'effraie. Peut-être que non. Je ne sais pas encore. Je sais aussi que je ne peux pas faire comme avant. Il fera partie de toi et... j'ai conscience que ça te blesserait si je faisais comme si cet enfant n'existait pas."

Elle se mordilla la lèvre inférieure, désolée de devoir faire redescendre son euphorie avec ses questions. Mais elle avait le sentiment qu'il fallait qu'elle lui fasse part de ses doutes et de ses ressentis. Elle ne voulait pas qu'ils s'éloignent loin l'un de l'autre à cause de non-dits. Il lui avait fait entendre plus d'une fois qu'il préférait qu'elle lui parle plutôt qu'elle garde tout pour elle. Alors c'était ce qu'elle faisait. Parce qu'elle croyait ou du moins, elle espérait qu'ils trouveraient un nouvel équilibre. Même avec cet enfant à naître.

La présentation succincte de Joséphine glissa sur Emma comme une goutte d'eau sur un parapluie. Elle écouta sans relever les informations, cela ne l'intéressait au fond pas tant que ça. Elle retint simplement la date. La semaine prochaine. C'était beaucoup plus rapide lui semblait-elle que ce qu'il avait dit un peu plus tôt. Ce n'était plus la fin du mois mais la semaine prochaine. Mais après tout, la semaine prochaine se trouvait à la fin du mois. Elle déglutit difficilement avant de reprendre la parole et commença alors l'une des discussions les plus compliquées de sa vie. Elle ne savait pas où se trouvait sa place dans tout ça et si elle écoutait Angus, il semblait qu'elle était nulle part. Il ne voulait pas d'elle dans son projet. C'était son projet à lui. Juste le sien. Et elle, elle n'en faisait pas partie. Un violent sentiment de rejet l'envahit et elle recula d'un pas. Il ne voulait pas qu'elle soit la mère de son enfant à naître.

Dans un sens, elle admettait que cela l'arrangeait, elle n'aurait aucune contrainte, ne serait forcée de rien. Elle ne serait même pas obligée de feindre l'affection pour cet enfant. Mais cela voulait-il aussi dire qu'elle n'aurait même pas la chance de tisser quelque chose avec l'être que son compagnon chérirait le plus au monde ? Elle avait cette impression d'injustice qui lui nouait l'estomac, il ne lui donnerait même pas une chance de lui laisser lui prouver ce qu'elle pouvait lui apporter ? Mais Angus sembla remarquer son malaise et nuança sa réponse, l'approfondissant vers une version qui permettait à Emma d'entrapercevoir une vision qui pourrait lui convenir. Elle hocha donc la tête, dans un sens, elle comprenait ce qu'il souhaitait. Emma n'était pas la mère biologique de l'enfant et ne le serait jamais et Angus souhaitait que cela reste ainsi. L'enfant saurait d'où il vient et ce ne serait pas un secret.

Pour la jeune femme c'était quelque chose de difficilement concevable, dans le monde d'où elle venait, une telle pratique aurait été parfaitement dissimulée. L'enfant n'aurait jamais appris d'où il venait et qu'elle le désire ou non, elle serait devenue sa mère. Son avis n'aurait pas compté. Il ne comptait pas vraiment actuellement non plus. La famille parfaite et idéale qu'elle s'était toujours imaginée explosait en plein vol. Elle n'aurait aucune apparence à sauver, aucun secret à garder. C'était mieux pour tout le monde, c'était certain. Mais elle ne se sentait pas prête à affronter les regards des autres, les murmures dans son dos. Elle les entendait déjà dire la honte qu'ils auraient à sa place, élever un enfant qui n'était pas le sien, un enfant qui avait été conçu par une autre alors qu'Angus semblait avoir tout ce qu'il fallait pour être heureux avec elle et construire sa famille avec elle.

Elle s'attendait aux incompréhensions. Elle-même n'était pas sûre de comprendre. Mais l'avenir que lui dépeignait Angus n'était pas totalement pour lui déplaire. Il lui laissait ainsi la possibilité de vivre sa jeunesse comme elle l'entendait. Il voulait qu'elle profite de sa liberté tant qu'elle le pouvait et tant qu'elle en avait envie. Mais il y avait des choses qu'elle voudrait faire avec lui, sans l'enfant. Il serait forcément moins disponible pour elle. Moins présent. Et elle n'en avait pas vraiment envie. Elle voulait qu'ils aient des moments rien qu'à eux. Juste eux deux. C'était certainement possible. Angus avait une sœur, des amis. Peut-être que Melchior accepterait de s'occuper du bébé un week-end. Ou au moins, une nuit de temps en temps. Elle se laissa attirer vers lui et posa les mains sur ses épaules, plongeant son regard dans le sien.

