Strike back [Emily & Angus]

15 Mars 2011

Penché au dessus de son pear et visiblement contrarié, Angus massait son front strié de fins plis. Il semblait particulièrement las de cette conversation qu’il entretenait depuis plusieurs minutes avec un collaborateur essentiel de la Milice.

« Et vous n’avez rien trouvé ? … Même en fouillant bien ? La voix de Tobias Stern, le chef des traqueurs de conscience,  était à peine perceptible à travers les airpear d’Angus mais son hologramme miniature s’animait au dessus du bureau  dérangé du milicien. L’agent de la brigade fléro-technique avait envoyé à Skye un sorcier en état d’arrestation pour une expertise plus poussée, expertise que le Dr. Stern était justement en train de lui restituer par appel Pear. Angus hocha la tête à plusieurs reprises avant de partir en quête d’un dossier dans la pile instable posée  dans le coin de son bureau. Comme on pouvait s’y attendre, les parchemins glissèrent sur le bureau d’Emily lorsqu’il attrapa une pochette violette sur le dessous. L’ensemble renversa  le pot à crayons de sa collègue assise en face de lui et les plumes roulèrent sur elles-mêmes sur la totalité du plateau et jusqu’au sol pour certaines.  Angus jeta un bref regard d’excuse à sa binôme avant de reprendre à voix haute :

« Donc les traces de Ténébrosia Occular détectées par nos fléreurs sur ses vêtements sont dues  à une consommation de TNB ? »

La Ténébrosia Occular était utilisée dans le monde magique sous deux formes et dans deux buts très différents :  Elle pouvait être ingérée sous forme de drogue dure fabriquée à partir des pétales de sa fleur.  Ce puissant opiacé- plus couramment appelé TNB dans le milieu-  était consommé par des individus en quête de sensations fortes. Plus  récemment, la ténébrosia trouvait une seconde utilisation dans les réseaux terroristes. Elle offrait un échappatoire radical – mais fatal- lors d’une arrestation. En effet, l’ingestion d’une graine de cette plante d’Inde, éminemment toxique,  était en mesure de tuer un géant des montagnes en moins d’une minute.  

Concentré, Angus ouvrit le dossier et le parcourut des yeux, Mouai… Il a déjà été arrêté plusieurs fois pour détention de drogues et usage de stupéfiants. Visiblement ils avaient à faire à un toxicomane de plus et non pas à un terroriste cherchant à se suicider pour échapper au travail des traqueurs de conscience, est-ce que vous pouvez fouiller son esprit pour trouver l’identité de son dealer ? – peut-être que les membres du LEXIT se fournissaient au même endroit que lui – Ok, super. Merci. »

Gus raccrocha et l’hologramme de Stern se volatilisa dans les airs. Il ôta ses oreillettes et poussa un long soupir avant de s’appuyer de tout son long sur son dossier, les deux mains derrières la tête. Dans cette posture les boutons de sa chemise de milicien semblaient prêts à craquer et on devinait dans les petits interstices son marcel au dessous.

« Bon, je crois qu’on peut rayer de notre liste de suspect monsieur Gale Hoover… Pour le coup c’est plutôt « Game over. » plaisanta Angus, presque pour lui-même. *Gale Hoover/Game Over, héhé, tu l’as ? * semblaient dire ses yeux rieurs.

Il travaillait en face d’ Emily depuis trois semaines maintenant. Sur certain  point, il avait pu constater que son ex n’avait absolument  pas changé – coucou la maniaquerie exacerbée !-  quand aux aspects les plus personnels de sa vie privée, il n’avait obtenu aucune autre information depuis leur première discussion. Ils se cantonnaient aux échanges purement professionnels et ne s’étendaient jamais au delà des limites imposées par Emily même lorsqu’ils sortaient boire un verre avec les collègues au Mirror Of Erised après le travail. La politesse des premiers jours avait vite laissé place à une communication plus franche et directe entre eux, communication qui trahissait parfois leur ancienne proximité.

Bien qu’Angus ait affirmé haut et fort qu’il assumerait cette vieille idylle, il s’était pour le moment cantonné au respect de la version d’Emily qui consistait à répondre «  Promo Poufsouffle, 85 » quand leurs collègues de bureau s’étonnaient de les voir se parler familièrement quand la récente nomination d’Emily dans le service aurait dû impliquer davantage de réserve…
Enfin, globalement, la situation restait sous contrôle. Même s’ils avaient des méthodes différentes et des personnalités bien marquées – voire opposées-,  ils demeuraient deux professionnels prêts à faire leur travail au mieux.

Angus reporta d’ailleurs son attention sur son bureau quelque peu en désordre. L’appel Pear de Stern l’avait coupé en pleine lecture d’un rapport d’une centaine  de pages  rédigé par Doreen concernant l’expertise magico-légale de plusieurs pièces à conviction récupérées dans une planque d’activistes rebelles. Les différents feuillets étaient éparpillés un peu de partout au milieu des autres dossiers, des sachets de viennoiseries éventrés et de la tasse sale d’Angus qui empiétait légèrement sur le bureau de sa collègue.

« Bon alors, où j’en étais.. » commenta-t-il à voix haute en basculant au dessus du rapport, absolument pas motivé par cette lecture qui l’attendait.

«S'effondrer? Tout de suite les grands mots ! » fit Angus en roulant des yeux. Il désigna d'un geste ample de la main ces dossiers qu'il venait de réorganiser en tas. « La Marchebank s'effondre, ma pile de parchemins   glisse malencontreusement sur ton bureau, nuance. »

Elle n'était pas obligée d'en faire des tonnes, non mais. « Et d'abord, c'est un bordel organisé. »

Argument on ne peut plus vrai, étrangement.
Angus s'y retrouvait parfaitement dans ses piles bancales et dans cet amoncellement de preuves et d'objets divers. Evidemment ce n'était pas forcément le cas de ses collaborateurs qui semblaient toujours un peu perdus devant cet apparent foutoir lorsqu'ils devaient récupérer un document sur le bureau de leur collègue maître-fléreur.

Outre les différents dossiers liés aux enquêtes en cours , Angus avec quelques effets plus ou moins personnels posés sur son bureau. Mis en valeur dans un magnifique cadre doré, son diplôme de formation aux technomagies de niveau un trônait ironiquement face à lui. Il le brandissait assez régulièrement pour faire taire ses collègues lorsqu'ils le chambraient sur ses compétences informagiques. ( oui, ok, il avait dû demander l'aide d'Avalon pour imprimer le document, mais chut). A côté,  une photo d'Accio,  encore chaton, posé au milieu d'un harnais pour fléreur de la police magique trois fois trop grand pour lui. Et enfin, un sous-bock floqué au nom du Mirror of Erised.

Alors certes, il empiétait parfois sur l'espace de sa collègue, mais Ymeldiz, paix à son âme, ne s'était jamais plainte, elle, contrairement à Emily.

Mauvaise comme la dragoncelle, son ancienne camarade de classe suggéra d'ailleurs qu'il cherchait uniquement à copier sur elle lorsqu'il s'étalait sur leur pupitre à Poudlard.

« Quoi ? s'offusqua Gus d'une voix forte, non mais pour qui tu me fais passer ? " gronda-t-il les sourcils froncés. Il ne copiait pas sur Emily voyons... mais sur Melchior, bien meilleur élève qu'elle. Angus n'était pas bête à ce point.

" Et si je m' étalais, c'était uniquement parce que j'avais besoin de plus de place que toi . » Même à onze ans, Angus était déjà plutôt corpulent pour un enfant de son âge. N'importe quel observateur aurait pu deviner à l'époque qu'il deviendrait cet adulte à l'allure massive doté d'une légère tendance à l'embonpoint.

Ils n'avaient pas particulièrement sympathisés durant leurs premières années à Poudlard (Selon Angus, Emily cachait ses copies derrière son coude et un rideau de cheveux à cette époque là) et ils s'étaient plutôt découverts des affinités au milieu de leur scolarité, vers treize, quatorze ans avant de sortir ensemble en sixième année.

