Sasha n'avait eu aucune difficulté à convaincre l'équipe pédagogique de la laisser effectuer un second stage au sein de la Milice. Elle avait proposé d'axer son rapport de stage sur la nouvelle organisation des forces de l'ordre, qu'elle allait pouvoir comparer avec l'ancienne grâce à son stage effectué en décembre, et avait même fourni une lettre de recommandation écrite de la main de Danielle Coleman elle-même. Elle avait donc eu le choix entre l'unité des renseignements ou la brigade d'intervention et, après une brève hésitation, avait opté pour la première option. Elle aurait adoré assister à des interventions mais n'était pas certaine que les stagiaires soient autorisés à y participer, et n'avait aucune envie de rester sagement au Ministère à rédiger son rapport de stage chaque fois que son tuteur serait sur une opération.

Elle avait donc opté les renseignements, où elle aurait surement la chance d'être un peu plus intégrée. Elle espérait pouvoir mettre ce stage à profit pour apprendre quelques techniques d'espionnage qu'elle pourrait ensuite appliquer à Poudlard. L'unité des renseignements devait être habituée à traquer les traitres au régime et ils avaient certainement des méthodes classiques à mettre en oeuvre dans ce genre de situation, pour les pousser à la faute.

Fidèle à ses habitudes, l'adolescente était arrivée particulièrement tôt au Ministère. Elle n'avait rendez-vous avec son tuteur -un dénommé Léonard Wellington- que dans une demi-heure, et mit ce temps à profit pour s'arrêter à la cafétéria du Ministère et prendre un café à emporter. Noir. Sans sucre. Après des semaines à se forcer à en boire en grimaçant, elle avait réussi à piéger son propre cerveau et à apprécier le gout du café le matin. Déjà habituée des lieux, elle avait emprunté les ascenseurs pour rejoindre l'open-space de la milice, qu'elle avait trouvé complètement réorganisé depuis sa dernière visite.

La jeune fille s'approcha timidement d'un bureau, occupé par une sorcière blonde et, après s'être présentée, demanda poliment à voir le Lieutenant Welligton. La milicienne lui indiqua un bureau vide, à côté duquel avait été ajoutée une petite table qui lui était certainement destinée, et lui affirma que son tuteur ne tarderait pas à arriver. Sasha la remercia avec un grand sourire et s'installa sur la chaise face à la table qui avait été annexée au bureau de Léonard. Elle posa son café devant elle et attrapa son sac pour en tirer un épais manuel dont le titre annonçait "Précis de Technomagie - Volume 1".

Elle avait entendu dire que l'unité des renseignements de la Milice s'appuyait de plus en plus sur la technomagie pour ses activités et, si elle était parfaitement à l'aise avec son Pear -comme n'importe quelle adolescente de seize ans- elle avait décidé de s'éduquer un peu plus sur le sujet. Elle tenait à pouvoir comprendre facilement tout le jargon technomagique que pourrait utiliser son tuteur. Elle était plongée dans la lecture du chapitre 3 sur les différents types de signaux technomagiques, quand un jeune homme s'approcha du bureau.

Sasha referma prestement son livre et se leva pour acceuillir celui qui était certainement Léonard Welligton.

"Bonjour, le salua-t-elle en lui tendant la main. Sasha Benson, je suis votre nouvelle stagiaire, enchantée ! Elle lui adressa un sourire éclatant. Je suis désolée, je suis arrivée un peu en avance, je me suis permise de m'installer."

Elle ne put s'empêcher de remarquer que le Lieutenant Wellington était très jeune, et plutôt beau garçon, et se fit la remarque que ce stage promettait d'être particulièrement agréable.

« De retour, Wellington ? T’as l’air en forme ! »

L’interpellation du lieutenant Dane lui fit tourner la tête, au moment où il attrapait son grand verre de chocolat chaud tendu par la vendeuse de la cafétéria. L’homme affichait un sourire auquel Leonard répondit sincèrement, sans se forcer tant sa bonne humeur était lisible sur son visage. Il tendit sa main libre en direction de son homologue des Interventions pour le saluer :

« Ouais, j’ai bien récupéré !
-Tant mieux, répondit le lieutenant, sans masquer totalement sa surprise. Je pensais que tu resterais plus longtemps en congé, Davies avait l’air de dire que tu avais besoin de repos.
-Je l’ai appelée hier pour lui dire que je me sentais d’attaque pour reprendre. Tout va bien » assura t-il, sans toutefois aller plus loin dans ses explications.

