29 Juin 2011 :



Les mains au fond des poches, Emrys avançait d'un pas tranquille sur le trottoir d'une rue fréquentée de Londres. À cette heure ci, il croisait beaucoup de personnes qui sortaient du travail, rentraient chez eux, ou courraient récupérer leurs enfants à l'école. Par déformation professionnelle peut être, le milicien s'amusait à observer à la dérobée tous ces passants quant il les croisait ou dépassait. Il avait transplané un plus loin seulement pour avoir le plaisir de finir le trajet à pieds en analysant silencieusement tout ceux qu'il avait le temps de détailler rapidement du regard. Humeur, train de vie, personnalité, occupations professionnelles et personnelles, Emrys hypothésait sur tout ce qu'il pouvait deviner dans ce que laissaient transparaître les personnes présentes autour de lui. Cette femme en tailleur noir et talons aiguilles qui marchait en consultant son téléphone - certainement pour lire ses mails - occupait très certainement un poste à responsabilités. Cet homme visiblement perdu qui essayait de trouver un sens à sa carte n'avait pas choisi le meilleur moment de la journée ni le meilleur endroit pour faire du tourisme. Le jeune homme qui le dépassa presque en courant semblait être en retard pour son cours de guitare qu'il portait dans son dos, sûrement à cause d'un cours tardif, supposa le milicien en avisant le pin's à l'effigie d'une université londonienne accroché à son sac. Une jeune femme qu'il dépassa s'agaçait dans son téléphone contre une personne qui devait passer un sale quart d'heure. Il capta une insulte qui lui arracha un petit sourire en coin avant qu'il ne bifurque pour traverser la chaussée et arriver devant un club de boxe moldu. Il poussa la lourde porte d'entrée et pénétra dans le hall d'accueil où il salua le secrétaire administratif qui lui répondit en levant une main par dessus son comptoir.

Cela faisait maintenant bientôt trois ans qu'Emrys s'entraînait dans ce club de boxe. Il aimait venir se défouler sur un sac de sable, des punching-Ball ou sur un partenaire d'entraînement dès qu'il en avait l'occasion. Cela le détendait et lui servait d'exutoire à tout ce qu'il pouvait ressentir de négatif dans ses journées ou dans sa vie. Aussi, le fait qu'il soit dans le Londres moldu le coupait un peu du monde magique et de ses occupations habituelles. Ici, personne ne se doutait qu'il tentait de confondre à longueur de journées des terroristes recherchés par le ministère. Ici, tout le monde venait pour la même chose : se vider la tête en se servant de ses poings.

Tout à ses pensées, le milicien rejoignait les vestiaires au moment où il croisa un habitué du club qui en ressortait.

"Ah, Emrys ! le salua l'homme qui approchait de la quarantaine. Quoi de neuf aujourd'hui ? s'enquit il en lui attrapant la main pour la serrer vigoureusement.
- La routine, répondit Emrys avant d'orienter la conversation sur un autre sujet. Tu as réglé tes histoires avec ta femme ?
- Oh elle m'en fait voir de toutes les couleurs ! Mais je crois que c'est en train de se tasser... Les femmes hein ? On peut rien y faire ! s'esclaffa-t-il d'un air fataliste. En parlant de ça, je crois qu'Avalon est déjà arrivée.
- Je vais la rejoindre justement. À plus ?
- À toute mon gars," lança l'homme en prenant la direction de la sortie.