Toutefois le milicien n'était pas d'humeur à s'attarder davantage sur ses vieux souvenirs datant d'un autre temps. Il replongea dans son dossier, désireux d'avancer dans son enquête. Plus vite il aurait balayé les pistes et les listes de suspects potentiels liés à sa planque, plus vite il pourrait rejoindre le flénile. Il avait justement prévu une séance d'entraînement avec Accio cet après-midi. De nouveau concentré, Angus hocha la tête quand sa collègue promit de lui transmettre quoique ce soit pouvant l'aider dans ses investigations. S'ils étaient toujours prompts à se chamailler Emily et lui, ils n'en restaient pas moins deux professionnels capables de faire la part des choses.( Du moins, pour le moment.) Angus n'envisageait pas la situation autrement. Ce qui s'était passé entre eux ne pouvait pas impacter leur collaboration au travail et le meilleur moyen pour y parvenir, selon lui, était de dépassionner et de dédramatiser leur ancienne relation. Cette vieille idylle ne devait pas être traitée comme quelque chose d'honteux  mais plutôt comme un non- événement. Oui ils s'étaient fréquentés et oui tout était terminé depuis plus de dix-sept ans, fin de l'histoire. Angus n'avait aucune envie de ressasser ces vieux souvenirs - bons ou mauvais d'ailleurs- mais il estimait inutile d'en faire une affaire d'État.

Comme s'il avait lu ses pensées, Dane se fendit d'un commentaire chargé de sens. Leur supérieur n'avait semble-t-il plus vraiment envie de travailler et les observait , sourire aux lèvres, amusé par leurs chamailleries. Il n'en était pas à sa première remarque sous-entendant une relation entre eux, d'ailleurs. A chaque fois, Angus avait botté en touche, laissant le soin à Emily d'infirmer ou de confirmer les propos du jeune lieutenant. Il s'attendait à ce qu'elle esquive savamment comme elle l'avait fait à de nombreuses reprises depuis sa nomination à la Milice - maîtresse dans l'art de la dissimulation- mais un regard dans la direction de son ex  luu indiqua qu'elle semblait enfin avoir changé d'avis. Ce haussement d'épaules résigné  voulait clairement dire   « vas-y, dis-lui, foutu pour foutu. »

Angus ne se fit pas prier plus longtemps. Il préférait maîtriser la divulgation de cette information plutôt que d'être la cible de commérages. Il s'appuya donc sur son siège et croisa les bras sur son torse avant de répondre laconiquement.

« On aurait pu être l'un de ses vieux couples mais on a préféré tout arrêter avant de s'entretuer. »

Dane ne tarda pas à se désintéresser complètement de son dossier ouvert à plat devant lui. Il se redressa subitement sur son siège, cou tendu, tel un suricate aux aguets.

« Comment ça ? Vous voulez dire que vous deux ..."
Il les montra tour à tour de la pointe de son index et Angus hocha la tête d'un air fataliste.

« Noon... »Fit Dane « Si. »répondit Gus.

Même Jonathan, la jeune recrue tout droit sortie de l'Académie, installé  pourtant à plusieurs bureaux du leur, semblait surpris. Les lunettes posées au bout de son nez, la bouche entrouverte, il les regardait d'un air interloqué presque stupéfait.

Angus était habitué à ces réactions de surprise. Il avait toujours été attiré par des femmes très différentes de lui, voire opposées, sans qu'il ne puisse se l'expliquer. Emily, Ann, Emma... Toutes ses compagnes partageaient le même sérieux, la même discrétion -et même une certaine classe- ce qui était assez dingue, en y réfléchissant bien.

« Josy de la compta m'a dit que vous étiez ensemble à l'école mais, honnêtement, je ne l'ai pas cru. "

Angus poussa un soupir blasé et reporta son regard sur Emily. Il haussa un sourcil et inclina la tête sur le côté, bras toujours croisés, comme pour lui dire : " tu vois, je te l'avais dit. "

Les cancans au Ministère se déplaçaient nettement plus vite que les notes de service...

«  Josy comme Josy Hofstadter ? "
Angus hocha la tête pour confirmer l'interrogation d'Emily.« Enfin, elle ne s'appelle plus Hofstadter car elle s'est mariée, mais oui c'est elle. » Leur ancienne camarade de promotion aussi bavarde qu'une pie. « Ici on l'appelle "Josy de la compta" à ne pas confondre avec "Josie la secrétaire du Ministre". » Même prénom mais la seconde n'avait pas les cheveux rouges coupés à la garçonne de la première (et était nettement moins commère, aussi.).

Contrairement à Emily qui venait de passer près de vingt ans en terre moldue, Angus n'avait pas vraiment perdu de vue ses anciens camarades d'école. Ils avaient embrassé des carrières différentes, certes, mais le monde magique étant assez restreint,  Gus retombait régulièrement sur de vieilles connaissances, aussi bien dans le cadre professionnel - des collègues comme des suspects- que dans le cadre privé. Pas plus tard que la semaine précédente,  il avait accueilli Janet - l'autre J-girl de Poudlard-  au refuge de la SPAF.

Elle était venue avec ces garçons, Troy et Harry,  pour adopter un boursouf. Angus l'avait à peine reconnue lorsqu'elle s'était adressée à lui. Ils avaient longuement discuté, enfin, Janet avait beaucoup parlé. Elle exercait le métier de coiffeuse et était accessoirement  responsable de la coloration rouge de Josy qu'elle voyait toujours, une fois par semaine, le mercredi après-midi pour, lui avait-elle dit  «  que nos garçons puissent jouer ensemble » (et elles, cancaner tranquillement autour d'un café). Elle avait épousé Sean Robbie « Tu sais, le gardien de Serdaigle ! » et ils avaient eu trois beaux enfants. La petite dernière, Rebecca, était restée à la maison . «Le boursouf est pour son anniversaire, elle va avoir six ans ! » s'en était suivi le visionnage d'une dizaine de photos de la fratrie sur le pear de Janet . La petite famille habitait un agréable pavillon dans le quartier sorcier de Cambridge où Sean tenait un garage à balais.

« Josy m'a dit que tu étais toujours ami avec Melchior, il faudrait que vous veniez à la maison un de ces jours, ça nous ferait plaisir. »

Angus était prêt à parier que Mel n'avait aucun atome crochu avec Sean, son ancien camarade de dortoir, mais  il avait répondu par un "Ouai, pourquoi pas ! " , conscient que cette invitation n'en n'était pas vraiment une et qu'elle servait surtout à clore cet échange entre eux.

Il avait repensé à cette rencontre le soir venu et avait constaté qu'en dix minutes de conversation avec Janet, il avait appris davantage sur elle qu' en un mois de travail avec Emily. Alors qu'il n'était pas sorti quatre ans avec la première.

Emily semblait toujours aussi décidé à ne rien laisser transparaître de son quotidien en dehors de locaux de la milice. Même lors des conversations plus informelles au Mirror of Erised. Pas de « On a testé ce nouveau restaurant à Léopoldgrad » qui aurait laissé sous-entendre qu'elle partageait sa vie avec un sorcier, ni de « Je ne peux pas rester trop tard, je dois amener la petite chez l'orthomagiste ! »
Rien. Aucun indice. Angus n'avait pas insisté. Sa seule interrogation frontale était restée sans réponse. Il avait compris le message. Pas de question perso.

Emily avait toujours été une fille plutôt discrète mais avec les années, elle semblait encore plus secrète qu'avant. Angus observa donc avec une certaine curiosité l'échange entre Dane et elle. Ces réponses monosyllabiques, cette attitude fermée presque défensive trahissait son inconfort, pour ne pas dire son agacement. Angus connaissait bien cette posture passive aggressive puisqu'elle avait émaillée leurs derniers mois de relation, dix-sept ans plus tôt. Toutefois Dane ne semblait pas percevoir -ou préférait ignorer- les signaux d'Emily. Le dernier regard exaspéré qu'elle lui jeta était pourtant sans équivoque et fit doucement rire Angus. Visiblement elle avait aussi perdu un peu de patience avec les années !

« Quatre ans c'est long quand même ! Mais je comprends que vous vous soyez séparés si vous vous disputiez comme ça ! » ajouta Dane dans un éclat de rire.

Angus afficha un vague sourire. Justin Dane ne pouvait pas se tromper davantage.  A la fin,  ils ne se disputaient pas, ils ne se parlaient même plus.