Evidemment, la rumeur s’était vite répandue que Leonard avait perdu connaissance en salle d’interrogatoire et il se doutait qu’en l’absence d’explications précises de la part d’Avalon -comme il l’avait priée de ne pas le faire- leurs collègues avaient du s’imaginer tout un tas de scénarios pour expliquer cette longue semaine d’arrêt qui lui avait été prescrite. Leonard n’avait pas très envie de répondre aux curieux à ce sujet, il n’était pas encore prêt à dévoiler sa maladie aux yeux de tous ses collègues. Il avait tout juste levé le voile auprès de ses proches et appréhendait seulement cette nouvelle situation. Il lui fallait un peu plus de temps avant de franchir un nouveau pas, et Dane sembla comprendre qu’il approchait un sujet sur lequel Leonard ne serait pas prolixe :

« C’est une super nouvelle, on s’inquiétait pour toi, fit-il en posant brièvement sa main sur son épaule. Bon, on se retrouve plus tard, alors ?
-Ouais, à plus tard ! »

Son sourire flottait toujours sur ses lèvres, tandis qu’il s’efforçait de se raccrocher mentalement aux dernières bonnes nouvelles qui avaient ponctué sa vie, plutôt que de songer aux pires. Il sortait d’une semaine de vacances merveilleuse avec Eiluned, qu’il avait enfin retrouvée et demandée en mariage. Ces moments hors du temps passés avec elle lui avaient permis de se recentrer et retrouver l’énergie positive qui lui avait cruellement manqué ces derniers temps. Parce qu’il avait toujours été transparent sur ses émotions, l’éclat sur son visage et son regard se firent remarquer par ses autres collègues des renseignements, à l’instant où il pénétra dans l’open space qui rassemblaient tous leurs bureaux. Atkins fut la première à se diriger vers lui, un grand sourire aux lèvres :

« Davies nous a dit que tu revenais aujourd’hui ! Ça va ? »

Elle lui donna brièvement une accolade, geste qu’elle n’avait pas si souvent à son encontre, ce qui fit prendre la mesure à Leonard de l’inquiétude qu’il avait pu susciter chez ses collègues. Un peu touché, il fit en sorte de paraître le plus naturel et léger possible en répondant :

« Très bien ! Je suis en pleine forme. Bon, qu’est-ce que j’ai manqué cette semaine ?
-Oh bah plein de choses, tiens prends ces dossiers déjà, dit-elle en lui refilant plusieurs chemises pleines de papiers dans les bras, mais commence par faire un tour près de ton bureau, ta stagiaire t’attend.
-Ma stagiaire ?
-Ah ! Taylor, raboule le fric, je t’avais dit qu’il aurait oublié ! Heureusement que je me tenais prête à l’accueillir à ta place, hein, dit-elle à l’adresse de Leonard, un léger sourire moqueur aux lèvres. Ta stagiaire de Poudlard, elle t’attend depuis quinze minutes.
-Je ne sais pas si je dois me sentir offusqué que vous pariez sur moi ou reconnaissant que tu sois là pour assurer mes arrières.
-Le deuxième point, je préfère. »

Secouant la tête avec un sourire exaspéré et amusé à la fois, Leonard traversa l’open space, sans manquer de saluer les collègues qu’il croisait, jusqu’à arriver à son bureau logé dans un angle, un peu à part, qui lui permettait de se détacher de ses équipes, tout en gardant un oeil sur elles. Il y trouva une jeune fille assise devant une petite table, certainement installée par Atkins -il fallait qu’il pense à lui offrir un café en remerciement pour avoir géré son absence- et dont l’identité revint aussitôt dans la vaste mémoire de Leonard, à l’instant où il vit son visage.