Emrys entra dans les vestiaires vides et silencieux et ouvrit un casier dans lequel il posa son sac de sport. Avalon trouverait certainement le moyen de le charrier parce qu'elle était arrivée avant lui alors qu'elle ne l'avait même pas retenu pour une réunion, songea-t-il alors qu'ils se deshabillait pour enfiler un short de boxe et un débardeur. La jeune femme avait beau être sa supérieure hiérarchique, sur le ring elle était seulement une partenaire d'entraînement voire une adversaire. Ils leur arrivaient de parler boulot bien sûr mais lors de leurs entraînements ils mettaient de côté tout rapports professionnels et étaient seulement deux amis qui partageaient le même loisir. Emrys n'allait pas hésiter à cogner sur la milicidnne sous prétexte qu'elle était sa cheffe. D'autant plus qu'elle savait très bien se défendre et qu'elle était bien plus solide qu'elle en avait l'air.
L'ombre d'un sourire amusé passa sur son visage à cette pensée pendant qu'il rangeait ses affaires et refermait son casier avec un cadenas. Lorsqu'il s'était inscrit dans ce club, en 2008, le milicien avait eu l'agréable surprise de découvrir qu'Avalon faisait partie des adhérents et qu'elle venait boxer régulièrement. Le lieu était plutôt réputé à Londres parmi les clubs de sport mais il fut surpris d'y trouver la jeune femme, surtout parmi les moldus. Eux qui avaient partagé une nuit enfievrée quelques temps plus tôt, ils se retrouvaient par hasard à boxer dans le même club. A croire que le destin souhaitait les rapprocher, ou les placer dans des situations embarrassantes...
Ravi de voir une tête connue, il faut le dire, Emrys l'avait rejoint et elle lui avait fait faire le tour des lieux avant de lui proposer un petit entraînement en duo. Il avait vu dans cette proposition l'opportunité d'apprendre de la jeune femme qui semblait pratiquer depuis un certain temps maintenant et avait pensé, dans une fierté toute masculine, qu'il était en mesure de se défendre et que, s'ils en arrivaient à un face à face, elle n'allait pas lui faire bien mal.
Grossiere erreur ! Il avait beau la dominer d'au moins vingt centimètres, Avalon avait enchaîné coups droits, crochets et uppercut pour le mettre KO en peu de temps. L'ego blessé et le corps endolori, Emrys avait inventé une excuse bidon du genre "J'avais pas envie de te faire mal." mais il en avait surtout déduit qu'il avait beaucoup à apprendre. Il savait frapper mais il frappait mal. Et Avalon s'était révélée être une très bonne partenaire ainsi qu'une grande sage maître de la boxe. Aujourd'hui, le milicien prenait toujours plaisir à la retrouver en dehors du ministère pour leurs entraînements.

Emrys avait gagner la grande salle du club et arrivait d'ailleurs à la hauteur de la jeune femme qui s'échauffait déjà en faisant lui même rouler les articulations de ses poignets.

"Désolé, ma cheffe m'a retenu," dit-il en guettant sa réaction du coin de l'œil alors qu'il passait à l'échauffement de ses épaules.

Le mois de juin touchait à sa fin, une douce chaleur s’était abattue sur l’Angleterre depuis une dizaine de jours, et l’ambiance était aux nombreuses discussions de vacances. C’était d’ailleurs à cette tâche qu’Avalon avait consacré une partie de sa fin d’après-midi – pas à l’organisation des siennes, malheureusement, mais à l’organisation de son service pendant la période estivale. Il s’agissait du travail administratif qui était probablement le moins gratifiant et le plus chronophage. La plupart des congés avaient été posés bien amont, mais il y avait toujours des demandes tardives à traiter. Leonard s’absentait dans le courant du mois de juillet pour partir deux semaines en lune de miel avec son épouse, et Avalon avait tenté de réorganiser le fonctionnement du service pour que son absence ne soit pas trop impactante. Il fallait ajouter à cela les préférences de chacun quant aux horaires de travail, les requêtes diverses concernant des absences ponctuelles, et cette tâche était devenue bien plus ardue qu’elle ne l’avait cru de prime abord.

Elle avait envoyé les plannings prévisionnels à Danielle pour validation, et avait entrepris de consulter rapidement les derniers messages qu’elle avait reçu sur sa messagerie Netflics. Elle avait fait le tri, répondu à une demande urgente, envoyé un récapitulatif du briefing qu’elle avait tenu le matin même sur le dossier qui concernait le trafic de médicaments depuis les artères mafieuses de Londres et de Manchester et avait quitté le Ministère un peu avant dix-neuf heures, un large sac de sport à l’épaule.