«As-tu d'autres questions indiscrètes à nous poser Justin ? demanda-t-il simplement, Lequel a dragué l'autre ? Lequel a largué l'autre ? Dans quel lieu s'est déroulé notre premier baiser ? Il laissa passer un bref silence, contenant difficilement un sourire , Parce que si tu veux des détails pour alimenter les potins, on peut t'en donner pleiiins »

Angus interrogea son supérieur du regard, les bras toujours croisés sur son torse. Il pouvait se permettre ce genre de familiarité avec son lieutenant  surement plus facilement qu'Emily qui était nouvelle ici.

Dane reporta son attention sur Gus, une expression amusée sur son visage. Pas sûr qu'il ait envie d'être catalogué comme appartenant à la bande de commères du ministère !


« Je me demande surtout comment Emily t'as supporté tout ce temps ! Sérieusement comment tu as fait ?"

Ah. Bonne question.  Le regard d'Angus glissa  sur sa collègue. Emily allait-elle faire front commun avec lui ou saisir la perche tendue de Dane et se mettre le lieutenant dans la poche...

Angus jeta un regard curieux en direction d’Emily. Elle semblait bien décidé à ne pas relever le nez de son Pear, comme si elle souhaitait faire comprendre à Justin que « non, elle n’avait pas envie de discuter avec lui » et que « oui, elle préférait travailler assidument plutôt que de s’étendre sur certains aspects de sa vie privée. ». La réponse qu’elle fit au lieutenant Dane tira un éclat de rire sonore à Angus. La patience légendaire des Poufsouffles avait beau dos ! S’ils étaient restés ensemble si longtemps, c’était pour d’autres raisons  qu’Emily n’avait visiblement pas envie de d’expliquer à leur supérieur.  Ils avaient simplement été très amoureux, estimait Angus,  mais ce n’était pas le genre de phrase que l’on balançait, l’air de rien, dans une conversation sur son lieu de travail face à son ex-petit-ami.

Angus croisa ses mains derrière sa tête, et bascula légèrement sur des deux pieds arrières de son siège. Les boutons de sa chemise prêts à craquer.

« Cherche pas Dane, elle ne te dira rien. » lâcha-t-il , aussi tranquille que satisfait

Justin tenta bien une deuxième approche en orientant le débat sur les moldus – un sujet susceptible de les diviser-  mais ce second assaut se heurta à une réponse brève d’Emily qui fit doucement rire Angus. Ses épaules tressautèrent légèrement tandis que son regard passait de l’un à l’autre.  Plus Dane allait insister, plus les réponses de sa nouvelle collègue allaient être courtes ! Même si Emily souriait poliment, il se doutait bien que cet interrogatoire n’était pas vraiment à son goût.

Pressentant qu’il ne tirerait rien de la nouvelle recrue, Justin changea de stratégie et se tourna cette fois vers Angus. Même si Dane cherchait uniquement à les asticoter tous les deux, sa question était légitime.  Certaines ruptures s’avéraient plutôt chaotiques et le ressentiment entre  les deux protagonistes était si puissant qu’une collaboration professionnelle semblait inenvisageable.  

Emily et Angus n’en étaient pas à ce stade, du moins,  à priori.

Certes, d’un point de vue personnel, l’idée de travailler avec son ex n’avait pas particulièrement enchanté Angus – à  choisir, il aurait préféré qu’elle réintègre le bureau des Aurors après ses années d’infiltration -mais il avait pour habitude de composer assez facilement avec les événements, bons ou mauvais.

Emily était nommée à la Milice ? Ok. Très bien.

Il n’avait pas d’autres choix possibles que de s’accommoder de cette situation et d’y voir les côtés positifs. Elle avait de nombreuses qualités qui faisaient d’elle une excellente recrue. Angus pouvait tout à fait prendre sur lui, et mettre leur vieille histoire commune de côté. A bien y réfléchir, la distance imposée par Emily avait peut-être même contribué à faciliter leur relation professionnelle.

« Dane, ça fait un mois qu’on bosse ensemble Emily et moi, est-ce que tu as eu à te plaindre une seule fois de notre travail ? » Ils collaboraient même sur une enquête menées par Thorne en personne  et, à priori,  le chef de la brigade d’intervention semblait assez satisfait de ce nouveau binôme.

Justin aboutit visiblement à la même conclusion bien qu’il se contenta de dodeliner de la tête en guise de réponse.

« Vrai ou pas vrai ? » Insista Gus.

« C’est vrai, ça fonctionne pas mal…, admit-il à contre cœur, sauf quand tu poses ta tasse sur le bureau d’Emily. »

« En tout cas je ne changerai pas de place, répondit Angus  en levant ses mains épaisses de part et d’autre de son visage. Il avait ses petites habitudes et il aimait bien son emplacement, proche de l’entrée, qui offrait une vision globale sur l’open-space, jusqu’au secteur des renseignements. Il pouvait même voir  le bureau de Leonard d’où il était.  En plus, il s’était fait à l’idée d’avoir Emily assise en face de lui… mais peut-être que ce n’était pas réciproque, Après Emily est libre de s’installer en face d’un milicien plus ordonné que moi. » ajouta-t-il en haussant ses épaules massives, même si , à choisir, il préférait qu’elle reste. Justin ne tarderait pas à tirer des conclusions erronées si jamais elle se déplaçait.
Angus reporta son attention sur son ex petite amie.

« Il reste une place en face de  Tom, il indiqua du regard un sorcier dans la trentaine assis à son bureau, manifestement occupé par la rédaction d’un rapport, mais il faut que tu saches qu’il est très bruyant quand il se ronge les ongles. »
« Je t’entends Rice ! »
Angus esquissa un sourire, conscient d’être lui-même  l’un des agents les plus bruyants de l’Open Space.
« Sinon le bureau en face du mien est libre, intervint Dane, tout à fait innocemment. Et si toutes ses questions personnelles avaient un but précis ? Angus haussa légèrement les sourcils alors que cette idée se matérialisait dans son esprit mais il n’eut pas le temps de s’appesantir davantage sur cette question. Anna Atkins, leur collègue des renseignements les interpellait depuis son bureau :

« Rice, Rozenski ! J’ai du nouveau pour vous concernant les écoutes que vous m’avez demandées ; Vous pouvez venir voir deux minutes ? »

« Le devoir nous appelle. » commenta Angus en regardant tour à tour Emily et Justin. Il posa ses deux mains sur les accoudoirs de son fauteuil et  se leva pour rejoindre Anna de l’autre côté de l’open space. Il attrapa le siège de Lenny-exceptionnellement absent- et s’installa à côté de sa jeune collègue, face aux multiples hologrammes qui n’étaient pas sans lui rappeler sa formation chez Vargas…

Alors qu’il rejoignait le bureau d’Anna Atkins, Gus se fendit d’un petit coude-coudage en règle à destination d’Emily. Il était sûr qu’elle était ra-vie à l’idée de se retrouver assise en face de Justin Dane ! Le regard noir qu’elle lui jeta confirma son intuition et le milicien laissa échapper un bref rire avant de prendre place au côté de leur collègue des renseignements qui avait plusieurs informations à leur donner. Accoudé sur son siège, le menton posé dans sa paume  – position manspreading de rigueur- Angus attendait qu’Anna leur expose les résultats de son enquête en observant distraitement le bureau vide de Leonard. Quelques jours plus tôt, son jeune collègue avait fait un malaise lors d’un interrogatoire. Angus avait cru comprendre que le ton était monté entre un suspect et le milicien – doux euphémisme- mais Avalon était restée très discrète concernant cette affaire. Tout ce qu’il savait, pour l’avoir vu de ses yeux, c’était que Leonard avait été pris en charge par le service des urgences magiques de Sainte Mangouste et qu’ il était interdit de visite depuis.

« T’as des nouvelles de Wellington ? »

Anna se tourna légèrement vers son collègue et secoua la tête négativement. Elle haussa les épaules et commença son exposé concernant les écoutes qu’Emily et lui avaient commandées. Anna n’avait eu aucune difficulté à espionner le Pear de leur suspect. Elle avait même été contrainte d’éplucher quatre heures d’enregistrement ce qui n’était pas sans rappeler à Angus ses interminables heures de décembre où il avait été mandaté pour « enquêter » sur Sam Allport, un proche de la fille du Ministre.

