On compose sa famille [James & Marlene]

6 avril 2011

Les Carter vivaient dans une base militaire en banlieue de Londres, dans une de ces maisons qui ressemblaient en tout point à celle d’à côté. Même porte d’entrée, même agencement, même jardin. Quand James était adolescent et qu’il rentrait pour les vacances, il était toujours surpris, voire un peu choqué, de ce décor similaire presque absurde auquel il s’était pourtant habitué pendant de longues années avant d’entrer à Poudlard. Maintenant qu’il vivait dans un monde où des serpentins pouvaient flotter dans les airs, où des petits gnomes peuplaient les jardins et des sirènes vivaient dans les profondeurs des lacs, le jeune homme éprouvait une certaine difficulté à comprendre le mode de vie adoptée par ses parents, et par leurs parents avant eux. Mais Sophie et Henry se plaisaient dans cette maison. Un jour, James avait posé la question à sa mère, au détour d’un repas, pour savoir si elle ne se sentait pas un peu étrangère dans des murs si semblables à ceux de leurs voisins. Elle lui avait répondu avec un sourire un peu doux que, quand on prenait l’habitude de déménager souvent, on ne voyait plus son logement de la même façon.

Henry, quant à lui, aimait ce qui ressemblait aux autres, à la majorité, à la norme. Il n’était pas à l’aise avec la différence, parce qu’il ne savait pas comment agir avec elle. Quand son fils avait développé des talents magiques et qu’une femme à la longue robe violette était venue lui expliquer qu’il devait aller étudier avec ses semblables, Henry l’avait traité de folle. Quand elle avait fait danser la quadriller à son canapé, il était devenu livide.

James et Henry ne s’était pas toujours très bien entendu. Ils s’aimaient, mais ils avaient des difficultés à se parler et à se comprendre, comme s’ils parlaient deux langages différents sur deux fréquences différentes. Sophie les rassemblait ; elle avait toujours eu ce pouvoir d’unifier leur famille, malgré tout. Depuis que James avait pris son envol, qu’il habitait seul et qu’il était plus ou moins indépendant financièrement, ses relations avec ses parents s’étaient apaisées ; lorsqu’il leur avait fait part de sa décision de quitter son poste d’ambulancier pour ouvrir un bar, d’autres tensions étaient apparues.

Pourtant, le Hufflepub fonctionnait bien. Grady et lui se tuaient au travail, ils fermaient tard, les yeux cernés par la fatigue, mais ils savaient qu’il s’agissait d’un passage obligatoire pour faire connaître leur établissement et le rendre populaire auprès de leurs clients. Ils profitaient des moments plus calmes et de leur jour de fermeture pour assurer le côté administratif. Ce soir cependant, James était rentré chez ses parents, accompagné de Marlene, pour fêter l’anniversaire de sa grande sœur, Eleanor, qui n’était pas encore arrivée. Henry et Sophie étaient sortis faire les courses, laissant à James et Marlene la lourde tâche de s’occuper de la décoration – James suivait les directives de Marlene et pliait des serviettes en papier qui avaient, finalement, l’air plus chiffonnées qu’autre chose. Il poussa un soupir en déposant ce qui devait ressembler à un cygne au milieu d’une assiette en porcelaine, et se leva pour enlacer sa petite-amie par la taille, pressant son dos contre son torse. Il déposa un baiser dans le creux de son cou et souffla à son oreille :

« Marly, je suis incapable de faire des cygnes en papier, j’espère que tu m’aimes quand même. »

C’est avec beaucoup d’application que Marlene s’occupait de son ouvrage. Ses doigts fins pliaient et repliaient le tissu dans l’espoir d’y faire naître un cygne. Derrière les fenêtres du salon, l’après-midi commençait à décliner. La famille de James se rassemblait ce soir pour célébrer l’anniversaire d’Eleanor, sa soeur aînée, et Marlene avait été conviée, ce qui l’avait ravie. Elle aimait beaucoup sa belle-famille, elle aimait passer du temps avec eux et elle avait l’impression que c’était plutôt réciproque. Elle avait été sincèrement heureuse de pouvoir les fréquenter de nouveau lorsque James et elle s’étaient remis ensemble (même si évidemment, elle ne l’avait pas fait pour cela.) Alors quand Sophie - sa belle-mère - leur avait demandé s’ils pouvaient s’occuper de la décoration tandis que son mari et elle partaient finaliser les courses, elle avait évidemment acquiescé. Et comme Marlene n’en faisait jamais trop, elle avait décidé qu’ils allaient plier les serviettes en origami, accrocher quelques guirlandes, mettre une jolie table, assez de bougies pour éclairer le plafond de la Grande Salle. La petite subtilité était qu’elle avait lu, il y a quelques mois, comment plier les serviettes pour en faire quelque chose de joli... Mais elle n’était pas certaine de s’en rappeler en détails. Disons que son cygne avait l’air d’avoir fait une malencontreuse rencontre avec un pédalo.