Elle marchait dans les rues de Londres depuis une dizaine de minutes, profitant de l’avance qu’elle avait pour flâner un peu, sans être pressée par le temps. Elle était en train d’échanger un message avec Roy, lorsque le nom de son jumeau s’afficha sur l’écran de son téléphone.

« Allo ? » fit-elle en collant son Pear contre son oreille et en bifurquant à droite dans une rue pavée.
« Je t’appelle parce que sinon, j’ai le temps de mourir avant que tu me demandes comment je vais. » commença son frère de but en blanc, un brin moqueur, tirant à la jeune femme un rire outré.
« Bonjour à toi aussi. » répondit-elle avec ironie, sans se formaliser de cette entrée en matière. « Comment ça va ? »
« Bien et toi ? Ça se passe à ton boulot ? »
« Ça va. Les choses vont se calmer pendant l’été je pense, j’aurais plus de temps libre. »
« C’est cool. » fit Galaad et Avalon le sentit un peu hésitant. « Hé, j’ai un truc à t’annoncer. »
« Oh. Wow, wow, wow. On parle de quel genre de « truc » là ? »
« J’ai eu une promotion. » Il laissa passer un léger silence. « Je suis devenu manager… »
« Mais non ? Putain mais félicitations Gal ! » L’exclamation d’Avalon lui attira le regard curieux de passants. « C’est trop bien ! »
« Ouais bah, Samuel a démissionné sans prévenir, il manquait quelqu’un et comme je suis le plus ancien, ils m’ont filé son poste. » Galaad travaillait depuis plusieurs années en tant que chef de rayon dans un supermarché.
« Tu l’as clairement mérité. » déclara Avalon avec un sourire dans la voix. « Ça fait des années que tu te lèves à cinq heures pour aller taffer là-bas, ils savent que tu bosses bien. »
« Hum… Je suis peut-être pas l’employé du mois, mais je connais bien les équipes. » reconnut Galaad. « Puis sinon ils auraient filé le poste à Jenkins et vraiment, ce type est un putain de zombie avec autant d’humour que Abuelo quand il se réveille de la sieste. »
« Oh t’es dur avec Abuelo. » commenta Avalon en riant. « Tu gères, Gal, c’est trop bien. » répéta-t-elle.
« Ahaha, merci Av’. Et… Il y a autre chose, aussi. »
« Ah ? » Avalon retrouva le silence, curieuse de toutes ces nouvelles que son frère lui apportait.
« Je vais avoir un salaire un peu plus conséquent. Bon, c’est pas énorme non plus, mais avec tu sais, avec les primes et tout… Je vais changer d’appartement, j’ai posé mon préavis hier. »
Avalon, qui sentait que son jumeau n’avait pas tout à fait terminé, se fendit d’un « Et ? » interrogatif.
« Et je vais m’installer avec Alisha. » avoua-t-il finalement d’une traite.

Alishaétait la petite-ami de Galaad depuis plusieurs années maintenant. Leur relation avait été ponctuée de diverses ruptures (ils se connaissaient depuis qu’ils avaient dix-sept ans) mais cela faisait plusieurs années qu’ils étaient ensemble et ne s’étaient pas séparés.

« Arrête ?? » fit Avalon avec une énième exclamation enjouée. « Oh lala, mais c’est énorme comme nouvelle, félicitations ! »

A l’autre bout du fil, elle entendit Galaad éclater d’un rire joyeux.

« Ouais. Ouais on a décidé de ça il y a trois jours. On va essayer de trouver un truc sympa, dans le sud de Londres peut-être. S’éloigner de tout ça, tu vois… »

Avalon voyait parfaitement. Ses doigts se resserrèrent doucement contre son téléphone, alors que son sourire ne quittait pas son visage.