Depuis la restructuration de la Milice, il était déchargé de ce type de missions exclusivement allouées à l’équipe des renseignements ce qui n’était pas pour lui déplaire. Il conservait juste assez de travail d’investigation pour se familiariser avec les dossiers avant les interpellations… sans avoir à se farcir les listes de courses et les appels à maman.

« Ne te plains pas Anna, n’oublie pas que je suis celui qui a dû consulter des heures de « stories » - il mima dédaigneusement  les guillemets avec ses doigts- sur « comment porter son bonnet cet hiver ». »

Angus bascula la tête en arrière pour chercher le regard d’Emily qui se tenait légèrement en retrait debout, bras croisé.

« J’ai du enquêter sur un influenceur… Emily l’avait assez côtoyé par le passé pour percevoir toute  l’ironie d’une telle situation, moi, il tapota son torse de la pointe de son index, un influenceur. » C’était un peu comme si on avait  confié à Voldemort la rédaction d’un conte pour enfant.

Son front se plissa de rides horizontales tandis qu’il haussait les sourcils avant de reprendre sa position initiale et de recouvrer son sérieux. Ils avaient donc deux heures d’enregistrements à consulter. Bien. Ils devaient faire le tri et  pouvaient jeter les parties jugées non exploitables car Anna avait fait une copie de tous les enregistrements. Du moins c’était ce qu’avait compris Gus.  Il entendit le Pear d’Emily vibrer tout près de son oreille, signe qu’ils avaient reçu les fichiers sur leur magicphone. Le sien était resté sur son bureau. Sous une pile de dossiers, surement.

Il appuya les félicitations d’Emily d’un pouce levé à destination d’Anna et se hissa sur ses jambes pour traverser de nouveau l’open-space où leurs voisins directs s’étaient tous remis au travail. En prévision de la longue matinée qui les attendait, Gus alla remplir sa tasse de café sans prendre le temps de la rincer préalablement, fidèle à l’adage «  Café sur café, pas besoin de laver ! »
Il s’assit enfin face à Emily qui semblait déjà prête, installée à son bureau, une oreillette vissée à son oreille et le fil tendu dans sa direction pour qu’il se saisisse de la seconde.

Comme à chaque fois qu’il était contraint de manipuler son Pear, l’humeur d’Angus s’était quelque peu assombrie. Il avait déjà consulté des écoutes, bien sûr,  mais il savait par expérience qu’il y avait toujours un couac à un moment donné. Toujours. Cela l’agaçait prodigieusement. De plus il n’avait pas particulièrement envie d’être ridicule face à Emily.

Il observa d’ailleurs sa collègue quelques instants, elle semblait impatiente de s’y mettre. Il brancha la connectique sur son magicphone et s’équipa de l’oreillette avant de déverrouiller son écran d’une savante combinaison de chiffres et de lettres  conçue à base de nom d’animaux, d’année de naissance et de bière préférée. Priya Rahman serait contente (ou pas). Il se pencha sur le côté pour attrapa de quoi prendre des notes et fit sauter l’oreillette d’Emily par la même occasion. Oups.

Gus leva la paume en signe d’excuse et avisa son écran fissuré lors d’une intervention ( bien trop fragile ces produits Vargas !). Soixante sept messages non-lus. Ah. Heureusement qu’Emily ne voyait pas sa boite de réception de là où elle était. Gus cliqua sur l’icône en forme de hiboux et fit défiler les trente-sept enregistrements vocaux qui venaient d’arriver. Mieux valait commencer par le plus ancien pour conserver une certaine chronologie.  Il cliqua donc sur le plus vieux et un message d’avertissement s’afficha instantanément :

« Sélectionner une application pour lire le fichier. »

Et c’est parti, songea Gus en soufflant bruyamment des narines. Evidemment, ça aurait été trop simple que l’enregistrement se lance directement ! Beaucoup trop facile, hein monsieur Vargas ? Angus retint un mouvement d’humeur alors que le fil des oreilles à rallonge se tendait dangereusement entre Emily et lui.

Camscan ? non, Geolocaleasy ? non, Vocalise ? Hum…Peut-être. Il cliqua.

Une voix de femme s’éleva dans l’oreillette. « Votre enregistrement va débuter dans 3,2,1 … » Un rond rouge s’afficha sur l’écran accompagné d’un décompte de seconde. Angus s’était clairement trompé.
« Putain. » grogna-t-il entre ses dents serrées en appuyant sur trois boutons en même temps pour tout stopper .
« Vous souhaitez réécouter l’enregistrement en mode Repeat, vitesse x2 : « Putain.Putain.Putain.Putain.Put. »
L’index d’Angus venait de presser rageusement le bouton pause.

« Mais ça me saoule ces trucs ! ça me saoule ! » s’exclama-t-il alors les bras écartés, un peu piqué par cette situation ridicule. Il s’adossa brusquement sur son siège si bien  que l’oreillette d’Emily sauta de nouveau pour atterrir directement sur l’épaule d’Angus, Ils ne peuvent pas faire un truc simple, un truc qui fonctionne ! ?»
Pourtant, en bon Poufsouffle,  Angus était très patient. La plupart du temps. Dans d’autres circonstances, circonstances qui n’impliquaient pas l'utilisation des nouvelles technomagies.

Angus ne manqua pas le léger rire d’Emily alors qu’il venait de lancer la mauvaise application sur son PearPro. Cela aurait pu être drôle, effectivement, mais il détestait se sentir ridiculisé à ce point par un simple petit objet technomagique. Une machine.  Le milicien pesta dans sa barbe et arbora une expression teintée d’énervement et de lassitude mêlées alors qu’il cherchait le bon logiciel pour écouter les enregistrements soigneusement triés par Anna Atkins. Il restait le nez rivé sur son écran,  sourcils froncés, ne tenant pas à croiser le regard d’Emily. Grace à ses origines et ses quinze ans d’immersion en monde non magique, elle savait surement faire fonctionner ces horreurs moldues bien mieux que lui...

Il resta quelques instants dans cette position avant de consentir à lever les yeux vers elle, conscient de la puérilité de sa réaction. La milice avait justement été crée dans le but de croiser les compétences des uns et des autres, cela ne rimait à rien de s’énerver tout seul dans son coin. Emily profita habilement de ce moment pour lui proposer son aide. Angus l’observa un instant puis, sans prendre la peine de se lever, il fit rouler son siège juste à côté du sien qu’il percuta légèrement, accoudoir contre accoudoir.

Il tendit son Pear entre eux et lâcha, un peu bougon :

« Tu es surement meilleure que moi pour ces trucs. »

Effectivement, son intuition se vérifia assez rapidement. Emily lui dispensa même un cours de technomagie gratuit… non sans rencontrer quelques difficultés elle aussi. Lorsque  la mention « aucun fichier » s’afficha sur les hologrammes, Angus désigna de sa main épaisse l’inscription, comme pour prendre à témoin sa collègue.

« Ah. Tu vois ! Toi aussi tu galères.» Vargas avait encore du boulot pour faciliter l’utilisation de ses produits.

Angus était tellement occupé à pester mentalement contre les jeunes ingénieurs de la multinationale technomagique qu’il ne vit pas le message d’Emma s’afficher sur son Pear, toujours logé entre les main de sa collègue. Ce fut seulement lorsqu’Emily tendit le magicphone entre eux qu’il découvrit la proposition de sa compagne. Marlène était de garde ce soir et Emma lui proposait de passer la nuit chez elle. La mauvaise humeur du milicien s’envola instantanément. Ses traits se détendirent et un imperceptible sourire éclaira même son visage tandis qu’il répondait par l’affirmative. Il repasserait par Caherciveen pour nourrir les animaux et transplanerait en début de soirée pour Londres. La perspective de passer une soirée avec Emma venait de le mettre de bonne humeur et ce fut un Angus presque guilleret qui tendit de nouveau son Pear à sa collègue.

« Qui est Emma ?"

Le milicien tiqua légèrement. Il ne s’ attendait pas à une telle question. Il observa Emily quelques secondes et resta silencieux, tenant toujours le Pear entre eux.  Deux aspects bien distinct de sa vie venaient de se percuter l’un l’autre. Entendre le prénom d’Emma dans la bouche d’Emily était vraiment une sensation étrange.   Son ex était si secrète, si discrète sur sa vie personnelle qu’il ne pensait pas qu’elle le questionnerait frontalement sur sa vie sentimentale.  Si elle connaissait le prénom d’Emma c’était surement qu’elle avait parcouru la notification reçue, or, le message de sa compagne laissait peu de place au doute concernant la nature de sa relation avec Angus…

« Tu as lu mon message ? » s’enquit-il avec étonnement.