Elle vit du coin de l’oeil James se lever et sentit ses bras se glisser autour de sa taille, en même temps que ses lèvres dans son cou. Elle lâcha sa tentative de pliage sur la table et eut un sourire, ses mains cherchant celles de son petit-ami. Sa remarque la fit rire et elle tourna la tête vers la place où était assis James quelques secondes auparavant : effectivement, sa serviette n’avait pas fière allure.

- Je pense que je peux passer au dessus de cela, je t’aime avec tes défauts, tu sais.

Elle referma les doigts sur sa propre réalisation pour la porter à hauteur de leurs visages.

- En plus, je ne suis pas très douée non plus.

Elle laissa retomber le pauvre cygne qui s’écrasa - plus qu’il ne voleta - sur la table, avant de se retourner vers James, glissant ses bras autour de son cou.

- On fait un couple nul en origami, c’est la triste vérité.

James n’était pas très talentueux lorsqu’il s’agissait de réaliser des travaux manuels de précision. Il était capable de peindre un mur à peu près correctement – de toute façon, il avait bien dû apprendre lorsqu’ils avaient repeint le local du Hufflepub – mais dès qu’il s’agissait de jolis pliages ou de peinture délicate, il n’était pas particulièrement assidu. Preuve en fut la façon dont il abandonna sa serviette un peu chiffonnée – même si le bec du cygne était plus réussi – pour aller enlacer sa petite-amie occupée elle aussi dans un ouvrage similaire. Sa remarque lui tira un rire qui s’étouffa au creux de son cou.

« Ah, je suis soulagé de l’apprendre, je pensais que ça cygne-erait la fin de notre histoire… » - Marlene l’aimait surtout beaucoup pour son humour.

Quoiqu’il en soit, elle ne faisait pas beaucoup mieux que lui, constata-t-il en observant son œuvre d’un regard critique, qui s’écrasa dans une assiette blanche. Il accueillit son étreinte avec un sourire et un regard malicieux en refermant ses bras dans son dos.

« Je crois qu’on peut objectivement abandonner l’origami. » déclara-t-il d’un ton grave. « Et faire une croix sur les cygnes et les fleurs, et les flocons… » Il haussa les épaules. « On va devoir apprendre à vivre sans. »

Ce qui n’était pas une telle peine, quand on y réfléchissait bien.

« De toute façon, » poursuivit James, « avec toutes les bougies qu’il y a sur la table, on aurait sûrement fini par mettre feu à notre basse-cour en papier, et ça aurait été un véritable drame. » Un mal pour un bien, au fond.

Le jeune homme se pencha pour voler un baiser à sa petite-amie et jeta un dernier regard aux serviettes.

« Au pire, on peut juste les mettre dans les assiettes, et s’accorder une pause bien méritée avant d’être réquisitionnés pour la cuisine ? »

En toute honnêteté, Marlene pouffa devant le jeu de mot de James. Mais il aurait été difficile de dire si c’était de rire ou bien de consternation. Elle eut un vague hochement de tête dans le même temps et son regard pétillant croisa les yeux bruns de son petit-ami.

- Tu sais, avant la septième année, t’entendre faire cette blague m’aurait exaspérée.

Parce qu’ils avaient un long passif de mépris mutuel et d’agressivité, qui avait fini par se solder étrangement dans leur collaboration en tant que préfets-en-chef. Maintenant, elle le trouvait merveilleusement drôle (la plupart du temps ; elle n’était pas amourachée comme l’était Grady, voyons.) Il lui tira d’ailleurs un rire lorsqu’il déclara avec gravité qu’ils allaient devoir abandonner l’origami. Elle jeta un coup d’oeil à leurs pauvres réalisations, le bec pendant et les ailes abîmées. Ils allaient devoir enlever cela de la table pour qu’elle retrouve un peu de grâce. C’était quand même l’anniversaire d’Eleanor, il fallait faire un petit effort et ne pas lui offrir des serviettes en papier qu’on aurait pu croire tirées de la corbeille.

