La pire idée qu'il soit [Lala]

Peut-être qu'il aurait mieux fait de mourir. Il venait de passer une semaine au lit - malheureusement pas pour quoi que ce soit d'agréable - et l'on aurait pu croire qu'il serait ravi de retourner travailler. D'un côté il l'était, être capable de se lever ou de regarder n'importe quelle source de lumière sans mourir étaient de ces petits plaisirs de la vie qui lui avaient tant manqués. De l'autre... De l'autre il regardait la pile de dossiers qui s'étaient accumulés sur son bureau pendant qu'il avait le dos tourné avec le même regard vide qu'un Gryffondor lancerait à son examen d'étude des runes. Mourant ou pas on ne l'y reprendrait plus, il ne prendrait plus jamais de congés de sa vie. Il avala sa première tasse de thé - deuxième si l'on comptait son petit-déjeuner -, son medicomage lui dirait sans doutes qu'il prenait trop de sucre et qu'il allait le payer plus tard, mais son médicomage était un con et il aimait bien le thé alors tant pis. Et vu la quantité de paperasse qu'il avait à trier il avait bien besoin d'un surplus d'énergie. Une heure passa. Puis deux. Luttant contre le manque de sommeil et l'envie très forte d'être en pause jusqu'à la fin des temps, il continuait son travail sans relâche, une pile se transforma en trois, puis en cinq et au fil des heures les piles s'étalèrent. Il pouvait maintenant admirer le magnifique mur en face de lui. L'architecture du ministère l'aurait laissé dubitatif en temps normal. A côté de Leopolgrad il fallait avouer que les murs du ministère faisaient pécore. Combien de fonctionnaires s'étaient suicidés au fil des années ? Les architectes originels en avaient du sang sur les mains, même Poudlard était plus engageant, mince, même le chaudron baveur était plus lumineux.

Samir leva enfin les yeux de son bureau, l'horloge marquait quatorze heures, il hésita un moment, essayant de déterminer s'il avait vraiment besoin d'une pause déjeuner. Quelques minutes plus tard il se leva, il n'avait peut-être pas besoin d'un sandwich, mais de se dégourdir les jambes, si. Et il avait l'excuse parfaite pour ça, la police magique risquait de lui en vouloir mais techniquement il n'avait pas vraiment le choix.Quelques instants plus tard il sortait de son bureau avec un dossier sous le bras. Avant d'y retourner pour attraper une petite boite qu'il avait laissé trainer là la semaine dernière. Les bureaux de la milice n'étaient pas bien loin, on ne pouvait pas dire que les jambes étaient particulièrement dégourdies quand il se retrouva devant Galahad. Des papiers dans une main, un paquet dans l'autre, il décida de commencer par la bonne nouvelle. "Hey. Désolé d'avoir raté la soirée du siècle à Bristol." C'était clairement un mensonge et ni le ton amusé de sa voix, ni le léger sourire qu'il adressait à son interlocuteur ne laissait planer le moindre doute à ce sujet. Il regrettait beaucoup de choses dans sa vie, certaines importantes, d'autres aussi insignifiantes que de ne pas avoir rajouté de tomates dans sa dernière salade, mais avoir évité la soirée interminable organisée pour la restructuration de la milice ne rentrait aucunement dans la liste. Entre agoniser dans son lit et parler jardinage avec Elliott Marsh le choix était vite fait. Il lança son paquet en direction de Galahad, priant après coup pour qu'il l'attrape ou pour que le papier bulle soit efficace s'il s'écrasait au sol. "Pour m'faire pardonner." Encore un mensonge, le cadeau en question avait été commandé bien avant toutes ces histoires de maladie et d'esquive de soirée. Ou alors cherchait-il à se faire pardonner de l'autre chose qu'il venait lui apporter ? Personne ne le saurait jamais. "Félicitations pour ta promotion en tous cas, tu remportes du travail en plus." Ce fut au tour du dossier d’atterrir sur le bureau de Galahad. Un jour tout ceci serait dématérialisé comme tout le reste et ça rentrait tout ça beaucoup moins dramatique. A moins qu'il se mette à jeter des Pears sur les bureaux. Ouais. Mauvaise idée, le papier avait décidément de nombreux avantages pour tout le côté théâtral. Le dossier en question n'était pas particulièrement long, mais Samir était un chic type. "Victime retrouvée à Leicester y a un mois, l'arme du crime a été retrouvée pas loin de la scène, une baguette non enregistrée, c'est pour vous il me semble bien ?" Il ne lui semblait pas, il en était sûr. La milice était tranquillement en train de récupérer tout ce qui dépassait de près ou de loin les excès de vitesse de toute façon. Alors des baguettes illicites il allait sans dire qu'ils auraient tôt fait d'affirmer que c'était sans aucun doute un dangereux réseau terroriste qui menaçait tous les piliers de notre société. Et balancer des milliers de gallions en surveillance pour contrecarrer le truc. Ou quelque chose dans ce genre là. Des moyens il y en avait toujours quand il s'agissait de sécurité. Enfin. Au moins on leur avait financé une nouvelle bouilloire à eux, il n'y avait pas que des points négatifs au pseudo-fascisme de Leopold.