Si c’était le cas, elle était culottée d’oser le questionner, elle qui n’avait pas daigné répondre à la moindre question personnelle depuis qu’elle était arrivée au service.  Angus devait admettre que, lui aussi, il laissait trainer son regard un peu partout -Déformation professionnelle oblige-  mais il hésita un instant à donner plus amples informations à Emily.

Il était parfaitement conscient que sa relation avec Emma commençait à se savoir au sein du Ministère. Angus ne cherchait pas à s’en cacher d’ailleurs , au contraire, il était tout à fait prêt à officialiser maintenant que ses proches étaient au courant . Il retrouvait régulièrement Emma au Mirror of Erised et parfois même à la cantine, quand leurs emplois du temps respectifs le leur permettaient.

Cette nouvelle relation le rendait heureux et il en était fier mais Emily avait rendu ce sujet tabou en refusant de parler de sa vie personnelle le jour de leur retrouvaille. Pour le coup, Angus n’était pas sûr d’avoir envie de se dévoiler auprès d’elle…

Les gens réservés invitaient logiquement  à la réserve.

S’il avait évoqué sa vie affective auprès de Janet sans aucune gène  «  Je me suis séparé plusieurs fois ces dernières années mais je suis avec quelqu’un depuis quelque mois maintenant. » il était un peu plus réticent à l’idée de répondre à Emily.

« Pourquoi tu me demandes ça ? » s’enquit-il alors en croisant les bras sur son torse, sans chercher à masquer un léger sourire emprunt de suspicion.

Emily n’aimait pas être prise en faute, ni qu’on lui fasse remarquer ses petits travers. Visiblement piquée qu’Angus ne réponde pas à sa question intrusive, elle n’hésita pas à contre-attaquer vivement avec toute la mauvaise foi que le milicien lui connaissait… si ce n’est même davantage ! Elle semblait encore plus butée que dans ses souvenirs avec ses propos volontairement méprisants.

Loin de se vexer, Angus se mit à rire doucement devant l’air courroucé d’Emily qui se retrouvait prise à son propre jeu.

« T’as pas changé… » souffla-t-il en secouant la tête de gauche à droite, un fin sourire moqueur étirant ses lèvres. Elle ne s’excuserait jamais de sa curiosité ma placée, plutôt mourir que d’admettre qu’elle aurait bien aimé savoir qui était Emma.  

Angus glissa ses deux mains derrière son crane, un vague sourire imprimé sur le visage.

« Et ce n’est pas que je ne veux pas parler d’elle -Emily avait visiblement très bien compris quelle était la nature de sa relation avec Emma-  c’est juste que ce n’est ni le lieu, ni le moment. » admit il alors en coulant un regard en direction de Dane. Ils étaient supposés être en plein travail d’investigation présentement et Gus ne se voyait pas exposer les détails de sa vie personnelle au milieu de l’open-space. En salle de pause, pourquoi pas, mais pas ici.

Et puis, l’idée de discuter de sa situation amoureuse avec Emily avait quelque chose… d’étrange. Ce n’était pas tout à fait comme l’évoquer auprès  d’un collègue lambda. Il n’était pas contre l’idée de lui expliquer où il en était dans sa vie actuellement mais leurs antécédents  et l’attitude secrète d’Emily n’invitait pas vraiment à la confidence… Angus ne savait pas d’où lui venait cette réserve -et il espérait que ce silence ne cachait aucune tragédie dans sa vie personnelle -  mais ce comportement n’était pas une nouveauté pour lui : L’attitude froide et distante d’Emily  avait été particulièrement difficile à vivre à la fin de leur relation. Longtemps, Angus avait estimé qu’elle était la plus responsable de leur rupture parce qu’elle avait été la première, selon lui,  à  instaurer cette distance entre eux.

Avec les années, il s’était fait une raison : Ils étaient juste très différents et n’avaient ^pas eu les mêmes attentes l’un envers l’autre.  Emily n’avait pas besoin de parler, Angus, si. Elle était aussi sauvage qu’il était sociable… C’était surement ses caractéristiques opposées qui les avaient séduits au début, mais qui avaient fini par les ronger mutuellement, au fil des ans.Il espérait toutefois qu’elle était parvenue à trouver quelqu’un  qui lui corresponde mieux que lui… même si elle s’évertuait à ne pas vouloir en parler.

Angus remisa ses pensées dans un coin de son cerveau et pianota quelques instant sur son Pear  pour mettre la conversation d’Emma en sourdine –Avalon lui avait appris la manipulation en lui interdisant toutefois de couper les notifications du groupe «  Milice Forever »  dont Angus était membre mais qu’il ne consultait quasiment jamais. Beaucoup trop de déclaration d’amour par jour dans cette conversation. 225 messages non lus en moins d’une heure...Généralement, il ne prenait même pas la peine de remonter le fil rempli d’hologrammes cœur et autre petits personnages animés, riants ou grimaçants. Angus se demandait encore pourquoi on l’y avait ajouté tant sa participation aux échanges était sporadique.  Surement pour compter le nombre d’heures ( de jours) qu’il mettaient avant de consulter les dernières notifications.

« On peut garder le mien, répondit-il lorsqu’Emily suggéra de prendre son magicphone pour écouter les enregistrements. Il tendit son Pear un peu cabossé entre eux et enfila son oreillette, Je veux voir si tu es capable de résister à tes penchants indiscrets de J-Girl. » ajouta-t-il parfaitement conscient qu’Emily méprisait ces anciennes camarades de classes avides de potins. Il retint un éclat de rire et n’attendit pas sa réponse pour lancer le premier vocal.

Après deux heures d’écoute sans aucune autre interruption que les quelques notifications d’Avalon sur le groupe « Milice Forever », Angus avait retrouvé tout son professionnalisme. Concentré, il était légèrement penché vers Emily pour éviter de tendre le fil des AirPear entre eux. Lorsque le dernier enregistrement s’arrêta,  il ôta son oreillette, s’accouda sur son siège et se tourna légèrement vers sa voisine en se massant le front.

« Bon, je crois que notre gars est du genre prévoyant… » A vrai dire les enregistrements ne  laissaient pas de place au doute tant les échanges n’avaient, à priori, ni queue ni tête. Angus avait pris quelques notes organisés en trois colonnes en fonction de ce qu’il avait entendu, animaux magiques, plantes et sortilèges, …du coup, il a inventé son propre langage codé au cas où il soit écouté. » il pointa la liste « sorts » de l’extrémité de sa plume et tapota son carnet, « je pense que ce sont des lieux ou des coordonnées. Il faudrait qu’on puisse croiser chaque mot avec les données de géolocalisation du Pear volé pour voir s’il y a des concordances, suggéra Gus, peut-être qu’Anna peut nous avoir ça. Avec un peu de chance leur homme n’avait pas songé à  couper son Pear en  regagnant les points de rendez-vous. Angus remonta  sur l’écran de son magicphone dans la liste des enregistrements pour réécouter un extrait du dix-septième «  Six botrucs auxquels tu retranches un bezoard à Evanesco. » Il fit pause.
« Evanesco revient très souvent dans les premiers enregistrements : Le 2, le 4, le 8, le 9, le,12,13, 15 puis le 17, lut il, et ensuite, plus rien. Il faudrait qu’on regarde dans nos archives pour voir si on a mis à jour des planques terroristes aux alentours de la date de l’enregistrement 17…» Peut-être qu’ils pourraient recouper cette enquête avec une autre, qu’en penses tu ? » demanda-t-il, soucieux d’obtenir l’expertise d’Emily.
Ils s’apprêtaient à poursuivre leurs investigations lorsque le lieutenant Dane les interrompit, encore une fois :
« Hé les tourtereaux ! »
Gus lui jeta un regard sombre  visant à lui faire passer l’envie de réitérer ce surnom.
« Euh… il est 13h30 et la cantine va bientôt fermer. Vous voulez venir manger avec moi ? »
Angus n’était clairement pas contre l’idée d’une pause repas. Qu’on se le dise, il ne partageait pas le rythme fou d’une Danielle Coleman qui pensait que le fait de se nourrir était surfait. Son  ventre avait déjà gargouillé plusieurs fois, couvrant presque le bruit des enregistrements, et il avait fini son sachet de mini-viennoiseries depuis plusieurs heures déjà. L’open space s’était vidé mais Gus n’avait pas particulièrement envie de partager son repas avec le lieutenant, surtout s’il continuait à les appeler ainsi.
« Je pense que je vais plutôt aller me prendre un sandwich. » Fit-il en se levant. Il y avait plusieurs stands de restauration rapide  dans le hall du ministère où il pouvait manger sur le pouce, voir même prendre une commande à emporter directement au bureau.  Gus tapota ses poches à la recherche de son porte monnaie et se tourna vers Emily «  Tu veux que je te ramène quelque chose ou tu préfères… » sauter le repas ? Manger avec Dane ? Venir avec lui ? Prendre une pause dans un endroit gardé totalement secret et à l'abris de toute indiscrétion ?
Il n’allait pas tarder à le savoir.