« Bonjour Sasha, ne t’excuse pas, c’est moi qui m’excuse, j’ai un peu de retard ! J’avais oublié que tu arrivais aujourd’hui » reconnut-il un peu trop vite avant de songer que ce n’était peut-être pas la meilleure chose à dire à une stagiaire qui débarquait. Bon, tant pis. Un peu maladroitement, il se déchargea de tous les papiers qu’il portait à son bras, ainsi que sa tasse de chocolat chaud recouverte de chantilly et tenta de se rattraper avec une proposition : « Tu veux boire ou grignoter quelque chose ? On a toutes sortes de thé, du chocolat, des gâteaux » proposa t-il en songeant que c’était ce qu’elle devait consommer à son âge. « Oh, tu lisais quelque chose ? » remarqua t-il sans vraiment faire de transition, car son regard venait de tomber sur l’épais bouquin devant elle.

Sasha ne se départit pas de son sourire, mais son enthousiasme fut un peu refroidi quand son tuteur de stage affirma qu'il avait oublié qu'elle arrivait aujourd'hui. Elle espérait qu'il trouverait malgré tout des choses intéressantes à lui confier et qu'il n'avait pas déjà un emploi du temps chargé de réunions et autres obligations dans lesquelles elle ne pourrait pas l'accompagner. Elle n'aimait pas l'impression d'être un imprévu à gérer et ne voulait surtout pas être ce stagiaire encombrant dont on ne sait pas quoi faire et à qui on demande des photocopies pour l'occuper.

Elle était venue ici pour en apprendre davantage sur le nouveau fonctionnement de la milice et elle espérait sincèrement que ce serait le cas. Elle détestait perdre son temps. Sasha appréciait les gens organisés et prévoyants, des qualités qu'elle-même estimait posséder. Il était trop tôt pour affirmer que ce n'était pas le cas de son tuteur, mais il ne renvoyait pas exactement cette impression, occupé à se décharger de ses trop nombreux dossiers sur son bureau.

"J'ai pris un café, merci" répondit-elle avec un sourire poli, un peu moins enjouée.

Ses yeux se posèrent sur la boisson de son tuteur de stage, qui avait l'air d'être particulièrement sucrée et noyée sous un nuage de crème fouettée. Chacun ses goûts, après tout. Elle avait commencé à surveiller un peu son alimentation et essayait dans la mesure du possible de limiter le sucre. Ce n'était bon ni pour le corps ni pour la concentration -elle avait lu un livre sur le sujet.

L'adolescente retrouva son enthousiasme quand le milicien l'interrogea sur son livre, qu'elle referma pour pouvoir lui montrer la couverture "Précis de technomagie - Volume 1", non sans avoir noté mentalement le numéro de sa page pour pouvoir reprendre sa lecture plus tard.

"Je me suis dit que cela pourrait m'être utile de connaitre un peu le jargon technique, expliqua-t-elle. J'ai cru comprendre que vous utilisiez beaucoup les technomagies."

Sasha avait la chance d'avoir été élevée comme une née-moldue et d'être suffisamment jeune pour avoir connu dès l'enfance les dernières avancées technologiques non magiques. Elle savait se servir d'un téléphone portable ou d'un ordinateur, et même si les technomagies ne fonctionnaient pas exactement de la même façon, ce livre disait que cela facilitait grandement l'apprentissage. Elle se demandait si c'était également le cas de son tuteur de stage, ou s'il avait tout appris lors de ses études, un sujet sur lequel elle décida de l'interroger.

"Vous avez fait des études dans ce domaine, ou vous avez d'abord intégré les forces de l'ordre avant de vous spécialiser ?" l'interrogea-t-elle, curieuse de savoir comment on se retrouvait lieutenant des services de renseignement.

Elle trouvait l'unité de renseignements de la Milice très intéressante et se demandait quels genres de profils ils recrutaient. Elle qui pensait avoir trouvé sa voix depuis ses dix ans -la politique- se sentait un peu perdue ces derniers temps. Elle n'était plus si certaine de vouloir passer par la voie royale : études de droits magiques ou de sciences politiques. Elle avait envie de faire mille choses différentes et aurait aimé avoir plusieurs vies pour pouvoir s'essayer à différentes carrières. A défaut, elle étudiait sérieusement toutes ses possibilités pour être certaine de faire le meilleur choix.