- On va devoir se trouver une autre activité de couple, fit-elle mine de soupirer. Une qui n’impliquait peut-être pas de risques d’incendies, comme le soulignait James. Elle avait disposé énormément de bougies dans la pièce et nous n’étions jamais à l’abri d’un drame, surtout avec la présence de la petite fille d’Eleanor, qui était à l’âge où on aime toucher à tout.

- Oui, évitons de faire un feu de joie pour l’anniversaire de ta soeur... Il lui vola un baiser qui la laissa ravie. On a encore des choses à faire, protesta-t-elle pour la forme, mais il est vrai qu’on va sûrement être exploités en cuisine alors... Il fallait ménager leurs forces. Elle attrapa sa baguette magique qui était dans la poche arrière de son jean et se détacha de James. Un mouvement circulaire du poignet et un sort murmuré suffirent à ce que les pauvres serviettes maltraitées décollent de leurs assiettes, se secouent pour se débarrasser des plis et se reposent sagement, pliées en deux, sur la porcelaine. Hop, lança-t-elle avec satisfaction.

Elle remit sa baguette sans sa poche, sa main dans celle de James et l’entraîna vers le salon voisin. Les parents de James ne seraient sûrement pas ravis de les trouver dans le canapé, aussi se mit-elle de manière à avoir la fenêtre qui donnait sur l’allée en vue. Ainsi, ils pourraient avoir l’air affairé lorsque la voiture se garera devant la maison. Bien calée contre un coussin, elle eut un sourire pour son petit-ami et glissa sa main sur sa joue pour qu’il se rapproche d’elle. Ils échangèrent un baiser avant qu’elle ne souffle, la pensée lui traversant l’esprit :

- On a pensé à prendre les cadeaux ? 

« Et maintenant elle t’enchante, c’est le pouvoir incroyable de l’amour. » expliqua James avec un sourire en coin lorsque Marlene commenta son trait d’humour merveilleux.

Il était vrai que Marlene et lui n’avaient pas eu des relations particulièrement apaisées ; ils ne s’étaient jamais vraiment appréciés, depuis leur toute première année, pour une sombre raison qu’il n’était plus sûr de connaître aujourd’hui. Ils avaient eu des mots très durs l’un pour l’autre lorsqu’ils se disputaient à Poudlard. Puis ils avaient été nommés tous les deux préfets-en-chef, et ils avaient été obligés de collaborer, jusqu’à que cette animosité n’est plus lieu d’être et ne soit plus entretenue par de vieilles rancœurs. Alors, enfin, ils avaient réussi à développer l’un et l’autre des sentiments positifs, d’abord teintés d’amitié, puis très rapidement d’amour.

Sa relation avec Marlene était incompréhensible, mais il aimait cela. Il aimait avoir mis des années à découvrir une évidence qui s’était trouvée sous son nez depuis tout de ce temps. Ils étaient tous les deux très différents l’un de l’autre, et, s’ils devaient faire parfois de véritables efforts pour comprendre l’autre, ils s’apportaient aussi beaucoup mutuellement.

« Le bridge ? » proposa James en haussant les sourcils. « Comme ça on prépare aussi notre retraite, et comme je sais que tu aimes les hommes prévoyants… » la taquina-t-il.

Parce que Marlene était prévoyante, et appliquée, et consciencieuse, et qu’elle faisait de jolis plannings (qu’il ne perdait pas), et qu’elle avait un code couleur très précis pour tout. James était bien plus partant de l’improvisation. Finalement, ils se complétaient plutôt bien.

« Exactement, et crois-moi il vaut mieux se reposer avant d’être de corvée de pommes de terre pendant la prochaine heure. » fit noter James en observant les serviettes se plier correctement dans les assiettes.

Marlene sembla sensible à cet argument, puisqu’elle saisit sa main et l’entraîna à sa suite dans le salon voisin à la salle à manger. Ils se laissèrent tomber sur le canapé, et le contact de la main de Marlene contre sa joue lui tira un sourire. James se rapprocha d’elle pour capturer ses lèvres en un long baiser, qui fut coupée par une question impromptue de sa petite-amie.