Debout au milieu de l’open-space quasiment vidé de ses occupants, Angus attendait la décision d’Emily qui finit par choisir , après quelques instants d’hésitation, de se joindre à lui. Ok, aucun problème. Ils pourraient continuer à débriefer autour d’un hot-dog, voir de deux. Plus il y réfléchissait, plus il songeait que sa collègue avait raison concernant la signification des chiffres entendus durant les différentes écoutes. Le milicien avait déjà fait quelques pas en direction de la sortie lorsque Justin Dane décida de se joindre à eux. Gus se retourna légèrement par-dessus son épaule pour guetter la réaction d’Emily  qui resta parfaitement stoïque. Quelle éducation ! Elle qui ne voulait pas être catégorisée comme « l’ex de Rice » elle avait dû particulièrement apprécier le petit sobriquet de Justin et était surement ravie à l’idée de partager son repas avec le J-Boy de la Milice. Plutôt amusé de la situation en vérité, Gus poursuivit son chemin, son PearPro entre les mains. Il n’aimait pas jouer les adolescents avec son magicphone greffé à sa paume mais il avait reçu 142 notifications de « Milice For Ever »  en l’espace de deux heures. Quand est-ce que ces collègues trouvaient le temps d’alimenter cette conversation ?

Une fois dans l’ascenseur,  Justin et Emily parlèrent de météo et Gus en profita pour faire  défiler rapidement les différents messages sous ses yeux, histoire de s’assurer de ne pas avoir  raté une information cruciale. Il arrivait parfois –rarement-  que quelque chose de réellement important se dise sur ce groupe informel (du genre déplacement inopiné de réunion ou changement d’horaire de brief) si bien qu’Angus essayait de se tenir un minimum informé.  Toutefois, il tomba sur une toute autre notification, émanant justement, du lieutenant Dane ici présent. On pouvait voir une image animée d’Angus, dans l’open-space occupé à ronchonner sur son Pear. En arrière plan, Emily assise à son bureau levait ostensiblement les yeux au ciel. L’image tournait en boucle et se répétait inlassablement : Exclamation courroucé d’Angus, Eye-rolling d’Emily. Exclamation, Eye-rolling. Cela lui conférait un petit coté comique qu’Angus aurait apprécié s’il n’avait pas été la cible de cette blague ayant pour sous tire «  Gus et son Pear, tome 12. On va perdre Emily. »

« T’es sérieux là ? » gronda-t-il en tendant son bras pour coller son Magicphone  si près du visage de Dane qu’il dût se reculer pour bien voir l’image en question. Le lieutenant pouffa de rire visiblement très heureux de sa boutade.
« C’était pour voir si tu suivais. »
« Putain, tu as vraiment que ça à faire. C’est pas comme si on devait arrêter des meurtriers et des terroristes… » souffla Gus en tournant l’écran en direction d’Emily. «  Tu te souviens avoir signé un document cédant nos  droits à l’image toi ? Moi non. »  Il reporta de nouveau son attention sur Dane «  Tu peux pas faire ça, je connais mes droits. Fallait pas m’envoyer en formation avec Rahman. »

Angus rangea son Pear dans la poche arrière de son pantalon et croisa ses bras sur son torse sans mettre ses menaces à exécution. Les différents membres de la Milice aimaient bien se chambrer et Justin ne perdait rien pour attendre, ça non. « Quand tu ajouteras Emily au groupe tu penseras à m’enlever, s’il te plait. J’en ai marre de recevoir vos bonhommes jaunes qui pleurent de rire à longueur de journée. »

Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent enfin et Angus bifurqua sur la gauche en direction des services de restauration rapide de la cafétéria . Il guetta dans la foule la chevelure rousse d’Emma, au cas où, mais ne la trouva pas et s’installa donc dans la fil du stand, à côté d’Emily, bras croisés. Il était occupé à lire la carte des sandwichs par-dessus la tête des autre clients – Un américain ou un  double-hotdog ?-  lorsqu’une voix bien connue s’éleva dans son dos.

"Oh. My. God."Pour toute réaction, Gus ferma les paupières et poussa un long soupir. Il ne manquait plus qu’elle : Josy. Josy-de-la-compta. La J-Girl de leur jeunesse. Le milicien rouvrit les yeux et  croisa brièvement le regard d’Emily, conscient qu’elle envisageait probablement une DBD (ou peut-être plutôt un meurtre) pour s’éviter cette conversation.

Allez quoi, un peu de courage ! Ils avaient fait face aux ragots de Josy  adolescents, ils étaient d’autant plus armés aujourd’hui pour répliquer.

Au sens figuré, comme au sens propre.  

Angus se tourna donc  lentement en direction de leur ancienne camarade de promotion, une expression teintée d’indifférence imprimée sur son visage.

« Josy… » souffla-t-il sans entrain et avec même une certaine lassitude.
Toutefois la comptable ne lui tint pas rigueur de ce manque d’enthousiasme flagrant. En effet,  elle était concentrée sur son ancienne camarade de dortoir, Emily Rozenski, aka « La Roze », dans le langage J-Girl.

Angus savait que les deux femmes n’avaient jamais été proches – et même plutôt ennemies durant leur scolarité- mais Josy se comportait avec Emily exactement comme si elle retrouvait avec bonheur une vieille amie perdue de vue depuis longtemps. Emily de son côté restait parfaitement silencieuse mais Gus pensait pouvoir décrypter ce sourire un peu forcé qui cachait, à n’en pas douter, des pensées peu flatteuses.

Josy était égale à elle-même : Volubile, geignarde et intrusive. Elle leur servit le même discours qu’elle réservait à tout le monde sur sa charge de travail incommensurable – d’ailleurs Gus attendait avec une impatience non feinte son burn-out futur-  avant de glisser vers des sous-entendus sans équivoque.