« C’est super, Gal, je suis contente pour vous, vraiment. » assura-t-elle avec sincérité. « Il faut absolument qu’on se voit, on a des millions de choses à fêter ! »
« Hé, j’attends que ça moi, regarde, je t’ai même appelé ! » souligna son jumeau.
« Ouais ouais, je me disais bien que tu m’appelais pas pour prendre mes nouvelles mais parce que tu voulais que je prenne des tiennes. » le taquina Avalon en riant.
« T’as pas de preuve de ça. » contra Galaad, amusé. « Je dois te laisser justement, j’ai dit à Alisha que je passerais la chercher à son boulot. On se rappelle ? »
« Promis. » fit toutefois Avalon avant de raccrocher et de ranger son téléphone dans son sac.

Le cœur léger et le sourire aux lèvres, elle pénétra dans un le club sportif quelques minutes plus tard. Elle salua avec enthousiasme l’agent d’accueil, avant de gagner les vestiaires pour passer sa tenue de sport. Legging noir, brassière de la même couleur, chaussures blanches, Avalon rassembla ses cheveux en une queue de cheval haute avant de rejoindre la salle, ses gants de boxe bleus à la main. Elle balaya le lieu du regard pour constater qu’Emrys – son partenaire depuis plusieurs années maintenant – n’était pas encore arrivé, et se mit à s’échauffer les épaules, puis les poignets, avant d’effectuer dans le vide plusieurs coups d’abord de poings, puis de pieds.

Finalement, Emrys finit par arriver, avec une excuse qui lui tira un sourire en coin. Sans le regarder, elle répondit :

« Tu devrais contacter les syndicats, sérieusement. Y a des horaires à respecter dans tous les métiers… ça commence comme ça, et demain elle te colle une réunion à huit heures. »

Un rire la secoua, et elle se tourna vers Emrys pour lui faire face. Les choses avaient changées depuis la première fois qu’ils s’étaient rencontrés, dans une soirée un peu trop arrosée, ou lorsqu’ils s’étaient retrouvés sur un ring de boxe – souvenir particulièrement marquant qu’Avalon n’hésitait pas à rappeler à son partenaire. Elle appréciait particulièrement leurs entraînements où ils étaient tous les deux capables d’abandonner leurs statuts professionnels pour se donner à leur maximum sans retenir leurs coups.

« J’espère que t’es pas trop crevé, c’est free fight aujourd’hui. » fit remarquer Avalon en enfilant ses gants de boxe et en se rapprochant des sacs qui étaient suspendus au plafond.

La réponse d’Avalon fit naître un sourire en coin sur le visage d’Emrys concentré sur ses échauffements. Il tourna vers elle un regard complice et haussa les épaules.

« Chaque métier demande ses sacrifices… Et la réunion à huit heures est pour après-demain, dit-il en effectuant différents mouvements destinés à délier les articulations de ses jambes. Mais ça va, je le vis bien, je n’ai pas encore contacter les syndicats. »

Charrier Avalon sur ce qu’elle pouvait exiger de ses équipes était l’un de ses passe-temps favori – comme beaucoup de ses collègues il avait l’impression – mais ces boutades restaient strictement dans le cadre de l’humour. Emrys n’avait rien à redire sur l’ancienne lieutenant et sur son travail. Elle était droite, juste, elle savait gérer une équipe et jamais il ne l’avait contredite dans son autorité. Et encore heureux, songea-t-il avec une pointe d’amusement. La jeune femme n’était assurément pas du genre à se laisser dicter quoique ce soit et encore moins à laisser son équipe remettre en cause ses ordres sans rien dire. Il savait de vécu qu’Avalon pouvait retourner un homme plus grand et plus lourd qu’elle avec une facilité effrayante alors il valait mieux éviter de l’énerver.

Emrys enfila ses gants qu’il avait noué entre eux pour les porter autour du cou et s’approcha d’un sac de sable suspendu au plafond. Ce qu’il appréciait aussi dans ses entraînements avec Avalon était l’amitié qu’ils avaient tissée. Loin de Poudlard où ils ne s’étaient que croisés sans vraiment se parler ou encore loin des conditions de leur première rencontre, ils avaient l’opportunité de partager des moments à l’écart du Ministère qui leur faisaient le plus grand bien au mental et qui, par la force des choses, leur avaient permis de mieux se connaître et d’apprendre à se faire confiance. Ils avaient ainsi réussi à construire un lien à la fois professionnel et amical qui fonctionnait très bien et grâce auquel ils pouvaient passer de sujets sans importance à d'autres beaucoup plus sérieux.