« Ils sont dans ma chambre, » répondit James en désignant d’un mouvement de la tête l’étage supérieur de la maison. « Les boucles d’oreilles pour Ele, et le cadeau pour Audrey. »

Ce n’était pas l’anniversaire de sa filleule mais James était un parrain plutôt incapable de résister à la tentation de gâter la petite-fille, en dépit de protestation légitime de sa mère.

« Ne t’en fait pas, tout est prêt pour ce soir. » souffla-t-il en glissant à son tour sa main sur la joue de Marlene. « Ça me rend vraiment heureux que tu sois là. »

- Incroyable, effectivement... Puis Marlene fronça les sourcils et fit mine de s’offusquer. Tu sais que les philtres d’amours sont interdits, hein ? Tu as vu les campagnes du Ministère ?

Il fallait sûrement une potion illicite pour rire à cette blague sur les cygnes, c’était son verdict final. Heureusement, James avait plein d’autres qualités, comme ses abdos. Songeant à la tête que son petit-ami ferait s’il l’entendait faire cette blague, elle sourit, sourire rapidement amplifié par sa proposition de faire du bridge à deux. Ça, c’était une image.

- Alors déjà maintenant ça m’évoque surtout une prothèse dentaire... Et ensuite, effectivement, c’est très sexy un homme prévoyant, surtout s’il fait du bridge, c’est vraiment l’atout charme des seniors !

Enfin, elle imaginait. Elle n’avait pas non plus très envie de disserter sur les charmes des personnes âgées. Et elle espérait bien que s’ils avaient la chance de passer leur retraite ensemble, James et elle, ils auraient des loisirs un peu plus passionnants que le bridge. Comme le jardinage. Ou bien les croisières. En attendant cet avenir un peu morose, ils n’avaient que vingt ans et une longue corvée d’épluchage de pommes de terre qui les attendait. Encore un truc que leurs pères avaient en commun, d’ailleurs, cette passion pour faire éplucher des choses à leurs enfants.

Ils avaient donc raison d’anticiper un repos bien mérité, confortablement installés sur le canapé. Elle aimait le sentir si proche d’elle et elle attrapa l’une de ses mains après le long baiser qu’ils échangèrent, entremêlant ses doigts aux siens. Elle hocha la tête lorsqu’il répondit à sa question, affirmant qu’il avait effectivement pensé aux cadeaux pour sa soeur - et sa nièce. Il ne pouvait pas s’en empêcher : à chaque fois qu’il la voyait, il voulait lui offrir quelque chose. Il était un tonton gaga. Elle trouvait ça vraiment adorable. Il pensait toujours aux autres, il était généreux et plein de considération pour sa famille. Elle eut un geste tendre pour lui, portant sa main à ses lèvres pour y déposer un baiser. Il caressa sa joue en retour et elle lui sourit.

- Je suis vraiment contente d’être là aussi, j’aime beaucoup ta famille, ils sont adorables avec moi... Et puis j’aime bien faire partie de ce côté-là de ta vie.  Elle relâcha sa main pour la glisser à l’arrière de sa nuque, l’invitant à se rapprocher un peu plus d’elle. Elle se glissa contre lui pour l’embrasser longuement. Je t’aime tout court, d’ailleurs, finit-elle par murmurer après quelques secondes.

« Attends de voir mon déhanché avec une canne, ça ce sera mon véritable atout de charme. » prédit James avec un sourire moqueur.

Pouvoir avoir des discussions aussi légères avec Marlene, sur leur futur – et même un futur si lointain qu’ils porteraient des prothèses dentaires, marcheraient avec des cannes et seraient un redoutable duo au bridge – avait quelque chose de très réconfortant après les mois difficiles qu’ils avaient passé, séparés l’un de l’autre. James avait retrouvé avec plaisir leurs petites joutes verbales, tous ces moments qu’ils passaient ensemble – parfois, ils travaillaient simplement côte à côté en silence (enfin, James essayait de rester silencieux, mais il adorait parler en travaillant, et Marlene détestait ça) – et tous ces baisers qu’ils échangeaient tout au long de la journée, lorsque Marlene venait se blottir contre lui.