Leonard était plutôt bon quand il s’agissait de cerner les gens sur des premiers contacts, il se trompait rarement à ce sujet et c’était ce qui lui valait sa place ici, de lieutenant de l’agence des renseignements. Il perçut quelque chose de très policé dans la voix et l’attitude de Sasha, comme si elle veillait à contrôler ce qu’elle dégageait et ne pas laisser paraître ses pensées. Il jeta un oeil au livre qu’elle avait apporté, un gros manuel qu’environ n’importe quelle adolescente de son âge n’aurait pas eu le courage de lire, qui ciblait spécifiquement un sujet qui concernait l’environnement où elle avait choisi de faire son stage. Il remarqua avant qu’elle ne referme le livre qu’elle se trouvait encore dans les premiers chapitres et déduisit qu’elle avait commencé cette lecture assez récemment, probablement en préparation de son stage.

Sur la base de ces quelques éléments, Leonard conclut qu’il avait certainement affaire à une personnalité de type première de classe qui veillait à paraître sous son meilleur jour face aux figures d’autorité et à atteindre une forme de perfection dans tout ce qu’elle faisait.

Le sourire avenant que Leonard afficha de son côté ne laissa pas voir ses pensées ni le fait qu’il était déjà en train de travailler, en analysant les réactions de sa stagiaire.

« C’est vrai, nous sommes tous formés à l’utilisation de technomagies assez avancées, ici. Ce sont des outils précieux dans notre travail. Mais ça doit être assez accessible pour toi, j’imagine » glissa t-il, en étant attentif à la manière dont elle allait y répondre : avec une fausse ou une honnête modestie ? Ou encore, une certaine vantardise ? « Tu viens d’une famille moldue, n’est-ce-pas ? »

C’était ce que mentionnait son profil qu’il avait lu quelques semaines plus tôt. Même si, à cause des derniers événements perturbants et son arrêt de travail imprévu, Leonard avait oublié en arrivant qu’il était sensé recevoir Sasha dès cette semaine, la curiosité qu’il avait ressenti à la lecture de son dossier refit vite surface. La Milice n’ouvrait pas ses portes à n’importe qui, le dossier de Sasha avait été scruté par plusieurs personnes avant d’atterrir sur son bureau. La jeune fille le savait déjà peut-être, mais un élément en particulier avait beaucoup facilité ce parcours et c’était la recommandation de Danielle Coleman elle-même.

Leonard était curieux de voir à son tour ce que Danielle avait vu chez cette jeune fille en apparence sage et menue.

« Non, je n’ai pas fait d’études dans ce milieu, j’ai intégré la Justice Magique dès ma sortie de Poudlard, mais dans un domaine assez différent. J’ai fait mes armes à la Brigade Scientifique Magique, tu connais peut-être ce corps ? » Certainement, il devinait sans peine que Sasha avait du éplucher l’organigramme du Ministère et en particulier de leur département avant d’arriver ici. « Donc je suis entré via un cursus de médecine légale. Puis je me suis réorienté il y a deux ans pour intégrer la Milice, j’ai dû suivre une formation complémentaire, car hé bien, disséquer des cadavres et mener des enquêtes de terrain, ce n’est tout de même pas tout à fait le même métier » dit-il sur un ton léger. « Tu t’en rendras compte en discutant avec les collègues que les profils sont très différents. La plupart ont travaillé à la Justice Magique -chez les Aurors ou la PM, notamment- mais pas tous. On fait aussi du recrutement sur dossier et concours externe, et les profils sélectionnés sont formés à l’Académie pendant trois ans. Tu vois cet homme, derrière toi, au fond, avec des grosses lunettes et les cheveux blonds ? C’est Aleksei, il était boulanger avant d’atterrir ici » révéla t-il en adressant un signe de la main et un sourire à son collègue. « Tu sais vers quelles études tu souhaites aller ? »

Il avait lu sa lettre de motivation qui accompagnait son dossier mais elle n’abordait pas spécifiquement ce point et il préférait entendre Sasha en parler plutôt que lire des mots mûrement réfléchis.