« Je suis toujours en forme, répondit-il à Avalon qui l'informait que du freefight était au programme du jour. Mauvaise nouvelle pour toi, ajouta-t-il en lui coulant un regard moqueur. J'aime bien le freefight en plus. »

Plutôt que d'être cantonné à une discipline en particulier et à ses règles, le freefight lui laissait plus d'opportunités d'attaque et de défense. Mais cette manière de faire pouvait être aussi dangereuse car propice à l'égarement. Or, il se doutait qu'Avalon avait souvent une stratégie d'attaque en tête, songea le milicien en donnant quelques rapides coups de poings dans le sac devant lui.

« Alors ? Il s'arrêta quelques secondes pour rééquilibrer le sac qui se balançait légèrement sur sa chaîne. Tu imagines que tu frappes qui aujourd'hui ? »

Lui, il voyait le visage de l'homme qui l'avait doublé à la cantine du ministère le midi même.

Avalon répondit au commentaire d’Emrys avec un léger sourire railleur, en reprenant son échauffement pour faire travailler un peu ses épaules. Elle ne s’était jamais formalisée des remarques moqueuses de ses hommes quant à ses méthodes de travail, d’abord parce qu’elle savait bien qu’elles se fondaient surtout sur la sympathie qu’elle leur inspirait, et ensuite parce qu’il y avait, au sein de leur équipe, un respect mutuel dont chacun avait conscience. Avalon répondait donc volontiers aux blagues de ses officiers en les chambrant à son tour – et en soulignant qu’elle pouvait désormais réduire leurs primes s’ils se montraient trop insolents.

A vrai dire, Avalon préférait entretenir des bons rapports avec son équipe. Ils n’étaient pas nombreux aux Renseignements – le plus gros des effectifs remplissait les rangs de la brigade des Interventions, pour des raisons évidentes – mais il était nécessaire que chacun puisse compter sur son prochain dans les missions qu’elle leur confiait et dans lesquelles elle intervenait également. Elle considérait qu’un bon climat était bien plus propice au développement des rapports de confiance. Et puis, n’était pas Danielle Coleman qui le voulait ; Avalon était naturellement chaleureuse : s’imposer un masque de froideur ne lui aurait pas rendu service.

« Pour moi ? » releva-t-elle dans le discours d’Emrys en serrant ses gants de boxe autour de tes poignets. « Tu prends vite la confiance toi. »

Cette petite rivalité qu’elle entretenait avec Emrys avait toujours rendu leurs combats particulièrement intéressants, et Avalon se réjouissait de pouvoir affronter son collègue, qui était un adversaire de taille. Elle admettait qu’il s’était grandement amélioré depuis leur première rencontre fortuite dans ce club de boxe moldu, où elle lui avait fait mordre la poussière à lui et à son égo typiquement masculin. Elle était aussi d’avis que son niveau restait, même aujourd’hui, considérablement supérieur au sien.

En attendant, pour s’échauffer, Avalon enchaînait les directs droits, gauches, et différents coups de pied qui trouvaient leur cible sur l’épais sac noir. Selon un enchaînement habituel, elle se mit à sautiller entre ses coups pour augmenter doucement son rythme cardiaque. Le commentaire d’Emrys lui tira un nouveau rire.

« Hum… » son poing s’écrasa contre le sac. « Mes officiers qui se syndiquent ? » tenta-t-elle avec un sourire en coin. Elle enchaîna deux chassés latéraux du pied gauche, avant de reprendre : « Non, définitivement le type qui a pris la dernière mousse au chocolat à midi. Qui fait ça ? » interrogea-t-elle dans le vide, en poursuivant son échauffement.

Bientôt, la fin sonore de leur entraineur – un certain Edward, que tout le monde appelait Eddy – résonna dans la salle.