Et c’était d’ailleurs sur cette dernière activité que James était particulièrement concentré, ses lèvres scellées à celles de Marlene et ses doigts glissés dans ses cheveux bruns. Sa question – incongrue et qui pourtant, James le savait, suivait un cheminement intérieur très logique pour la jeune femme – lui tira un sourire aussi amusé que tendre. Et, peut-être était-ce ce baiser qu’ils venaient d’échanger, cette matinée qu’ils avaient passé ensemble, ou le fait qu’elle l’accompagne à nouveau dans des moments qu’il passait en famille, mais James eut pour sa petite-amie quelques mots d’amour très tendres, très doux, qui semblèrent trouver écho en elle.

Les yeux de James, qui ne lâchaient pas ceux de Marlene, brillaient d’un amour qu’il ne contenait pas, tout expansif qu’il était. Il accueillit ses paroles, puis son baiser, avec un sourire qu’il ne lui offrait qu’à elle. Merlin qu’il aimait cette femme.

Fort de cet amour, James, d’une pression de la main, rapprocha encore un peu Marlene de lui, pour approfondir leur baiser. Ses mains s’égarèrent dans son dos, remontèrent jusqu’à ses cheveux, se perdirent sur la peau veloutée de ses joues. Pendant un temps, plus rien ne compta, si ce n’était cette étreinte familière, exquise.

Le retour à la réalité fut bien plus brusque.

« Hum, hum. » Une voix féminine, malheureusement bien connue, se fit entendre dans le salon. James se détacha brusquement de sa petite-amie. « Hé bien. » Sa mère les observa tous les deux. Elle avait l’air très amusée – James, lui, était bien plus embarrassé. « Vous ne nous avez pas entendu entrer, je suppose. »

Marlene se sentait toute pleine d’amour pour James. Ses plaisanteries, ses mots doux, ses baisers, ses étreintes... Elle était bien, là, à le serrer dans ses bras. Elle lui offrit un sourire alors qu’il la rapprochait de lui, dans un baiser amoureux. Elle se laissa aller dans cette bulle de douceur, savourant ses caresses, la douceur de sa peau et sa chaleur. Elle glissa ses mains dans son dos, effleurant sa peau, ses cheveux, sa nuque. Ils s’abandonnèrent un long moment dans ce câlin, elle en perdit la notion du temps. Elle aurait pu rester là des heures et des heures encore, juste à embrasser James.

Ce fut une voix familière qui vint brusquement les interrompre. Marlene se redressa vivement, en même temps que James, les joues cramoisies. Sa belle-mère se trouvait face à elle, un air plutôt amusé sur le visage. Le père de James ne tarda pas à rentrer juste derrière, chargé de courses. Même si la maman de son petit-ami ne semblait pas vraiment dérangée, Marlene avait plutôt envie de s’enterrer. Elle avait beau connaître les Carter depuis quelques années désormais, et fréquenter leurs fils depuis aussi longtemps, elle restait plutôt pudique et savait quand même se tenir. Ce n’était pas dans ses habitudes de se faire surprendre en train de bécoter James sur le canapé de sa belle-famille.

- Oh, pardon, s’excusa-t-elle, on avait fini de préparer la table alors...

Alors ils s’occupaient autrement ? Non, quelle mauvaise formulation.

Il y avait, dans une vie, des situations qu'il était particulièrement désagréables de vivre. Une humiliation devant la classe par un professeur aux tendance un peu sadiques. Une pénurie de chips au moment de l'apéro. Une rencontre avec un homme nu au milieu d'une cuisine. L'irruption de sa mère dans le salon où il était très occupé à embrasser Marlene.

Eh bien. Voilà qui était fâcheux.

Marlene, les joues rouges, s'excusa immédiatement, d'une façon un peu maladroite qui n'échappa à Sophie Carter, dont le sourire s'accentua. Henry, plus impassible, commenta :

"J'imagine que vous avez mis autant d'ardeur dans la préparation de la table de ce soir."

James secoua la tête, fortement embarrassé, en songeant fugacement qu'il était plutôt heureux que cette mésaventure ne soit pas arrivée chez Marlene ; il pouvait mettre sa main à couper que le premier réflexe de Nicholas aurait été de le tuer.

"Bon allez," trancha Sophie. "On a beaucoup de choses à faire pour que tout soit prêt pour l'arrivée de ta soeur." Elle frappa dans ses mains. "J'ai des légumes à éplucher pour vous, les enfants !"