Sasha fut un peu rassurée de constater que, si son tuteur avait oublié son arrivée ce matin, il avait au moins eu l'occasion de parcourir son dossier, puisqu'il se souvenait qu'elle avait des origines moldues. Elle se présentait souvent comme issue d'une famille moldue, alors même que sa mère était une sorcière, simplement parce qu'elle avait été élevée ainsi pendant une grande partie de son enfance. Elle n'avait découvert que très tard l'existence du monde magique et s'était senti assez proches de ses camarades nés-moldus lors de sa première rentrée à Poudlard. Elle en voulait encore à sa mère de l'avoir privé de toute cette partie de son identité pendant si longtemps, et doutait de pouvoir jamais le lui pardonner. C'était ses secrets qui avaient fait explosé leur famille, des années plus tôt.

"En grande partie oui, répondit-elle simplement avec un bref sourire. Mais je n'ai pas vraiment l'occasion de m'entrainer à taper à l'ordinateur ou de faire des recherches en ligne quand je suis à Poudlard."

Elle était certes avantagée par rapports aux sorciers qui n'avaient pas la moindre appétence pour la technologie, mais elle était loin d'être une experte en technomagie pour autant, et c'était bien pour cela qu'elle avait tenu à se renseigner un peu avant le début de son stage. Sasha avait pris l'habitude d'être relativement à l'aise en cours et de ne pas souvent rencontrer de difficultés ou d'incompréhensions. Elle aimait ce sentiment de maitrise et, même si elle était toujours ravie de découvrir de nouvelles choses, elle n'aimait pas vraiment l'inconnu et préférait toujours préparer le terrain en amont. Elle redoutait plus que de tout de passer pour une idiote ou une incompétente.

Sa curiosité la poussa justement à interroger le lieutenant Wellington sur son parcours et elle hocha vivement la tête quand il mentionna la Brigade Scientifiques Magique.

"J'ai pu y passer une matinée lors de mon stage précédent, expliqua-t-elle. J'ai trouvé ça très intéressant ! Elle avait apprécié le mélange entre connaissance scientifiques et travail d'enquête et avait été impressionnée par le travail particulièrement méticuleux des membres de la Brigade, même si elle n'avait pas eu la chance de les voir exercer sur un vrai cadavre. Qu'est-ce qui vous a donné envie de changer d'unité ?"

Le jeune homme n'était visiblement pas le seul milicien à ne pas avoir suivi un cursus linéaire, puisqu'il lui désigna même un collègue anciennement boulanger, à qui Sasha adressa un petit signe de la main pour le saluer. La préfète trouvait ce discours très rassurant, elle qui avait beaucoup réfléchi à son orientation ces derniers temps. Elle était tiraillée entre plusieurs domaines qui l'intéressaient énormément et c'était un véritable déchirement que de devoir renoncer à certains d'entre eux, mais l'expérience de Léonard lui prouvait qu'elle pourrait toujours changer de métier au cours de sa carrière, si elle venait à changer d'avis.

Son tuteur l'interrogea justement sur ses ambitions et elle s'accorda une seconde de silence pour réfléchir à sa réponse. Quelques années plus tôt ,sa réponse aurait fusé. Elle avait décidé qu'elle voulait être Ministre de la Magie quand elle avait à peine dix ans. Depuis elle avait eu le temps de revoir ses ambitions à la baisse et, même si l'idée de diriger le pays était toujours aussi séduisante, elle avait pris conscience du long chemin à parcourir pour arriver jusque-là, et avait accepté de réfléchir à des plans de carrière plus réalistes. Elle saurait se contenter d'un poste d'ambassadrice ou de la direction de la justice magique.