« Ça se passe bien, comme tu peux le voir. » répondit-il lorsqu’elle leur demanda, sans subtilité aucune, comment leurs retrouvailles se déroulaient.
« Seulement bien ? » souffla Josy avec un sourire concupiscent.
Oh Merlin bénisse la patience légendaire des Poufsouffle.
« Seulement bien, confirma Angus avant d’ajouter… Par contre, il y a un truc qui ne va pas. »
Le regard de Josy pétilla à l’idée de collecter un nouveau potin. « Quoi donc ?» murmura-t-elle, avide, en tendant le cou.
« Ma fiche de paye de février, Josy. »
Ce n’était pas très gentil de se moquer d’elle ainsi mais Angus n’en éprouvait aucun scrupule.
« Oh Rice ! Tu ne vas quand même pas parler boulot pendant la pause déjeuner ! » répliqua Josy, furieuse de s’être fait prendre à son propre jeu. «  Il n’y a pas que ces messieurs-dames de la Milice sur terre ! lança-t-elle méprisante,  Je dois m’occuper de la paye de tous les agents du Ministère ! Tous !  Tu sais combien de personnes cela  représente Angus ? Hein, tu le sais ? »
« Aucune idée et je m’en fous. Chacun sa merde.  Ce que je veux, c’est que tu me payes mes heures sup que j’ai déclarées le mois dernier. Je ne travaille pas pour les beaux yeux de Leopold. »
«Rice,  tu me donnes des palpitations ! » s’exclama Josy en virant dans les aigües. Elle posa une main sur sa poitrine, cligna plusieurs fois des faux-cils tout en prenant appui sur l’épaule de Justin Dane. Mais quelle actrice, elle aurait eu sa place sur les planches des Folies Sorcières.
Josy inspira plusieurs fois puis, comme si elle faisait une immeeense faveur à Angus, elle ajouta, Passe à mon bureau cet après-midi et on regardera ton dossier. »
« Tu seras bien là ? »
« Oui. »
« Sûre ? »
« Mais oui ! Puisque je te le dis ! »
Angus l’observa un instant.
« Tu finis à quelle heure. ?»
Hésitation.
« Quinze heures… MAIS J’Ai COMMENCÉ TÔT ! » Josy poussa une exclamation agacée avant de prendre à partie Emily «  Il est pas possible celui-là ! Il va gâcher nos retrouvailles uniquement parce qu’il lui manque deux noises sur son salaire ! » Elle secoua vivement la tête avant de reprendre d’un ton enjoué, comme si de rien n’était « Ca fait si longtemps qu’on ne s’est pas vu, Roze ! Tu n’as pas changé ! Elle attrapa l’extrémité d’une mèche de cheveux d’Emily qu’elle laissa glisser entre ses doigts,  Tu es toujours la même avec ton petit air de fille sérieuse bien sous tout rapport ! » Elle coula un regard complice en direction de Dane laissant suggérer qu’Emily cachait très bien son jeu, Oh si tu savais Justin,  qu’est-ce qu’on a pu s’amuser durant nos années à Poudlard ! »
« Josy, tu as fait croire à toute l’école qu’Emily m’avait refilé une MST… » Angus n’appelait pas vraiment cela « s’amuser. »
« Oh mais Oui ! Hihihihihihhi ! C’était si drôle ! Olala ! Vous aviez été convoqués par Mme Pomfresh ! On a bien ri, Hein Roze ? » Mais sans attendre de réponse, elle enchaina  « Alors.  Dis moi. Josy veut  absolument tout savoir ! Elle lui attrapa les mains et les pressa dans les siennes enfonçant ses faux ongles dans la chair d’Emily, qu’est-ce que tu deviens, ma chérie ? Tu es mariée ? Est-ce que quelqu’un sur terre a enfin réussi  à supporter ton humeur sombre et taciturne ?Hihihi, Je plaisante, bien sûr !»

Pas tant que ça, songea Angus, pas tant que ça.

Angus écoutait  d’une oreille la conversation entre Josy et Emily. Il était à moitié tourné en direction du stand de sandwich et surveillait l’avancée de la file d’attente d’un œil impatient. Bras croisés sur son torse, mine fermée,  il observait tour à tour la toque du chef de la zone de restauration rapide et les clients qu’il servait, les uns après les autres.  Pour une fois, Angus aurait voulu que Marcello soit moins consciencieux et sympathique. Le tenancier de la sandwicherie avait toujours un mot gentil pour les employés ou un petit commentaire amusant à faire, histoire de fidéliser la clientèle.  

Aujourd’hui, Angus aurait juste voulu qu’il soit rapide. Très rapide. Si Justin projetait sans doute de manger son hot-dog sur les mange-debout du réfectoire en compagnie de Josy, le milicien espérait bien fuir la comptable du Ministère qu’il n’avait jamais vraiment porté dans son cœur, ni à l’époque de Poudlard, ni aujourd’hui.

Il se doutait  qu’il n’était pas le seul dans ce cas de figure si bien que ses pupilles se posaient de temps à autre sur le profil d’Emily, cherchant à deviner des traces de contrariété sur son visage alors que Josy se faisait de plus en plus…entreprenante.

« Tu n’as pas changé ! » s’exclama-t-elle en lissant une mèche de cheveux bruns entre ses doigts.
Force était d’admettre que Josy n’avait pas tout à fait tord. Des trois, Emily était incontestablement celle qui avait le moins souffert des affres du temps. Elle avait bien quelques ridules aux coins des yeux et sa ride de contrariété au centre de son front s’était creusée  mais elle avait traversé les années sans en subir les ravages. Contrairement à Josy … ou à lui-même, il devait l’avouer .

Angus reporta de nouveau son attention sur l’affiche présentant la carte des sandwitchs  -qu’il connaissait pourtant par cœur- sans chercher à masquer son profond désir de voir cette conversation se terminer. Toutefois Emily n’adopta pas la même stratégie et préféra jouer  le jeu de Josy. Un jeu dangereux, de l’avis d’Angus, mais Emily était assez grande pour savoir ce qu’elle faisait, après tout. En une seule phrase, elle mit presque au défi Josy de découvrir des informations personnelles la concernant avant de sous-entendre subtilement qu’elle était mieux informée qu’elle, la pire des commères du Ministère.

Angus retint un soupir. Il ne comprendrait jamais ce qui poussait Emily à vouloir répliquer en s’abaissant au même niveau que Josy. On parlait souvent de l’orgueil mal placé de certains hommes mais son ex ne donnait pas sa part au niffleur.
Le milicien connaissait Josy.

Même si elle faisait mine d’exhiber ces énormes bagouzes -tel un rappeur moldu dans son dernier clip- elle ne laisserait pas passer cet affront et allait surement tout faire pour découvrir les plus sombres aspects de la vie d’Emily. Et si elle n’y parvenait pas, elle les inventerait, tout simplement. L’histoire était ainsi faite…

« Mais t'en fais pas Roze, je suis sûre que tu finiras par trouver quelqu'un toi aussi !" souffla toutefois la Poufsouffle d’un ton mielleux dont le degré de sincérité avoisinait le zéro pointé.

Angus se garda  toutefois de faire la moindre remarque à ce sujet. Non seulement il ne connaissait rien à la vie sentimentale d’Emily de ces vingt dernières années mais, en plus, il avait échoué à être cet homme capable de la rendre pleinement heureuse.

Il avait beau avoir pris énormément du recul sur cette situation, constaté qu’ils étaient bien trop différents pour envisager une vie commune, Angus n’appréciait que modérément le fait de se replonger dans ce premier grand échec de sa vie amoureuse.

Il était tout à ses pensées peu réjouissantes  lorsque la voix de Josy grinça à ses oreilles pour lui demander des nouvelles de « la petite stagiaire ». Angus n’avait pas besoin de davantage de détails, il savait parfaitement qu’elle  parlait d’Emma, Emma  qui n’avait rien d’une stagiaire d’ailleurs, merci bien.  Il ne s’appelait pas Alessandro Vigliola pour fricotter avec des mineures, lui ! Le milicien reporta lentement son attention sur Josy sans faire l’effort de lui paraitre agréable. Elle avait semble-t-il oublié qu’il était particulièrement fâché contre elle.

«Employée.» rectifia-t-il.
« Oui, « Fraichement Employée » si tu préfères. »
Gus retint un soupir.
«  Je ne suis disposé à parler que d’une chose avec toi, Josy , reprit-il en la détaillant du regard, Le virement que tu vas faire sur mon compte à Gringotts dès cet après-midi. »

Sans le savoir, la comptable du Ministère avait joué un rôle primordial dans l’histoire de la relation entre Emma et Angus. Il se souvenait encore de ce jour où il avait rencontré Emma au Mirror Of Erised. Elle avait hésité un instant à s’asseoir à sa table juste avant que Josy ne cherche à lui enlever le tabouret sous le nez ce qui l’avait décidé à s’installer en face de lui…

«Ooohhh. Tu ne veux pas en parler devant Emily ? C’est ça ? Hihihi ! » persiffla Josy de sa voix nasillarde.

Angus exécrait l’idée qu’il puisse y avoir une once de vérité dans les propos de la comptable . Ce n’était pas tant qu’il ne souhaitait pas évoquer sa vie personnelle auprès de son ex c’était juste qu’il aurait aimé le faire dans d’autres circonstances, ou mieux,  évacuer le sujet d’entrée de jeu, le jour de leur rencontre, histoire d’éviter toute ambigüité.

Malheureusement, Emily n’avait pas été de cet avis.