"Maman, tu sais que je pourrais ensorceler un économe pour qu'il épluche seul les légumes ?" fit James en se relevant. Il tendit une main à Marlene pour l'aider à faire de même.

"Et où serait le plaisir du travail accompli, alors ?" argua-t-elle en retour.

Peu convaincu, James invita Marlene à le suivre dans la cuisine. Il semblait bien que leur pause - pourtant bien méritée - venait de prendre fin

La petite phrase du père de James, pourtant prononcée sur un ton égal, mortifia un peu plus Marlene. Elle avait toujours été d’un tempérament pudique, James et elle se retrouvaient d’ailleurs dans cette valeur, et il n’était pas d’usage pour elle de se laisser aller à des moments d’intimité devant sa famille ou sa belle-famille. Heureusement, la mère de James mit fin à leur supplice en tapant dans ses mains, les invitant à venir éplucher des légumes - comme son petit-ami avait pu l’anticiper. Elle attrapa la main tendue de James pour se relever du canapé - remettant son haut bien en place au passage, le plus discrètement possible - souriant devant sa petite remarque. Effectivement, s’embêter à éplucher trois kilos de pommes de terre pouvait sembler un peu dérisoire quand on était un sorcier et qu’un économe pouvait le faire pour nous. Mr et Mrs Carter, comme son propre père d’ailleurs, étaient clairement peu en accord avec cette philosophie de pensée.

- Le plaisir du sortilège accompli, badina Marlene à voix basse, pour n’être entendue que de James.

Elle retint une grimace en arrivant dans la cuisine, devant les quantités de produits prévues par Sophie. Et bien, il y avait littéralement de quoi nourrir un régiment... Mais, en jeune fille bien élevée, elle se contenta d’attraper deux économes pour en tendre un à son petit-ami. Ses mains étaient occupées à peler des des carottes avec une rapidité plutôt surprenante mais elle ne manqua pas de relancer la conversation.

- Qu’est-ce que vous offrez à Eleanor ce soir, Mrs Carter ?

James retourna à Marlene un regard complice, mais ne se fatigua à argumenter avec sa mère. Ses parents n'avaient jamais vraiment réussi à s'adapter au fait que leur fils était un sorcier, qu'il vivait dans un monde complètement différent du leur, qu'il était capable de disparaître pour réapparaître des centaines de kilomètres plus loin, qu'il pouvait ensorceler un couteau pour éplucher les légumes. Son père était profondément sceptique de cet univers, sa mère l'était moins, mais ne s'en intéressait pas beaucoup plus. Ils ne comprenaient pas, et James ne pouvait pas vraiment leur en vouloir ; à leurs yeux moldus, rien de ce qu'il leur racontait ne faisait sen. Alors, lorsqu'ils se voyaient, James évitait de leur parler du dernier match de Quidditch auquel il avait assisté ou de ce jour où il avait été voir Grady au refuge et qu'il avait aperçu des licornes. Il choisissait son récit en fonction de ce qui ferait sens pour ses parents ; pendant longtemps, il avait évoqué avec eux ses interventions avec Ste Mangouste, du temps où il était encore ambulancier.

James préféra ne pas remettre sur le table l'éternel sujet de ses pouvoirs magiques, et attrapa l'économe que Marlene lui tendait pour éplucher à son tour une carotte, laissant sa petite-amie relancer la conversation.

"Oh, elle nous a demandé de l'aider à payer sa voiture." répondit Sophie, qui était quant à elle occupée à préparer une viande qu'elle comptait faire mariner. "Mais ce n'est pas très drôle comme cadeau, alors j'ai décidé de lui offrir un petit bon pour un massage. La pauvre, en ce moment, elle est épuisée, je le vois bien." James, lui, avait trouvé sa soeur plutôt en forme la dernière fois qu'il l'avait vu, mais ne releva pas car Sophie faisait souvent des hypothèses sur ses enfants auxquelles elle ne démordait pas. "Et vous mes chéris ?"
"On lui a pris un collier." répondit James en levant les yeux de son travail.
"Oh !" Un sourire étira les lèvres de sa mère. "Tu l'as aidé à choisir ?" demanda-t-elle en observant Marlene.
"Tout de suite," fit-il mine de s'offusquer, "j'aurais été capable de le faire tout seul."
"Oui, mais tu as demandé de l'aide à Marlene, et j'ai plus confiance en ses goût qu'en les tiens." lança-t-elle avec un clin d'oeil pour la jeune femme.