"Très bien", finit-elle par lâcher. "Je comprends. Laissons-nous le temps."

Elle laissa un léger sourire fleurir sur ses lèvres alors qu'elle se penchait pour l'embrasser doucement.

"Mais je veux que tu me promettes qu'on aura, parfois, de temps en temps, des moments rien qu'à nous. Juste tous les deux."

Elle n'était pas totalement prête à vivre sa jeunesse sans lui, surtout s'ils étaient en couple. Elle glissa ses bras autour de la nuque de son compagnon et s'assit prudemment à califourchon sur lui afin qu'il ne tombe pas.

"Et que dirais-tu si je te proposais des vacances cet été. Juste nous deux", demanda-t-elle. "Avant qu'on ne puisse plus le faire."

Son regard se fit légèrement suppliant, elle voulait enterrer leur solitude à jamais avec de beaux souvenirs qu'ils pourraient partager ensemble. Elle voulait partir à l'étranger avec lui, juste avec lui.

"Je suis sûre que Melchior a de très bonnes adresses à nous conseiller", ajouta-t-elle. "Et si avec la GPA, tu ne peux pas te le permettre financièrement, ce n'est pas un problème. Je peux nous offrir ça. J'ai plus d'argent qu'il ne faut pour vivre."

Sa garde-robe fournie le démontrait parfaitement. Sa paye n'était peut-être pas faramineuse, mais elle était largement suffisante pour subvenir à tous ses besoins et payer le loyer. La colocation avec Marlene y était certainement pour beaucoup, mais elle pouvait largement se permettre de partir en vacances. Et si ça paye ne suffisait pas, elle avait un compte en banque bien fourni à Gringotts.

La réticence d'Angus à l'évocation des vacances en amoureux fut clairement visiblement et Emma s'empressa donc de spécifier qu'elle était totalement disposée à les financer dans leur entièreté. Si cela pouvait leur permettre de passer un peu de temps ensemble, elle ne voyait pas le problème. Toutefois, son compagnon affirma sa volonté de vouloir participer aux frais du voyage et le visage de la jeune se fendit d'un magnifique sourire. Elle allait sceller leur accord d'un baiser avant de se figer en entendant la destination qu'il lui proposait. En Cornouailles ? Sérieusement ? Elle sonda le regard de son amant à la recherche de la moindre trace de plaisanterie. Mais... malheureusement pour elle, il semblait parfaitement sérieux. Et pire encore, il envisageait leurs vacances dans une tente... Dans un camping... Avait-il seulement la moindre idée du temps qu'il faisait en Cornouilles ? Peu importait la saison d'ailleurs. De la pluie. Encore et toujours de la pluie. Elle prit sur elle pour ne pas montrer sa déception et esquissa même un léger sourire amusé.

"J'avais dans l'idée un endroit un peu plus ensoleillé", commença-t-elle, soucieuse de ne pas le froisser mais avec l'idée de se faire comprendre tout de même. "Et j'avais espéré quitter la Grande Bretagne", continua-t-elle tout en caressant distraitement la barbe du milicien, laissant ses doigts se perdre dans les poils drus. "Peut-être l'Italie ou l'Espagne. Ou la Sardaigne. Quelque chose de romantique avec de la chaleur et une mer à plus de 18°C."

Ses doigts se figèrent et elle plongea son regard dans celui de son amant.

"Si je souhaite aller en Cornouilles en vacances, il me suffit de demander à mes grands-parents et ils me prêtent leur manoir. Pas besoin de tente ou de camping. Pour être honnête, je les connais par cœur et il n'y a rien de dépaysant pour moi d'aller là-bas pendant mes vacances d'été. Et je ne souhaite pas non plus passer mes nuits sous une tente. J'espérais quelque chose de plus... confortable."

Elle avait campé une seule fois, dans le Sud de la France avec ses parents. L'été où elle avait rencontré James. Son père avait voulu essayer, il avait souligné le fait qu'il voulait vivre "l'aventure" loin du confort des villas qu'ils avaient l'habitude d'occuper. Sa mère n'avait pas apprécié l'expérience plus que ça et avait décidé que c'était bien la dernière fois qu'ils passaient leurs vacances dans un camping. Alors certes, il pouvait y avoir des tentes de luxe mais Emma doutait sincèrement que celle d'Angus entrait dans cette catégorie.