Galahad ignora résolument le grognement de son estomac et chercha à le tromper par une nouvelle gorgée de café froid. Reposant son gobelet avec irritation, il reprit sa plume, la trempa dans l'encre et recommença ses griffonnements nerveux. Pendant de longues minutes, aucun autre bruit ne brisa le silence que celui du frottement de la pointe de la plume d'aigle contre le parchemin froissé. Le pli qui s'était formé sur son front, sous l'effet d'un froncement de sourcils, témoignait de sa concentration, qui ne baissait pas malgré les heures qui tournaient inexorablement. Entièrement absorbé par ses réflexions, il ignorait les picotements de ses yeux et la raideur de sa nuque, envahi par l'urgence de coucher ses pensées sur le papier, avant qu'elles ne s'évaporent, comme si son esprit réfléchissait trop vite pour la vitesse de son poignet. La porte de son bureau était restée fermée depuis son arrivée au ministère, aux petites lueurs du matin, et pour une fois personne ne s'était risqué à le déranger. Jusqu'à maintenant.

Clignant des yeux d'air air hébété pour émerger de son état de flow, Galahad redressa sa nuque endolorie et avisa la dégaine familière de Samir, qui venait de pénétrer avec un enthousiasme bienheureux dans son antre. Il lui fallut quelques instants pour se rappeler que son ami avait été absent ces derniers jours et ignorait probablement les évènements des derniers jours. Il ne savait pas que, quarante-huit heures auparavant, Juliet Baker avait pénétré dans les locaux de la milice sous l'apparence même de Galahad, et que le couple terroriste avait réussi à kidnapper deux de ses agents. Une duplicité que Galahad avait vécu très durement, car il y avait quelque chose de personnel dans le fait d'avoir donné involontairement son apparence à cette femme... Si bien que les félicitations de Samir n'étaient déjà plus de rigueur, selon lui, et ne lui tirèrent qu'un long soupir.

"Merci", répondit-il d'un ton lugubre en redressant les épaules, avant d'empiler soigneusement son projet de nouveau protocole de sécurité de la milice, qu'il rangea dans une pochette cartonnée. Merci, mais il était déjà le pire chef qui puisse exister, quoi qu'aient pu dire certains collègues pour tenter de le consoler. Même s'il n'était pas réellement responsable de cette intrusion, Galahad se sentait coupable, aussi ses collègues n'avaient trouvé que peu d'échos à leurs remarques et tous ses agents avaient prit la prudente décision de le laisser assimiler les évènements en paix. Pourtant, à sa propre surprise, l'attention de Samir parvint à lui tirer un sourire - peut-être avait-il enfin terminé de se morfondre. Cela ne l'empêcherait pas de terminer son protocole de sécurité drastique, néanmoins, car plus jamais un intrus sous polynectar ne pénètrerait dans leurs locaux tant qu'il occuperait cette fonction.

Il lutta quelques instants avec le papier bulle - qui serait, d'ailleurs, très bon pour ses nerfs - et découvrit une tasse dont l'inscription lui réchauffa le cœur. Voilà une des raisons pour lesquelles il appréciait Samir : avec lui, il pouvait être lui-même, et assumer ses passions, telles que les cailloux, les runes et les jeux de société. Tout ce qu'il risquait était une taquinerie affectueuse. Comment pourrait-il en être autrement, alors que leur amitié avait été forgée autour d'une partie d'échecs endiablée - la première d'une longue série ? Galahad se souvenait de ce jour là comme si c'était hier : il avait proposé à Samir de jouer après une interminable journée de formation sur le droit. Lors de son arrivée à la milice, toute l'équipe des briseurs de sorts avait suivi une remise à niveau en droit pénal, assurée par le procureur. Autant dire qu'il avait récolté la migraine de sa vie... mais cela en valait la peine, puisqu'on lui offrait désormais de formidables tasses pour assouvir sa passion du café.

"Merci", répéta-t-il avec d'avantage de chaleur, tandis que les couleurs de la vie commençaient à regagner son visage. "Oui, je commence déjà à me demander dans quel traquenard je me suis fourré. Quelque chose me dit que tu es venu en rajouter une couche ?"

Il attrapa avec prudence le dossier que Samir avait jeté dramatiquement sur son bureau, et commença à le parcourir pendant qu'il lui exposait l'affaire.

"Baguette illicite ? Ah oui, je prends", dit-il en croisant son regard. "On a passé un nouveau décret le mois dernier, qui oblige tous les fabricants de baguette à nous transmettre la liste de leurs clients avec les caractéristiques de leurs baguettes, et on contrôle tout ça."

Encore une explication qui le ramenait à l'affaire Baker : cette idée était justement née de l'enquête de la milice, qui avait découvert que Jeremy Baker avait pu acheter une nouvelle baguette en toute impunité sur le Chemin de Traverse, après avoir perdu la sienne dans des circonstances troubles : probablement au cours d'une intervention terroriste...

"Du coup, je soupçonne que le trafic de baguettes va augmenter dans les prochains mois. Enfin, si c'est un meurtre isolé, ce n'est probablement qu'un règlement de comptes entre gangs rivaux. On va regarder ça quand même... Il y a des suspects, à ce stade ?"

Pour pouvoir gentiment étouffer l'affaire si le gang en question était celui de la chauve-souris, compléta-t-il intérieurement, avant de considérer son ami avec attention.

"Dis donc, tu as vraiment une sale tête. Sans vouloir te vexer, bien sûr, j'ai sûrement la même, mais j'espère que ça va mieux ?"