« Bonjour à tous ! Vous pouvez vous mettre par deux, on va commencer le cours par retravailler la précision de vos coups, j’en ai marre de vous voir frapper n’importe comment en freefight. » Il attrapa un élève à sa gauche et le fit se mettre en position. « Vous enchaînez dix fouettés jambe gauche en ligne médiane ou haute. Celui qui en est en face pare ou esquive. » Il rajouta, avec un petit sourire en coin : « A la fin de la série, vous faîtes une minute de gainage, puis vous tournez. Celui qui est en face à intérêt à bien esquiver : ce sera une minute supplémentaire de gainage pour lui à chaque fois qu’il est touché. »

Avalon secoua doucement la tête – cela ressemblait bien à la torture hebdomadaire à laquelle elle s’inscrivait depuis dix ans.

« Tu commences ? » proposa-t-elle à Emrys.

" - Non, définitivement le type qui a pris la dernière mousse au chocolat à midi. Qui fait ça ?
- Clairement, j'en serais capable, avoua Emrys entre deux coups de genoux. Quoi ? se défendit-il en avisant le regard que lui lança Avalon. Frère, une mousse au chocolat ! Jamais je laisse ça à quelqu'un d'autre."

Et il était sûr qu'Avalon partageait son avis, en sa qualité de grande gourmande.

Leur entraîneur, Eddy, sonna bientôt le début du cours et leur expliqua aussitôt le premier exercice - de torture - auquel ils allaient devoir se plier. Les binômes se formèrent et prirent place, tous amusés par la dernière règle qu'ajouta Edward. Emrys avait tout intérêt à bien gérer s'il ne voulait pas se retrouver à faire environ dix minutes de gainage en plus car, connaissant Avalon, elle ferait tout pour le faire souffrir un peu plus.

"Vas-y," dit-il quand sa partenaire lui proposa de commencer, déterminé à lui faire faire plus de gainage que prévu.

Le milicien se mit en garde, fort sur ses appuis, avant de basculer son poids du corps sur sa jambe de terre et d'enchaîner ses dix fouettés gauche. Sans grande surprise - mais ce qui agaça quelque peu Emrys - Avalon se défendit à la perfection et elle ne lui laissa pas le plaisir de faire des minutes de gainage supplémentaires, non sans arborer un petit air satisfait. Les deux partenaires inversèrent les rôles et le milicien dut se défendre face aux chassés précis et rapides de sa collègue.

"Putaiiiin !" lâcha-t-il lorsqu'elle le surprit en le touchant en plein flanc. Elle était trop énervante, forte et douée, mais énervante.

Un air désabusé sur le visage contrecarré par un petit sourire amusé, il se positionna ensuite pour subir trois putain de minutes de gainage - car oui, Madame-Avalon-je-suis-une-boxeuse-pro avait réussi à le toucher deux fois - sous les moqueries de cette dernière. Il lui ferait payer, sur la tête de sa mère qu'il lui ferait payer.
Eddy ordonna ensuite de refaire le même exercice pour les chassés jambe droite ce coup-ci et, comme si l'univers voulait le voir pleurer, Emrys dû subir une minute de plus de gainage. Par Merlin pourquoi le temps semblait-il alors si long ? Entre ses abdominaux ou son ego, il ne savait pas vraiment ce qui le faisait souffrir le plus lorsqu'il se redressa face à Avalon en grimaçant.

"Sérieusement, c'est quoi ces jambes ?" articula-t-il en désignant les jambes fines et musclées de sa partenaire.

Il râlait pour la forme mais au fond, la situation l'amusait beaucoup et il savait que, mine de rien, il s'était bien défendu : s'ils avaient exécuté cet exercice à ses débuts elle l'aurait probablement touché à tous les coups et puis, en toute modestie, il y avait des personnes dans la salle qui, face à Avalon, n'auraient pas mieux fait.
Il but une gorgée de sa bouteille d'eau, une main posée sur ses abdos qui le brûlaient encore, tandis que la voix de l'entraîneur s'élevait dans la salle.