"Que dirais-tu d'un petit appartement avec vu sur la place Saint Marc à Venise ?", demanda-t-elle tout en caressant son torse tendrement. "Juste une semaine", plaida-t-elle. "Laisse-moi organiser ça pour nous"

Son regard se fit légèrement suppliant. Une semaine. Rien qu'à eux. Avant que la réalité ne les rattrape et qu'il soit trop occupé à élever son enfant pour passer du temps avec elle. C'était la seule chose qu'elle lui demandait. Elle voulait qu'ils fassent ça bien, un moment parfait en amoureux. Des vacances de rêves. Emma espérait sincèrement qu'il accepterait, qu'il ferait ça pour elle. Un dernier compromis.

Un soupir déçu s'échappa des lèvres d'Emma alors qu'Angus émettait des objections à ses projets de vacances. Ainsi donc il ne pouvait pas se permettre de quitter l'Angleterre ? Aux yeux de la jeune femme c'était surtout qu'il ne voulait pas, ce n'était pas une question de pouvoir mais de volonté ici. Il n'avait pas envie de s'éloigner de sa mère porteuse. Voilà tout. Cette femme était soudainement devenue bien plus importante qu'elle et cela ne lui convenait absolument pas. Son compagnon aurait dû être heureux à l'idée de passer du temps avec elle à découvrir de nouveaux paysages et de nouvelles choses. Changer leur quotidien. Mais non. Leurs priorités n'étaient clairement pas les mêmes et cela annonçait la couleur pour la suite de leur relation. La jalousie vint étreindre sa poitrine et elle serra les dents alors qu'il resserrait son étreinte autour de sa taille, ses mains quittant la nuque du milicien pour retomber inerte le long de son corps.

Il lui passait clairement de la pommade pour qu'elle accepte son refus sans broncher. Il ne voyait pas qu'elle avait besoin de ça ? De ce moment pour qu'ils puissent se retrouver tous les deux comme n'importe quel couple avant de ne plus pouvoir le faire ? Elle dut lutter pour ne pas laisser des larmes de rage couler le long de ses joues alors qu'une fois de plus, il affirmait ne pas pouvoir se permettre d'attendre un portoloin international. Et elle, est-ce qu'elle pouvait se permettre de gâcher sa jeunesse avec l'enfant d'une autre ? Un enfant sur lequel elle n'aurait aucun regard ni aucun droit. Un enfant qui ne serait, quoi qu'il arrive, jamais le sien. Visiblement, il ne voulait pas faire d'efforts pour elle alors pourquoi elle, devrait en faire ?  

Toute cette situation n'avait aucun sens et pendant un instant l'idée de tout arrêter lui effleura l'esprit. Elle était belle, elle était jeune, elle pouvait parfaitement se trouver quelqu'un d'autre. Quelqu'un d'aussi gentil, aimant et soutenant qu'Angus. Mais surtout quelqu'un de son âge qui ne voulait pas d'enfant avant plusieurs années. Mais son regard croisa celui de son compagnon alors qu'il lui proposait un séjour dans les îles anglo-normandes. Elle pinça légèrement les lèvres alors qu'il énumérait toutes les choses dont elle rêvait pour leurs vacances en amoureux. Alors certes, ce n'était pas Venise mais... il avait compris ce qu'elle voulait. Un nouveau soupir franchit ses lèvres alors qu'il lui souriait. Comment pouvait-elle résister à ce sourire en coin au juste ? C'était déloyal.

Elle esquissa une moue boudeuse avant de répondre mollement à son baiser, il marquait des points mais elle n'oubliait pas aussi facilement l'Italie pour autant. Jusqu'à ce qu'il sorte la phrase magique, "Un moment juste à nous, juste pour nous". Touché. Toute la rancœur d'Emma s'envola et elle posa à nouveau ses mains sur les épaules d'Angus, jouant distraitement avec sa barbe. Il était doué pour trouver les mots et dénouer les contextes compliqués. Ce n'était pas la première fois que sa colère retombait de cette manière suite à ce qui aurait pu être un début de dispute. Il avait un don pour désamorcer les situations périlleuses.

"J'imagine que Jersey peut s'envisager", finit-elle par lâcher après un long moment de réflexion. "Mais je veux une chambre avec vue sur la mer. Et on fera plein d'excursions dans les îles alentours.", posa-t-elle comme condition. "Et je te veux tout à moi", conclut-elle en l'embrassant. "Ce seront nos premières vacances ensembles et probablement les dernières rien que tous les deux avant très trèèèès longtemps alors je veux qu'elles soient parfaites. Qu'on en garde un souvenir mémorable et qu'on se souvienne de ça quand les temps seront plus durs entre nous."