« Non Josy,  c’est juste avec toi que je n’ai pas envie de parler d’Emma, souffla-t-il en utilisant volontairement le prénom de sa compagne afin de montrer qu’il était tout à fait à l’aise avec ça. Du moins en apparence. En vérité, il ne révélait rien de nouveau comme information :  Josy s’occupait de la paye d’Emma et la connaissait déjà, Justin l’avait croisée une fois au pub et Emily avait lu son nom et l’un de ces messages sur son Pear pas plus tard que ce matin.
Angus  haussa les épaules de manière fataliste et ajouta même avec une moue tombante.

«En fait,… je n’ai pas envie de te parler tout court, Josy. » dit-il, pas diplomate pour deux noises comme si ce constat venait de s’imposer à lui.

« Tu es vexant, Rice ! »
Etait-ce si grave ?

Peut-être que, lui aussi, il n’utilisait pas la bonne stratégie face à Josy.
Pire, peut-être qu’il n’existait pas  de bonne stratégie face à Josy : Jouer son jeu, s’opposer frontalement à elle… rien ne semblait fonctionner.

Justin était peut-être le seul à avoir compris comment se préserver d’elle : Devenir son meilleur allié mais, honnêtement, c’était au dessus des forces d’Angus. Lui, il préférait la méthode un peu plus…cash.

Méthode qui fit toutefois  rire le lieutenant Dane. Il pensait surement que la remarque de Gus était ironique  puisqu’il ajouta, tout sourire :

« Et bien, on ne devait pas s’ennuyer dans votre promotion ! Quel dommage que je n’ai pas  dix  ans de plus ! »
« Quatre ans ! » rectifia Josy en lui donnant une petite tape sur l’épaule  dans un simulacre de désaccord visiblement bien rodé entre eux.

Angus tourna la tête et risqua un regard en direction d’Emily.  Il ne comptait plus le nombre de discussions qu’ils avaient eues adolescents au sujet de Josy Hofstadter alors qu’ils cherchaient le meilleur moyen pour ne plus être la cible de ses commérages ou de ses rumeurs infondées. Il se revoyait, main dans la main avec Emily dans le parc de l’école, lovés ensemble sur le canapé de la salle commune ou assis face à face à la bibliothèque l’année de leurs ASPIC, toujours occupés à discuter de la bonne posture à adopter pour affronter cette commère.
Dix-sept ans plus tard, ils en étaient presque réduits au même exercice. Angus fut toutefois tiré de ses pensées par Marcello, le vendeur de sandwichs qui les invitait à passer commande. Le milicien ne perdit guère de temps. Après les brefs échanges de politesse, il  se retrouva rapidement avec sa commande en main, plus que jamais prêt à retourner au QG de la Milice.

« On pourrait grignoter ici rapidement… » suggéra Dane en désignant des tables hautes encore couvertes des miettes des précédents clients pressés.

« Oh oui, excellente idée ! » approuva Josy. Elle se hissa sur un tabouret haut et nettoya l’emplacement d’un recurvite.

« Moi je remonte. » lâcha Angus en prenant la direction de l’ascenseur qu’il convoqua sans délais en pressant le bouton d’appel. Il avait relativement peu de doute quant à la décision qu’avait prise Emily si bien qu’il ne fut pas étonné de la retrouver dans la cabine, avec pour seule autre compagnie, des notes de service voletant au dessus d’eux.

Angus s’appuya contre la paroi et la porte coulissante se referma sur les deux miliciens. Un étrange silence suivit, seulement troublé par le mécanisme du monte charge. Les bruits de la cafétéria s’étaient envolés tout comme les éclats de voix aussi stridents que désagréables de Josy. Angus observait le défilement des étages sur le cadrant tout en réfléchissant à la scène qui venait de se jouer. Un léger sourire étira ses lèvres tandis qu’il secouait imperceptiblement la tête. Son regard passablement amusé se posa finalement sur Emily et il ne put retenir plus longtemps un éclat de rire.

Certaines choses étaient immuables et la capacité naturelle de Josy Hofstadter à leur faire perdre patience faisait visiblement partie de ces faits inaltérables.

La mine mi-lasse mi-excédée d’Emily suffit à faire sourire Angus. Vingt ans plus tard, Josy Hofstadter avait exactement le même pouvoir de nuisance sur eux, c’était fou ! Maintenant qu’elle ne se trouvait plus dans son champ de vision et que sa voix nasillarde ne transperçait plus ses tympans, Gus devait admettre que la situation était plutôt amusante et les ramenait même des années en arrière. Emily fit d’ailleurs le même constat que lui et le verbalisa oralement:

« J'ai l'impression d'avoir encore seize ans, et pas pour les raisons que j'aimerais !"
Gus se mit à rire, non sans se demander si la relation qu’ils avaient partagée à cet âge là figurait parmi  les événements  qu’Emily aimait se remémorer ou préférait oublier. Il l’observa quelques secondes mais ne s’étendit pas plus longuement sur ce questionnement intérieur. Au lieu de ça, il préféra répondre à la remarque de sa collègue qui se demandait comment il faisait pour supporter cette commère tous les jours. Le dos toujours appuyé contre la paroi de l’ascenseur qui descendait dans les profondeurs du Ministère, Angus grimaça.

« Naaah, mais on ne croise pas Josy tous les jours, rassures-toi. Il déchira l’emballage de son sandwich et croqua goulument dedans, incapable d’attendre plus longuement qu’ils soient installés pour manger, Elle prend souvent sa pause déjeuner dans son bureau avec les autres commères du Ministère, reprit-il la bouche pleine sans s’encombrer des convenances,  Elle ne vient à la cafétéria que très rarement pour glaner de nouveaux potins, c’est tout. Il était drôlement bon ce sandwich au poulet songea Gus avant de déglutir pour avaler sa bouchée, Aujourd’hui, c’est tombé sur nous. » Le milicien haussa les épaules, fataliste, même si Josy ne perdait rien pour attendre. Il comptait bien se rendre à son bureau dès cet après-midi et ne pas quitter la pièce jusqu’à ce que ses heures supplémentaires soient mises en paiement !

« En tout cas, elle t’a à la bonne. »ajouta Angus avec un demi-sourire avant de singer gentiment la remarque d’Emily : «  "Félicitations pour ton mariage."  T’étais vraiment obligée ? »

Certes, il n’était pas sûr d’adopter la bonne stratégie face au caractère intrusif de Josy mais il avait l’impression qu’Emily se fourvoyait également. Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent sur le département de la Justice Magique et Angus présenta sa baguette aux agents de sécurité en charge du contrôle d’identité qui les laissèrent passer. Alors qu’ils prenaient la direction de leur bureau, Emily se fendit d’une question ironique, non sans lien avec les intrusions répétées de Josy dans sa vie personnelle.

« Quoi ? Tu veux fuir ? » Répondit Gus en cherchant le regard de sa coéquipière, les sourcils hauts, le front strié de fines rides parallèles,  Tu oublies pour qui tu bosses et ce que tu incarnes Emily, il laissa passer un bref moment de silence,  La Milice. Sans se départir de sa mine joviale, Angus poursuivit, Si on veut, on a tous les pouvoirs :  Mettre Josy sur écoute, fouiller son pear à distance,  la faire suivre, espionner sa vie, celle de ses gosses, de son mari. On peut tout savoir de son existence, absolument tout. Même ce qu’elle veut cacher à tout le monde,  alors crois moi, c’est elle qui devrait être prudente… »

Angus ne comptait pas mettre ces menaces à exécution mais il était parfaitement conscient des moyens d’action qu’il avait à sa disposition. Il croqua de nouveau dans son déjeuner et pénétra dans les locaux vides des accromentules, tout à fait tranquillement.

« Enfin, si on doit un jour mettre Josy sur écoute, je te laisserai t’en charger, hein. Il se fendit d’une brève grimace,   C’est pas trop mon truc les technomagies. » Emily s’en était surement aperçue.
Bien décidé à optimiser cette pause déjeuner,  il s’installa sur son fauteuil et glissa son oreillette à rallonge dans son oreille. Le temps des vieux souvenirs étaient terminés et ce n’était peut-être pas plus mal. Ils n’étaient pas là pour ressasser le passé après tout. Angus tendit l’autre extrémité du fil en direction de sa collègue et lui souffla sans attendre :

« On s’y remet ? »