"Je ne suis pas encore certaine, avoua-t-elle avec une grimace d'excuse. J'ai suivi quelques cours de droit magique et de sciences politiques cet été et j'ai beaucoup aimé, mais j'ai aussi beaucoup apprécié mon précédent stage à la milice et je pense que c'est un métier qui pourrait me plaire. Elle aimait déjà être préfète et distribuer des retenues aux élèves qui ne respectaient pas le règlement, alors elle pouvait parfaitement s'imaginer interpeler les sorciers qui menaçaient le pays pour les jeter en prison. Et j'ai fait un stage au service communication l'année dernière, que j'ai adoré aussi, je pense que cela peut être une excellente passerelle pour évoluer vers des postes plus politiques et stratégiques. Finalement, elle aurait eu plus de facilité à décrire le poste dans lequel elle se projetait dans vingt ans, qu'à choisir le chemin qu'elle voulait emprunter pour y arriver. Je ne sais pas vraiment quoi choisir, conclut-elle avec un haussement d'épaules. Mais j'ai encore un peu de temps. Beaucoup trop de temps selon elle, qui avait terriblement hâte de quitter Poudlard et d'embrasser sa future carrière, quelle qu'elle soit. Qu'est-ce qui vous plait le plus, dans votre métier actuel ?"

Peut-être que la réponse du lieutenant Wellington la pousserait à s'orienter définitivement vers la Milice ?

« En effet, répondit Leonard avec un bref sourire à sa remarque sur Poudlard. Personne parmi vos profs ne songent à utiliser des Pear XL pour leurs cours ? » Il ignorait où en étaient les réflexions à ce sujet, mais il savait que les Pear pouvaient aussi servir de supports pédagogiques à des cours. « J’imagine que c’est encore un peu tôt pour changer aussi profondément des pratiques, supposa t-il. Surtout quand on enseigne depuis littéralement trois siècles » ajouta t-il avec une pensée amusée pour le célèbre professeur Binns.

Mais plus que les innovations pédagogiques à Poudlard, Leonard s’intéressait au profil de Sasha qu’il avait accepté d’accueillir en stage. Puisqu’il se montrait assez curieux, elle se montra curieuse à son tour en lui demandant quelles étaient les raisons de son revirement de carrière. Face à cette question, Leonard se montrait toujours duplice, car il ne pouvait décemment pas dire que sa motivation première était de prendre en main et accélérer l’enquête sur la disparition de sa propre soeur, même si ce n’était pas un secret pour ses collègues de la Milice. Sasha, elle, n’avait pas besoin de le savoir. Il préféra se faire passer pour un jeune homme ambitieux -ce qui n’était pas faux :

« La perspective d’avoir de nouvelles opportunités » répondit-il, évasif. « Je suis rentré à la Milice quand elle commençait juste à se structurer, c’était le moment d’essayer de faire la différence. Ça a bien marché, me voilà lieutenant deux ans plus tard » plaisanta t-il. « De toute façon, j’ai toujours su qu’il y avait peu de chances pour que je reste toute ma vie à faire le même métier. Il y a trop de domaines différents qui m’intéressent. »

Leonard s’était toujours imaginé faire plusieurs carrières dans sa vie et ne pas pouvoir les explorer toutes faisait partie d’un de ses grands regrets, depuis qu’il savait qu’il lui restait peu de temps à vivre. Chassant cette pensée intrusive et négative de son esprit, il se concentra sur ce que Sasha lui expliquait de ses aspirations. Il sentit chez elle une propension similaire à la sienne, à s’intéresser à plusieurs domaines, sans trop savoir lequel privilégier. Parce qu’il se reconnut un peu dans cette indécision, il put lui donner quelques conseils sincères :

« Oui, tu as le temps de faire un choix et surtout, même si tu t’orientes sur une voie, ça ne veut pas dire que tu ne pourras pas bifurquer plus tard. Surtout si tu vises des postes au sein du Ministère : les passerelles sont facilitées en interne. En attendant, tu as raison de profiter de tes stages pour aller voir la réalité de chacun de ces métiers et déceler ce qui te plaît là-dedans. » Sasha enchaîna justement en lui renvoyant cette question, ce qui poussa Leonard à réfléchir quelques secondes. « Hum… L’enquête, je dirais. C’était déjà ce qui me plaisait dans le travail précédent. Le fait d’avoir un mystère à résoudre, de passer du temps à récolter des indices pour imaginer des théories et les mettre à l’épreuve. C’est stimulant, intellectuellement. Après j’ai choisi les renseignements plutôt que les interventions, car je suis bien mieux à échaufauder des hypothèses derrière un écran qu’à me battre en duel sur le terrain » ajouta t-il en souriant. « Et toi, qu’est-ce qui t’attire dans la Milice, exactement ? »