Marlene eut un sourire lorsque la mère de James souffla qu’ils allaient offrir un massage à Eleanor en plus d’un peu d’argent pour payer sa voiture. Les Carter étaient des parents très attentifs, selon elle, et il n’était pas étonnant que sa belle-mère bichonne sa fille. James et elle étaient partis sur un cadeau un peu plus traditionnel puisqu’ils avaient associé leurs budgets pour lui offrir un ravissant collier. La question de sa belle-mère lui tira un rire, surtout avec James qui s’offusquait à côté. Le compliment glissé de Sophie la fit sourire et elle hocha la tête.

- J’ai validé le choix mais c’est James qui a trouvé le modèle, répondit-elle, désireuse de souligner les goûts impeccables de son amoureux. Il a très bon goût, il m’a offert un très joli bracelet à la saint-Valentin, ajouta-t-elle.

Elle faisait toujours attention à soutenir son petit-ami en public, c’était important pour elle. Bon, évidemment, des fois elle râlait en privé, mais cela ne concernait qu’eux.

- En tout cas, ajouta-t-elle en attrapant sa cinquième carotte, c’est vraiment gentil de m’avoir invitée aujourd’hui, Sophie.

James râlait en entendant sa mère souligner qu'elle avait davantage confiance en les goûts de Marlene qu'en les siens, mais il était en réalité ravi que sa petite-amie et sa mère s'entendent aussi bien. Sans grande surprise, ses parents adoraient Marlene. Déjà parce qu'elle était d'une politesse et d'une gentillesse qui attendrirait n'importe quel parent, et ensuite parce qu'elle venait d'un milieu qu'ils connaissaient bien. Elle était moldue elle aussi, fille d'un militaire, avait vécu dans des bases - comme eux - depuis son enfance... Les points communs avaient rapidement fusé dès leur première rencontre. Ils avaient partagé plusieurs moments ensemble depuis : des anniversaires, des repas de noël et de pâques, et dîners estivaux, un baptême... L'annonce de leur rupture, il y avait quelques mois de ça, avait véritablement attristé Sophie, qui s'était attachée à la jeune femme et croyait dur comme fer à l'idée que son fils allait passer sa vie avec elle. Elle avait d'ailleurs fait la morale à James en bonne et due forme et s'était même fendue d'un petit "je t'avais bien dit que tu avais fait une erreur" lorsqu'il lui avait confié qu'ils s'étaient remis ensemble.

"Ah, je ne l'ai pas trop mal éduqué alors." commenta-t-elle lorsque Marlene vola à la rescousse de son petit-ami pour défendre ses goûts en matière de bijoux (qu'il affinait depuis qu'il était avec Marlene, en réalité.) James ne releva pas et se contenta de sourire, les yeux rivés sur la carotte qu'il épluchait.

Le commentaire de Marlene, en revanche, lui fit lever la tête vers elle pour lui offrir un petit sourire. Lui aussi était heureux qu'elle soit là ; après ces mois de séparation, la retrouver dans un décor si familier créait chez lui une sensation de chaleur et d'épanouissement qu'il avait du mal à dissimuler.

"Oh, ma chérie," répondit Sophie en adressant à Marlene un sourire rayonnant, "c'est bien normal, tu fais partie de la famille maintenant !"

"C'est bien vrai." approuva James en posant brièvement sa main sur le poignet de sa petite-amie avec un regard amoureux. "Même si tu ne sais pas faire cygne avec des serviettes." ajouta-t-il en haussant les épaules.

Elle le pensait tout de même. James était un garçon adorable et sa mère était quelqu’un de très gentil. Marlene s’était toujours sentie accueillie chez les Carter, ils l’avaient toujours traitée avec affection. Elle était heureuse de les fréquenter de nouveau, maintenant que James et elle étaient de nouveau un couple. Quand sa belle-mère lui lança qu’elle faisait partie de la famille, elle se sentit rougir.

- C’est très gentil, merci, murmura-t-elle.

Elle adressa un sourire tendre à James qui appuyait les propos de sa mère, ravie. Elle espérait que cela continuerait toujours.

- Je peux m’entraîner, si ce n’est que ça !

C’était un petit prix à payer, si cela voulait dire continuer de construire une vie avec James.