Emma se recula légèrement pour l'observer, gravant son visage dans sa mémoire. Elle voulait que leurs derniers moments à deux soient heureux. Qu'ils n'aient rien à regretter si jamais la situation entre eux venait à s'étioler. Elle voulait vivre de façon insouciante au jour le jour sans parler d'avenir ou de quoi que ce soit. Elle voulait vivre sa jeunesse et elle se doutait que lorsque le bébé serait là, ce ne serait plus possible. Ou du moins pas avec Angus. Et elle n'était pas encore prête à le laisser partir. Ses sentiments pour lui semblaient grandir de jour en jour, au point où parfois cela lui faisait un peu peur. Est-ce qu'elle ne l'aimait pas un peu trop ? Et s'il décidait de tout arrêter ? Elle en souffrirait, bien plus qu'elle ne voulait bien l'admettre.

"Je t'aime, Angus.", souffla-t-elle avant de se pencher pour l'embrasser tendrement. "Ne l'oublie pas."

Un léger sourire timide s'étira sur ses lèvres alors qu'elle le recoiffait pour dissimiler son trouble et oublier le rouge qui colorait ses joues.

« Comment veux-tu que je l’oublie ? »

Emma haussa les épaules. Quand l'enfant serait là, ce serait tellement facile de l'oublier. Angus allait passer tout son temps libre avec et elle passerait au second plan. Elle allait devoir vivre avec le regard et le jugement des gens, leur incompréhension. Comment se faisait-il qu'elle acceptait que l'homme avec qui elle entretenait une relation fasse un enfant grâce à une mère porteuse. Elle entendait déjà les murmures sur son passage. N'avait-elle donc aucun amour propre ? Elle savait qu'il y aurait des critiques et des mots blessants. Et elle savait aussi qu'elle allait devoir passer outre pour son bien-être. Mais ce serait difficile et cela l'effrayait un peu. Alors oui, l'arrivée du bébé l'inquiétait, parce qu'elle était prête à endurer tout ça, si seulement, elle avait pu avoir le certitude que sa relation avec Angus n'en souffrirait pas.

"Un peu", avoua-t-elle timidement. "J'ai peur que rien ne soit plus comme avant."

Elle haussa les épaules comme si ses angoisses n'avaient aucune importance. Comme si ce qu'elle ressentait face à ce qu'il allait vivre n'était pas important. Elle passait au second plan, tout ceci n'avait rien à voir avec ce qu'elle voulait. Elle avait simplement peur de ne plus être la priorité d'Angus et c'était certain que ça arriverait, elle ne serait plus sa priorité. Pas avec un petit être à élever.

"Tu seras vraiment occupé avec ton bébé et...", confia-t-elle en baissant le regard, un peu honteuse d'avouer ses faiblesses et son égoïsme. "J'ai peur que tu ne trouves plus de temps pour nous. Je ne veux pas passer mes soirées dans ta caravane Angus. J'ai besoin de plus que ça..."

Elle ne voulait pas se contenter de soirées volées entre deux pleurs de nourrisson, elle ne voulait pas de tentatives avortées de soirées romantiques et coquines. Elle ne voulait pas que ça change entre eux. Tout simplement.

"Je suis prête à faire beaucoup d'effort", admit-elle finalement. "Mais très honnêtement, je ne sais pas si ça suffira. Je n'ai pas envie de passer mon temps à te reprocher qu'on ne sort plus. Parce que... Je ne sais pas... Je pense que ça arrivera. Parce que j'aurais besoin de sortir avec toi. Pas avec mes amis mais juste avec toi. Parce que tu es l'homme que j'aime et que j'ai envie de faire des choses avec toi. Mais tu ne pourras pas. Parce que tu auras un bébé. Je comprends. J'accepte l'idée. Ou je fais l'effort de me dire que c'est très important pour toi et que je peux faire ce mini sacrifice pour toi. Mais... je ne peux pas te promettre qu'un jour mes efforts suffisent. Je peux pas te promettre que ça durera. Et ça me fait peur."

Emma releva des yeux humides sur Angus, elle s'était confiée à lui dans l'espoir qu'il comprenne. Elle ne cherchait même pas à ce qu'il la rassure ou qu'il lui fasse des promesses qu'il ne tiendrait pas. Il ne pourrait pas les tenir de toute manière. Non, elle voulait simplement qu'il comprenne que pour elle, ce n'était pas facile. Que son choix de vie, l'impactait aussi et qu'elle n'avait clairement pas son mot à dire. Subit ou part. C'était le choix qu'elle avait finalement. Et ça ne la satisfaisait pas. Pas du tout même. Mais si elle voulait que ça fonctionne entre eux, elle n'avait pas le choix. Même s'ils ne vivaient pas ensemble, le bébé serait là. Toujours, tout le temps. Elle devrait donc composer avec aussi. Malgré ce que Angus semblait sous-entendre.