"Bien ! Il y a des progrès chez tout le monde mais j'en vois encore qui sont trop fragiles sur leur défense, sérieusement un môme de 10 ans pourrait vous faire tomber. Il y eut quelques rires parmi les binômes puis Eddy attrapa le même élève que précédemment pour leur donner un deuxième exercice. Après les jambes : les bras. Vous m'enchaînez dix coups du gauche, ce que vous voulez je m'en fous, puis dix… Non. Vingt pompes et, pareil, c'est une pompe de plus si vous êtes touchés. Allez au boulot !"

Le corps déjà bien échauffé, Emrys se remit en place, fit rouler ses épaules et leva ses poings gantés en garde devant son visage.

"A toi l'honneur," lança-t-il à Avalon avec un sourire en coin.

« En fait ton problème à toi c’est que t’as pas de race. » commenta Avalon en haussant les sourcils. Un sourire finit par éclairer son visage. « Mais clairement j’aurais fait pareil. »

Parce qu’il y avait certains sujets sur lesquels on ne plaisantait pas et, vraiment, tout ce qui concernait de près ou de loin le sucre en faisait partie.

Heureusement pour la santé d’Avalon, sa pratique sportive parvenait à la maintenir dans une bonne condition physique, qui lui permettait des écarts réguliers dans son régime alimentaire – et par « écarts réguliers » elle entendait plutôt « quotidiens, fréquents et répétés. » En revanche, elle pouvait compter sur Eddy pour lui faire éliminer l’intégralité des calories qu’elle avait ingéré sur les dernières vingt-quatre heures ; voire pousser ses limites tellement loin qu’elle frôlait le malaise hypoglycémique – oui, rien que ça. Et cette séance n’y échappa pas, puisque leur entraîneur les lança sur un échauffement où il éveilla déjà leurs esprits de compétition. Comme il en fallait peu pour titiller ceux d’Avalon et Emrys, les deux partenaires se lancèrent dans l’exercice avec des regards déterminés, brillants d’une fierté immense qu’ils partageaient.

Rompue à la pratique de la boxe depuis plus de dix ans, Avalon para sans difficulté les coups qu’Emrys lui porta. Elle échappa ainsi au malus qui était susceptible de les attendre à la fin de l’exercice. Satisfaite d’elle-même, la jeune femme laissa un sourire insupportable s’étirer sur ses lèvres, alors qu’elle considérait Emrys avec un regard sérieux. Décidée à gagner totalement cette première petite épreuve, Avalon s’appliqua dans les coups qu’elle donna à son tour, touchant Emrys à deux reprises au niveau de la taille. Elle le laissa donc accomplir seul deux minutes de gainage supplémentaires, non sans l’embêter un peu :

« C’est long, trois minutes, quand même. »

C’était d’autant plus long qu’il dut en refaire deux à la fin du second exercice qui les opposa. Ravie d’avoir le dessus sur Emrys, Avalon ne cacha pas sa satisfaction, et esquissa même un rire à la remarque de son collègue :

« Les mêmes qui t’ont foutu à terre la première fois que t’es venu ici. » souligna-t-elle simplement, avant de l’aider à se relever.

Ils n’eurent pas un très long moment de répit ; leur entraîneur les remit immédiatement sur un nouvel enchaînement, agitant encore la possibilité d’un malus à la fin. Avalon se remit en position, ajustant ses gants sur ses mains. Elle capta le regard d’Emrys, visiblement décidé à se venger, et sa concentration augmenta d’un cran ; il y avait certaines choses avec lesquelles Avalon ne plaisantait pas, et la compétition en faisait partie. Elle toucha trois fois son adversaire – deux crochets et un direct – enchaîna vingt pompes en sentant son cœur s’accélérer dans sa poitrine, et se mit en garde pour parer les coups d’Emrys. Qui ne l’atteignit pas une seule fois.

Evidemment, un sourire satisfait étirait les lèvres de la jeune femme lorsque l’exercice prit fin. Elle fut d’ailleurs incapable de retenir un : « Tu veux qu’on change d’adversaire pour avoir une chance de gagner ? » parfaitement insupportable.

Vraiment, Avalon adorait gagner.